En cours au Siège de l'ONU

Soixante-troisième session,
11e séance plénière – matin
FEM/2178

Débat sur les données à la Commission de la condition de la femme pour identifier les bonnes pratiques et « s’assurer que chaque femme compte »

La collecte, l’analyse et la diffusion de données ventilées par sexe sont cruciales pour élaborer des politiques qui aient un impact sur les femmes et les filles: tous les intervenants de la table ronde de la Commission de la condition de la femme l’ont martelé ce matin.  Pour entamer sa deuxième semaine de travaux, la Commission débattait en effet des difficultés et des opportunités que présentent les données dans ce domaine, avec un partage de bonnes pratiques, pour que « chaque femme et chaque fille comptent et soient comptées » dans le cadre de la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030.

Le manque des données rend difficile l’évaluation des progrès dans les efforts d’autonomisation des femmes et filles, a rappelé l’animateur de la table ronde, M. Mohammed Marzooq (Iraq), en faisant observer en outre que ce problème rend les femmes « invisibles » pour les décideurs.

Selon des chiffres d’ONU-Femmes, sur les 232 indicateurs mondiaux permettant de suivre les progrès et la mise en œuvre effective du Programme 2030 et des objectifs de développement durable, seuls 54 sont « sensibles au genre ».  De plus, seuls 13% des pays du monde allouent des budgets à la collecte de statistiques sexospécifiques et 15% disposent de législations qui prévoient des enquêtes axées sur le genre.  Ainsi, qu’il s’agisse d’éducation, d’emploi, de santé ou de pauvreté, sans des données différenciées par sexe, les décideurs manquent d’informations importantes sur la situation des femmes et des filles, notamment sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

« Ce qui fonctionne, selon Mme Claudia Wells, Directrice de la section Utilisation des données à l’organisation non gouvernementale (ONG) Development Initiatives, c’est par exemple d’adopter des méthodes de collecte de données inclusives. »  Il faut ainsi impliquer toutes les couches de la population et diversifier les sources de collectes.  L’experte a également préconisé des mesures pour responsabiliser les professionnels du secteur des statistiques, tout en veillant à renforcer leurs capacités. 

Mme Wells part du postulat que « les bonnes données rendent l’inaction intolérable ».  En ce qui concerne les maladies cardiaques, par exemple, les données ne sont collectées que sur les hommes et on peut passer à côté des problèmes des femmes dans ce domaine.  En outre, les 20% de la tranche la plus pauvre du monde sont plus affectés par le manque de données les concernant, notamment par l’absence de déclaration de naissance à l’état civil qui touche près de la moitié des enfants de cette tranche.

En revanche, des données collectées correctement au Nigéria, de façon ventilée, ont dévoilé que les enfants des villes passent plus de temps à l’école
-10 ans en moyenne-, alors que ceux des zones rurales sont scolarisés pendant 6 ans et demi en moyenne.  De plus, la durée de scolarisation des filles est moins longue que celle des garçons.  Une autre étude au Royaume-Uni montre que les femmes handicapées sont les plus susceptibles d’être victimes de violence domestique.  Ces exemples ont fait dire à Mme Wells que de données fiables, collectées et traitées de manière désagrégée, et leur bonne utilisation, pourraient faire changer le cours de la vie des femmes. 

« Ce serait encore mieux si certaines données étaient collectées par les femmes elles-mêmes », a proposé M. Davis Adieno du Partenariat mondial pour les données du développement durable.  Il a parlé de cette nouvelle approche qui implique les citoyens dans la collecte de données diverses, après un minimum de formation.  Cela semble plus efficace pour toucher tous les ménages et, surtout, « moins onéreuse que les fameuses enquêtes sur les ménages qui nécessitent de grands déploiements logistiques et n’ont lieu que tous les quatre ans ».  Ces dernières, en outre, ne suffiront probablement pas pour mesurer les efforts progressifs de mise en œuvre des objectifs de développement durable. 

Pour cet expert en statistique, l’importance des données émanant des citoyens tient du fait qu’elles permettent de déceler certains problèmes liés aux communautés qui peuvent sinon être invisibles si la collecte se fait par des agents extérieurs.  Son avis est sans appel: « cette méthode est rapide et peu couteuse par rapport aux approches classiques ».  Reste alors à améliorer les capacités des femmes à collecter elles-mêmes leurs données, ce qui leur permet d’identifier leurs problèmes et de mobiliser les décideurs pour s’y attaquer. 

En Jordanie, les femmes ne sont pas suffisamment présentes dans le secteur du travail malgré leur niveau élevé d’éducation, a expliqué Mme Manal Sweidan du Département de la statistique de la Jordanie.  C’est pourquoi en 2017, ce Département a ainsi lancé une collecte de données sur les politiques et mesures prises par les entreprises et l’État en faveur des femmes sur le lieu du travail.  Ce genre d’initiative visant à produire des données sexospécifiques a un coût financier non négligeable, a toutefois relevé Mme Sweidan, d’où l’importance pour la communauté internationale de mobiliser des fonds en soutien aux services statistiques des pays en développement. 

Cette dernière idée a été plusieurs fois reprise par des représentants d’États et de la société civile.  La déléguée de l’Italie a, par exemple, affirmé que son pays considère cette question comme prioritaire dans son programme de coopération internationale.  La représentante du Ghana a illustré le problème en signalant que, dans son pays, le système de collecte de données est si désuet qu’à peine la moitié des décès maternels est enregistrée.

Pallier ce manque de moyens des gouvernements dans la collecte de données sexospécifiques passe aussi par la formation et le financement des organisations de la société civile dédiées aux femmes, a plaidé la représentante de l’ONG Women and water partnership.  « Il ne suffit pas seulement de collecter des données au niveau des foyers, mais aussi de bien s’assurer que les femmes répondent effectivement aux questions et pas seulement les hommes », a-t-elle ajouté. 

Mme Orsolya Bartha, de International Disability Alliance, a de son côté déploré le manque de données sur les femmes et filles vivant avec un handicap.  « Sans ces données, on ne peut lutter contre les discriminations dont elles sont victimes, a-t-elle argué en rappelant que pas moins de 19% des femmes du monde souffrent d’un handicap physique ou mental, et qu’elles sont affectées de manière disproportionnée par le chômage.  Les données sur leur santé sont souvent inexistantes dans les statistiques publiques, a-t-elle déploré, et « pire encore, les infrastructures des centres de soins constituent pour elles un obstacle qui les empêche de s’y rendre ».  Ces femmes sont aussi quatre fois plus exposées aux violences de tout ordre.  Quant à leur participation à la vie civile et politique, elle est inférieure à celle des autres femmes car l’inaccessibilité des bureaux de vote les empêchent de prendre part aux élections. 

Dans les cas où les données sur les femmes handicapées sont disponibles, elles sont souvent propres à des situations nationales, a relevé Mme Bartha en notant d’ailleurs que la définition du handicap varie d’un pays à un autre.  Il n’est donc pas facile de réconcilier les données de divers pays dans le but de prendre des mesures à l’échelle mondiale.  Le soin est donc laissé à chaque pays de décider de ses politiques en matière d’autonomisation des femmes handicapées. 

L’ONG Plan international a, pour sa part, exprimé son inquiétude face au manque criant de données pour les filles âgées de 10 à 14 ans.  Sa déléguée a relevé que les politiques internationales parlent des programmes de santé de la reproduction ciblant des femmes de 18 et 49 ans, ce qui laisse penser que les problèmes de reproduction des femmes plus jeunes sont totalement ignorés dans les politiques.  Pour cette tranche, a proposé la représentante, la collecte des données doit être strictement confidentielle.  Ce constat a fait dire à l’Association mondiale des filles scouts qu’il est aujourd’hui paradoxal de voir la technologie mettre de plus en plus en lumière la vie des gens au quotidien, tandis que celle des jeunes filles reste toujours aussi méconnue.  C’est pourquoi, l’ONG Sociology for women in society a plaidé pour une analyse de données qui tienne compte de faisceaux de critères qui s’entrecroisent pour un même sexe et aussi entre les sexes. 

À Samoa, l’ONU a soutenu la volonté nationale de renforcer les services de statistique, a témoigné Mme Taiaopo Faumuina, du Bureau des statistiques de Samoa, qui a présenté l’initiative EPIC.  Sous cet acronyme anglais (Every Policy Is Connected to People, Planet and Prosperity), est développée l’idée selon laquelle chaque politique publique est liée au bien-être socioéconomique des personnes et à l’environnement dans lequel elles vivent.  Ces politiques sont reliées à des indicateurs qui permettent de comparer les progrès dans leur application.  L’EPIC a été mis en œuvre dans la région du Pacifique, entre autres dans le cadre de la réalisation du Programme 2030.  À Samoa, EPIC permet par exemple de mesurer l’impact des politiques en faveur des femmes et, si elles ne donnent pas les résultats escomptés, d’envisager des mesures correctives. 

En Côte d’Ivoire, des mesures ont déjà été prises par les autorités afin d’améliorer la collecte et la diffusion des données sexospécifiques.  Des points focaux placés dans différents services doivent régulièrement rentrer les données relatives aux femmes, notamment dans le secteur de l’emploi.  Le but est de pouvoir publier, chaque année, un annuaire sur « les femmes ivoiriennes en chiffres ».

Au-delà de rassembler les données, Mme Ginette Azcona, spécialiste des données à ONU-Femmes, a recommandé de « connecter producteurs et utilisateurs de données » en créant des réseaux.  « Il ne suffit pas de publier les données par sexe, mais de faire en sorte que ces données servent pour le suivi de la condition des femmes et filles, notamment les plus vulnérables », a-t-elle fait valoir.  Voilà, selon elle, la condition sine qua non pour réaliser les 17 objectifs de développement durable.

Pour y parvenir, ONU-Femmes a inauguré à Mexico city, en partenariat avec le Gouvernement du Mexique, un centre mondial qui dirigera la recherche et l’innovation et collaborera avec les bureaux de statistique nationaux pour créer et analyser des statistiques ventilées par sexe.  C’est l’une des initiatives du programme « Making Every Woman and Girl Count », le programme de données sur le genre d’ONU-Femmes. 

En plus, a plaidé Mme Claudia Wells de Development Initiatives, si les femmes sont bien « comptabilisées », il faut aussi entendre leur voix pour « s’assurer qu’elles comptent vraiment ».  Elles doivent pourvoir parler elles-mêmes de leurs problèmes et des mesures nécessaires pour améliorer leur vie.

Après la fin du débat général cet après-midi, le programme de la semaine de la Commission de la condition de la femme prévoit des négociations à huis clos sur les conclusions concertées sur le thème prioritaire de la session: « les systèmes de protection sociale, l’accès aux services publics et les infrastructures durables au service de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles ». 

La soixante-troisième session de la Commission prendra fin vendredi prochain, 22 mars.  La prochaine réunion sera annoncée dans le Journal officiel des Nations Unies. 

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