En cours au Siège de l'ONU

Soixante-troisième session,
10e séance plénière – après-midi
FEM/2177

Constat sans appel à la Commission de la femme: l’argent est là, mais la volonté politique manque pour financer les services et infrastructures bénéficiant aux femmes

La Commission de la condition de la femme a achevé sa première semaine de travaux par un débat sur les synergies et le financement des services et infrastructures pour les femmes, en droite ligne du thème prioritaire de la session: « les systèmes de protection sociale, l’accès aux services publics et les infrastructures durables au service de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles ».

« Il n’est pas question aujourd’hui de rechercher plus d’argent », a résumé Mme Christina Behrendt, Chef de l’Unité des politiques sociales à l’Organisation internationale du Travail (OIT).  Selon elle, de toutes les interventions de cet après-midi, il ressort un « constat synergique »: « il faut des investissements intelligents des gouvernements en faveur des services et infrastructures dédiés aux femmes ».  C’est donc à juste titre que l’animatrice du débat, Mme Rena Tasuja (Estonie), Vice-Présidente de la Commission de la condition de la femme, avait insisté, en début de séance, sur l’importance des liens entre infrastructures durables et services sociaux.

De même, Mme Behrendt a rappelé que l’objectif ultime est de ne laisser personne de côté.  Et la priorité doit être de cibler ceux qui sont à la traîne en ce moment, notamment ces femmes qui souffrent de l’absence de services et infrastructures adaptées à leurs besoins en matière de santé, d’éducation, de transport, parmi d’autres. 

Les fonds qui seraient disponibles s’il n’y avait pas de flux illicites de capitaux ainsi que les fonds du secteur privé pourraient financer ces services et infrastructures, a renchéri la représentante de l’organisation non gouvernementale Women Engage for a Common Future.  Sa collègue de l’Alliance mondiale pour la justice fiscale est allée plus loin en insistant sur le fait que « l’argent est bien là, mais on ne peut en dire autant de la volonté politique ».  Elle s’est indignée des systèmes fiscaux iniques qui favorisent le blanchiment d’argent et les flux illicites de capitaux, notant qu’en fin de compte, ce sont les femmes qui en payent le plus lourd tribut. 

Les panélistes et intervenants ont aussi présenté des exemples de situations concrètes sur les inégalités en matière d’infrastructures affectant les femmes. 

Mme Gita Sen, Directrice du Centre Ramalingaswami sur l’égalité et les déterminants sociaux de la santé à la Fondation de santé publique de l’Inde, a cité la Recommandation 202 de l’OIT selon laquelle la couverture sanitaire universelle est importante pour assurer la pleine protection sociale.  Il faut donc des dépenses adéquates pour établir des infrastructures de santé appropriées, notamment des bâtiments, des équipements de qualité, sans oublier la nécessité d’avoir un personnel qualifié et accueillant.  Elle a insisté sur ce dernier aspect en expliquant que les femmes sont souvent humiliées quand elles demandent des services comme l’interruption volontaire de grossesse.  De même, les études menées notamment en Inde laissent voir que les femmes les moins nanties sont les moins bien servies dans les centres de soins.  Sans oublier qu’elles sont parfois retenues prisonnières si elles n’ont pas les moyens de payer.

Dans le cas où les infrastructures de santé existent déjà, il faut quand même veiller à ce que celles liées au transport ne constituent pas un obstacle pour l’accès aux soins des femmes rurales, a relevé Mme Sen.  Elle a également cité d’autres déterminants importants pour l’accès des femmes aux soins, comme le sentiment de peur qu’évoquent pour elles les espaces publics quand elles y sont constamment agressées.  Elle a conclu en estimant qu’en plus des infrastructures adaptées aux besoins des femmes, il faudrait également que leurs droits soient respectés à toutes les étapes, jusqu’à l’accès au centre de santé.

Mme Nato Kurshitashvili, spécialiste du genre à la Banque mondiale, a pour sa part comparé deux scénarios de femmes qui prennent les transports publics.  Dans le premier, une ingénieure vit dans un environnement où les transports, les crèches et les emplois sont accessibles.  La seconde, qui bénéficie de la même formation, évolue pour sa part dans un environnement où les bus sont vieux, les routes mauvaises, et où elle ne peut avoir un emploi correspondant à sa formation.  Elle a aussi évoqué une étude montrant l’ampleur du problème du harcèlement subi par les femmes dans les transports publics en Inde, avant de faire le lien entre les infrastructures de transport et la protection sociale, et partant, l’autonomisation des femmes. 

La conclusion est qu’il faut tenir compte des besoins des femmes dans la mise en œuvre des infrastructures de transport, pour que celles-ci soient sensibles à la question du genre.  Elle a parlé d’un exemple positif de projet mené en Jordanie avec l’appui de la Banque mondiale.  Dans ce pays, les transporteurs privés signent un cahier des charges avec le Gouvernement, s’engageant ainsi à assurer aux femmes un environnement sécurisé et agréable pour le transport. 

Mme Tara Patricia Cookson, chercheure à l’Université de British Columbia, et Directrice de l’organisation Ladysmith, a parlé d’une dame vivant dans les Andes en Amérique latine, Yesenia, qui avait été diagnostiquée d’un cancer du sein en 2013.  Pour suivre des soins, elle devait voyager en bus pendant toute une journée et résider loin de chez elle pendant des semaines.  Cette option ajoutait à son anxiété, sachant qu’elle avait deux enfants en bas âge et, surtout, qu’elle devait prouver régulièrement au centre de santé de son village et à l’école de sa localité qu’elle est bien présente dans le village afin de recevoir des fonds du Gouvernement. 

Pour Mme Cookson, cet exemple illustre à souhait l’incongruité de ces programmes supposément conçus pour aider les femmes, mais qui, dans leur mise en œuvre, sont accompagnés d’un bataillon de conditions.  « Tenez, par exemple, s’est indignée la chercheure, les femmes enceintes ont l’obligation de se rendre au centre de santé chaque semaine afin de conserver leurs subventions.  Mais elles sont parfois obligées de marcher pendant toute une journée pour constater que le centre de santé est fermé. »  Mme Cookson a regretté que des services dédiés aux femmes soient en définitive entachés d’abus et assortis de conditions qui peuvent violer certains de leurs droits fondamentaux.  Heureusement pour Yesenia, elle a pu guérir de son cancer et poursuivre ses activités.  En conclusion, Mme Cookson a demandé que ce genre de services s’accompagne d’infrastructures centrées sur les besoins réels des femmes ciblées. 

M. Fernando Filgueira, de l’Institut de recherche d’Uruguay, s’est désolé des données qui font voir que l’objectif de développement durable 10 sur la réduction des inégalités risquait de ne pas être réalisé d’ici à 2030.  Il a souligné la corrélation entre les inégalités entre les sexes et les inégalités de revenus au sein de la population mondiale.  Il a aussi présenté une étude menée en Amérique latine et qui fait voir que les femmes travaillent davantage sans rémunération que les hommes dans la région.  Malheureusement, comme elles sont engagées dans des tâches ménagères, leurs efforts ne sont pas quantifiés, et les services auxquels elles aspirent arrivent au second rang dans les priorités gouvernementales.  M. Filgueira a pris l’exemple de l’approvisionnement en énergie.  Les usines et sites d’emplois formels reçoivent en priorité l’énergie alors que les ménages où se trouvent les femmes sont relégués au second rang.  « Ces femmes travaillent tout de même pour le bien de la société! »  En termes de solution, il a parlé d’élargir l’assiette fiscale, une solution techniquement possible, a-t-il argué, afin de financer également les services et infrastructures en faveur des femmes.

Dans la même veine, Mme Maritza Rosabal, Ministre de la famille et de l’inclusion sociale de Cabo Verde, a parlé d’une étude menée dans son pays et qui laisse voir que 70% du travail des femmes dans le pays est non rémunéré.  C’est là le point de départ de la mise en place d’un programme gouvernemental qui tient compte de l’approche genre.  Désormais, les femmes prodiguant des soins à domicile voient leurs compétences reconnues, et les familles les plus vulnérables reçoivent un appui du Gouvernement. 

À Cuba, a témoigné sa déléguée, toutes les administrations dédiées aux questions du genre travaillent en synergie, et cela permet de mieux noter les avancées du pays, en mesurant les indicateurs nationaux de mise en œuvre des objectifs de développement durable.

Certains intervenants ont souligné que les gouvernements ne prennent pas de mesures adéquates en faveur de services et d’infrastructures dédiés aux femmes parce que les données manquent cruellement pour évaluer les besoins et retards en la matière.  Cette question des données sera au centre du débat que la Commission de la condition de la femme tiendra lundi 18 mars, à 10 heures. 

 

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