Un Conseil de sécurité à la voix « forte et unie » « plus que jamais nécessaire » pour prévenir les conflits, affirment plusieurs intervenants
À l’initiative du Koweït, qui préside ses travaux ce mois-ci, le Conseil de sécurité s’est réuni en présence du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, et de son prédécesseur, M. Ban Ki-moon, pour réfléchir aux moyens de promouvoir la prévention des conflits et la médiation dans un contexte international saturé de crises de plus en plus complexes et interdépendantes. « Lorsque nous agissons tôt et que nous sommes unis, nous pouvons empêcher les crises de s’aggraver, sauver des vies et réduire les souffrances », a déclaré M. Guterres.
Les divisions au sein de la communauté internationale se traduisent par la poursuite des guerres, alors que des acteurs extérieurs tergiversent, voire alimentent la violence, a alerté le Secrétaire général, avant les membres du Conseil des sages, Mme Mary Robinson et M. Ban Ki-moon, qui ont tous deux dénoncé les clivages entre les membres du Conseil de sécurité. C’est quand le Conseil de sécurité coopère et parle d’une seule voix qu’il imprime un caractère décisif à son action, a insisté l’ancien Secrétaire général, arguant que cette voix « forte et unie » est plus que jamais nécessaire aujourd’hui, maintenant que l’« attrait trompeur » du populisme et de l’isolationnisme se consolide sur tous les continents.
« Des rues de Khartoum aux banlieues de Harare, des hôpitaux bombardés d’Edleb aux ruines des écoles du Yémen, et des taudis de Gaza aux camps de réfugiés rohingya de Cox Bazar, le Conseil de sécurité aurait dû être perçu comme une délivrance, un défenseur des droits et un protecteur », a souligné Mme Robinson. Or, trop souvent ces dernières années, le Conseil, « particulièrement ses cinq membres permanents », ont favorisé la realpolitik ou les stratagèmes du pouvoir à court terme plutôt que le respect de la Charte des Nations Unies, comme l’illustre « l’exercice répété du droit de veto » contre des résolutions qui visent pourtant à prévenir les atrocités de masse, y compris l’utilisation d’armes chimiques contre des civils. Le coût humain de ces « machinations » n’est que trop douloureux comme nous le montrent la Libye et le Yémen, a ajouté M. Ban.
« Rien n’empêche le Conseil de sécurité de lancer des initiatives innovantes », a encouragé le Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Koweït, M. Sabah Khalid Al Hamad Al Sabah, en rappelant celles que sa délégation a fait figurer dans la note de cadrage de cette séance. Il a cité par exemple l’envoi d’une petite délégation de représentants permanents des États membres du Conseil dans les pays où une crise ou un conflit est sur le point d’éclater ou la création d’un groupe de travail informel autonome sur la prévention des conflits et la médiation. Le Conseil de sécurité, a insisté le Vice-Premier Ministre, est habilité à lancer des enquêtes sur des situations dans lesquelles un grief pourrait constituer une menace à la paix et à la sécurité internationales. Pour ce faire, il peut solliciter le soutien des organisations régionales et sous-régionales, dont l’expertise et la connaissance de terrain sont des atouts majeurs.
« Combien de conflits le Conseil de sécurité aurait-il pu éviter s’il avait activé ces outils? Combien de vies auraient pu être sauvées? », a lancé le Chef de la diplomatie koweïtienne, qui a aussi fait le procès des querelles du Conseil. Ces divisions, la Fédération de Russie les a mises sur le compte de certains membres qui, au lieu d’imposer des sanctions et de vouloir exercer un « mentorat », gagneraient à renoncer à leurs « certitudes d’avoir raison ». Si nous parvenons à corriger ce « comportement erroné et myope », les capacités de l’ONU et du Conseil à jouer leur rôle en sortiront renforcées, a estimé la délégation russe.
Une médiation réussit quand les parties prenantes sont engagées et quand le médiateur jouit de leur confiance, ont argué les États-Unis qui se sont enorgueillis de leur bilan « avéré » en Irlande du Nord, en Bosnie-Herzégovine ou encore au Sénégal. La France et le Royaume-Uni ont profité de l’occasion pour alerter sur la détérioration de la situation au Cameroun, « crise émergente » à leurs yeux qui nécessite une action préventive. Si la Chine a salué la création par le Secrétaire général d’un Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation, le Conseil des sages, a indiqué Mary Robinson, appuie la création d’un point focal institutionnel sous la forme d’une ou d’un représentant(e) spécial(e) du Secrétaire général, chargé(e) de réunir les expertises sur les changements climatiques au sein des Nations Unies et au-delà pour aider le Conseil de sécurité à évaluer l’impact de ce phénomène sur les conflits. Elle a en outre jugé urgent d’élaborer des normes et règles internationales pour prévenir la « guerre informatique ».
« Nous n’avons aujourd’hui aucun mécanisme international contre ce type de menaces et, États et acteurs non étatiques peuvent opérer dans une grande impunité. Il faut au minimum un processus dans lequel les États et les gouvernements seraient plus transparents sur leurs capacités cybernétiques et leurs mécanismes de dissuasion », a-t-elle analysé. La communauté internationale ne doit pas attendre une « tragédie majeure » pour élaborer ces règles. Pour elle, le Conseil de sécurité est particulièrement bien placé pour diriger les efforts et trouver un consensus à cet égard.
Comme beaucoup d’autres délégations, le Secrétaire général a rappelé l’importance de l’inclusion, en insistant sur la participation des femmes aux processus de paix officiels, qui est encore « à la traîne ». Selon lui, il faut continuer de s’appuyer sur les efforts antérieurs, notamment le Comité consultatif des femmes syriennes et le Groupe consultatif technique des femmes yéménites. La République dominicaine a voulu que l’on s’inspire du Réseau des femmes africaines pour la prévention des conflits et la médiation (FemWise-Africa) ou du Réseau des médiatrices de la Méditerranée. Faire participer les femmes au règlement des conflits c’est non seulement accélérer le processus mais c’est aussi mettre sur la table les questions les plus importantes pour la société tout entière et donc rendre les accords plus durables, ont plaidé, à leur tour, les États-Unis.
Citant l’étude de l’« International Peace Institute », ils ont indiqué que les processus de paix auxquels les femmes ont vraiment participé ont 35% plus de chances de durer au moins 15 ans. Il est tout aussi important, ont-ils ajouté, d’appuyer les efforts de médiation locaux et régionaux pour donner du pouvoir à ceux qui sont sur place, dont les jeunes.
MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES (S/2019/456)
Prévention des conflits et médiation
Déclarations
M. ANTÓNIO GUTERRES, Secrétaire général de l’ONU, a considéré que la prévention des conflits et la médiation sont deux des outils les plus importants dont nous disposons « pour réduire les souffrances humaines ». « Lorsque nous agissons tôt et que nous sommes unis, nous pouvons empêcher les crises de s’aggraver, sauver des vies et réduire les souffrances, en réalisant le mandat le plus fondamental des Nations Unies, énoncé dans le préambule de la Charte », a-t-il déclaré. Il a estimé qu’il y avait des signes encourageants, notamment des transferts de pouvoir constitutionnels réussis au Mali et à Madagascar. Le rapprochement entre l’Éthiopie et l’Érythrée et l’accord revitalisé sur le règlement du conflit au Sud-Soudan ont créé un sentiment d’espoir renouvelé, a-t-il noté, en se félicitant qu’après des décennies de différends, la « question du nom » dans le sud-est de l’Europe ait pu être résolue par un accord entre Athènes et Skopje permettant à la République de Macédoine du Nord d’être reconnue internationalement.
Ailleurs, cependant, nos efforts sont confrontés à de sérieux défis, mais nous continuons à progresser, a poursuivi le Secrétaire général. « L’accord conclu à Stockholm par les parties au conflit au Yémen était une étape importante, qui doit maintenant déboucher sur un règlement négocié. Mon Envoyé spécial collabore étroitement avec les parties pour appuyer la mise en œuvre de l’Accord sur Hodeïda et empêcher un retour au conflit ouvert », a-t-il par exemple observé. En République centrafricaine, l’ONU aide les parties à mettre en œuvre l’accord de paix négocié par l’Union africaine, en menant des opérations robustes pour garantir l’adhésion des groupes armés à l’accord et faciliter les accords de paix locaux. Au Burkina Faso, l’Organisation travaille avec un large éventail de parties prenantes nationales, y compris la société civile et des organisations de femmes, afin de renforcer les infrastructures locales pour la paix dans le cadre de la lutte contre la montée de la violence sectaire.
Malgré ces efforts, la paix se heurte à d’énormes obstacles, a reconnu M. Guterres. Les divisions au sein de la communauté internationale se traduisent par la poursuite des guerres alors que des acteurs extérieurs tergiversent, voire alimentent la violence, qui touche principalement les civils. La multiplication des groupes armés et des milices non étatiques provoque un chaos encore plus grand, s’est alarmé le haut fonctionnaire. « Il y a une résurgence du populisme et des politiques qui contribuent au ressentiment, à la marginalisation et à l’extrémisme, même dans des sociétés qui ne sont pas en guerre. Certains pays tentent de faire reculer les droits de l’homme et les progrès réalisés au cours des dernières décennies en matière de genre et d’inclusion et l’espace de la société civile diminue », a-t-il déploré. Le Chef de l’Organisation s’est ému des situations en Libye et au Venezuela, par exemple. En Syrie, aucune paix ne sera durable tant que les différentes parties continueront de mener des opérations militaires, a-t-il prévenu. Dans ce contexte, son Envoyé spécial pour la Syrie s’emploie à instaurer un climat de confiance avec toutes les parties et à mettre en place un comité constitutionnel crédible et équilibré pour ouvrir la porte à un processus politique mené par la Syrie et facilité par les Nations Unies.
Le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies définit un large éventail d’outils que les parties peuvent utiliser pour prévenir et résoudre les conflits, a rappelé le Secrétaire général, en exhortant les gouvernements à y recourir pleinement et le Conseil à se servir de ses propres prérogatives pour appeler les parties à le faire. Il a indiqué que les membres de son Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation lui ont fourni des conseils discrets sur divers processus politiques. « Nos conseillers en médiation ont appuyé les processus en Afghanistan, au Sud-Soudan, en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou encore en Syrie. Nous avons également renforcé nos partenariats stratégiques et opérationnels avec les organisations régionales et sous-régionales, en mettant l’accent sur l’Afrique. De la République centrafricaine au Soudan du Sud, en passant par la République démocratique du Congo (RDC) et Madagascar, une interaction accrue a favorisé la confiance et a permis à l’ONU de soutenir des approches conjointes et des solutions viables. Le Centre régional des Nations Unies pour la diplomatie préventive en Asie centrale s’emploie de son côté à résoudre les problèmes transfrontières et à mettre en œuvre notre Stratégie antiterroriste mondiale. Nos opérations de maintien de la paix et nos missions politiques spéciales déploient des efforts essentiels en matière de prévention et de règlement des conflits. « Et dans certaines situations, la perspective ou l’application de régimes de sanctions bien ciblés, conformément à la Charte des Nations Unies, peut aider les parties à progresser vers la paix », a déclaré le Secrétaire général.
Le développement durable est une fin en soi, mais c’est aussi l’un des outils les plus efficaces pour prévenir les conflits, a estimé le Secrétaire général. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 constitue notre plan directeur pour créer des sociétés résilientes et stables et s’attaquer aux causes profondes de la violence, a-t-il précisé. « Cela signifie qu’il faut mettre l’accent sur l’inclusion, en insistant tout particulièrement sur l’intégration des droits des femmes et de l’égalité entre les sexes dans nos activités de prévention et de médiation. Les progrès concernant la participation des femmes aux processus de paix officiels sont encore à la traîne. Nous continuerons d’utiliser des stratégies novatrices pour faire progresser la participation des femmes, en nous appuyant sur les efforts antérieurs, notamment le Comité consultatif des femmes syriennes et le Groupe consultatif technique des femmes yéménites », a assuré le haut fonctionnaire. Quelque 600 millions de jeunes vivant dans des États fragiles et touchés par un conflit ont une contribution essentielle à faire aux processus de médiation et de consolidation de la paix. Le premier Symposium international sur la participation des jeunes aux processus de paix, tenu plus tôt cette année, a constitué un important pas en avant, s’est félicité le Secrétaire général à cet égard.
« Les coûts humains et financiers des conflits sont élevés et en hausse. Les déplacements forcés sont au plus haut niveau depuis la Seconde Guerre mondiale et la faim renaît après des années de déclin. Nous ne pouvons pas nous permettre de freiner l’énergie et les ressources que nous investissons dans la prévention et la médiation. Mais ne nous leurrons pas. La prévention et la médiation ne fonctionneront pas sans des efforts politiques plus vastes. J’exhorte les membres du Conseil, ainsi que tous les États Membres, à œuvrer en faveur d’une plus grande unité afin que les efforts de prévention et de médiation soient aussi efficaces que possible. C’est la seule façon de nous acquitter de nos responsabilités envers les personnes que nous servons », a ajouté en conclusion le Secrétaire général.
Mme MARY ROBINSON, Présidente du Conseil des sages, a rappelé, en tant qu’ancienne Envoyée spéciale pour la région des Grands Lacs et pour la République démocratique du Congo (RDC), l’importance d’avoir un Conseil de sécurité « uni sur lequel l’on peut compter ». L’ancien Président de la Colombie, M. Juan Manuel Santos a aussi les mêmes attentes s’agissant de son pays, a ajouté Mme Robinson. Le Conseil des sages, a-t-elle enchaîné, exhorte tous les membres du Conseil de sécurité à aborder les discussions d’aujourd’hui dans un esprit de dialogue inclusif et de volonté de travailler à un compromis et à un consensus dans l’intérêt de la paix. Elle a encouragé les 10 membres élus du Conseil à jouer un rôle aussi important que possible. Lorsque Nelson Mandela a créé le Conseil des sages en 2007, il nous a chargés, a rappelé Mme Robinson, d’un mandat précis: « pousser au courage là où il y a la peur, faciliter un accord là où il y a un conflit et inspirer l’espoir là où il y a le désespoir ».
« Je crois que la perspicacité de Nelson Mandela, mais aussi la triste réalité de notre monde, prouve que ces paroles sont toujours aussi pertinentes en 2019 que lorsqu’il les a prononcées à Johannesburg il y a une douzaine d’années », a poursuivi Mme Robinson. La peur, les conflits et le désespoir sont partout évidents: des rues de Khartoum aux banlieues de Harare, des hôpitaux bombardés d’Edleb aux ruines des écoles du Yémen, et des taudis de Gaza aux camps de réfugiés rohingya de Cox Bazar. Dans tous ces cas et dans bien d’autres dans le monde, le Conseil de sécurité aurait dû être vu comme une délivrance, un défenseur des droits et un protecteur. Or, trop souvent depuis ces dernières années, le Conseil, particulièrement ses cinq membres permanents, ont favorisé la realpolitik ou les stratagèmes du pouvoir à court terme plutôt que le respect de la Charte des Nations Unies. On le voit, a rappelé Mme Robinson, dans l’exercice répété du droit de veto contre des résolutions qui visent pourtant à prévenir les atrocités de masse, y compris l’utilisation d’armes chimiques sur des civils.
Convoquant Kofi Annan, ancien Président du Conseil des sages, Mme Robinson a répété: « on ne peut pas exercer son droit de veto, paralyser les opérations, créer une impasse et ne proposer aucune solution ». Au nom de son Conseil, Mme Robinson a insisté sur la prévention, les changements climatiques et l’impact de la technologie. La prévention, a-t-elle dit, est la voie la plus efficace pour appréhender les conflits. Un gouvernement inclusif et un engagement en faveur de la justice et des droits de l’homme sont tout aussi importants. Rappelant la résolution 1325 (2000) sur les femmes, la paix, la sécurité, la Présidente du Conseil des sages a dit que le Conseil devrait redoubler d’efforts pour veiller à ce que la perspective et l’expérience des femmes soient reflétées dans les opérations de maintien de la paix et des politiques de prévention des conflits.
Pour ce qui est des changements climatiques, le Conseil des sages, a-t-elle dit, se réjouit que cette question continue de préoccuper le Conseil de sécurité. S’il adopte une approche plus holistique à la prévention des conflits, y compris les changements climatiques, il deviendrait plus efficace et soutiendrait de manière plus déterminante le mandat des autres organes du système des Nations Unies. Le Conseil des sages appuie la création d’un point focal institutionnel sous la forme d’une ou d’un représentant(e) spécial(e) du Secrétaire général, chargé(e) de réunir les expertises sur les changements climatiques au sein des Nations Unies et au-delà pour aider le Conseil à évaluer l’impact diversifié, complexe et mouvant des changements climatiques sur les conflits.
L’impact de la technologie, notamment de l’intelligence artificielle et de l’automatisation, appelle, a estimé Mme Robinson, à une vision plus globale et à long terme des causes des conflits et de la prévention des conflits. Kofi Annan disait: « on n’est jamais trop jeune pour diriger et jamais trop vieux pour apprendre ». Nous devons, a pressé Mme Robinson, écouter les jeunes et apprendre d’eux, la « génération digitale » qui parle couramment la langue technologique mais qui risque de faire les frais du progrès sans perspective d’emploi ni de carrière. Le chômage des jeunes est très élevé au Moyen-Orient et en Afrique et est devenu un facteur de trouble dans de nombreux pays. Les médias sociaux sont devenus les véhicules de l’extrémisme violent et d’une désinformation qui contribue à la violence et aux troubles sociaux. Il est urgent, a estimé Mme Robinson, d’élaborer des normes et des règles internationales pour prévenir la guerre informatique.
Nous n’avons aujourd’hui aucun mécanisme international contre ce type de menaces et États et acteurs non étatiques peuvent opérer dans une grande impunité. Il faut au minimum un processus dans lequel les États et les gouvernements sont plus transparents sur leurs capacités cybernétiques et leurs mécanismes de dissuasion. La communauté internationale ne doit pas attendre une tragédie majeure pour élaborer des règles. « Je pense que le Conseil de sécurité est particulièrement bien placé pour diriger les efforts et trouver un consensus progressif et inclusif », a estimé la Présidente du Conseil des sages.
Quand le Conseil de sécurité coopère et parle d’une seule voix, il imprime un caractère décisif à son action, a souligné M. BAN KI-MOON, ancien Secrétaire général de l’ONU et membre du Conseil des sages. Cette voix « forte et unie » est plus que jamais nécessaire aujourd’hui, maintenant que l’attrait trompeur du populisme et de l’isolationnisme se consolide dans tous les continents. Compte tenu des défis complexes, multidimensionnels et graves du monde actuel qu’il s’agisse de la prolifération nucléaire, des changements climatiques ou de la transformation radicale des paradigmes socioéconomiques, il est peut-être compréhensible que le citoyen ordinaire se sente submergé et cherche à se consoler dans les discours simplistes d’un « âge d’or » où il avait le sentiment de contrôler sa vie et le destin de son pays.
Mais ce qui est profondément irresponsable, ce sont ces politiciens, en particulier dans les sociétés démocratiques, qui alimentent ces illusions pour accéder au pouvoir, en sachant parfaitement bien qu’aucun pays, si puissant soit-il, ne peut relever seul les défis du monde. C’est la raison pour laquelle, a martelé l’ancien Secrétaire général, il est absolument essentiel pour la paix et la sécurité internationales, que les États Membres des Nations Unies, en particulier ceux qui ont l’honneur de siéger au Conseil de sécurité, comprennent et assument les responsabilités qu’ils ont reçues de la Charte des Nations Unies et agissent dans l’intérêt de toute l’humanité plutôt que pour le champ étroit de leurs visées nationales, idéologiques et sectaires.
Le Conseil doit se montrer ambitieux, car, a dit l’ancien Secrétaire général en reprenant les mots de son prédécesseur, Dag Hammarskjöld, « c’est quand nous avons peur des risques que nous créons le monde le moins sûr. C’est quand nous avons peur des risques que la fatalité nous conduit à notre propre catastrophe. Ce n’est que dans l’ombre effrayante du courage que nous pourrons briser ce sort ». Convoquant son expérience d’ancien Secrétaire général, M. Ban Ki-moon a répété que les méthodes de travail du Conseil peuvent être améliorées pour obtenir de ses membres qu’ils se mettent d’accord sur une position commune face aux menaces de conflits. Il est « irréaliste et illogique » qu’une résolution contraignante ne requière que neuf voix sans veto. Une résolution, s’est expliqué l’ancien Secrétaire général, doit parler pour et à l’ensemble des Nations Unies plutôt que de se limiter aux agendas et aux priorités des capitales de certains États Membres.
S’agissant de la prévention, il a appelé le Conseil à faire plus pour appuyer les « bons offices » du Secrétaire général et reconnaître que son travail est compromis quand ses membres mettent des bâtons dans les roues des envoyés de l’ONU et des processus de paix. Le coût humain de ces « machinations » n’est que trop douloureux comme nous le montrent la Libye et le Yémen.
Pour ce qui est des institutions régionales, l’ancien Secrétaire général a pris l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) comme modèles et ajouté que c’est l’absence de dialogue entre États ou de fora sur le Moyen-Orient qui est l’une des raisons de la persistance et de la récurrence des conflits dans la région. Il a appelé les membres du Conseil de coopération du Golfe à rétablir cet organe dans son rôle vital de garant de la stabilité régionale, régi par le respect mutuel de la souveraineté nationale et une compréhension commune des défis communs. Le rôle des organisations dans la prévention et le règlement des conflits doit être renforcé et une meilleure coordination entre elles et le Conseil de sécurité ne peut être que bénéfique.
Venant à la menace nucléaire, M. Ban s’est dit gravement préoccupé par la décision des États-Unis de se retirer de l’Accord sur le dossier nucléaire iranien, ce qui non seulement affaiblit la stabilité régionale au Moyen-Orient mais envoie aussi le mauvais message aux négociations sur le dossier nucléaire nord-coréen. Il a appuyé les efforts du Gouvernement américain pour une dénucléarisation totale de de République populaire démocratique de Corée (RPDC) mais il a aussi plaidé pour le maintien et le strict respect des mesures de sanctions, espérant que tous les États s’y conformeront. Au-delà de ces deux dossiers, M. Ban a mis en garde contre l’effondrement de toute l’architecture du contrôle des armes et de la non-prolifération, par négligence, ou par orgueil ou à cause d’une analyse erronée des menaces.
Cette question est au cœur du Conseil de sécurité, a-t-il fait observer, car ses membres permanents sont tous des puissances nucléaires et, à ce titre, ils ont la lourde responsabilité de mettre en place des processus efficaces de non-prolifération et de désarmement. L’échec de ces cinq membres permanents à faire des progrès sur leur engagement en matière de désarmement risque d’affaiblir le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Il est de leur intérêt, a martelé l’ancien Secrétaire général, de se montrer sérieux s’ils veulent maintenir l’engagement quasi universel de prévenir la prolifération nucléaire, d’autant que la Conférence d’examen du TNP s’approche à grands pas.
M. SABAH KHALID AL HAMAD AL SABAH, Vice-Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères du Koweït, a rappelé que le mandat du Conseil de sécurité est de maintenir la paix et la sécurité internationales. Or, la fréquence de crises « complexes et interdépendantes » auxquelles le monde est confronté rend plus que jamais nécessaires la diplomatie préventive et des médiations complémentaires. Le Conseil de sécurité est habilité à lancer des enquêtes sur des situations dans lesquelles un grief pourrait constituer une menace à la paix et à la sécurité internationales. Pour ce faire, il peut solliciter le soutien des organisations régionales et sous-régionales, dont l’expertise et la connaissance de terrain sont des atouts majeurs. Le Secrétaire général, a relevé le Vice-Premier Ministre, a accordé la priorité à la médiation, comme en témoigne la création de son Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation. Cette priorité, a-t-il estimé, doit être soutenue, dans la mesure où agir en amont permet de réaliser des économies considérables par rapport au coût de l’intervention lorsqu’un conflit s’est déclaré.
Rien n’empêche le Conseil de sécurité de lancer des initiatives innovantes », a souligné le Vice-Premier Ministre, en rappelant les propositions faites dans sa note de cadrage. Il a cité en exemple l’envoi d’une petite délégation de représentants permanents des États membres du Conseil dans les pays où une crise ou un conflit est sur le point d’éclater ou la création d’un groupe de travail informel autonome sur la prévention des conflits et la médiation. « Combien de conflits le Conseil de sécurité aurait-il pu éviter s’il avait activé ces outils de prévention? Combien de vies auraient pu être sauvées? ». Trop souvent, a dénoncé, à son tour, le Vice-Premier Ministre, les divisions entre membres du Conseil et l’exercice du droit de veto ont entravé l’efficacité de l’action. L’expérience de notre pays nous a appris, a conclu le Vice-Premier Ministre, que le dialogue reste le meilleur moyen d’éviter les conflits.
M. FRANÇOIS DELATTRE (France) a salué l’élan donné par le Secrétaire général en faveur d’une montée en puissance de la diplomatie de la paix, une vision que la France soutient pleinement de même que les réformes engagées pour permettre au système des Nations Unies d’être plus efficace dans la prévention des crises. À ce titre, il a cité le renforcement des capacités onusiennes en matière de médiation à travers la création du Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation et le déploiement de plus en plus fréquent des membres de l’Équipe de médiateurs en attente. « Leur action, souvent discrète, est immensément précieuse », a estimé M. Delattre.
Il a cité le cas des élections à Madagascar, où la médiation menée par le Conseiller spécial du Secrétaire général, M. Abdoulaye Bathily, en étroite coordination avec l’Union africaine et la Communauté des États d’Afrique australe (SADC), a permis d’éviter une crise politique aux potentielles conséquences tragiques, ou encore celui de République centrafricaine, où les Nations Unies et l’Union africaine ont facilité la négociation d’un accord de paix, grâce notamment à l’engagement fort de MM. Jean-Pierre Lacroix et de Smaïl Chergui. Dans la foulée, le représentant a fait remarquer que le renforcement du partenariat entre l’ONU et l’Union africaine contribue à renforcer l’efficacité de la diplomatie préventive, un partenariat que la France est déterminée à soutenir.
Pour M. Delattre, il est impératif que la mobilisation en matière de prévention des conflits et de médiation reste forte, car « les besoins sont aujourd’hui immenses ». Au Moyen-Orient, l’aggravation récente des tensions dans le Golfe souligne la nécessité de désamorcer tout risque d’escalade, à travers la structuration progressive d’un dialogue régional, sous l’égide des Nations Unies. Les pays de la région jouent et doivent jouer un rôle essentiel dans la prévention des conflits. Il a salué dans ce contexte, les initiatives prises par le Koweït pour créer des ponts dans la région et favoriser le dialogue. M. Delattre a également évoqué « le conflit sanglant » dans la région d’Edleb en Syrie; la mise en œuvre des Accords de Hodeïda au Yémen ou encore les efforts de l’Envoyé spécial, M. Ghassan Salamé, en Libye en vue de parvenir à un cessez-le-feu à Tripoli, avant de pouvoir reprendre les discussions entre les parties.
En Afrique, la dégradation de la situation au Cameroun préoccupe la France qui appelle les autorités camerounaises à lancer un dialogue politique inclusif, à mettre en place des mesures de détente et à approfondir la décentralisation. La France, a dit le représentant, appuie l’initiative lancée par le Secrétaire général afin d’ajuster la présence onusienne au Burkina Faso en espérant que cela porte à la fois sur l’aide humanitaire et l’aide au développement, la formation des forces de sécurité, le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire, ou encore le soutien à la lutte contre le terrorisme.
M. Delattre a ensuite mis l’accent sur le défi de la participation des femmes aux processus de médiation, en affirmant que « nous avons besoin de plus de femmes médiatrices ». Autre défi à relever, selon lui, celui de la consolidation de la paix après conflit, un moment où il faut soutenir davantage les pays et les sociétés en investissant dans la réconciliation, la justice transitionnelle et la reconstruction, et ainsi éviter qu’ils ne retombent dans des situations de crise. Le Fonds de consolidation de la paix est, à cet égard, un outil essentiel, a estimé M. Delattre qui a aussi appelé à miser sur les mécanismes qui détectent les signes avant-coureurs de potentielles dégradations et enregistrent des indicateurs spécifiques pouvant aider à prévenir toute rechute. Le troisième défi qu’il a soulevé est celui de l’impact des changements climatiques sur la sécurité internationale, en estimant que cette question doit devenir un élément central de l’agenda de la prévention des conflits.
M. JONHATTAN R. COHEN (États-Unis) a constaté que le Conseil de sécurité débat souvent de la manière d’exploiter les moyens dont il dispose pour résoudre les crises mais rarement de la médiation qui est pourtant un de ces moyens et encore moins de la manière de prévenir plus efficacement ces crises. Les États Membres de l’ONU ont versé 6,7 milliards de dollars cette année pour le maintien de la paix, une somme dont les États-Unis assument le quart. Or, une meilleure prévention peut nous aider à éviter des missions de maintien de la paix très coûteuses et offrir à celles qui sont déployées de véritables stratégiques de sortie. Les États-Unis ont un bilan avéré en matière de médiation, a souligné le représentant qui a cité les Accords en Irlande et en Bosnie-Herzégovine. Dans les deux cas, nous avons mis les personnes qu’il fallait dans la même salle et avons joué le rôle de facilitateur fiable. Une médiation réussit quand les parties prenantes sont engagées et quand le médiateur jouit de leur confiance. À cet égard, a poursuivi le représentant, la participation des femmes accroît les chances de succès qu’il s’agisse des négociations, de la réconciliation ou des processus de transition.
Le Secrétariat de l’ONU et le Conseil de sécurité doivent donc faire tout leur possible pour veiller à ce que les femmes jouent un rôle véritable dans les processus de paix, comme négociatrices ou médiatrices. Faire participer les femmes au règlement des conflits c’est non seulement accélérer le processus mais c’est aussi mettre sur la table les questions les plus importantes pour la société tout entière et donc rendre les accords plus durables. Citant l’étude de l’« International Peace Institute », le représentant a indiqué que les processus de paix auxquels les femmes ont vraiment participé ont 35% plus de chances de durer au moins 15 ans. Il est tout aussi important d’appuyer les efforts de médiation locaux et régionaux pour donner du pouvoir à ceux qui sont sur place. Le représentant a donné l’exemple du Sénégal où les Etats-Unis ont travaillé pour intensifier les efforts locaux de médiation, en coordonnant l’appui aux négociations politiques de haut niveau entre le Gouvernement et le mouvement sécessionniste. En offrant un appui et un financier ciblés, nous avons, s’est enorgueilli le représentant, créer les conditions qui ont conduit aux négociations de haut niveau.
Aujourd’hui, a-t-il dit, le Conseil a à son ordre du jour des conflits non résolus qui bénéficieraient d’une bonne médiation. Le représentant a cité la situation entre le Soudan et le Soudan du Sud, avant d’estimer que tous les États doivent renforcer les capacités des organisations régionales et sous-régionales, compte tenu de leur avantage comparatif et de leurs capacités à fédérer les populations locales. Nous sommes convaincus que les outils vitaux, et pourtant sous-estimés, que sont la médiation et la prévention peuvent avoir un impact « transformateur » dans les situations de conflit. Le représentant a donc exhorté l’ONU à diriger les efforts de médiation « dans les limites des ressources disponibles ». Ces efforts peuvent nous faire économiser des milliards de dollars qui seraient plus utiles pour atténuer les tensions et plus important encore, pour épargner des vies.
M. ZHAOXU MA (Chine) a rappelé l’appui ferme de son pays au multilatéralisme et aux solutions pacifiques aux conflits privilégiés par le Conseil des sages. Il a insisté sur le fait que les efforts de prévention des conflits doivent s’inscrire dans les objectifs et principes de la Charte des Nations Unies, à savoir l’impartialité et la neutralité, la souveraineté nationale et l’intégrité territoriales des États. Il a jugé nécessaire de renforcer les capacités des Envoyés spéciaux des Nations Unies et des organisations telles que l’Union africaine et la Ligue des États arabe et a appuyé le Comité consultatif de haut niveau sur la médiation mis en place par le Secrétaire général. Nous continuerons de coopérer avec la communauté internationale dans le champ de la diplomatie préventive, a promis le représentant.
M. JONATHAN GUY ALLEN (Royaume-Uni) a souligné que la médiation peut fonctionner et fonctionne. Elle doit être un élément fondamental de la prévention des conflits car grâce à elle, on peut dégager un consensus. Le Conseil doit donc affirmer plus vigoureusement son soutien aux médiateurs lorsqu’ils se rendent dans des situations difficiles comme au Yémen. Avec la France et la Chine, le représentant a salué le rôle des organisations régionales et sous-régionales comme en République centrafricaine. Il a aussi soutenu les efforts de l’Union africaine dans la médiation au Soudan. Il a estimé essentiel que l’équipe de médiation de l’ONU fasse preuve de souplesse pour pouvoir mettre en œuvre un processus de dialogue, de partage de pouvoir, de rédaction de constitutions et d’inclusion des femmes dans les processus de paix. Il faut progresser davantage sur ce dernier point, a ajouté le représentant qui a estimé que la participation des femmes pérennise la paix. Il a rappelé que son pays a versé la somme de 1,8 million de dollars en 2018 pour appuyer la participation des femmes dans le règlement des conflits. Avant de terminer, il a attiré l’attention du Conseil sur la situation dans le nord-ouest du Cameroun qui est une crise émergente avec des menaces réelles pour toute la sous-région. Il a encouragé un dialogue inclusif sur cette question afin de trouver une solution.
M. JOSÉ SINGER WEISINGER (République dominicaine) a considéré que la prévention des conflits est un moyen de renforcer la dignité humaine et de bâtir des sociétés durables et prospères. Si l’importance de l’ONU dans ce domaine n’est plus à démontrer, les États membres de ce Conseil doivent néanmoins continuer à rechercher des mécanismes efficaces pour prévenir les conflits, plutôt que de mettre l’accent sur la gestion des conflits, a préconisé le représentant. Il a également recommandé d’étudier les processus de médiation couronnés de succès, comme celui en cours en Colombie, pour en calquer les modalités dans d’autres théâtres de conflit. Il a, en outre, salué le travail accompli par des réseaux comme le Réseau des femmes africaines pour la prévention des conflits et la médiation (FemWise-Africa) ou le Réseau des médiatrices de la Méditerranée, en soulignant que l’Amérique latine et les Caraïbes gagneraient à s’inspirer de ces exemples. Le représentant a également plaidé en faveur de l’inclusion des jeunes dans l’élaboration des accords de paix.
M. DIAN TRIANSYAH DJANI (Indonésie) a voulu que pour résoudre les conflits, l’on privilégie le dialogue, la médiation et la prévention sur la base du droit international et de la justice. Il a mis en garde le Conseil de sécurité contre la tentation d’entraver les processus de paix pour servir des intérêts étroits. L’unité du Conseil est aussi essentielle que les efforts des parties au conflit pour résoudre les différends par des moyens pacifiques. Le représentant a jugé nécessaire de renforcer les partenariats avec les organisations régionales et sous-régionales, citant notamment les efforts de l’Association des nations de l’Asie du sud-est (ASEAN). Les entités régionales et leur savoir peuvent offrir des perspectives sans pareil aux approches de médiation et de prévention, a-t-il estimé.
M. Djani a également insisté sur l’importance qu’il a à traiter des racines des conflits. L’Indonésie est d’ailleurs encouragée par le fait que le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, le Conseil économique et social (ECOSOC) et la Commission de consolidation de la paix s’attèlent davantage à répondre aux facteurs des conflits. Il a appelé l’ONU à appuyer davantage les États qui n’ont pas les capacités pour intégrer les mesures de prévention à leur gouvernance et a insisté sur le rôle que peut jouer en la matière le Fonds de consolidation de la paix.
M. JUERGEN SCHULZ (Allemagne) a déclaré que la prévention des conflits, le maintien de la paix et la consolidation de la paix doivent être considérés comme un continuum. La prévention et la médiation, a-t-il ajouté, peuvent aider à créer le point de départ d’un dialogue sur la réforme du Conseil de sécurité, la dénucléarisation ou la promotion des droits de l’homme. Le représentant a ainsi exhorté le Conseil à appuyer le Secrétaire général, les missions politiques spéciales et tous les organes de l’ONU dans leur travail difficile de médiation et de prévention. Soulignant le rôle que peuvent jouer les droits de l’homme dans l’identification des griefs susceptibles de conduire à un conflit, il a suggéré d’utiliser ces droits de manière positive et non pour blâmer dans la recherche d’une solution à un conflit.
Le représentant a emboité le pas à son homologue de l’Indonésie en réclamant « des actions rapides » de la part du Conseil, d’autant que la Charte a déjà fourni tous les instruments de la prévention et de la médiation. Il faut maintenant passer aux actes, a pressé le représentant pour qui la médiation doit être au cœur d’une stratégie lorsque la présence de l’ONU passe du maintien de la paix à la consolidation de la paix, une période qui amène bien souvent de grandes transformations pour un pays. Le représentant a insisté, à son tour, sur l’unité du Conseil, avant de souligner que les acteurs locaux doivent pouvoir participer à la médiation et à la prévention y compris les femmes et les jeunes. Les processus de paix ne peuvent être durables s'ils ne concernent que les détenteurs du pouvoir ou des armes. Les processus de paix les plus réussis sont ceux qui sont appuyés par la population, avec l’assentiment de tous les groupes, a conclu le représentant en rappelant que son pays fait de la médiation en Ukraine et ailleurs.
M. JERRY MATTHEWS MATJILA (Afrique du Sud) a indiqué que la prévention des conflits est la pierre angulaire de la politique étrangère de l’Afrique du Sud. Cette position se base sur l’histoire du pays et ses succès dans la transition pacifique du passé colonial à une démocratie constitutionnelle, fondée les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Selon le représentant, la médiation apporte la réconciliation et évite la destruction, les morts et les mouvements de population. M. Majtila a rappelé les propos de l’ancien Président sud-africain, Nelson Mandela, qui disait que « tous les conflits, aussi difficiles soient-ils, peuvent être réglés de manière pacifique ». Ainsi, pour l’Afrique du Sud, les opérations de maintien de la paix de l’ONU sont des moyens qui complètent les outils essentiels que sont la médiation et la prévention des conflits.
La prévention relève de la responsabilité première des États, de ce fait, l’action de l’ONU doit soutenir et compléter celle des gouvernements. Le Conseil de sécurité doit renforcer ses propres instruments de règlement pacifique des conflits, avant d’envisager l’usage de la force. Dans cette optique, l’Afrique du Sud estime que la coopération entre l’ONU et les organisations régionales et sous-régionales pourrait jouer un rôle majeur dans la prévention des conflits. Le représentant a ainsi évoqué le cadre de coopération entre l’Union africaine (UA) et l’ONU, souhaitant que ces efforts permettent de soutenir des solutions africaines, notamment en tenant compte des avantages comparatifs des deux organisations. Il a rappelé que l’UA a mis en place une unité d’appui à la médiation en mars dernier, ajoutant que la mise en route du Fonds pour la paix de l’UA va également renforcer les capacités de l’Organisation et ses efforts de médiation et de prévention des conflits. Ce Fonds a déjà reçu 115 millions de dollars, a indiqué le représentant qui n’a pas manqué de souligner l’importance du rôle des jeunes et des femmes dans la médiation. Il a invité le Conseil de sécurité à soutenir davantage les femmes médiatrices, notamment celles appartenant aux pays et régions affectés par les conflits.
M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) a déclaré que près de 75 ans après la création de l’ONU, les défis auxquels elle est confrontée n’ont jamais été plus nombreux. Il a souligné le rôle que jouent les bureaux politiques des Nations Unies dans diverses régions du monde, lesquels sont en mesure d’alerter sur des situations de crise en gestation qui ne figurent pas à l’ordre du jour du Conseil de sécurité. C’est la raison pour laquelle il a jugé indispensable de recevoir des informations en provenance de ces bureaux à un rythme plus soutenu que la périodicité semestrielle en vigueur. En outre, le représentant a rappelé que les membres élus de ce Conseil ont toujours été en faveur de réunions périodiques informelles à l’initiative du Secrétariat pour s’informer des tendances régionales. Il a jugé opportun de renforcer les synergies avec les organisations régionales et sous-régionales, qui peuvent apporter des informations complémentaires. Enfin, M. Meza-Cuadra s’est déclaré partisan de la multiplication des réunions en formule Arria et des dialogues interactifs informels. Il a appuyé fermement l’action des Envoyés spéciaux du Secrétaire général, qui assument leur responsabilité particulière d’aider les parties à un conflit à avancer vers un règlement négocié.
Pour Mme AMPARO MELE COLIFA (Guinée équatoriale), pour réaliser la prévention de conflit, le multilatéralisme est incontournable. Il permet de résoudre les problèmes et les confits dans le cadre d’un partenariat formel. À cet égard, il est nécessaire de promouvoir la diplomatie préventive du Secrétaire général, a exhorté la représentante qui a réaffirmé la mission fondamentale des Nations Unies en matière de prévention et de médiation. Elle a aussi invité les États Membres à accepter les missions de bons offices du Secrétaire général. Elle a rappelé que le Conseil de sécurité dispose de tous les instruments nécessaires pour une médiation réussie et souligné l’importance de la coopération entre les Nations Unies et les organisations régionales et sous-régionales mais aussi celle de la participation des femmes dans la prévention de conflits.
Mme JOANNA WRONECKA (Pologne) a estimé que le Conseil des sages peut offrir une occasion unique d’accéder aux leaderships des pays et de créer un espace sûr pour un « dialogue amplifié ». L’évolution des conflits et les tensions croissantes au sein des sociétés appellent à un renouvellement des efforts en faveur de la médiation et de la prévention des conflits. Aux signes avant-coureurs, action précoce, a martelé la représentant qui a, à son tour, insisté sur la participation des femmes et des jeunes et sur la contribution importante que peuvent faire les organisations régionales et les ONG. L’absence de règles rigides, a-t-elle souligné, donne une certaine souplesse aux activités de médiation et une capacité d’adaptation à l’évolution des tensions. Les négociateurs et les médiateurs doivent consulter la société civile, surtout les organisations de femmes car les initiatives de prévention dirigées par les femmes ont souvent contribué à prévenir ou atténuer les tensions grâce à un dialogue constructif.
M. KACOU HOUADJA LÉON ADOM (Côte d’Ivoire) a rappelé que la mise en place du Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation vient renforcer le dispositif existant en ce sens. Il a néanmoins estimé que ce dispositif, pour atteindre l’efficacité maximale recherchée, requiert également un engagement politique fort, aussi bien au niveau national que régional. Il s’agit donc, a expliqué M. Adom, d’une appropriation des outils par les organisations régionales et les États, alors que la société civile et les chefs traditionnels locaux doivent aussi prendre part à l’effort de médiation. Notant que la prévention des conflits par la médiation relève de la responsabilité première des États, la Côte d’ivoire s’est attelée à mettre en œuvre, dès la fin de la crise postélectorale, une stratégie nationale de consolidation de la paix qui fut fondée sur la réconciliation nationale et la relance économique. En 2017, un centre de coordination du mécanisme d’alerte précoce et de réponse rapide a été mis sur pied par le Gouvernement. Il a pour fonction d’identifier les prémisses de violences communautaires et de formuler, en lien avec les pouvoirs publics et les communautés locales, les réponses permettant de prévenir ou de circonscrire les épisodes de violence.
Le représentant a indiqué que les stratégies nationales de prévention de conflits et de consolidation de la paix doivent trouver leur prolongement dans l’action des communautés économiques régionales qui peuvent contribuer efficacement à la prévention des conflits, avec l’appui précieux des Nations Unies. À titre d’exemple, M. Adom a évoqué le cas de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui s’est souvent illustrée avec succès dans la gestion des crises au niveau sous-régional. Il a rappelé la « fermeté de la CEDEAO » dans son appel au retour de l’ordre constitutionnel au lendemain du coup d’État au Mali en 2012 et la médiation réussie dans la crise postélectorale en Gambie. Il a enfin estimé que les stratégies régionales et sous-régionales gagneraient davantage en efficacité si elles étaient soutenues par les Nations Unies. Cela passe par le renforcement des capacités des États et des institutions régionales et sous-régionales en la matière, et l’établissement de partenariats stratégiques et efficaces entre les Nations Unies et ces organisations, ainsi qu’avec la société civile.
M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a souligné l’importance de renforcer le rôle de l’ONU en matière de diplomatie préventive. Ces dernières années, le Secrétariat de l’ONU, le Conseil de sécurité et certaines organisations ont abattu un travail considérable sur les moyens de parvenir à un règlement négocié des conflits. Pour le représentant, dans chaque situation, il faut privilégier des approches sur mesure et veiller à ce que toute aide internationale ne soit fournie qu’avec l’accord des pays hôtes. Il s’est ensuite élevé contre les tentatives de renverser des gouvernements légitimes, comme cela a été observé selon lui en Iraq, en Libye et en Syrie. Alors que la communauté internationale cherche encore à mettre fin aux conséquences de ces crises, malheureusement, a constaté le délégué, elle ne semble pas tirer les leçons de l’Histoire, comme en témoigne la situation au Venezuela. S’il s’est dit favorable au rôle joué par les missions de bons offices du Secrétaire général, « du moment qu’elles se fondent sur des évaluations objectives des situations », le représentant a argué que la diplomatie préventive ne saurait être « une panacée pour soigner tous les maux ». En guise de conclusion, M. Polyanskiy a indiqué que de nombreux problèmes pourraient être évités si certains membres du Conseil, au lieu d’imposer des sanctions et de vouloir exercer un « mentorat », renonçaient à leur « certitude d’avoir raison ». Si nous parvenons à corriger ce « comportement erroné et myope », les capacités de l’ONU et du Conseil à jouer leur rôle en sortiront renforcées, a-t-il estimé.
M. MARC PECSTEEN DE BUYTSWERVE (Belgique) a expliqué que la Belgique avait fait de la prévention des conflits l’une de ses priorités et qu’il s’agit là d’un des fondements de l’approche inclusive pour la pérennisation de la paix à laquelle elle souscrit. Rappelant que les causes sous-jacentes de conflit relèvent de différents domaines qui sont paix et sécurité, développement et droits de l’homme, il a jugé normal que le Conseil dispose d’informations issues de ces trois piliers pour évaluer les éventuelles menaces à la paix et à la sécurité.
Dans ce contexte, la Belgique est favorable à la poursuite des exercices d’alerte précoce, et notamment d’échanges d’informations entre le Conseil de sécurité et le Secrétariat de l’ONU, y compris sur les piliers développement et droits de l’homme. La réaction précoce, qui fait suite à l’alerte précoce n’est pas nécessairement l’apanage du Conseil de sécurité, a-t-il précisé. Il peut s’agir selon les cas de bons offices du Secrétaire général, de ses envoyés spéciaux, de ses représentants et des coordinateurs résidents. Le cas échéant, a-t-il poursuivi, le Conseil peut envoyer des signaux contribuant à générer de la volonté politique pour résoudre une crise, mais, a-t-il souligné, ceci n’est possible que si le Conseil est dûment alerté, bien en amont.
Pour la Belgique, l’information mise à la disposition du Conseil est d’autant plus intéressante si une dimension régionale y est intégrée. Les Bureaux régionaux des Nations Unies offrent une valeur ajoutée, tant pour identifier les facteurs de risque, que pour constater des progrès. C’est la raison pour laquelle la Belgique encourage une planification plus dynamique, voire fréquente, des séances d’information par les chefs de ces bureaux régionaux. Ces Bureaux sont également, pour M. Pecsteen, le « véhicule idéal » pour soutenir ou collaborer avec des organisations régionales et sous-régionales. Pour la Belgique, ces organisations jouent un rôle de premier rang dans la prévention des conflits et la médiation. Elle les encourage à développer leurs capacités en ce sens alors que les Nations Unies pourraient offrir leur soutien pour des dialogues informels entre pays d’une même région.
Mettant l’accent sur l’importance de l’articulation entre la prévention, y compris au niveau local, et les opérations de maintien de la paix, le représentant a soutenu le Secrétaire général dans sa volonté d’accroître l’expertise en médiation au sein des missions et de renforcer les partenariats avec les acteurs locaux et nationaux de la médiation. M. Pecsteen a conclu en faisant remarquer que l’appropriation nationale des processus de médiation et de prévention augmente les chances de réussite, ajoutant que c’est d’autant plus le cas quand les femmes sont à bord comme médiatrices, négociatrices et témoins de ces processus.