Somalie: le Représentant spécial salue la trajectoire positive du pays et prévient que les « turbulences politiques persistantes pourraient l’en détourner »
Au cours de la première séance publique du Conseil de sécurité pour 2019, présidée par la République dominicaine, le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie (MANUSOM) a présenté le dernier rapport en date du Secrétaire général, en détaillant notamment l’exécution des mandats de la Mission et du Bureau d’appui des Nations Unies en Somalie (BANUS) au cours de la période allant du 23 août au 13 décembre 2018.
Selon M. Nicholas Haysom, la Somalie a maintenu une trajectoire positive, mais les turbulences politiques persistantes pourraient la détourner de son cours. Rappelant l’accueil chaleureux qu’il a reçu des autorités somaliennes à son arrivée dans le pays le 3 octobre dernier, le Représentant spécial a avoué avoir été impressionné par le programme de réformes ambitieuses du Gouvernement qui s’est engagé à mettre en œuvre de manière concrète des mesures dans le domaine politique, dans la sécurité et la justice, dans la reprise économique et le développement social et humain.
La Somalie, a-t-il dit, a bâti les fondations nécessaires pour faire des progrès significatifs en 2019. « Les plans sont en place et les étapes sont claires. » Ainsi, la gestion des élections régionales de 2019 et la suite des processus politiques, notamment la révision constitutionnelle, seront déterminantes pour faire avancer la Somalie. Et pour ce faire, « toutes les parties prenantes doivent regarder dans la même direction », a suggéré le Représentant spécial.
Dans le cadre du processus électoral mené dans l’État du Sud-Ouest, des allégations d’interférence du Gouvernement fédéral ainsi que la violence qui a suivi après l’arrestation d’un candidat -l’ancien chef adjoint des Chabab- ont entaché le processus et ne laissent rien augurer de bon pour les processus électoraux à venir dans d’autres régions ou pour les élections nationales de 2020, a relaté M. Haysom. En outre, cela pourrait avoir des implications pour les futurs défecteurs des Chabab qui envisageraient d’abandonner la violence et de se lancer dans l’arène politique. Malheureusement, a regretté M. Haysom, 15 personnes sont mortes au cours de ces violences, y compris un membre de l’Assemblée régionale.
Réagissant sur cette question, le représentant de la Somalie a tenu à rappeler aux États Membres des Nations Unies que les membres des groupes terroristes, comme les Chabab, ne peuvent prétendre accéder à des responsabilités publiques. « On ne peut attribuer des responsabilités à un ancien terroriste sans passer par un processus de réhabilitation », a-t-il expliqué en assurant que son gouvernement respecte le droit de tous ses citoyens. À ce titre, il a rappelé que la Somalie vient d’être élue au Conseil des droits de l’homme pour un mandat de trois ans, assurant que le pays est plus que jamais engagé à garantir la protection des droits de l’homme.
Parmi les « turbulences » mentionnées par le Représentant spécial figure le retard dans l’adoption de la nouvelle loi électorale, ce qui pourrait conduire à manquer une étape clef, puisque le Gouvernement avait promis l’adoption de la loi électorale au plus tard en décembre 2018. De même, l’impasse qui subsiste entre le Gouvernement fédéral et les dirigeants des États membres de la fédération a entravé la définition d’un modèle fédéral, l’édification des institutions de l’État et la mise en œuvre du dispositif national de sécurité.
Le Président Farmajo a proposé un dialogue direct à huis clos entre le Gouvernement fédéral et les États membres de la fédération après la rupture de la coopération entre les deux entités intervenue le 8 septembre. Et en octobre, le Premier Ministre Khaire a établi un comité ministériel de six personnes pour travailler avec la Chambre haute dans le but de mettre un terme à l’impasse. Au vu de ces faits, le Représentant spécial a jugé que l’environnement est compliqué par les processus électoraux qui sont en cours dans de nombreux États de la fédération. En outre, le 9 décembre dernier, des membres du Parlement ont présenté une motion de défiance à l’endroit du Président Farmajo. Le Représentant spécial a souligné que les discordes entre l’exécutif et le législatif ne peuvent qu’entraver davantage les progrès en Somalie.
Intervenant à son tour, le Représentant spécial du Président de la Commission de l’Union africaine, M. Francisco Caetano Jose Madeira, qui est aussi le Chef de la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), a appelé à l’apaisement des tensions entre le Gouvernement fédéral et certains États membres de la fédération. Il a noté l’importance historique des accords conclus par les dirigeants somaliens à Baidoa en juin 2018 en vue de l’approfondissement du fédéralisme, avant de plaider pour la mobilisation de ressources suffisantes pour les mettre en œuvre.
Le délégué somalien s’est également voulu rassurant en expliquant que la loi électorale est en cours de rédaction et que les élections se déroulent dans les États membres de la fédération, en même temps que des réformes sont menées dans tout le pays. Par exemple, une loi anticorruption a été adoptée et un accord sur la gestion des ressources a été défini. Le Président Farmajo a également lancé des initiatives de réconciliation, notamment dans le centre du pays. De même, le Gouvernement met en œuvre le dispositif national de sécurité, alors que les forces de sécurité prennent progressivement le relai des prérogatives de l’AMISOM. Cette dernière, a confirmé M. Madeira, continuera d’appuyer les réformes sécuritaires du Gouvernement fédéral, tout en préparant son retrait. Il a également loué le rôle vital joué par la composante civile de l’AMISOM et a plaidé pour son renforcement.
La situation sécuritaire est également marquée par la récente attaque commise, il y a deux jours, contre le complexe de l’ONU à Mogadiscio. Le Représentant spécial l’a fermement condamnée en notant que les auteurs -les Chabab- demeurent la plus grave source d’insécurité en Somalie. Le représentant de la Somalie a également condamné cette attaque en promettant que les coupables seront traduits en justice. Malgré les efforts déployés pour combattre les Chabab, ce groupe terroriste a toujours la capacité de mener des attaques aveugles sur certaines populations, ciblant également les délégués électoraux, les Forces de sécurité somaliennes et l’AMISOM, a expliqué M. Haysom. Il a ajouté que les Chabab et des forces proDaech semblent aujourd’hui mus par des intérêts financiers et se focalisent désormais sur des opérations d’extorsion de soi-disant impôts. En plus des opérations militaires, il faut donc lutter contre ce phénomène, et s’attaquer aussi à l’utilisation par les Chabab des infrastructures pour fabriquer des engins explosifs improvisés.
Sur le plan économique, le Représentant spécial a salué l’amélioration de la gestion des finances publiques et l’augmentation des revenus nationaux, avec notamment un record de 8 millions de dollars supplémentaires sur les impôts collectés en septembre dernier. Ce qui laisse présager que 56% des 340 millions de dollars du budget national pour 2019 seront financés par des ressources nationales, le reste devant venir des donateurs. Ceux-ci sont également sollicités pour réunir 1,1 milliard de dollars nécessaires à la mise en œuvre du plan d’aide humanitaire pour 2019, dont les contours seront annoncés au cours de ce mois. Ce plan va cibler 3,4 millions de personnes, soit 81% des 4,2 millions nécessitant une assistance.
Sur le plan régional, l’Accord tripartite signé par les dirigeants de la Somalie, de l’Éthiopie et de l’Érythrée le 6 septembre 2018 est une opportunité pour la Somalie de renforcer ses liens régionaux et glaner plus de soutien pour les progrès économiques, politiques et sécuritaires, a noté M. Haysom. Son homologue de l’Union africaine a, pour sa part, insisté sur l’importance des relations entre pays du Golfe et ceux de la Corne de l’Afrique, les premiers ayant investi plusieurs milliards de dollars dans les derniers. Il a mentionné la récente visite couronnée de succès du Premier Ministre somalien en Arabie saoudite, ce qui a permis de solder le contentieux entre les deux pays, avant de pointer les tensions qui subsistent entre certains pays du Golfe et la Somalie.
« La Somalie est en train de reprendre la place qui lui revient dans la région », a conclu le délégué somalien. Il a remercié les Nations Unies et les organismes qui apportent une assistance vitale à son peuple, tout en précisant que « c’est à la Somalie d’orienter l’appui international, et non le contraire ». Il a aussi demandé « que l’ONU et ses représentants respectent leurs mandats et évitent de s’ingérer dans les affaires intérieures somaliennes ». Selon lui, « la coopération avec l’ONU a des chances d’être plus efficace si elle est basée sur ces principes ».