L’accès à l’assistance consulaire, les droits des personnes LGBTI et l’urgence climatique passés au crible de la Troisième Commission
Poursuivant sa radiographie des droits de l’homme sous tous leurs aspects, la Troisième Commission s’est intéressée, aujourd’hui, au sort des ressortissants étrangers condamnés à la peine capitale, dont le nombre augmente de manière alarmante, mais aussi à la marginalisation des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes (LGBTI) et à l’urgence climatique à l’échelle mondiale, quatre ans après l’Accord de Paris.
Les experts venus présenter leurs rapports à la Commission en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles ont également échangé avec les délégations sur des sujets aussi divers que le droit à l’alimentation, les incidences de l’élimination des produits dangereux et les excuses publiques présentées en cas de violations flagrantes de ces mêmes droits.
Très attendue, la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a insisté sur l’importance de l’accès à l’assistance consulaire, alertant notamment de l’afflux de ressortissants étrangers qui se retrouvent dans les couloirs de la mort à la suite de procès biaisés, ou à cause de leur méconnaissance du système judiciaire, de la langue et de leurs droits. L’accès consulaire, a expliqué Mme Agnès Callamard, permet aux ressortissants étrangers de se présenter sur un pied d’égalité avec les nationaux devant les tribunaux.
Mme Callamard s’est notamment inquiétée du sort des ressortissants étrangers accusés d’appartenance à une organisation terroriste, lesquels courent un risque très élevé de condamnation à mort, tout en étant souvent privés de l’assistance consulaire adéquate de leur État d’origine. Selon l’experte, des États fortement abolitionnistes se montrent ainsi « tolérants vis-à-vis de l’imposition de la peine de mort à leurs ressortissants à l’étranger », tout en donnant le sentiment de l’imposer par procuration, « en sous-traitant son application pour des ressortissants qui seraient indignes d’une protection égale des droits de la personne ».
Elle a par ailleurs partagé les conclusions de son enquête sur l’assassinat du « journaliste saoudien » Jamal Khashoggi, présentées en juin au Conseil des droits de l’homme et qui ont montré que ce dernier avait été victime d’une exécution extrajudiciaire « planifiée, organisée, bien dotée en ressources et préméditée ». Si le meurtre a été reconnu « indirectement », le mois dernier, par le Prince héritier d’Arabie saoudite, ni ce pays, ni les organes de décision des Nations Unies n’ont pris les mesures nécessaires pour enquêter sur la chaîne de commandement derrière l’opération « à grande échelle » qui a conduit à « l’exécution » de M. Khashoggi, a-t-elle relevé.
Sans lien avec cette affaire, le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, la justice, la réparation et des garanties de non-répétition a fait valoir que les excuses publiques présentées par des États responsables de violations « qui répulsent la conscience humaine » sont un aspect indispensable de la consolidation de l’état de droit, du rétablissement de la confiance de la société en ses institutions et de la pleine garantie des droits de l’homme. « Les excuses marquent un tournant historique fondamental dans la mémoire collective et il est inacceptable qu’elles soient faites pour éluder les responsabilités ou avancer dans des politiques ultérieures de l’oubli et la négation », a souligné M. Fabian Salvioli.
La Troisième Commission s’est également penchée sur la situation des personnes LGBTI en entendant l’Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. M. Victor Madrigal-Borloz s’est notamment inquiété de la montée en puissance de groupes ultraconservateurs et ultranationalistes qui remettent en question les avancées enregistrées et empêchent l’élaboration de lois et de politiques incluant les personnes LGBTI.
« Ces personnes sont souvent instrumentalisées par des dirigeants politiques et religieux qui les présentent comme une menace à la cohésion nationale, la culture et la tradition, notamment durant les périodes d’instabilité politique et socioéconomique », a-t-il relevé, faisant état de discriminations à leur encontre à l’école, sur le marché de l’emploi et même en matière de santé. M. Madrigal-Borloz a également jugé impératif de combattre l’impunité pour les actes de violence et de discrimination, en assurant l’accès à la justice. « Il faut redonner foi aux personnes LGBT en un système qui autrefois les oppressait et effaçait leur identité. »
L’urgence climatique s’est aussi invitée à cette réunion par le biais du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement qui a fustigé la réponse « molle, lente et complétement inefficace » de la communauté internationale, citant en exemple de cet « échec collectif » la stagnation, à 81%, de la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial. M. David R. Boyd a sommé les États d’agir en faveur d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 45% d’ici à 2030.
Dans le même ordre d’idées, le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux a averti de graves risques de la « toxification » de nos corps sur la santé et la fertilité, fustigeant lui aussi l’incapacité des États à reconnaître les conséquences potentiellement catastrophiques de leur inaction.
Enfin, la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation a alerté sur la hausse, pour la troisième année consécutive, des chiffres de la faim et de la malnutrition, qui fait qu’une personne sur neuf est en proie aux affres de la faim et deux milliards d’individus sont confrontés à l’insécurité alimentaire. Dans ces conditions, Mme Hilal Elver a estimé que les objectifs de développement durable peuvent devenir un outil transformateur dans la jouissance du droit à l’alimentation
La Troisième Commission poursuivra ses travaux vendredi 25 octobre 2019, à partir de 10 heures.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
Application des instruments relatifs aux droits de l’homme (A/74/40, A/74/44, A/74/48, A/74/55, A/74/56, A/74/146, A/74/148, A/74/228, A/74/233, A/74/254, A/74/256)
Questions relatives aux droits de l’homme, y compris les divers moyens de mieux assurer l’exercice effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales (A/74/147, A/74/159, A/74/160, A/74/161, A/74/163, A/74/164, A/74/165, A/74/167, A/74/174, A/74/176, A/74/179, A/74/181, A/74/183, A/74/185, A/74/186, A/74/190, A/74/191, A/74/197, A/74/198, A/74/212, A/74/213, A/74/215, A/74/226, A/74/227, A/74/229, A/74/243, A/74/245, A/74/255, A/74/261, A/74/262, A/74/178, A/74/189, A/74/270, A/74/271, A/74/277, A/74/285, A/74/314, A/74/318, A/74/335, A/74/349, A/74/351, A/74/358, A/74/460)
Situations relatives aux droits de l’homme et rapports des rapporteurs et représentants spéciaux (A/74/166, A/74/188, A/74/196, A/74/268, A/74/273, A/74/275, A/74/276, A/74/278, A/74/303, A/74/311, A/74/342)
Application intégrale et suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne (A/74/36)
Exposé du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, la justice, la réparation et des garanties de non-répétition
M. FABIAN SALVIOLI, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, la justice, la réparation et des garanties de non-répétition, a indiqué que son rapport porte sur les excuses présentées pour des violations flagrantes des droits de l’homme et des violations graves du droit international humanitaire.
Il a souligné que les excuses publiques présentées par des États ou d’autres entités responsables de violations « qui répulsent la conscience humaine » sont un aspect indispensable de la consolidation de l’état de droit, du rétablissement de la confiance de la société en ses institutions et de la pleine garantie des droits de l’homme, sans discrimination aucune. « Les excuses publiques font partie des mesures de réparation en ce sens qu’elles complètent, sans s’y substituer, le reste des mesures qu’il convient d’adopter si l’on veut arriver à une “réparation intégrale” », a-t-il dit.
Cependant, a-t-il ajouté, les excuses ne sauraient, en aucun cas, servir de prétexte pour se dispenser des obligations en termes de vérité, poursuite et condamnation des auteurs et autres mesures de satisfaction, réforme institutionnelle, garanties de non-répétition, programmes de mémoire et indemnisation économique.
M. Salvioli a également indiqué que la présentation d’excuses permet d’admettre les dommages occasionnés, d’en assumer la responsabilité et d’exprimer un remords sincère, inconditionnel et sans réserve, mais aussi de prendre un engagement de non-répétition.
Le Rapporteur spécial a précisé que son rapport donne un aperçu des grandes lignes de la jurisprudence internationale en la matière, et décrit les effets des excuses, tant sur le passé que sur le futur.
« S’excuser, c’est admettre publiquement la responsabilité, exprimer du remords pour les faits commis et établir une rupture de la culture de la violence en s’engageant à la non-répétition des atrocités », a-t-il souligné. Le Rapporteur spécial a également fait observer que la reconnaissance des faits est un préalable fondamental à la présentation d’excuses.
Pour M. Salvioli, il s’agit d’accepter les faits, sans explication ni justification. Il a également insisté sur l’impératif de mentionner les victimes, à moins qu’elles décident du contraire, pour éviter des excuses générales ou vagues. « Les excuses marquent un tournant historique fondamental dans la mémoire collective et il est inacceptable qu’elles soient faites pour éluder les responsabilités ou avancer dans des politiques ultérieures de l’oubli et la négation », a-t-il affirmé, insistant par ailleurs sur l’impératif de juger et de condamner les personnes responsables.
Dialogue interactif
La Colombie a indiqué avoir procédé à des excuses publiques dans le cadre de ses efforts de justice et de paix. Elle a souligné que pour être efficaces, les excuses publiques doivent prévoir un dialogue avec les victimes, reconnaître les responsabilités, garantir la participation des familles et permettre la participation de l’ensemble de la communauté et des médias.
L’Argentine a mis en avant sa participation à un programme international pour la vérité et à d’autres initiatives en faveur de la justice transitionnelle et de la lutte contre les disparitions forcées. Soulignant l’importance de l’égalité sexuelle dans ces processus, elle a souhaité savoir quels sont les moyens les plus efficaces pour éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les femmes lors des préparatifs aux excuses. La dimension sexospécifique figurait également parmi les préoccupations de l’Union européenne et de l’Irlande, qui a par ailleurs voulu être informée des pièges à éviter pour pouvoir présenter des excuses efficaces.
Comment les pays doivent-ils prendre en considération les demandes de réparation des victimes? ont demandé à leur tour les États-Unis, qui ont jugé important d’associer les victimes et leurs familles à tout programme d’excuses, tout en relevant que ce sont parfois les forces de sécurité ou gouvernementales qui se chargent de ce processus. À cet égard, ils ont déclaré appuyer les efforts de redevabilité menés en Syrie et ont appelé le régime Assad à cesser ses arrestations arbitraires et ses exécutions extrajudiciaires.
Dans un même esprit, la France a voulu savoir quelle approche les États devraient adopter pour concrétiser les excuses en cas de violations commises par des acteurs non étatiques. Le rôle de l’État est crucial pour la manifestation de la vérité et la lutte contre l’impunité, a-t-elle fait valoir, précisant par ailleurs que le droit national français accorde une place importante au devoir de mémoire afin de veiller à ce que les événements créés par des violations des droits humains ne se reproduisent pas.
Observant que les processus de justice transitionnelle progressent graduellement, sur de longues périodes de temps, la Suisse, qui s’exprimait au nom du Groupe des Amis du mandat du Rapporteur spécial (Argentine, Autriche, Colombie, Maroc, Pérou, Suisse), s’est interrogée sur la manière de veiller à ce que les excuses aient un effet durable dans le cadre d’efforts de réconciliation sur le long terme. Dans une même veine, le Maroc a voulu savoir sur quels critères s’appuient des excuses données en temps opportun. Quelle est l’approche recommandée pour convaincre de l’importance des excuses? a demandé à son tour la Belgique.
L’Espagne a déclaré avoir créé en juin 2018 une direction de la mémoire historique qui permet aux organisations de victimes de disposer d’un département central pour les mesures de justice, de vérité et de non-répétition. Un plan d’État prévoit par ailleurs des exhumations de corps de victimes afin de les rendre aux familles, a-t-elle ajouté, précisant que le pays compte plus de 2 000 fosses communes dans lesquelles reposent quelque 100 000 dépouilles. Lui emboîtant le pas, El Salvador a expliqué avoir décidé de ne pas intégrer à des cérémonies d’excuses publiques des personnes ayant pris part à des violations.
La Chine a estimé pour sa part que le fait de présenter des excuses aux victimes et à leurs familles vient compléter le processus de réparation et permet de parvenir à la réconciliation. En Chine, a-t-elle indiqué, des procédures existent pour assurer le respect des droits des victimes et leur permettre d’obtenir réparation.
Dans un premier temps, le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, la justice, la réparation et des garanties de non-répétition a salué les bonnes pratiques de la Colombie, soulignant en outre que les excuses ne peuvent pas être secrètes, mais doivent être publiques. La participation des victimes est également essentielle, et pour cela, il faut qu’il y ait de la confiance du côté des victimes et garantir un climat propice. Il a également attiré l’attention sur l’importance de comprendre les particularités culturelles des communautés, et de s’assurer que les consultations ne soient pas intimidantes, notamment en veillant à ce que les auteurs de violations n’en fassent pas partie.
Les excuses doivent également être sincères et présentées par l’ensemble de l’État. Ainsi, il ne faut pas qu’un fonctionnaire s’excuse un jour, et que le lendemain, un autre fonctionnaire dise le contraire. De plus, suite à un conflit, il est aussi important que ceux qui représentent les acteurs non étatiques présentent aussi des excuses.
M. Salvioli a ensuite salué les mesures prises en Espagne, soulignant qu’il s’agit d’une étape positive. Il a cependant espéré que la procédure pourra être accélérée étant donné l’âge avancé des victimes du franquisme.
Quant à la question de la motivation, M. Salvioli a expliqué que les individus peuvent avoir différentes raisons de présenter des excuses, par exemple pour être réinsérés à la société ou pour bénéficier d’avantages comme des remises de peine notamment. Les excuses ne doivent cependant pas être utilisées pour garantir l’impunité, a-t-il tempéré. « Il ne peut y avoir d’impunité pour les génocides ou les crimes contre l’humanité, ce n’est plus acceptable! » a-t-il déclaré, soulignant par ailleurs qu’il est important que les excuses accompagnent d’autres mesures de réparation.
M. Salvioli s’est par ailleurs félicité de la mesure prise par El Salvador.
Exposé de l’Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre
M. VICTOR MADRIGAL-BORLOZ, Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, a indiqué que son rapport démontre que les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) demeurent marginalisés et exclus partout dans le monde. Il s’est notamment inquiété de la montée en puissance de groupes ultraconservateurs et ultranationalistes qui remettent en question les avancées et empêchent l’élaboration de lois et de politiques incluant les personnes LGBT.
« Les questions concernant les personnes LGBT sont souvent instrumentalisées par des dirigeants politiques et religieux qui les présentent comme une menace à la cohésion nationale, la culture et la tradition, notamment durant les périodes d’instabilité politique et socioéconomique. Les personnes LGBT deviennent alors “l’autre”, “l’étranger” dont le seul objectif est de saper l’identité nationale de l’intérieur », a-t-il expliqué.
L’Expert a notamment indiqué qu’à l’école, les élèves LGBT subissent des abus, y compris des actes de violence physique et des menaces de mort, et souffrent d’isolement social, ce qui provoque un sentiment d’insécurité, favorise l’absentéisme et réduit leur chance de réussite scolaire. De plus, en raison de ces abus, les élèves LGBT sont plus susceptibles de se suicider, et la réaction des écoles est souvent mauvaise, intentionnellement ou par négligence.
La discrimination et les abus se poursuivent sur le marché du travail, à toutes les étapes du cycle de l’emploi, que ce soit lors de l’embauche, de la formation, des promotions ou de la retraite. En réaction, les personnes LGBT sont forcées de cacher leur orientation sexuelle et de genre, ce qui provoque un haut degré d’anxiété et une perte de productivité.
L’Expert a également dénoncé la discrimination dans l’accès au logement, s’alarmant de la surreprésentation des personnes LGBT parmi les sans-abri et des difficultés qu’elles rencontrent pour trouver une place dans les refuges.
Les personnes LGBT connaissent également des taux élevés de cancer du sein et du col de l’utérus, d’infection au VIH et de problèmes de santé mentale liés à l’anxiété, la dépression, l’automutilation et des idées suicidaires. De plus, la criminalisation d’actes sexuels entre partenaires du même sexe est toujours une réalité dans 69 pays et la « pathologisation » des personnes LGBT rend trop souvent les services de santé indisponibles, inaccessibles ou inacceptables. En effet, a-t-il expliqué, le comportement discriminatoire du personnel de santé et le manque de respect, voire la violation, du secret médical peuvent les dissuader d’obtenir des soins.
Mais en dépit de cette sombre situation, a tempéré l’Expert, des progrès immenses ont été accomplis durant la dernière décennie pour démonter les systèmes institutionnels discriminatoires, les mythes et les préjugés, et pour améliorer l’inclusion des personnes LGBT. Au cours des 20 dernières années, 29 pays ont dépénalisé les relations sexuelles entre adultes consentants du même sexe et plus de 50 pays ont adopté une législation contre les discriminations.
M. Madrigal-Borloz a toutefois estimé qu’il n’en demeure pas moins urgent de démanteler les systèmes répressifs qui font valoir que la diversité des orientations sexuelles et des identités de genre est nuisible à la société et que les personnes LGBT ont une identité criminelle.
L’Expert a notamment appelé les États à bâtir des cadres juridiques robustes pour protéger les personnes LGBT et à réviser les politiques appliquées dans tous les secteurs pour veiller à ce qu’elles appuient les principes d’égalité et de non-discrimination. La formation des agents de l’État et du personnel de service est également indispensable.
Il a aussi dit l’impératif de combattre l’impunité pour les actes de violence et de discrimination, notamment en assurant l’accès à la justice. Il faut, a-t-il insisté, redonner foi aux personnes LGBT en un système qui autrefois les oppressait et effaçait leur identité.
M. Madrigal-Borloz a par ailleurs indiqué que les événements commémoratifs et les célébrations de la diversité humaine permettent d’envoyer des messages forts sur l’inclusion, l’appartenance et l’amour.
Dialogue interactif
La Bolivie, au nom des États membres du Groupe LGBTI, a estimé que le dialogue constitue le meilleur chemin pour parvenir à davantage de compréhension entre les autorités et les personnes LGBTI. Dès lors, comment peut-on mieux impliquer ces acteurs dans les travaux des Nations Unies?
L’Espagne s’est déclarée convaincue que le mandat doit bénéficier du plus grand soutien, notamment pour protéger les personnes âgées LGBTI, qui font l’objet d’une double discrimination. En l’absence d’enquêtes sur la situation des personnes âgées LGBTI, elle a demandé des exemples de stratégies ou de bonnes pratiques nationales prenant pour cible ce groupe.
Quelle serait la mesure la plus efficace pour lutter contre les préjugés alimentant la discrimination et la violence? a demandé à son tour la Nouvelle-Zélande, avant que l’Irlande ne s’interroge sur l’action de la communauté internationale pour mieux protéger les personnes LGBTI.
Observant que les messages de haine visent de plus en plus les LGBTI, notamment les migrants, l’Allemagne a demandé des exemples de bonnes pratiques permettant d’éviter de tels messages. L’Islande a souhaité savoir comment les États pourraient soutenir les efforts de dépénalisation de l’homosexualité au niveau mondial, tandis que l’Argentine a estimé que les États et les agences de l’ONU devraient aborder les objectifs de développement durable en prenant en considération les obstacles que rencontrent les personnes LGBTI. Pour sa part, l’Australie a relevé que les États ont encore beaucoup à faire pour combattre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Les États-Unis ont rappelé qu’ils ont rejoint, en octobre dernier, le Groupe restreint LGBTI et ont déclaré soutenir la fin de la pénalisation de l’homosexualité. Par ailleurs, quelles stratégies pourraient être mises en place pour organiser la collecte de données ventilées sur les personnes LGBTI?
La Suède, au nom des pays baltes et nordiques, a insisté sur l’importance du rôle de la société civile pour faire face aux violences et à la discrimination à l’encontre des personnes LGBTI. Au vu de la montée de groupes ultraconservateurs et ultranationalistes, le Luxembourg a voulu savoir comment maintenir un dialogue entre les autorités et les personnes LGBTI. Existe-t-il des exemples spécifiques de politiques publiques en vigueur permettant d’améliorer l’accès au travail et au logement des LGBTI? a demandé à son tour le Canada
La Géorgie a assuré mener des réformes institutionnelles destinées à lutter contre les discriminations à l’égard des personnes LGBTI, précisant que depuis le printemps de cette année, un programme est mis en œuvre pour prévenir la violence et le harcèlement à l’école.
La Slovénie s’est interrogée sur les stratégies permettant de garantir l’inclusion sociale des personnes LGBTI, avant que la République tchèque appelle à renforcer les efforts de prévention contre les discriminations visant les personnes LGBTI. À cet égard, que faut-il faire pour appuyer l’utilisation d’outils tels que les Principes directeurs existants? L’Union européenne a estimé pour sa part que l’intersectorialité des agressions requiert une attention plus forte de la part des États.
L’orientation sexuelle et l’identité de genre figurent parmi les questions les plus complexes examinées à l’ONU, a commenté à son tour Israël, qui a voulu savoir comment les États peuvent aider les jeunes LGBTI confrontés à l’exclusion sociale.
L’Angola s’est interrogé sur la fiabilité des données produites par le rapport et a souhaité savoir de quelle manière l’Expert indépendant travaille sur la question des LGBTI avec des États qui ne disposent pas de bases de données à cet égard.
La Chine a déclaré s’opposer à toute forme de discrimination, y compris pour l’orientation sexuelle, tout en estimant qu’il convient de respecter les valeurs de chaque pays, et a voulu connaître des exemples de bonnes pratiques en matière de dépénalisation. À son tour, la Belgique a invité l’Expert indépendant à présenter des exemples de bonnes pratiques dans le cas où une personne ne se reconnaît pas au sein d’un groupe particulier. Les Pays-Bas se sont interrogés sur la coopération de l’Expert indépendant avec d’autres titulaires de mandat sur la question de l’intersectionnalité.
Après que le Royaume-Uni a encouragé les États à prévoir des lois antidiscriminatoires dans le cadre de leurs efforts d’inclusion, le Mexique a demandé à l’Expert indépendant de lui fournir des exemples de meilleures pratiques permettant d’identifier les normes discriminatoires qui subsistent encore.
Répondant à ces questions et commentaires, l’Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre a tout d’abord souligné que la question des données et de la méthodologie utilisée est fondamentale. Il a expliqué que pour l’élaboration de ce rapport, il a en effet fallu se fonder sur un grand volume d’informations. Or, dans certains environnements, les données ne sont pas collectées de manière ventilée. Dans ce cas, il est noté que c’est souvent la société civile qui rassemble les données et non l’État. De plus, les données doivent représenter un certain degré d’intégrité, et il importe par ailleurs de respecter certaines normes comme le consentement des personnes et le respect des sensibilités des groupes LGBT. Il a précisé que l’intersectionnalité vise à donner de la visibilité aux informations reçues, notamment concernant les lesbiennes, les jeunes, les personnes âgées ou les migrants.
Abordant ensuite la situation des personnes âgées LGBT, M. Madrigal-Borloz a indiqué que lorsque des données sont disponibles, ce qui n’est le cas que dans certaines régions, le portrait qui en ressort est morose. Par exemple, il a été relevé que la maladie d’Alzheimer est plus présente au sein de la communauté LGBT, peut-être à cause des pressions reçues au cours de la vie.
M. Madrigal-Borloz a ensuite expliqué avoir tenté d’établir un lien entre les réalités vécues par les personnes LGBT et les objectifs de développement durable, et espère pouvoir présenter des études de cas à l’avenir. Il a affirmé que la pénalisation des personnes LGBT représente une entrave au développement durable et a appelé à abolir les systèmes discriminatoires pour créer un cadre propice à l’inclusion.
L’Expert s’est également préoccupé de la situation des personnes transsexuelles, saluant au passage les « pratiques exemplaires » qui sont développées en Argentine sur l’inclusion des transsexuels dans tout l’éventail des services publics.
Enfin, a noté M. Madrigal-Borloz, les acteurs religieux peuvent jouer un rôle constructif lorsqu’ils œuvrent pour l’inclusion et le respect.
Exposé de la Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
Mme AGNÈS CALLAMARD, Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a d’emblée partagé les conclusions de son enquête sur l’assassinat du « journaliste saoudien » Jamal Khashoggi, présentées au Conseil des droits de l’homme en juin dernier, et qui ont montré que ce dernier a été victime d’une exécution extrajudiciaire planifiée, organisée, bien dotée en ressources et préméditée, pour laquelle l’Arabie saoudite doit « assumer la responsabilité ». Cela a finalement été reconnu le mois dernier par le Prince héritier d’Arabie saoudite, « bien qu’indirectement », a ajouté Mme Callamard, qui a regretté qu’à ce jour, ni le Royaume d’Arabie saoudite, ni les organes de décision des Nations Unies n’ont pris les mesures nécessaires pour enquêter sur la chaîne de commandement derrière l’opération « à grande échelle » qui a conduit à « l’exécution » de M. Khashoggi.
Elle a affirmé que cette exécution est emblématique d’un schéma mondial d’assassinats ciblés de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et de militants politiques. Mme Callamard a fait savoir qu’elle compte élaborer, au cours des prochains mois, un protocole sur les enquêtes et les réponses à apporter face à de telles menaces, et qu’elle a en outre commencé à apporter des précisions à sa recommandation concernant la nécessité, pour l’ONU, de se doter d’un instrument international reconnu afin d’enquêter sur les homicides ciblés.
Mme Callamard a ensuite présenté son rapport, consacré à l’application de la peine capitale aux ressortissants étrangers et à l’assistance consulaire. Elle a expliqué avoir choisi ce sujet en raison du nombre important de ressortissants étrangers qui, suite à des procès biaisés et des mauvais traitements, se retrouvent à présent dans les couloirs de la mort, et à cause des écarts normatifs concernant la responsabilité des pays d’origine.
Elle a indiqué que les personnes inculpées à l’extérieur de leur propre pays sont confrontées à un plus large éventail de problèmes en raison de leur méconnaissance du système judiciaire, de la langue ou de leurs droits au moment de leur arrestation. Elles peuvent être conduites à signer des aveux rédigés dans une langue qu’elles ne comprennent pas et n’ont peut-être pas accès à des interprètes.
L’accès à l’assistance consulaire permet donc aux ressortissants étrangers de se présenter devant les tribunaux sur un pied d’égalité avec les nationaux. Elle a souligné que l’accès et l’assistance consulaires font partie des droits de l’homme, et que cela conduit à des obligations distinctes et complémentaires à la fois pour l’État poursuivant et l’État d’origine de la personne concernée. Tandis que les États poursuivants doivent assurer l’accès des ressortissants étrangers à leurs consulats, les États d’origine se doivent de fournir une assistance consulaire adéquate et efficace, notamment lorsqu’un de leurs ressortissants fait face à la peine de mort. Son rapport montre également que la responsabilité des États d’origine de fournir une assistance constitue une norme émergente du droit international coutumier.
Mme Callamard a ensuite fait part de son inquiétude que les ressortissants étrangers accusés d’appartenance à une organisation terroriste courent un risque très élevé d’être condamnés à mort et sont pourtant largement restés privés de l’assistance consulaire adéquate de leur État d’origine.
« Même des États qui sont fortement abolitionnistes se montrent tolérants vis-à-vis de l’imposition de la peine de mort à leurs ressortissants à l’étranger, au mépris de leurs obligations légales et de leurs positions morales, et donnent le sentiment de l’imposer par procuration, en sous-traitant son application pour des ressortissants qui seraient indignes d’une protection égale des droits de la personne », a-t-elle indiqué.
Elle a notamment fait observer que le refus par un État de fournir une protection consulaire en raison du crime allégé violerait à la fois l’obligation de cet État de protéger le droit à la vie et l’interdiction de la discrimination. Selon elle, les ressortissants d’un pays détenus à l’étranger qui sont accusés des crimes les plus graves ou les plus odieux exigent une plus grande diligence de la part de l’État d’origine, « et non l’inverse ».
Tout en reconnaissant que les crimes odieux sont sans doute la mise à l’épreuve la plus rude pour l’engagement d’un État envers l’abolitionnisme, Mme Callamard a prévenu: laisser de tels actes prendre l’ascendant sur cet engagement corrompt le fondement même des droits de la personne tout en envoyant un message inquiétant sur son engagement envers les droits humains dans le monde.
Elle a par ailleurs expliqué que son rapport réserve 10 pages de directives pour une assistance consulaire adéquate et efficace, et énonce un certain nombre de mesures raisonnables, telles que la formation adéquate des fonctionnaires consulaires.
Dialogue interactif
Désireuse de connaître les prochains travaux et les visites programmés par Mme Callamard, l’Union européenne a réitéré son opposition aux exécutions extrajudiciaires et à la peine de mort en toute circonstance, partout dans le monde.
Le Mexique a indiqué que son réseau consulaire vise à protéger les droits de tous les ressortissants mexicains à l’étranger, indépendamment de leur statut juridique. Il a notamment fait état d’un programme visant à suspendre les exécutions de Mexicains condamnés à la peine de mort aux États-Unis, lequel a permis de revenir sur les peines prononcées dans 88% des cas, ce qui, selon lui, démontre l’importance de l’assistance consulaire et juridique. Sur cette base, il a voulu savoir quelles mesures complémentaires pourraient être prises pour consolider de tels programmes.
Le Liechtenstein a voulu savoir comment développer les options des juridictions internationales à l’égard des crimes comme celui commis contre Jamal Khashoggi.
La Fédération de Russie a jugé important qu’il soit tenu compte de tous les points de vue, y compris de ceux des pays qui continuent d’appliquer la peine de mort. Elle a souligné que les États seuls ont le droit souverain de définir le système de peine pour les crimes commis sur leur territoire. À cet égard, elle a assuré qu’elle respectait ses obligations au regard du moratoire sur la peine de mort en vigueur en Russie depuis 1999.
Les États-Unis ont rappelé leur engagement à garantir un traitement juste et humain aux citoyens étrangers, dans les limites des lois internationales applicables. Ils se sont par ailleurs déclarés préoccupés par le fait que l’impunité face aux exécutions extrajudiciaires reste commune, notamment au Burundi. Ils ont également fait état de violations aux Philippines, où des exécutions extrajudiciaires ont lieu dans le cadre de la guerre contre les narcotrafiquants, et au Venezuela, où 7 000 personnes ont été exécutées arbitrairement par le régime Maduro. Ils ont également estimé que le Gouvernement saoudien devrait s’assurer que les auteurs du meurtre de Jamal Khashoggi soient jugés pour ce crime haineux. Ils ont, d’autre part, dénoncé le recours aux armes chimiques et aux actes de torture par la Syrie et appelé la Turquie à s’assurer que les forces sous son contrôle respectent les règles en matière d’engagement. Enfin, après avoir fait état d’autres exécutions extrajudiciaires en Libye et au Nicaragua, ils ont demandé comment la communauté internationale pourrait protéger les acteurs de la société civile face à ces pratiques.
À son tour, l’Australie a assuré qu’elle ne remettra aucune personne à un gouvernement qui pratique la peine de mort, à moins que celui-ci ne s’engage à ne pas l’appliquer. Elle a par ailleurs souhaité savoir comment aider les autres États à introduire des réformes afin de garantir qu’ils ne favorisent pas l’imposition de la peine de mort.
Quelles mesures devraient être prises pour que les États respectent les obligations de communication prévues par la Convention de Vienne? a demandé à son tour l’Argentine.
La Chine a fait valoir que la peine de mort relève de la juridiction nationale et a rappelé que le droit chinois stipule que seuls les crimes extrêmement graves peuvent faire l’objet de cette peine. Son Code pénal a d’ailleurs été amendé afin d’exclure différents crimes du périmètre d’application de la peine capitale.
Estimant pour sa part que Jamal Khashoggi a été victime d’une exécution extrajudiciaire préméditée « dont l’État saoudien est responsable », l’Islande a voulu savoir comment cet « événement horrible » pourrait contribuer à mieux respecter la liberté d’expression. Les responsables du meurtre de Jamal Khashoggi doivent rendre des comptes, a renchéri le Royaume-Uni, qui s’est par ailleurs interrogé sur les questions relatives aux exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires qui n’ont pas encore été examinées par le mandat de la Rapporteuse spéciale.
Les Émirats arabes unis ont expliqué qu’ils recouraient à la peine de mort seulement pour les crimes les plus haineux et que leurs procédures judiciaires prévoyaient un procès juste et les services d’un avocat. Ils ont estimé que la Rapporteuse spéciale était allée au-delà de son mandat en parlant de l’application de la peine de mort pour les ressortissants étrangers aux Émirats arabes unis. Les lois et politiques des Émirats s’appliquent sans discrimination et l’assistance consulaire et juridique est garantie pour toute affaire de condamnation à mort, a fait valoir la délégation.
L’Arabie saoudite a convenu que le crime du journaliste Jamal Khashoggi était « regrettable et pénible » et a assuré avoir pris des mesures pour que les personnes responsables répondent de leurs actes en justice. Évoquant la mise en jugement de 11 personnes, elle a précisé que des « mesures plus dures » avaient été requises contre cinq d’entre elles et que les « sanctions ultimes » viseraient les responsables. Elle a encore indiqué que des représentants des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de la Chine et de la Turquie avaient pu assister aux séances de justice, dont les conclusions seront divulguées publiquement. Elle a regretté à ce sujet que la Rapporteuse spéciale ait « usé d’informations médiatiques » qui représentent des « avis négatifs à l’égard du Royaume ».
La Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a tout d’abord estimé que le droit international devrait se faire abolitionniste et a appelé les États à rejeter la peine de mort. Elle a par ailleurs estimé que certaines méthodes d’exécution devraient être rejetées. Cette année, a-t-elle développé, elle a été confrontée à deux cas pour lesquels il a fallu 4 à 5 heures pour que la personne meure. « Imaginez la souffrance de cette personne », s’est exclamée Mme Callamard.
Revenant sur la question de l’assistance consulaire, la Rapporteuse spéciale a expliqué qu’au titre du droit international, et notamment de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, l’accusation doit notifier le détenu de son droit à une assistance consulaire. Toutefois, ces dernières années, il y a eu des affaires dans lesquelles les ressortissants étrangers ont reçu une notification de l’État dans lequel ils sont poursuivis, mais n’ont pas reçu d’assistance de la part de leur pays d’origine. Il arrive en effet que ce droit leur soit refusé, avec des cas d’inégalité face à la loi ou de discrimination, a-t-elle déploré. Elle a également relevé que les ressortissants étrangers se voient infligés la peine de mort de manière disproportionnée.
Parmi les mesures concrètes à adopter, Mme Callamard a notamment recommandé aux États Membres de faire figurer dans leur constitution un droit à l’assistance consulaire lorsque leurs ressortissants sont à l’étranger. Elle a également souligné que personne ne devrait être transféré dans un pays où la peine de mort est appliquée en l’absence de garanties. De leur côté, les pays abolitionnistes doivent s’assurer que leurs engagements sont respectés, y compris dans le cas de personnes qui ont commis des crimes odieux.
En venant à l’assassinat de Jamal Khashoggi, Mme Callamard a insisté sur l’impératif de la reddition de comptes. Elle a estimé que les mesures prises par l’Arabie saoudite ne respectent pas les exigences du droit international, notamment en ce qui concerne la transparence. Les assassins ont été condamnés, mais souvent, « celui qui est à la manœuvre n’est jamais dévoilé », a-t-elle déclaré. La Rapporteuse spéciale a indiqué qu’elle avait recommandé que soit mise en place une enquête criminelle afin d’identifier « le vrai responsable ». Cela enverrait aussi un signal fort à tous ceux qui cherchent à réduire au silence ceux avec qui ils sont en désaccord.
Elle a de plus indiqué que le meurtre de Jamal Khashoggi peut engager la compétence internationale, puisqu’il y a eu des violations de plusieurs droits, y compris celui de ne pas être torturé et l’interdiction de l’usage de la force en temps de paix. Elle a appelé les gouvernements à réfléchir à la manière dont la compétence universelle peut être engagée dans le cas d’assassinats ciblés.
S’agissant de ses prochaines visites, Mme Callamard a précisé qu’un déplacement est prévu au Mozambique et qu’elle s’efforce de négocier une visite aux États-Unis. Elle souhaite également se rendre au Kenya.
Exposé du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement
M. DAVID R. BOYD, Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, a souligné que l’heure est à l’urgence climatique à l’échelle mondiale. Mais alors que la réponse en cas d’urgence est immédiate et mobilise des ressources humaines et matérielles, notre riposte à l’urgence climatique est « molle, lente et complétement inefficace », a observé M. Boyd, citant en exemple de cet « échec collectif » la stagnation, à 81%, de la part des énergies fossiles dans le mix énergétique mondial, 27 ans après la négociation de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Sur ce total, l’utilisation du charbon est en hausse de 68%, celle du pétrole progresse de 36% et celle du gaz naturel enregistre une poussée de 82%, a-t-il précisé, notant que les émissions globales de gaz à effet de serre sont en augmentation de plus de 65% depuis 1992.
Face à cet échec, quels sont les projets? Les contributions déterminées par les nations pour 2030, même si -fait fort improbable- tous les États devaient remplir leurs engagements, ne permettraient pas d’atteindre les objectifs fixés lors de l’Accord de Paris de 2015. Pourtant, a souligné le Rapporteur spécial, les éminents scientifiques représentés au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ont conclu que limiter le réchauffement global à 1,5 °C nécessiterait « des changements rapides, de grande portée et sans précédent dans tous les aspects de la société ». C’est dans ce contexte, a-t-il dit, que des millions d’enfants se mobilisent dans le monde pour appeler les dirigeants politiques et les chefs d’entreprise à prendre la question des changements climatiques au sérieux et à agir dès maintenant.
Ces changements, a-t-il poursuivi, provoquent d’ores et déjà des événements climatiques extrêmes. Ils sont à l’origine de la fonte de glaciers, de l’élévation du niveau des mers, d’ondes de tempête, d’intrusions salines et de l’acidification des océans. Et ils ont également un impact sur la modification des schémas de précipitations, les canicules, les incendies, les pénuries en eau, la destruction d’écosystèmes, la perte de biodiversité et la propagation de maladies hydriques.
M. Boyd a témoigné avoir vu les effets dévastateurs de ces changements lors de sa visite aux Fidji en décembre dernier. Il a visité la localité de Vunidogoloa, l’une des premières au monde à avoir été entièrement relocalisée pour raison climatique, à la suite du passage du cyclone tropical Winston en 2016. Cette tempête, a-t-il noté, a coûté 1,4 milliard de dollars aux Fidji, soit plus d’un quart de son PIB.
M. Boyd a également indiqué que lors de sa visite en Norvège, en septembre, il s’est rendu sur le territoire du peuple autochtone sami. Des représentants de ce peuple lui ont expliqué que le changement du climat rendait particulièrement difficile l’élevage des rennes, qui est au cœur de leur culture et de leur économie. Il a ajouté que sa prochaine visite aurait pour site la Dominique, où l’ouragan Maria a endommagé 90% des habitations en 2017, infligeant des pertes deux fois et demi supérieures au PIB du pays. Dans ce contexte, a-t-il dit, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime qu’au moins 150 000 décès précoces sont causés chaque année par les changements climatiques et que ce total passera à 250 000 par an d’ici à 2030. De son côté, la Banque mondiale considère qu’une augmentation de 2 °C de la température moyenne entraînerait un risque de famine pour 100 à 400 millions de personnes supplémentaires dans le monde et pourrait provoquer trois millions de décès supplémentaires pour malnutrition chaque année, en plus du déplacement forcé de millions de personnes.
Ces effets touchent de manière disproportionnée les personnes rendues vulnérables par des facteurs comme l’âge, le genre, la pauvreté, le statut autochtone, le handicap, la géographie et les origines ethniques et culturelles, a relevé M. Boyd. Il a rappelé à cet égard que cinq organes de traités de l’ONU ont publié une déclaration le mois dernier, affirmant que l’absence de mesures pour prévenir des dommages prévisibles causés aux droits de l’homme par les changements climatiques ou réguler les activités contribuant à de tels dommages pourraient constituer une violation des obligations des États en matière de droits de l’homme. De fait, a-t-il martelé, « un changement de direction radical est nécessaire » et les droits de l’homme doivent être au cœur de toute action climatique.
Pour se conformer à leurs obligations au titre des droits de l’homme et respecter l’objectif d’une limitation du réchauffement de 1,5 °C, les États doivent soumettre d’ambitieuses contributions d’ici à 2020 afin de permettre au monde de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 45% d’ici à 2030, a souligné M. Boyd. Ils devraient en outre préparer des plans de décarbonisation en vue de parvenir à une élimination totale des émissions nettes d’ici à 2050, conformément à l’Accord de Paris. Dans ce cadre, il conviendra de réduire « l’addiction » de la société aux énergies fossiles en privilégiant les énergies renouvelables, en cessant la construction de nouvelles centrales à charbon, en adoptant des législations prévoyant le passage à des transports à émission zéro et en limitant les commerces et industries recourant à des combustibles fossiles.
De l’avis du Rapporteur spécial, les États développés devraient faire la démonstration de leur leadership en interdisant les explorations de combustibles fossiles supplémentaires, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estimant qu’il ne faut pas brûler les deux tiers des réserves fossiles existantes si l’on entend limiter le réchauffement à 2 °C. Ils devront également exiger que toutes les centrales, nouvelles et existantes, soient équipées de technologies de capture et de stockage du carbone, et renoncer à toute expansion des infrastructures fonctionnant avec des énergies fossiles. Relevant en outre que les 10% des plus riches de la population mondiale sont à l’origine de la moitié des émissions dans le monde, il a jugé que c’est aux nations les plus riches de faire le plus d’efforts pour répondre à l’urgence climatique, en vertu du principe de responsabilités communes mais différenciées.
Le Rapporteur spécial a conclu son propos en donnant de « bonnes nouvelles ». Grâce à la baisse rapide du coût de technologies comme les panneaux solaires, les éoliennes et les batteries, les énergies renouvelables sont désormais compétitives avec les combustibles fossiles dans de nombreux pays. Elles représentent clairement « le meilleur choix » sur les plans économique, environnemental et social, a-t-il insisté. De surcroît, le coût de l’énergie solaire a chuté de 90%, ce qui permet de générer des capacités de 550 gigawatts, contre seulement 1 gigawatt en 2000. De même, s’est-il encore félicité, le recul du coût de l’énergie éolienne permet aujourd’hui de générer une capacité de 600 gigawatts, contre 17 gigawatts en 2000.
Dialogue interactif
La Slovénie, au nom d’un groupe de pays, a demandé plus d’informations sur les moyens de renforcer la participation du public aux activités liées au climat. Dans quels domaines sommes-nous le plus en retard?
La République tchèque s’est alarmée des attaques envers les militants environnementaux, de même que l’Union européenne qui a appelé les États à montrer plus d’ambition et à travailler ensemble dans l’esprit des objectifs de développement durable (ODD) pour que ceux qui subissent les crises environnementales ne soient pas laissés pour compte. De son côté, le Liechtenstein a souhaité savoir dans quelle mesure les changements climatiques sapent le droit à l’autodétermination.
La Fédération de Russie a noté qu’elle est mentionnée parmi les États responsables des trois quarts des gaz à effets de serre et a réaffirmé ses engagements en matière de réduction des gaz à effet de serre. Elle compte sur les autres États pour s’acquitter de leurs engagements, pointant notamment les États-Unis.
Les communautés des Fidji se heurtent à des défis importants car elles ont dû être réinstallées, notamment à cause de la salinisation des côtes, a indiqué la délégation, avant que le Brésil s’enorgueillisse d’être parvenu à une réduction de 58% de ses gaz à effet de serre. De plus, les énergies renouvelables représentent une grande partie de son énergie. Le Bahreïn a pour sa part indiqué avoir interdit l’usage de sacs plastiques.
L’État de Palestine a expliqué que l’occupation israélienne a eu des conséquences climatiques graves pour les territoires occupés, évoquant notamment l’épuisement et la pollution de ses ressources naturelles: 97% de l’eau à Gaza ne peut pas être consommée. La délégation a voulu savoir si le Rapporteur prévoit une nouvelle visite en Palestine et a demandé des précisions sur le cadre institutionnel et juridique qui permettrait de protéger des dommages environnementaux.
Tout en reconnaissant l’appel à la réduction des énergies fossiles, la Chine a appelé à respecter les besoins en développement, citant notamment la lutte contre la pauvreté. La délégation a par ailleurs constaté que l’exactitude des données émanant d’ONG citées dans le rapport n’est pas avérée et a demandé donc la prudence dans leur utilisation.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a demandé comment il peut soutenir encore mieux les efforts pour que tous les pays s’engagent. Le PNUE a également souhaité savoir comment il peut garantir une défense des droits de l’homme dans le cadre de son mandat.
Dans un premier temps, le Rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable a souligné que la participation publique est au cœur des politiques efficaces de lutte contre les changements climatiques. Parler de cette participation est un droit qui doit être garanti dès le départ, a-t-il souligné. Il a invité à s’inspirer de la Convention d’Aarhus qui regroupe plusieurs pays d’Europe et d’Asie, ainsi que de l’Accord d’Escazú en Amérique latine qui défendent un accès libre à l’information et à la prise de décisions.
Là où le bât blesse, a-t-il poursuivi, c’est la poursuite de l’utilisation des carburants fossiles. Il est impératif de les réduire et recourir à des solutions plus technologiques. Il a cité les pays qui ont accompli des efforts majeurs à cet égard, comme le Royaume-Uni, la Suède ou le Danemark, dont près de 98% de l’électricité provient de sources renouvelables.
Il s’est alarmé du fait que 200 défenseurs de l’environnement ont été tués cette année, « et cela n’est que la partie visible de l’iceberg ». Il a estimé que le système GPS peut venir en aide dans la défense de ces activistes qui, a-t-il souligné, doivent être traités en héros de l’environnement et non comme des criminels. S’agissant de la question épineuse des législations en matière de changements climatiques et les montées d’eau menaçant notamment les petits pays insulaires et les atolls, il a répondu que ces problématiques sont encore nouvelles et ne disposent pas de réponses adaptées pour le moment. Quant aux efforts de réinstallations des populations dans ces pays, notamment aux Fidji, il s’est tourné vers les grands émetteurs, les invitant à trouver des mécanismes financiers, à cet égard. Il a vu dans la taxe sur le transport aérien, une bonne source de financement. Le Rapporteur spécial a, par ailleurs, exhorté à l’arrêt immédiat du déboisement et a appelé à appuyer les efforts de reboisement. Pour finir, il a félicité l’action de la Chine dans la transformation économique du monde, en référence au développement des panneaux solaires ainsi que de la fabrication et de la vente des voitures électriques.
Exposé du Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux
M. BASKUT TUNCAK, Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux, a attiré l’attention sur la « toxification » de la planète et de nos corps, avertissant de graves risques de l’exposition incessante aux substances en termes de fertilité et de reproduction. Il a notamment alerté que la numération des spermatozoïdes a baissé de 50% depuis les années 70 dans de nombreux pays et que les études font un lien direct entre ce phénome et l’exposition aux substances toxiques.
Il a indiqué que son dernier rapport porte sur le devoir qu’ont les États Membres de prévenir les expositions aux matières toxiques. Cette obligation découle implicitement, mais clairement, de nombreux droits fondamentaux, notamment le droit à la vie, la dignité, la santé, la sécurité des aliments et de l’eau, un logement décent, des conditions de travail sûres et saines, ainsi qu’à un environnement sain. Il a salué les mesures préventives prises par certains États, citant notamment la politique nationale de la Suède pour un environnement non toxique.
Cependant, la prévention est l’exception et non la norme, a-t-il déploré. Et les gens sont sciemment exposés à une multitude de substances dangereuses qui pourraient être évitées. Ils sont légalement empoisonnés, a-t-il décrié, notant que l’autonomie personnelle de décider de ce qui entre dans notre corps a été érodée de façon constante durant ces décennies d’industrialisation et d’utilisation à outrance des produits chimiques.
Il a notamment cité « un produit de consommation » ayant tué plus d’un millier de bébés, de jeunes femmes et de personnes âgées dans un pays; la pollution atmosphérique qui tuerait plus de sept millions de personnes selon l’OMS; les matières plastiques et les déchets, y compris les microplastiques auxquels nous sommes exposés sans aucune information sur leurs propriétés; et enfin, les produits chimiques persistants qui nuiront à la reproduction pendant des siècles, ainsi que les pesticides toxiques et les métaux lourds.
Selon M. Tuncak, ce cocktail toxique serait la principale cause des décès prématurés dans le monde, provoquant une « pandémie silencieuse » de maladies et de handicaps. De plus, l’ampleur et l’impact d’un monde en pleine « toxification » augmentent plus vite que les mesures visant à prévenir toute exposition. Et le coût économique des expositions se chiffre dans les mille milliards de dollars qui pourraient être drastiquement réduits par des politiques de prévention.
Mais pendant ce temps, les États débattent à n’en plus finir pour déterminer quel niveau d’exposition est acceptable. Les États non seulement ne parviennent pas à empêcher l’exposition, mais ne reconnaissent pas non plus les conséquences potentiellement catastrophiques de leur inaction sur les personnes à l’intérieur et à l’extérieur de leurs territoires, a-t-il dénoncé. Et au lieu d’accélérer leurs efforts pour expier des décennies d’inaction, beaucoup trop d’États adoptent des mesures régressives.
Et l’ONU ne fait pas exception, a-t-il poursuivi. Il a notamment rappelé qu’entre 1999 et 2013, elle a abrité environ 600 membres des communautés roms, ashkali et égyptiennes, déplacées pendant le conflit au Kosovo, dans des camps construits sur des terres toxiques, connues depuis les années 1970 pour être contaminées par le plomb et d’autres poisons. Alors que l’ONU a agi rapidement pour relocaliser les contingents français de maintien de la paix, ces personnes sont restées sur place pendant 14 ans. La moitié d’entre elles était des enfants qui ont donc subi des blessures irréparables à leur santé mentale et physique. À ce jour, les victimes n’ont pas bénéficié d’un recours effectif, malgré les recommandations du Comité consultatif des droits de l’homme sur la question. Il a précisé qu’en 2017, un fonds d’affectation spéciale a finalement été créé pour aider à fournir un remède efficace, mais qu’un seul État Membre y a contribué et à un niveau insuffisant pour fournir un recours utile aux enfants empoisonnés.
Peu d’États ont eu le courage de reconnaître et de s’acquitter de leur devoir d’empêcher l’exposition au niveau requis pour créer un environnement véritablement sain et un lieu de travail sûr pour tous, en particulier pour ceux qui vivent dans la pauvreté, sont marginalisés ou vulnérables, a encore déclaré M. Tuncak. Apposer le préfixe « sûr » ou « sain » ou « propre » ne fera pas réaliser les droits à l’eau, à l’alimentation, à l’air, au logement ou à l’environnement et à un lieu de travail qui respecte la dignité de chaque personne à moins que la prévention de l’exposition aux substances dangereuses soit la norme plutôt que l’exception.
Dialogue interactif
Que devrions nous faire pour améliorer la situation des travailleurs qui manipulent des substances toxiques et leur permettre l’accès à la santé? a demandé l’Union européenne.
L’Angola a voulu obtenir des exemples positifs d’une gestion rationnelle des substances dangereuses, tandis que le Brésil s’est enquis de recommandations pour les travailleurs et habitants qui sont à proximité des industries minières et extractives.
Quelles mesures pourrait-on prendre pour s’assurer que le secteur privé s’acquitte de ses engagements à fournir des informations adéquates sur les produits utilisés? a demandé l’Érythrée, après que la Chine a indiqué avoir interdit l’importation de produits toxiques sur son territoire.
La Côte d’Ivoire est revenue sur la catastrophe qu’elle a connue en 2006, lors de laquelle des déchets toxiques se sont déversés. Des mesures avaient alors été prises avec l’aide des partenaires, notamment pour décontaminer les sites.
Le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux s’est inquiété des conditions dangereuses dans lesquelles travaillent certaines personnes exposées à des substances toxiques et a recommandé d’améliorer les processus d’évaluation des risques. Une meilleure approche serait, selon lui, d’évaluer le danger auquel sont exposés les individus et les environnements et de les réduire en lieu et place de fixer un seuil car « nous avons souvent sous-évalué ce risque ».
Après avoir fait part de son empressement de se rendre au Brésil pour y évaluer les mesures entreprises par le pays, il a fait savoir que la Chine a récemment interdit l’arrivée, sur son territoire, de déchets depuis les pays étrangers. Pour lui, le véritable problème en matière de gestion des déchets est celui qui concerne ceux qui sont envoyés vers des pays particulièrement vulnérables. Il faut améliorer l’environnement mondial dans ce contexte, a-t-il jugé, se référant, à cet égard, aux Conventions de Bamako et de Bâle. Il a rappelé, dans ce contexte, le tristement célèbre déversement des 550 tonnes de déchets toxiques par le navire Probo Koala dans le port d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Il a voulu finir par l’histoire de Ruben, un jeune paraguayen qui vivait dans une ferme exposée aux émanations de pesticides en provenance d’une ferme voisine. Ruben n’a pas survécu, mais la décision du Conseil des droits de l’homme (CDH) a été pour lui symbolique. Dans son compte-rendu, le CDH a estimé que les droits à la vie et à la dignité ont été violés dans ce cas précis, l’État ayant échoué à prendre des mesures adéquates pour éviter l’exposition des populations à cette pollution toxique. Pour lui, ce cas est significatif, car la plupart des pesticides utilisés au Paraguay et dans d’autres pays à faible revenu ou revenu intermédiaire, provient des pays riches. Et ces produits, notamment les pesticides particulièrement dangereux, bien qu’interdits dans ces pays riches, sont toujours produits et exportés vers les pays disposant d’un faible système de régulation. Il a décrié une exploitation pure et simple et une politique de deux poids, deux mesures en matière de protection. Il a souligné que les États ont le devoir de protéger les droits de l’homme chez eux mais également ailleurs au regard des pratiques commerciales, y compris en matière d’exportation de substances interdites. Un régime plus robuste est nécessaire à ce niveau, a-t-il martelé.
Exposé de la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation
Mme HILAL ELVER, Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation, a sonné l’alarme, soulignant que les chiffres de la faim et la malnutrition sont en hausse pour la troisième année consécutive, soit au niveau d’il y a 10 ans. Une personne sur neuf est en proie aux affres de la faim et deux milliards d’individus sont confrontés à l’insécurité alimentaire.
« Je ne cite pas ces chiffres pour choquer ou parce que l’objectif de faim zéro ne sera pas atteint en 2030, mais pour montrer, bien au contraire, que les objectifs de développement durable (ODD) peuvent devenir un outil transformateur dans la jouissance du droit à l’alimentation et d’autres droits économiques, sociaux et culturels », a-t-elle déclaré.
Mme Elver a souligné que la réalisation des objectifs de développement durable exige de s’attaquer aux inégalités ayant entravé le droit à l’alimentation. Elle a néanmoins remarqué que depuis l’adoption du Programme de développement durable à l’horizon 2030, la richesse mondiale est chaque fois plus concentrée entre les mains du 1% alors que 730 millions de personnes croupissent dans une pauvreté extrême. Les changements climatiques, eux, ont exacerbé de 25% l’inégalité entre les pays au cours du demi-siècle écoulé. D’autre part, à mesure que les plus riches s’enrichissent, le nombre d’individus vivant avec moins de 1,90 dollar par jour pourrait augmenter en 2050. Ces tendances sont contraires à l’objectif 10 relatif aux inégalités entre pays, a prévenu la Rapporteuse spéciale, recommandant une vision centrée sur l’être humain et accordant la priorité aux plus de 2,5 milliards de personnes dépendant de l’agriculture.
Or, s’est-elle érigée, au lieu de consentir ces efforts, la suppression de subventions du carburant, la hausse des prix des denrées, la corruption et les mesures d’austérité non seulement exacerbent l’inégalité mais provoquent des troubles et des crises humanitaires de par le monde. Cela est clair dans les pays du Sud, avec les événements en Haïti, au Soudan, au Venezuela ou au Zimbabwe, mais tout autant dans ceux du Nord, avec le mouvement des gilets jaunes en France et la criminalisation des pauvres aux États-Unis.
La Rapporteuse spéciale a appelé à appliquer des politiques fiscales de redistribution des dividendes, en sus d’un élargissement de l’accès aux systèmes de protection sociale compte tenu du fait que moins de la moitié de la population mondiale bénéficie d’une protection juridiquement contraignante et que la couverture est trop souvent limitée en raison d’une application et de capacités inadéquates. Ainsi, seulement 3% à 24% des personnes vivant dans une pauvreté extrême dans les pays à revenu faible ou moyen jouissent d’une couverture sociale ou de programmes d’assistance sociale, a-t-elle déploré. Au Brésil, par exemple, l’interruption de la protection sociale entre 2015 et 2017 a affecté 1,5 million de familles et contribué à la résurgence de niveaux de pauvreté d’il y a huit ans.
Pour que personne ne soit laissé de côté, elle a suggéré d’éliminer la discrimination sociale, culturelle et politique qui entrave la jouissance d’un large éventail de droits. Pour cela, il faudrait adopter une approche fondée sur les droits de l’homme tout en améliorant la reddition de comptes et le contrôle et en veillant à ce que l’implication du secteur privé soit à la fois équilibrée et réglementée.
À cet égard, Mme Elver a notamment appelé à investir davantage de ressources dans le système onusien qui est « fragmenté, cloisonné et amplement dispersé ». Elle a aussi conseillé une action plus coordonnée et cohérente entre New York et Genève pour garantir que les gouvernements se servent de leur connaissance des mécanismes des droits de l’homme pour alimenter le processus de mise en œuvre des objectifs de développement durable.
La Rapporteuse spéciale a aussi insisté sur la responsabilité des États dans la garantie du droit à l’alimentation, en rappelant l’appui massif de la jeunesse au Sommet Action Climat. « La prochaine génération était présente et a exercé sa liberté de réunion et d’expression pour exiger des responsables que le développement durable ne concerne pas seulement le présent mais également les futures générations », a-t-elle rappelé. Face à ces appels, il faut agir rapidement et résolument pour un monde exempt de la faim et de la malnutrition, a-t-elle voulu.
Dialogue interactif
Le Venezuela, au nom du Mouvement des pays non alignés, a souligné que la nourriture ne doit pas être utilisée comme un instrument de pression politique et économique, et a appelé à s’abstenir d’adopter des mesures coercitives unilatérales susceptibles d’affecter les échanges commerciaux liés à l’alimentation, avertissant que cela met en péril la sécurité alimentaire et nutritionnelle, en particulier des groupes vulnérables.
Comment évaluez-vous la coopération internationale actuelle afin de garantir des processus écologiques? a demandé l’Union européenne, qui a également voulu savoir comment les organisations régionales peuvent garantir une meilleure intégration urbaine et rurale dans le cadre des ODD.
L’Irlande a rappelé que les femmes sont plus vulnérables à l’insécurité alimentaire et a souligné l’importance d’intégrer la dimension genre à cette question. D’ailleurs, quelles sont les meilleures pratiques pour rectifier les inégalités de genre en matière d’insécurité alimentaire?
La Norvège a indiqué avoir lancé un plan d’action pour établir des systèmes alimentaires durables, dont l’objectif est une plus grande sécurité alimentaire. Le Maroc a demandé quelles mesures immédiates permettraient de prévenir l’insécurité alimentaire, les pénuries vivrières et la malnutrition dans les zones rurales. De son côté, la Chine a appelé à faire tomber les obstacles au commerce pour éradiquer la faim.
L’Azerbaïdjan a indiqué que des mesures ont été prises par le Gouvernement pour assurer les moyens de subsistance d’un million de personnes forcées de quitter leur foyer en raison de l’occupation d’une partie de son territoire. L’Azerbaïdjan va en outre adopter une loi sur la sécurité alimentaire l’an prochain et s’est déclaré à l’écoute des conseils de la Rapporteuse spéciale pour l’améliorer.
Quelles mesures permettraient de remédier aux inégalités historiques et structurelles? a demandé à son tour l’Érythrée, avant que Cuba cite des chiffres de l’UNICEF: 45% des enfants qui meurent avant l’âge de 5 ans meurent en raison de la malnutrition et de maladies liées à la faim, et un tiers des enfants dans le monde sont mal nourris. Au vu du défi majeur que représente l’objectif de la faim zéro, Cuba présentera une résolution sur l’insécurité alimentaire. « La faim est une violation de la dignité humaine », s’est écriée la délégation.
La Rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation a commencé par aborder la question de la répercussion des sanctions unilatérales dans les pays concernés. Celles-ci touchent les plus vulnérables et non les gouvernements ou les classes politiques, et ne changent rien si ce n’est d’entraîner une violation des droits de l’homme. Les classes défavorisées et moyennes paient le plus lourd tribut, a-t-elle déploré. Elle a invité, à cet égard, l’Assemblée générale à se pencher sur la question de « l’inutilité » de ses sanctions et leurs répercussions néfastes. Le Venezuela, Cuba, le Zimbabwe et tant d’autres sont malheureusement concernés.
Elle a ensuite encouragé les groupements entre régions et partenaires qui partagent des conditions météorologiques similaires afin d’établir des politiques agricoles communes qui tiennent compte de l’importance de l’alimentation. Elle a salué l’action de l’Irlande, un fervent défenseur du droit à l’alimentation, dont l’histoire, a-t-elle rappelé, a été émaillée de problèmes liés à la famine et qui, il y a deux ans, a été le chef de file pour trouver des solutions pour des pays qui ont été frappés par la famine. Pour finir, elle a souligné le rôle des femmes dans la lutte contre la malnutrition et l’insécurité alimentaire, appelant à améliorer leur accès aux ressources et à la propriété foncière pour leur permettre de démultiplier les possibilités de développement.
Suite et fin et du débat général
M. ALISHER BAKHTIYORZODA (Tadjikistan) a indiqué que les priorités de son pays sont de renforcer les mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme, l’exécution de bonne foi des engagements pris dans ce domaine, et l’élargissement de la coopération multilatérale dans le domaine de la promotion et protection des droits de l’homme.
Il a fait savoir qu’au cours des 12 dernières années, huit rapporteurs spéciaux de l’ONU ont visité le Tadjikistan pour faire le point sur l’indépendance des juges et juristes, la liberté de religion et de croyance, la violence contre les femmes, le droit de chacun à bénéficier des normes les plus élevées de santé physique et mentale, ainsi que sur le handicap, la torture, le droit à l’eau potable et l’assainissement, ou encore la liberté d’expression et d’opinion. De plus, le Tadjikistan s’est soumis cette année, pour la troisième fois, à l’Examen périodique universel, et les recommandations reçues sont à l’étude.
Mme NADYA RIFAAT RASHEED, de l’État de Palestine, a indiqué que cette année, le peuple palestinien a vu ses maisons démolies, ses terres confisquées, une expansion des colonies de peuplement et des raids militaires incessants. Elle a insisté sur les souffrances considérables qu’occasionne cette situation, sur les revers essuyés dans le processus de paix et sur l’absence de reddition de comptes s’agissant des crimes commis par les forces israéliennes et les colons. L’espoir d’une reddition de comptes s’est amenuisé, a-t-elle constaté. Le système judiciaire international a ignoré les Palestiniens, sapant ainsi le règne de la justice dans le monde, a-t-elle déploré. Elle a appelé, de nouveau, la communauté internationale à ses devoirs moraux, politiques et juridiques, en réglant la question palestinienne. « Tous les moyens légitimes, juridiques et politiques à disposition –y compris des contre-mesures et sanctions– doivent être utilisés, sans aucune hésitation », a souligné Mme Rasheed.
M. HERASYMENKO (Ukraine) a souligné qu’en tant qu’État en proie à une agression russe qui a causé une grave détérioration de la situation des droits de l’homme, en particulier dans les territoires occupés, l’Ukraine a besoin de l’implication active des mécanismes de l’ONU. Nous comptons à cet égard, a insisté le représentant, sur une interaction étroite avec le Secrétaire général et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Il a rappelé que la mission de surveillance des droits de l’homme que son pays a invitée dès 2014, a publié des rapports qui illustrent dans le détail l’ampleur des crimes commis par la Fédération de Russie en Crimée. Le premier rapport du Secrétaire général sur la question confirme d’ailleurs le refus catégorique de la Fédération de Russie de coopérer avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et son échec, en tant que Puissance occupante, à honorer ses obligations en vertu du droit humanitaire et des droits de l’homme. La Fédération de Russie, a accusé le représentant, fait toujours appliquer ses lois en Crimée, contrairement à ses obligations de respecter celles en vigueur dans le territoire occupé.
Le représentant a dénoncé les violations « généralisées » des droits civils, politiques, économiques et culturels, et des libertés fondamentales du peuple de Crimée, y compris les Tatars. Il a aussi dénoncé les dizaines d’arrestations arbitraires et a rappelé les conclusions du rapport du Secrétaire général, selon lesquelles la Fédération de Russie encourage sa propre population à immigrer dans la péninsule, en violation flagrante des Conventions de Genève. C’est une tentative claire, s’est emporté le représentant, de changer la structure démographique de la Crimée.
Malgré la libération de 35 Ukrainiens, le Kremlin, a-t-il poursuivi, continue de s’entêter à ignorer les appels des organisations internationales, des leaders politiques et de la société civile, à la libération de tous les Ukrainiens privés de leur liberté pour des raisons politiques. Le représentant a espéré que cette question continuera de retenir l’attention « spéciale et constante » du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et de l’ensemble du système des Nations Unies pour les droits de l’homme. Il a aussi parlé des violations commises dans le Donbass, une région où la mission de surveillance est toujours interdite d’accès. Cette année, a-t-il conclu, nous présenterons, une nouvelle fois, un projet de résolution sur la situation des droits de l’homme en Crimée et comme les années précédentes, nous espérons le ferme appui des pays, nombreux, qui ont foi dans les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
Mme INASS A. T. ELMARMURI (Libye) a rappelé que son pays est signataire de la majorité des conventions visant la promotion des droits de l’homme. Elle a insisté, cependant, sur l’importance de « notre droit souverain » qui s’opposera à toute approche qui va à l’encontre de la religion islamique, s’élevant notamment contre ceux qui veulent inclure des concepts sous le prétexte des droits de l’homme. Elle a indiqué que la volonté de son pays est de promouvoir les droits fondamentaux, illustrée par la candidature de la Libye au Conseil des droits de l’homme pour la période 2020-2022. En matière de développement, elle a reconnu que la Libye est loin d’avoir réalisé tous les objectifs en raison de la guerre qui a déchiré son pays et menace la mise en œuvre du développement socioéconomique. Les défis sont immenses, a-t-elle insisté, appelant la communauté internationale à aider la Libye à la réalisation de son développement d’abord à travers un arrêt de l’ingérence étrangère dans les affaires internes. « Nous aspirons à faire taire les armes et à l’édification d’un État civil avec une séparation des pouvoirs. » Dans ce contexte, elle a plaidé au retour des fonds libyens placés à l’étranger, faisant part de ses doutes au sujet des raisons invoquées et qui ont conduit au gel de ses avoirs.
M. MEKURIA GETACHEW WORKU (Éthiopie) a indiqué que suite aux récentes réformes politiques intervenues dans le pays, le Gouvernement éthiopien a mené différentes enquêtes qui ont permis l’arrestation de nombreux membres des services de renseignements et de sécurité, de la police et des administrations pénitentiaires, y compris des haut gradés. Ces arrestations marquent un tournant dans la lutte du Gouvernement contre la torture, s’est-il félicité.
Sur cette même lancée, le Gouvernement éthiopien a ouvert l’espace démocratique en libérant les prisonniers politiques, les journalistes, blogueurs et autres dirigeants de l’opposition. Il a également, grâce à la loi d’amnistie, permis le retour d’exilés politiques, afin de permettre à toutes ces personnes de participer aux consultations qui ont conduit aux réformes engagées par le Gouvernement. Des mesures ont également été prises pour permettre aux institutions nationales des droits de l’homme d’exercer leurs responsabilités de manière efficace. Ces institutions, dont la Commission éthiopienne des droits de l’homme et l’Ombudsman, ont en outre entrepris des réformes, visant notamment la désignation de dirigeants ayant une expertise internationale en matière de droits de l’homme, a assuré le représentant.
M. RICARDO DE SOUZA MONTEIRO (Brésil) a souligné que le Gouvernement brésilien accorde la priorité à la défense du droit à la vie et la promotion de la sécurité humaine. Des programmes sociaux, tels que « Enfant heureux », sont revus et affinés pour aider les femmes durant leur grossesse et pour promouvoir le développement social de l’enfant. Il a également jugé important d’appuyer la famille, dans toutes ses dimensions, tout particulièrement les familles qui font face à des situations de vulnérabilité socioéconomique.
Le Brésil s’engage aussi à assurer la liberté de religion et à combattre la violence basée sur les croyances religieuses, a poursuivi le représentant, qui s’est particulièrement inquiété des discriminations et persécutions subies par les chrétiens dans de nombreuses parties du monde.
Il a ensuite fait part de la ferme intention du Brésil de combattre les violences contre les femmes, en particulier les féminicides. À cette fin, le Gouvernement brésilien a lancé en mai un pacte national pour revoir le cadre normatif actuel, proposer des mesures concrètes pour protéger les femmes des agressions, et pour développer des initiatives préventives, y compris des programmes éducatifs.