Soixante-treizième session,
83e séance plénière - matin
AG/12146

L’Assemblée générale confirme l’appartenance de l’archipel des Chagos à Maurice et exige du Royaume-Uni le retrait de son Administration dans les six mois

L’Assemblée générale, qui a décidé aujourd’hui de célébrer en 2020 le vingt-cinquième anniversaire de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, a par ailleurs confirmé, en présence du Premier Ministre de Maurice, que l’archipel des Chagos fait partie intégrante du territoire mauricien et exigé le retrait de l’Administration britannique dans un délai maximum de six mois.

Présentée par le Sénégal, au nom du Groupe des États d’Afrique, la résolution* intitulée « Avis consultatif de la Cour international de Justice (CIJ) sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 » a été adoptée par 116 voix pour et l’opposition de l’Australie, des États-Unis, de la Hongrie, d’Israël, des Maldives et du Royaume-Uni, et 56 absentions.  

Dans ce texte, l’Assemblée générale « affirme », conformément à l’avis de la CIJ, que l’archipel des Chagos fait partie intégrante du territoire mauricien et que son maintien sous l’Administration du Royaume-Uni constitue un fait « illicite » qui engage la responsabilité internationale de ce dernier, tenu d’y mettre fin dans un délai maximum de six mois.  Le détachement de l’archipel n’ayant pas été fondé sur l’expression « libre et authentique » de la volonté du peuple mauricien, la décolonisation de Maurice n’a pas été « validement » menée à bien, souligne l’Assemblée générale.

Pendant très longtemps, a rappelé le Sénégal, l’Afrique a été victime de la colonisation et de l’esclavage.  Or, perpétuer un état de décolonisation « inachevée » n’est certainement pas compatible ni avec la Charte ni avec le droit international.  Le Sénégal est revenu sur l’historique des démarches de l’Union africaine pour permettre à un de ses États membres d’exercer sa propre souveraineté sur l’ensemble de son territoire, conformément au droit international.  S’exprimant avant le vote, il a exhorté tous les États à faire le « choix de la justice et du respect de l’état de droit » afin d’aider l’Afrique à surmonter « les traumatismes d’un douloureux passé colonial ».  Au nom du Mouvement des pays non alignés, le Venezuela a réaffirmé son soutien « inébranlable » à la décolonisation et au respect du droit à l’autodétermination.  

Le Premier Ministre de Maurice, M. Pravind Kumar Jugunauth, s’est félicité de l’avis « historique » de la CIJ, un avis consultatif « clair, sans ambiguïté aucune et qui ne laisse de place ni au doute ni à l’interprétation », tout en rejetant qu’un document signé entre un colon et un colonisé peut être considéré comme « un accord international ».  Le Chef du Gouvernement mauricien a insisté sur la disposition qui dit: « la question de la réinstallation des nations aux mauriciens, y compris ceux d’origine chagossienne, doit être examinée sans tarder lors du parachèvement du processus de décolonisation ».

Victime d’un « crime contre l’humanité », a poursuivi le Premier Ministre, les Chagossiens ont fait l’objet d’un programme de réinstallation, écarté immédiatement par le Gouvernement britannique.  Il a critiqué les raisons sécuritaires avancées du Royaume-Uni, qui explique le contrôle du territoire par la nécessité de faire barrage au terrorisme.  Nous saurons défendre notre territoire, a assuré le Premier Ministre.

Pour nous, a réitéré aujourd’hui le Royaume-Uni, la stabilité et la sécurité de l’océan Indien sont « cruciales ».  Il a argué de la position du détroit de Malacca par lequel en 2017, des navires ont transité plus de 84 000 fois et du golfe d’Aden par lequel passe, chaque année, le huitième du commerce maritime mondial.  Les infrastructures de défense américano-britanniques dont la base de Diego Garcia jouent un rôle « vital » dans la protection de nos alliés et amis, y compris Maurice, a souligné le Royaume-Uni.  Ces infrastructures sont essentielles pour la lutte contre le terrorisme, les drogues, la criminalité et la piraterie. 

L’archipel des Chagos relève d’un différend de souveraineté « bilatéral » qui n’est en aucun cas une question de « décolonisation », a conclu le Royaume-Uni, arguant du caractère « juridiquement non contraignant » de l’avis consultatif de la CIJ.  Ce qui est contraignant, c’est l’accord de 1965 en vertu duquel Maurice a cédé l’archipel en échange de compensations financières.     

Le Royaume-Uni doit tirer les bonnes leçons de l’avis de la CIJ, a commenté l’Argentine, en appuyant la résolution aux côtés du Nicaragua, de la Syrie, de Chypre et de la Namibie.  Comment peut-on solliciter l’avis de la Cour sans consulter l’autre partie? se sont étonnés les États-Unis, devant « une mauvaise interprétation » des fonctions consultatives de la CIJ.  La juridiction de la Cour, a renchéri l’Australie, appuyée par Israël, ne devrait pas être invoquée pour statuer sur des différends bilatéraux et il ne revient certainement pas à l’Assemblée générale de faire appliquer un avis non contraignant, dans un délai « déraisonnable ».  La résolution adoptée aujourd’hui est « un précédent dangereux », ont dit craindre les États-Unis, en écho aux propos du Royaume-Uni.

Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de faire le tri des avis consultatifs à respecter ou à ne pas respecter, ont répliqué les Seychelles, qui abritent une communauté chagossienne et, s’agissant de la sécurité de l’océan Indien, l’Inde a pressé les gouvernements concernés d’arriver à une entente mutuellement acceptable sur cette « question distincte ».  Singapour a aussi demandé aux parties de régler leur différend « sans délai artificiel ».  De tels problèmes ne peuvent être résolus que par un dialogue bilatéral, a prévenu le Royaume-Uni « sincèrement désolé » de la manière dont les Chagossiens ont été expulsés de leur territoire en 1970.  Profitant de l’occasion pour répondre à l’Argentine, il a confirmé que rien ne changera dans le statut des îles Falkland tant que les habitants de ce territoire n’auront pas changé d’avis.

Les Émirats arabes unis ont, à leur tour, saisi cette occasion pour dénoncer la colonisation iranienne des Petite et Grande-Tounb et d’Abou Moussa.  Ces accusations sont infondées et hors sujet, s’est impatienté l’Iran, rappelant que ces îles étaient iraniennes bien avant la constitution des Émirats arabes unis.  La Finlande a confirmé sa position de principe qui consiste à respecter en tout temps le droit international.  La Fédération de Russie a fait de même, tout en doutant de la compétence de la Cour sur un différend bilatéral.  La Cour reconnaît d’ailleurs, a décelé la Chine, que sa saisine se base sur le consentement des pays concernés.

Le rôle de la CIJ a été applaudi par l’Autriche, l’Indonésie, le Portugal et le Liechtenstein, qui a avoué avoir souhaité un engagement « plus fort » de Maurice en faveur du retour des Chagossiens.  La Suisse et la Thaïlande se sont dites confiantes quant à la perspective d’une solution constructive.  Le Costa Rica, qui a rappelé avoir renoncé à une armée depuis plus de 60 ans, s’est dit convaincu que les différends peuvent toujours être réglés par le dialogue et la compréhension mutuelle.  Le Canada a également lancé des encouragements au dialogue.

La Turquie a dit s’être abstenue au motif que la CIJ ne devrait pas traiter de différends bilatéraux.  La résolution, a estimé la Nouvelle-Zélande, autre abstentionniste, a été adoptée en « trop peu de temps », étant donné que la Cour n’a rendu son avis que le 25 février dernier.  Les négociations entre les deux doivent reprendre pour prévenir toute menace à la sécurité et la paix internationales, a exhorté le Japon, lequel s’est aussi abstenu comme le Chili, qui a estimé que la question ne saurait en effet être réglée par une résolution de l’Assemblée générale.

Après ce débat au cours duquel Maurice, l’Argentine et le Royaume-Uni ont exercé leur droit de réponse, l’Assemblée générale a décidé**, pour célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Conférence de Beijing) et accélérer les progrès sur la voie de l’égalité femmes-hommes et de l’autonomisation de toutes les femmes et de toutes les filles, de tenir en marge du débat général de sa soixante-quinzième session une réunion de haut niveau d’une journée dont les conclusions seraient présentées sous la forme d’un résumé de la présidence.  L’année prochaine, a dit le Kenya, en présentant la résolution, nous évaluerons les progrès accomplis aux niveaux local, national, régional et international.  À ce jour, a reconnu la Présidente de l’Assemblée générale, Mme María Fernanda Espinosa Garcés, aucun pays n’est parvenu à l’égalité entre les sexes.  À ce rythme actuel, il faudra plus de 208 années pour y arriver.  Elle a annoncé qu’elle nommera des facilitateurs pour que la réunion de haut niveau débouche sur une accélération effective des progrès et envoie un message « percutant ».

*A/73/84/Rev.1

**A/73/L.86

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