En cours au Siège de l'ONU

Soixante-treizième session -
74e séance plénière – matin & après-midi
AG/12135

L’Assemblée générale célèbre le centenaire de l’Organisation internationale du travail (OIT) et son plaidoyer pour « la renaissance du contrat social »

« La renaissance du contrat social. »  C’est peut-être la revendication qu’il faudra retenir de la réunion que l’Assemblée générale a tenue aujourd’hui pour célébrer le centenaire de l’Organisation internationale du Travail (OIT), créée en 1919 au lendemain de la Première Guerre mondiale avec l’idée de « poursuivre une vision basée sur le principe qu’il ne saurait y avoir une paix universelle et durable sans un traitement décent des travailleurs ».  Le Directeur général de l’OIT, plateforme unique où travailleurs, employeurs et gouvernements se retrouvent pour trouver ensemble des solutions, a voulu que cette commémoration soit un moment de réflexion sur la voie à suivre.

Le monde du travail, s’est expliqué M. Guy Ryder, passe par des transformations sans précédent qui, si elles offrent de nouvelles opportunités, génèrent aussi des inquiétudes et des peurs.  Le Directeur général a précisé que son Organisation et ses consœurs du système multilatéral opèrent dans un contexte marqué par de grandes incertitudes et une désillusion croissante par rapport aux perspectives de progrès socioéconomiques.  Les gens réclament « la renaissance du contrat social » entre les gouvernements et leurs peuples, entre les travailleurs et le capital, un contrat fondé sur la justice, l’équité, la coopération, le développement, l’égalité des chances, la prospérité, l’inclusivité et la durabilité, a-t-il martelé.  Il s’est félicité de ce que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 soit une réponse à ces revendications.

Parmi ses 17 objectifs, le Programme en contient un sur le travail décent qui vise d’ici à 2030, le plein emploi productif et la garantie à toutes les femmes et à tous les hommes, y compris les jeunes et les personnes handicapées, d’un travail décent et d’un salaire égal pour un travail de valeur égale.  Ce huitième objectif vise aussi la réduction considérable, d’ici à 2020, de la proportion des jeunes non scolarisés et sans emploi ni formation.  Comme en cette ère de quatrième révolution industrielle, l’économie numérique opère dans un monde sans frontières, le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, a attribué un rôle de premier plan aux organisations internationales pour définir les contours du travail de demain.

C’est d’ailleurs cette vision vers l’avant, a fait observer le Directeur général de l’OIT, que reflète le rapport publié en janvier dernier par la Commission mondiale de l’Organisation sur l’avenir du travail.  Ses 10 recommandations majeures appellent à une série d’investissements dans les capacités humaines, les institutions du travail et les emplois décents et durables et cela suppose, a-t-il prévenu, que tous les acteurs assument leurs responsabilités, y compris le système multilatéral qui doit veiller à plus de cohérence entre les secteurs du travail, de la finance et du commerce.

Les défis sont énormes, a rappelé la Présidente de l’Assemblée générale, Mme MarÍa Fernanda Espinosa Garcés.  Plus de 40 millions de personnes sont victimes de l’esclavage moderne et quelque 190 millions sont chômeurs, dont le tiers sont des jeunes, lesquels représentent aussi la moitié des 300 millions de travailleurs pauvres.  Les travailleurs d’aujourd’hui ont besoin de compétences totalement nouvelles et d’un nouveau système de formation pour s’adapter à l’évolution du marché du travail, a estimé la Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC), Mme Rhonda King.

La question centrale est de savoir si l’on sera en mesure de dégager un consensus sur les droits et la justice sociale consacrés par la Constitution de l’OIT.  N’oublions pas que les problèmes du XXIe siècle sont aussi graves que ceux de 1919, a souligné la Secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, Mme Sharan Burrow.  Or, des milliards de dollars sont dépensés chaque année pour l’armement pendant que les salaires stagnent.  Cela prouve, a argué la représentante du grand groupe des enfants et des jeunes, Mme Jolly Amatya, que le modèle actuel est loin d’être équitable, sans compter qu’il détruit l’environnement.  « Comme il appartient à chacun d’entre nous de bâtir un avenir sûr et prospère », les employeurs aussi veulent faire partie de la solution, a affirmé le Président de l’Organisation internationale des employeurs (OIE), M. Erol Kiresepi.

« L’Histoire nous apprend ce que nous pouvons réaliser.  Mais elle nous apprend aussi ce que serait le prix de notre échec », a mis en garde le Directeur général de l’OIT, avant le démarrage du débat général et de sa soixantaine de participants et des deux tables rondes sur « le travail décent pour tous » et « l’avenir du travail ».  La célébration du centenaire de l’OIT devrait s’achever demain jeudi 11 avril, à l’issue d’une séance prévue à partir de 10 heures.

APPLICATION ET SUIVI INTÉGRÉS ET COORDONNÉS DES TEXTES ISSUS DES GRANDES CONFÉRENCES ET RÉUNIONS AU SOMMET ORGANISÉES PAR LES NATIONS UNIES DANS LES DOMAINES ÉCONOMIQUE ET SOCIAL ET DANS LES DOMAINES CONNEXES

Réunion plénière de haut niveau pour célébrer le centième anniversaire de l’Organisation internationale du Travail (OIT)

Déclarations liminaires

Mme MARÍA FERNANDA ESPINOSA GARCÉS (Équateur), Présidente de l’Assemblée générale, a déclaré que cette remarquable Organisation a inauguré beaucoup de « premières ».  L’OIT est la première agence spécialisée des Nations Unies, première à réunir ensemble les gouvernements, les employeurs et les travailleurs dans le dialogue en cours sur la justice sociale et première organisation à exprimer clairement l’importance de donner aux travailleurs une part dans le processus de prise de décisions, faisant connaître leur contribution essentielle à la paix et la prospérité durables.  C’est à donc à juste titre que l’Assemblée générale célèbre l’impact transformateur de l’OIT sur le tissu de nos sociétés et sur notre vie quotidienne.

Le travail décent est l’une de mes priorités durant cette session, a poursuivi la Présidente.  C’est la clef pour rendre l’ONU plus pertinente aux yeux des peuples.  C’est un moyen de démontrer l’impact concret et quotidien des accords internationaux tels que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et des organismes multilatéraux tels que l’OIT.  Cet anniversaire est non seulement une occasion de réfléchir aux nombreuses réalisations de l’OIT mais aussi de renforcer notre détermination à réaliser l’objectif 8 du Programme 2030 relatif au travail décent pour tous.

Rappelant ce qui a été fait en 100 ans, Mme Espinosa Garcés a compté plus de 180 conventions relatives au travail, allant de l’égalité des sexes au travail forcé.  Nous avons des programmes qui soutiennent la mise en œuvre de ces conventions, y compris par le biais de l’éducation et de la formation.  Mais malheureusement, l’injustice reste la réalité pour des millions de gens.  Plus de 40 millions de personnes sont victimes de l’esclavage moderne, plus du double du nombre des victimes de la traite transatlantique des esclaves pourtant un des chapitres les plus sombres de l’histoire de l’humanité.  Le monde compte aussi 190 millions de chômeurs dont le tiers sont des jeunes.  Sur les 300 millions de travailleurs pauvres, la moitié sont des jeunes.  De plus, 2 milliards de personnes travaillent dans le secteur informel souvent sans protection sociale. 

C’est le contexte dans lequel nous devons réaliser le travail décent qui est au centre de nos efforts pour éradiquer la pauvreté et les inégalités.  Le travail décent est la clef pour ne laisser personne de côté et pour autonomiser les femmes, les jeunes, les minorités, les peuples autochtones et les personnes handicapées.  L’OIT est le porte-drapeau de cet objectif.  Elle ouvre la voie de l’avenir du travail pour que nous exploitions les opportunités qui s’offrent à nous et atténuions les risques liés aux changements rapides dans la technologie, la démographie et le climat. 

En juin, les États recevront les résultats de la Conférence internationale du travail et une chose est sûre: les questions de justice sociale deviendront plus importantes au fur et à mesure que le monde du travail changera.  L’idée d’une organisation internationale du travail, qui ressemblait à « un rêve fou », est devenue une réalité.  Nous devons veiller à ce que le rêve d’un travail décent pour tous devienne également une réalité, a conclu la Présidente.

Rappelant, à son tour, le contexte historique de la création de l’OIT, le Secrétaire général de l’ONU, M. ANTÓNIO GUTERRES, a rappelé qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, les dirigeants mondiaux se sont réunis à Versailles pour affirmer un principe qui résonne encore aujourd’hui: « Une paix universelle et durable ne peut émerger que si elle se fonde sur la justice sociale. »  Ce sont les premiers mots de la Constitution de l’OIT.

À cette époque, les travailleurs réclamaient un traitement juste, des conditions de travail dignes, une journée de travail de huit heures et la liberté de s’associer.  Les nations du monde savaient qu’elles devaient coopérer pour en faire une réalité, donnant naissance à l’OIT.

Alors que l’Organisation est l’un des membres les plus anciens de la famille des Nations Unies, elle est également l’une des plateformes uniques du système international: un modèle de gouvernance tripartite qui est la source de sa force et de sa légitimité.  L’OIT est une plateforme où les travailleurs, les employeurs et les gouvernements se retrouvent pour trouver ensemble des solutions partagées.

Grâce à ce modèle de gouvernance tripartite et consultatif, l’OIT a pu régulièrement « tâter le pouls » des préoccupations des gens et jouer un rôle essentiel pour favoriser le progrès social.  Ces dernières années, elle a été à l’avant-garde pour reconnaître la nécessité de rendre la mondialisation plus juste, un concept qui se retrouve dans le Programme 2030, a souligné le Secrétaire général.  L’OIT, a-t-il poursuivi, a été une voix puissante pour le travail des jeunes et des femmes et pour la justice sociale partout dans le monde.

Nous vivons une époque de graves incertitudes graves, a reconnu M. Guterres, en citant les importantes perturbations dans le marché de l’emploi et le changement du concept même du travail.  Or, a-t-il alerté, nous ne sommes pas prêts.  Nous avons besoin d’investissements énormes dans l’éducation, mais aussi d’une éducation différente.  Il ne s’agira plus seulement d’apprendre mais d’« apprendre comment apprendre ».  Il nous faut une nouvelle génération de politiques de protection sociale et mobiliser plus que jamais gouvernements et autres acteurs pertinents. 

Le Secrétaire général a salué l’approche préconisée par l’OIT qui met l’accent sur l’être humain s’agissant de l’avenir du travail afin de donner un nouvel élan au contrat social dans l’ère numérique. 

L’économie numérique opérant dans un monde sans frontières, les organisations internationales ont un rôle de premier plan à jouer pour définir les contours du travail de demain que « nous souhaitons ».  Le centenaire de l’OIT est, pour le Secrétaire général, l’occasion de renouveler l’engagement de la communauté internationale en faveur de la coopération internationale, de la paix et de la justice sociale.

Pour M. GUY RYDER, Directeur général de l’Organisation internationale du Travail (OIT), l’Organisation est le résultat le plus positif et le plus durable du Traité de Versailles.  « Sa naissance a été conçue comme un premier pas vers la construction d’un système multilatéral, un précurseur de ce qu’est l’ONU aujourd’hui ».  L’OIT a eu le pouvoir de négocier et de superviser les règles internationales du travail grâce à une action conjointe entre gouvernements, travailleurs et employeurs.  Jamais l’idée de « nous, les peuples » n’a pris une forme aussi inclusive.

La plus grande réalisation des 25 premières années de l’OIT a été sa survie, a souligné le Directeur général, en parlant d’une période marquée par la grande dépression, l’autoritarisme, un nouveau conflit mondial et l’effondrement de la Ligue des Nations.  Alors que les dirigeants du monde s’apprêtaient à créer l’ONU, l’OIT adoptait la Déclaration de Philadelphie, « concise, convaincante et véritablement une vision pour un monde meilleur ».

Avec cet énoncé « révolutionnaire » des droits, la Déclaration de Philadelphie est devenue une source d’inspiration pour la Déclaration universelle des droits de l’homme et a jeté les bases du futur rôle de l’OIT en tant qu’agence spécialisée des Nations Unies.  L’OIT et l’ONU se sont tout de suite engagées dans ce partenariat, et les premières 50 années ont culminé avec le prix Nobel décerné en 1969 à l’OIT.  Le Directeur général a repris les paroles du Président du Comité Nobel qui avait dit à l’époque: il y a très peu d’organisations qui ont su traduire dans les actes l’idée morale sur laquelle elles se fondent, comme a su le faire l’OIT. 

À partir de là, l’OIT a poursuivi sa route et le nombre de ses membres n’a cessé d’augmenter grâce à l’accession à l’indépendance d’un grand nombre de pays colonisés.  Il a alors fallu que l’OIT relève les défis posés par ces nouvelles nations et c’est ce qu’elle a fait en développant ses programmes de coopération technique.

À son soixante-quinzième anniversaire, l’OIT bénéficiait d’une adhésion universelle dans un monde au seuil de la mondialisation, un monde où la confrontation entre deux idéologies et deux systèmes politiques était révolue.  Le triomphe apparent de l’économie libérale a pourtant marqué un nouveau chapitre compliqué pour l’OIT, car il fallait insérer une dimension sociale à un modèle de mondialisation animé par la dérégulation des marchés et les nouvelles technologies.  La Déclaration de l’OIT sur les principes et droits fondamentaux du travail et son agenda « travail décent-emplois-protection sociale-dialogue social-droits » représentent sa réponse au défi de la mondialisation et sont encore aujourd’hui au cœur de sa stratégie.  Ce sont les piliers mêmes des objectifs de développement durable, a fait observer M. Ryder.

Plutôt qu’une occasion de célébrer, le centenaire de l’OIT est un moment de réflexion sur la voie à suivre pour l’avenir, car le monde du travail passe par des transformations sans précédent.  Même si ces changements apportent avec eux de nouvelles opportunités, ils génèrent aussi de profondes inquiétudes, des peurs et une instabilité.

Aujourd’hui, a insisté le Directeur général, l’OIT et les autres organisations du système multilatéral opèrent en effet dans un contexte marqué par de grandes incertitudes et une désillusion croissante par rapport aux perspectives de progrès socioéconomiques.  Le principe même du multilatéralisme est remis en question et les gens sont nombreux à douter de la capacité de leurs leaders et de leurs institutions d’apporter des réponses crédibles à leurs besoins et préoccupations les plus pressants.  Les gens demandent une renaissance du contrat social entre les gouvernements et leurs peuples, entre les travailleurs et le capital, un contrat fondé sur la justice, l’équité, la coopération, le développement, l’égalité des chances, la prospérité, l’inclusivité et la durabilité.  M. Ryder s’est donc félicité que le Programme 2030 soit une réponse à ces revendications. 

Le Programme, s’est-il expliqué, est centré sur le travail décent.  Sous le leadership du Secrétaire général de l’ONU, l’OIT doit veiller à ce que personne ne soit laissé de côté.  C’est cette vision vers l’avant que reflète le rapport publié en janvier dernier par la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail.  Les 10 recommandations majeures du rapport s’inscrivent dans une approche centrée sur la personne.  La Commission y souligne que l’avenir ne se décide pas à notre place.  Il s’agit de faire les choix qui s’imposent pour « l’avenir que nous voulons ».  La Commission appelle à une série d’investissements dans les capacités humaines, les institutions du travail et les emplois décents et durables.  Cela suppose que tous les acteurs assument leurs responsabilités, y compris le système multilatéral qui doit veiller à plus de cohérence entre les secteurs du travail, de la finance et du commerce, a conclu M. Ryder en déclarant que « l’Histoire nous apprend ce que nous pouvons réaliser.  Mais elle nous apprend aussi ce que serait le prix de notre échec. »

Déclarations

Mme INGA RHONDA KING (Saint-Vincent-et-les Grenadines), Présidente du Conseil économique et social (ECOSOC), a déclaré qu’une paix universelle et durable ne peut être établie que si elle est fondée sur la justice sociale, les droits de l’homme, la dignité de la personne, l’état de droit et la non-discrimination.  La Présidente a ajouté que l’objectif 8 de développement durable sur le travail décent pour tous a un rôle essentiel à jouer dans la réalisation de la justice sociale et, ce faisant, dans la réalisation du Programme 2030.  Elle a reconnu, à son tour, la nécessité de transformer les compétences des travailleurs et les profils professionnels.  Les travailleurs d’aujourd’hui ont besoin de compétences totalement nouvelles et d’un nouveau système de formation pour s’adapter à l’évolution du marché du travail, a estimé la Présidente, qui a prévenu que les préoccupations sociales et environnementales auront de plus en plus d’impact sur le travail. 

Le Forum politique de haut niveau qui se réunira en juillet, a-t-elle annoncé, procédera à un examen approfondi de l’objectif 8 du Programme 2030 et d’autres objectifs associés comme l’éducation de qualité, la réduction des inégalités, les changements climatiques et les sociétés pacifiques et inclusives.  Mme Rhonda King a reconnu que l’OIT est depuis longtemps un partenaire « actif et engagé » de l’ECOSOC et appelé à redoubler d’efforts pour maintenir l’élan autour du Forum politique de haut niveau et dans la mise en œuvre du Programme 2030, pour ne laisser personne de côté.

Pour la Secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale, Mme SHARAN BURROW, les difficultés du XXIe siècle sont aussi graves que celles de 1919.  La question centrale est de savoir si l’on sera en mesure de dégager un consensus sur les droits et la justice sociale consacrés par la Constitution de l’OIT.  Elle s’est en effet dite profondément préoccupée par « l’érosion » du contrat social qui a commencé dans les années 70 et par l’aggravation des inégalités dans le monde.  Jusqu’à 94% des travailleurs des chaînes d’approvisionnement dans le monde font partie de la main d’œuvre « cachée et mal rémunérée ».  La stagnation des salaires se poursuit par ailleurs dans le monde entier avec l’aggravation « inéluctable » des troubles sociaux.  De plus, 60% de la population active dans le monde travaille dans le secteur informel.  Les peuples, a prévenu la Secrétaire générale, perdent confiance dans les institutions et dans la démocratie elle-même. 

L’érosion du contrat social met en danger le multilatéralisme.  Le moment est venu, a pressé Mme Burrow, de renouveler ce contrat et de réaliser le huitième objectif de développement durable.  Pour ce faire, a-t-elle estimé, il faudra réaffirmer l’indépendance et le mandat de l’OIT et l’attachement aux droits fondamentaux, dont celui d’une protection sociale pour tous les travailleurs.  Les perturbations créées par le numérique exigent de nouvelles approches et de nouvelles normes pour les travailleurs, les employeurs et les gouvernements, a souligné la Secrétaire générale, qui a plaidé pour que les institutions de Bretton Woods placent au cœur de leurs priorités la promotion d’une concurrence « loyale et équitable », seul moyen d’assurer le travail décent pour tous. 

M. EROL KIRESEPI, Président de l’Organisation internationale des employeurs (OIE), a annoncé que son Organisation célèbrera également son centenaire en 2020.  Les conventions et recommandations de l’OIT comptent beaucoup pour les entreprises, a-t-il affirmé.  Bien que « l’avenir » du travail puisse ressembler à un concept abstrait, les changements technologiques et démographiques ont une réelle influence sur les entreprises.  « Comme il appartient à chacun d’entre nous de bâtir un avenir sûr et prospère », les employeurs veulent faire partie de la solution.  L’OIE, a souligné le Président, veut contribuer à une OIT robuste capable de trouver des solutions aux problèmes urgents et d’assurer un travail décent pour tous.  

La représentante de la jeunesse du grand groupe des enfants et des jeunes, Mme JOLLY AMATYA, a mis, à son tour, l’accent sur le recul du contrat social.  De nos jours, a-t-elle dénoncé, quelques milliards de dollars sont dépensés chaque année pour l’armement alors que les salaires stagnent, malgré l’augmentation substantielle de la productivité.  Cela prouve, a-t-elle dit, que le modèle actuel est loin d’être équitable, sans compter qu’il détruit l’environnement.  Dans ce contexte « alarmant » les jeunes ont commencé à agir, « conscients qu’il n’y aura pas d’emplois à protéger sur une planète morte ».  Le huitième Forum de la jeunesse a lancé un appel pour que l’on dépasse les PIB et que l’on définisse de nouvelles stratégies de développement dont une période de décroissance puisque le modèle actuel ne sert ni les gens ni la planète.  Il faut, a plaidé l’oratrice, une action collective fondée sur l’équité, car seules les démocraties équitables et inclusives pourront promouvoir l’innovation.  Les institutions actuelles doivent être remaniées et s’aligner avec le Programme 2030 pour ne pas perpétuer l’injustice.  Les jeunes, a-t-elle conclu, veulent que l’on travaille ensemble pour une planète juste et pacifique.

Table ronde sur « les engagements inachevés pour parvenir au travail décent pour tous »

Avant de se pencher sur le fond de certaines des questions que l’OIT et la communauté internationale devront aborder dans les mois et années à venir dans le contexte du Programme 2030, comme l’a rappelé le Directeur général de l’OIT, M. GUY RYDER, la Présidente de l’Assemblée générale, Mme MARÍA FERNANDA ESPINOSA GARCÉS, a planté le décor des deux tables rondes.

Le huitième objectif de développement durable qui prévoit un travail décent pour tous signifie concrètement qu’il faudra créer 40 millions d’emplois par an d’ici à 2030.  Cela suppose des investissements responsables dans la formation et dans la qualité des emplois.  De nos jours, la plus grande partie des travailleurs est dans la précarité avec un accès limité à la protection sociale.  Le monde compte des millions de travailleurs pauvres sans perspective d’avenir pour leurs enfants.  Il faut, a poursuivi la Présidente de l’Assemblée générale, augmenter le nombre des femmes sur le marché du travail, sachant qu’en 2018, seules 48,5% d’entre elles travaillaient contre 75% chez les hommes.  L’autre impératif majeur est la réduction de l’écart salarial entre hommes et femmes qui est toujours de l’ordre de 20%. 

Mme Espinosa Garcés a également mis l’accent sur la nécessité de former la main d’œuvre aux compétences de demain, un point qui a été repris par la plupart des panélistes.  Le Directeur du Centre du développement durable de la « Columbia University », M. JEFFREY SACHS, a même affirmé que les investissements dans l’éducation et la formation sont les investissements les plus importants et les plus pertinents que les pays peuvent faire.  Déjà aujourd’hui, a fait observer M. MTHUNZI MDWABA, Président-Directeur général de « TZoro IBC » et Vice-Président de l’Organisation internationale des employeurs (OIE), 40% des employeurs ont du mal à trouver une main d’œuvre qualifiée.  Par conséquent, il va falloir repenser les curriculums des écoles, des universités et de la formation professionnelle.  D’ailleurs, a poursuivi le Directeur du Centre du développement durable de la « Columbia University », si l’Afrique connaît une croissance économique sans création d’emplois, c’est à cause du faible taux d’éducation.  En Afrique subsaharienne, seul un quart des enfants finit le cycle secondaire.  Cela est d’autant plus tragique qu’aujourd’hui les perspectives d’emplois sont directement liées au niveau de formation.  Il n'y aura plus de bons emplois sans bonne éducation à cause des robots.  Les pays africains, a-t-il souligné, n’ont pas les moyens de réaliser seuls le quatrième objectif de développement durable relatif à l’éducation.  L’aide publique au développement (APD) doit donc porter sur l’éducation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.  Le Directeur a fustigé son pays, les États-Unis, pires acteurs de l’APD.  Le Président Donald Trump a d’ailleurs l’intention de réduire l’enveloppe de 25% de plus.

L’automatisation va supprimer 75 millions d’emplois d’ici à 2022 mais elle va aussi en créer 33 millions, a renchéri la Présidente de l’Assemblée générale, voyant là « une occasion que l’on ne saurait manquer ».  La quatrième révolution industrielle peut donc ouvrir une ère nouvelle d’intégration sociale pour autant qu’elle soit servie par des politiques et des cadres règlementaires adaptés aux nouveaux types d’emploi.  Le travail n’étant pas une marchandise mais un droit international fondamental et une condition préalable de la dignité humaine, elle a insisté sur le fait que justice sociale et développement durable vont de pair.  Le travail décent est une des promesses principales du Programme 2030, a-t-elle insisté.

Nous parlons donc « d’engagements inachevés », a dit le Directeur général de l’OIT face au « chômage de masse » dans un monde où les inégalités sociales, l’esclavage moderne et le travail des enfants subsistent.  Toute la question est de savoir comment nous allons façonner le monde du travail dans le contexte de la numérisation, des changements climatiques, de la dégradation de l’environnement et des défis énormes des données démographiques.  La Conférence de l’OIT, qui aura lieu en juin 2019, sera l’occasion d’adopter une déclaration du centenaire sur l’avenir du travail, a souligné le Directeur général, qui s’est engagé à tenir compte des remarques, recommandations et idées qui auront émergé ici.

Les valeurs fondamentales de l’Europe restent les mêmes qu’il y a 100 ans, a déclaré, par visioconférence, le Président de la Commission européenne, M. JEAN-CLAUDE JUNCKER.  Pas de croissance économique sans justice sociale, acceptation de compromis au nom de l’intérêt général et promotion du multilatéralisme, a-t-il énuméré.  Voilà pourquoi le Programme 2030 est au cœur de notre action, a-t-il dit, et voilà pourquoi l’Union européenne a noué des partenariats avec l’Afrique sur le développement durable.  Nous sommes d’ailleurs les premiers partenaires au développement de l’Afrique, a insisté M. Juncker. 

À sa suite, gouvernements, société civile, travailleurs, employeurs et universitaires ont donné leur point de vue.  Le Ministre du travail de l’Uruguay, M. ERNESTO MURRO, a défendu avec force le dialogue social.  Dans mon pays, s’est-il enorgueilli, la négociation collective des salaires et des conditions de travail est « obligatoire » et a permis de déboucher sur 16 années de croissance économique.  Les salaires et les pensions ont augmenté de 55% en 14 ans et 95% des plus de 65 ans ont une protection sociale.  Depuis 2012, le nombre des femmes du secteur informel est inférieur à celui des hommes.  Le Gouvernement mise sur la protection sociale universelle, l’amélioration des secteurs de la santé et de l’éducation et les réformes fiscales pour augmenter l’impôt des riches sur le revenu.  Le Ministre s’est dit fier que l’Uruguay soit compté parmi les pays qui ont le moins d’inégalités et la meilleure répartition des revenus.  Dans le monde actuel le leadership politique n’a pas le choix: il doit agir, assumer ses responsabilités et prendre des décisions politiques qui assurent le progrès.

Les décideurs politiques doivent reconnaître les mérites des associations s’ils veulent atteindre le plein emploi, a conseillé Mme REEMA NANAVATY, de la « Self Employed Women’s Association – SEWA », en Inde, qui travaille depuis 35 ans dans l’organisation du secteur informel pour sortir les femmes de la pauvreté.  Nous aidons, a-t-elle expliqué, les femmes à accéder au crédit, aux marchés et aux services de base.  Avec la mondialisation, a-t-elle constaté, on s’est beaucoup éloigné de la production et de la consommation locales.  D’ailleurs, la triste réalité du travail des enfants, 10% des enfants dans le monde, est liée au fait que les parents n’ont ni sécurité de l’emploi ni compétences nécessaires pour transiter vers la quatrième révolution industrielle.  Entre temps, on pourrait déjà reconnaître comme emploi méritant une couverture sociale le travail de celles qui s’occupent de leurs enfants, des personnes âgées ou des personnes handicapées.

Rien n’avancera sans le secteur privé, a dit le Président-Directeur général de « TZoro IBC » et Vice-Président de l’Organisation internationale des employeurs (OIE).  Toutes les politiques économiques, a-t-il prévu, doivent tendre vers la création d’un environnement propice à l’entreprenariat, créateur d’emplois.  Création d’emplois et protection de l’environnement doivent aller de pair, a martelé le Directeur du Centre pour le développement durable de la « Columbia University ».  Il a chiffré à 150 milliards par an les dégâts causés les catastrophes naturelles, sans oublier de fustiger l’administration du Président Donald Trump qui continue de promouvoir les énergies fossiles.  Contrairement aux énergies renouvelables, les énergies fossiles détruisent l’environnement et ne créent pas d’emplois.  Personne ne peut profiter du statu quo, à part les patrons des grandes sociétés pétrolières, a-t-il tranché.  Le Ministre du travail de l’Uruguay a applaudi, lui dont le pays est devenu exportateur net d’électricité propre.

Table ronde sur le thème « préparer l’avenir du travail »

La Modératrice, Mme ZAIN ASHER, Journaliste de CNN International, a insisté sur le fait que le monde du travail se trouve à un tournant décisif.  Comment « préparer l’avenir du travail »?  Et que peut-on apprendre de la Norvège?  La Ministre norvégienne du travail, Mme ANNIKEN HAUGLIE, a d’abord argué de la « volonté fondamentale » de coopérer chez toutes les parties concernées, qu’il s’agisse des pensions, du milieu de travail ou encore des salaires.  Le dialogue social est maintenu, en particulier sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.  Quant à l’avenir, elle a estimé que la Commission de l’OIT a fait de très bonnes recommandations dont son pays ne manquera de s’inspirer.  La technologie améliore déjà les conditions de vie, l’intelligence artificielle nous aide à nous adapter, une bonne partie du travail est déjà numérisée et les emplois numériques commencent à montrer des risques.  Mais, a estimé la Ministre, tout ceci est encore très limité et il est encore temps d’élaborer des plans.

Quatorze pourcent de la main d’œuvre risque d’être remplacée par la technologie et 32% va pâtir des perturbations du numérique, a noté le Secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), M. ÁNGEL GURRÍA.  Dans une telle perspective, les femmes et les filles seront encore plus vulnérables et la classe moyenne subira de plus en plus de pressions.  Un emploi sur six risque d’être automatisé, a-t-il insisté.  Il faut donc réformer le Code de travail, le système des pensions, la formation professionnelle, sans oublier d’adapter le lieu de travail.  Nous devons renforcer la place des travailleurs dans le dialogue social.  En Europe, six pays sur 28 pays se disent prêts à l’ère du numérique et dans certains pays, c’est 50% de la main d’œuvre.    

Il faut élargir l’accès à la technologie, subventionner l’éducation de qualité et encourager le bénévolat et le mentorat « technologique » dans les écoles et les communautés, a préconisé le Directeur général de salesforce.org, M. ROB ACKER, qui a insisté sur « le partenariat multisectoriel ».  En neuf mois, a-t-il affirmé, on peut former à l’informatique une personne qui a raté l’université.  Soixante-cinq pourcent des emplois de l’avenir n’existent pas aujourd’hui, a-t-il prévenu.  Pour assurer l’intégration sociale, a estimé Directrice générale d’Oxfam, Mme WINNIE BYANYIMA, il faut une économie qui n’est pas truquée au profit de quelques richissimes et au détriment de tous les autres.  Les gouvernements doivent se montrer visionnaires et devenir la « force égalisatrice » que les marchés ne sont pas.  Il faut trouver une façon de récompenser les entreprises qui rémunèrent bien leurs salariés, augmenter les salaires et faire payer plus d’impôts aux riches.  Certains États l’ont fait, a dit la Directrice générale, jugeant que « nous ne sommes pas allés assez loin pour attaquer le modèle actuel qui privilégie la cupidité des actionnaires ».  Il n’est pas normal qu’en Angleterre, par exemple, 70% des bénéfices aillent directement et en toute légalité aux actionnaires.  Or, ce n’était pas le cas, il y a 20 ans.  L’économie doit humaniser les travailleurs car les entreprises sociales ne sont pas un rêve.  Elles existent même si elles ne sont pas très nombreuses.  « L’avenir du travail exige une économie à visage humain. »  Les entreprises, a acquiescé le Directeur général de Salesforce.org, doivent réinvestir leurs bénéfices en leur sein.  Il a prôné la généralisation du « modèle philanthropique 1-1-1 », à savoir 1% dans le produit, 1% dans le temps et 1% dans les ressources.  Ainsi depuis sa création, Salesforce.org a versé plus de 240 millions en dons, consacré 3,5 millions d’heures au travail communautaire et fourni des fonds à plus de 39 000 ONG et établissements scolaires.  

Je suis optimiste, a confié la Spécialiste principale à la Division des marchés de la Banque interaméricaine de développement.  Ce que l’on sait, a dit Mme LAURA RIPANI, c’est qu’il faudra trouver un équilibre.  L’avenir du travail exige de travailler tous ensemble et de conjuguer les efforts pour un avenir meilleur.  La Présidente de l’Assemblée générale a assuré que les résultats du débat général et des tables rondes seront soumis au Forum politique de haut niveau de l’ECOSOC en juillet et au Sommet sur les objectifs de développement durable en septembre.

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