La manière la plus efficace de protéger les civils, c’est la prévention et le règlement des conflits et la consolidation de la paix, souligne M. Guterres
On trouvera, ci-après, l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres prononcée lors de la séance du Conseil de sécurité de ce jour sur la protection des civils en période de conflit armé:
Je remercie le Gouvernement polonais d’avoir convoqué le présent débat public sur la protection des civils en période de conflit armé.
La manière la plus efficace de protéger les civils est de prévenir les conflits et d’y mettre fin. C’est pourquoi la prévention et le règlement des conflits et la consolidation de la paix sont et resteront des priorités absolues pour le système des Nations Unies tout entier. Les conflits en cours partout dans le monde infligent des horreurs et des souffrances implacables à des millions de civils – femmes, filles, hommes et garçons. Plus de 128 millions de personnes dans le monde ont besoin d’une aide humanitaire immédiate, chiffre vertigineux qui est principalement dû à des conflits. L’an dernier, l’ONU a recensé plus de 26 000 civils tués ou blessés dans seulement six pays touchés par un conflit: l’Afghanistan, l’Iraq, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Somalie et le Yémen. Dix mille d’entre eux se trouvaient en Afghanistan.
Dans les zones de conflit, les civils sont également soumis à d’atroces violations des droits de l’homme, dont le viol et d’autres formes de violence sexuelle. En République démocratique du Congo, par exemple, l’ONU a recensé l’an dernier plus de 800 cas de violences sexuelles liées au conflit, soit une augmentation de 56% par rapport à 2016. Les conséquences de ces attaques accompagnent ceux qui leur survivent pendant le reste de leur vie.
Les conflits continuent de forcer des millions de personnes à fuir vers un avenir incertain loin de leurs foyers, et elles n’ont souvent qu’un accès limité à une aide et une protection de base. À la fin de 2016, 65,6 millions de personnes avaient été déracinées par la guerre, la violence et la persécution. Un nombre incalculable d’autres personnes disparaissent. Les bombardements et le pilonnage de villes et agglomérations tuent ou blessent des dizaines de milliers de civils chaque année et réduisent en ruines des habitations et des infrastructures vitales, notamment les réseaux d’approvisionnement en eau et en électricité. En Syrie, par exemple, les attaques au moyen d’engins explosifs lancés par air et sur le sol auraient tué et blessé de nombreux civils à Alep, Deïr el-Zor, Homs, Edleb, Raqqa et Rif-Damas et détruit des infrastructures essentielles, des écoles et des hôpitaux.
Partout dans le monde, les installations médicales font régulièrement l’objet d’attaques. Les personnels humanitaire et médical sont pris pour cible ou empêchés de s’acquitter de leurs fonctions. En 2017, l’Organisation mondiale de la Santé a enregistré 322 attaques, qui se sont soldées par 242 morts parmi le personnel médical et les patients. C’est indéfendable. Dans certains cas, les agents de santé qui prennent soin des blessés et des malades – des actes d’humanité la plus élémentaire – risquent de faire l’objet de poursuites pénales. Les fournitures médicales sont pillées ou retirées des convois. Les parties au conflit ont recours à la menace ou imposent des procédures bureaucratiques qui empêchent les personnes d’accéder aux soins de santé dont elles ont désespérément besoin. Les femmes, en particulier celles qui sont enceintes ou ont besoin de soins prénatals, en font souvent les frais de manière disproportionnée.
Le conflit est également un facteur important d’insécurité alimentaire dans le monde. À l’origine de 10 des 13 grandes crises alimentaires survenues en 2017 se trouve un conflit. Au Yémen, par exemple, près de 3 millions de femmes et d’enfants souffrent de malnutrition aiguë, et plus de 8 millions de personnes ne savent pas d’où viendra leur prochain repas.
Si sombre que soit la situation, mon rapport (S/2018/462) donne quelques motifs d’espoir. Il est de plus en plus admis que le respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme contribue à réduire les conflits et à lutter contre le terrorisme. Dans la résolution 70/291 de l’Assemblée générale, adoptée en juillet 2016, les États Membres ont souligné que, lorsque l’action menée contre le terrorisme violait le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme, elle trahissait les valeurs qu’elle prétendait défendre et attisait l’extrémisme violent. Je me félicite de cette prise de conscience. Certains États Membres et parties à un conflit ont également pris des mesures pour renforcer le respect de la loi et améliorer la protection des civils. Il s’agit notamment d’actions visant à réduire les dommages résultant du recours à certains types d’armes explosives, de mécanismes permettant de suivre les dommages causés aux civils en Somalie, et de l’adoption d’une politique nationale visant à prévenir les pertes civiles en Afghanistan. L’ONU appuie fermement ces efforts.
Nous voyons également que les gouvernements, la société civile et d’autres montent au créneau pour plaider en faveur du changement. En novembre dernier, à Maputo, 19 États africains ont adopté un communiqué sur la protection des civils contre l’utilisation d’armes explosives dans des zones peuplées. C’est avec fierté que je me suis associé à la campagne lancée par l’ONU et ses partenaires durant la Journée mondiale de l’aide humanitaire l’an dernier, sur le thème « Les civils ne sont pas une cible ». De telles initiatives sont propres à entraîner des changements concrets. À cette fin, mon rapport recommande trois mesures.
Premièrement, tous les gouvernements doivent se doter d’un cadre directif national en matière de protection des civils en période de conflit. Ce cadre devra énoncer des mesures proactives pour atténuer et réagir aux dommages civils causés par les armées nationales, les forces partenaires ou les coalitions internationales. Les États doivent subordonner l’exportation d’armes au respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, conformément au Traité sur le commerce des armes. Et ils doivent renforcer leur capacité à protéger les civils en temps de conflit dans les zones urbaines, notamment en trouvant des solutions de rechange à l’utilisation d’engins explosifs.
Deuxièmement, les États Membres doivent aider l’ONU et d’autres acteurs à engager le dialogue avec les groupes armés non étatiques pour élaborer des politiques, des codes de conduite et des plans d’action visant à protéger les civils. À ce jour, 17 groupes armés non étatiques ont déjà signé des plans d’action avec l’ONU en vue de mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats. Nous avons besoin de davantage d’initiatives de ce type.
Troisièmement, les États Membres doivent appuyer davantage d’actions de sensibilisation sur le thème de la protection des civils et faire des efforts concertés pour amener les auteurs de graves violations à répondre de leurs actes, dans l’intention de mettre fin au climat d’impunité. Cela doit notamment inclure des enquêtes nationales crédibles sur les violations graves et un appui sans réserve aux travaux de la Cour pénale internationale.
J’exhorte le Conseil et tous les États Membres à envisager sérieusement d’adopter ces mesures concrètes.
J’engage également les membres du Conseil à ne pas laisser les divergences politiques prévenir ou saper les initiatives de protection des civils. Certes, c’est indispensable pour sauver des vies et préserver notre humanité commune, mais la protection des civils en période de conflit est également le seul moyen de jeter les bases d’une paix durable. Il existe une corrélation entre les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme dans les situations de conflit armé et les guerres prolongées, la radicalisation et l’extrémisme violent. Éviter les victimes civiles et assurer un accès sans entrave à l’assistance humanitaire, voilà qui atteste de notre appartenance à la même famille humaine. Ce sont des mesures indispensables pour éviter un cycle d’instabilité et de ressentiment, et pour rendre possibles une paix et une réconciliation durables. J’exhorte le Conseil à faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger les millions de civils pris au piège d’un conflit dans le monde.