Le Forum politique de haut niveau examine « l’aspect sombre » de la réalisation des objectifs de développement durable
Pour sa quatrième journée de travaux, le Forum politique de haut niveau pour le développement durable, organisé sous les auspices du Conseil économique et social (ECOSOC), s’est penché sur « l’aspect sombre » de la réalisation des objectifs de développement durable, au cours des trois tables rondes de la journée, en présence des grands groupes et autres parties prenantes.
Les États essaient de montrer les aspects positifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 en occultant « l’aspect sombre », a fustigé Mme Luisa Emilia Reyes Zúñiga, du grand groupe des femmes, modératrice de cette table ronde intitulée « Transformation vers des sociétés viables et résilientes - perspectives de la société ».
« Les grands groupes ne sont pas vos ennemis; ils sont de votre côté », a-t-elle lancé en dénonçant les tentatives de brider leur parole. Même son de cloche du côté de l’un des panélistes, M. Vitalice Meja, de « Reality of Aid Network Africa », qui a ironisé sur le fait que dès que les États alignent leur plan de développement national sur le Programme 2030, c’est que « tout va bien dans le meilleur des mondes possibles ».
« Mais non, ce n’est pas le cas », a-t-il dit en demandant que la société civile soit mieux associée à la réalisation dudit Programme, « comme il se doit ». Une franchise partagée par Mme Jolly Amatya, du grand groupe des enfants et des jeunes, qui a affirmé que « le caractère volontaire de la mise en œuvre des objectifs de développement durable ne doit pas servir d’excuse pour ralentir les progrès ».
Comme de nombreux orateurs, elle a réclamé un changement de paradigme économique, loin de l’actuel où « seule la croissance est recherchée sans prise en compte des conséquences négatives sur les plans économique et environnemental ». Le grand groupe des autorités locales, par la voix de M. Berry Vrbanovic, maire de la ville canadienne de Kitchener, a également exprimé ses doléances en réclamant que les collectivités locales soient associées davantage à l’élaboration des plans nationaux. « Nous ne voulons plus être une note de bas de page. »
Les participants aux deux tables rondes de la matinée ont affiché leur scepticisme face à la réalisation des objectifs de développement durable. « Nous voulons les réaliser mais nous sommes en panne. L’élan est retombé », a déclaré la déléguée du grand groupe des organisations non gouvernementales. Même constat pour la représentante de la France qui a indiqué que « peu de parties prenantes se sont appropriées ces objectifs ». « Ils ne sont pourtant pas une nouvelle obligation mais une nouvelle grille de lecture », a-t-elle dit.
Le pessimisme prévalait aussi du côté de la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), Mme Vera Songwe, qui a indiqué que les inégalités n’ont pas diminué en dépit de la croissance des économies en Afrique. « En d’autres termes, nous continuons de créer des pauvres et des inégalités », a dit celle qui était l’une des panélistes de la première table ronde de la journée intitulée « Mise en œuvre des objectifs de développement durable: enseignements tirés dans les différentes régions ».
« De même que dans d’autres régions, les progrès ne sont pas suffisants pour les pays d’Asie et du Pacifique », a renchéri le Secrétaire exécutif adjoint de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP), M. Kaveh Zahedi. « Un seul objectif est sur la bonne voie d’être atteint en 2030, à savoir l’accès universel à l’éducation. Beaucoup reste à faire en qui concerne l’intégration sociale et l’emploi décent », a-t-il déploré.
La dernière table ronde de la journée consacrée à l’examen de l’objectif 12 sur la consommation et production responsables a, elle, vu M. Shaswat Sapkota, de la Division de statistique du Département des affaires économiques et sociales (DAES) faire montre d’un optimisme prudent. Il s’est ainsi félicité du fait que 93% des 250 plus grandes compagnies du monde font désormais des rapports sur la durabilité, ainsi que les trois quarts des 100 plus grandes entreprises de 49 pays.
« De même, en 2018, 108 pays avaient développé des politiques nationales de production et consommation durables, y compris de nombreux pays d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine », s’est enorgueilli M. Sapkota. Enfin, cette journée a été marquée par les appels lancés par les représentants des peuples autochtones pour le respect de leurs droits, en particulier fonciers.
« Comment peut-on faire du développement alors que nos terres sont militarisées? Comment faire, alors que les multinationales sont plus écoutées que les populations autochtones? » a demandé Mme Alma Sinumlag, Chargée de programme du « Cordillera Women Education and Action Research Center » (Asia-Pacific Civil Society Mechanism).
Le Forum politique de haut niveau pour le développement durable poursuivra ses travaux demain, vendredi 13 juillet, à partir de 10 heures.
FORUM POLITIQUE DE HAUT NIVEAU POUR LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ORGANISÉ SOUS LES AUSPICES DU CONSEIL ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Mise en œuvre des objectifs de développement durable: enseignements tirés dans les différentes régions
La table ronde, animée par la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), Mme ALICIA BÁRCENA IBARRA, avait pour objectif d’aider les États Membres et toutes les parties prenantes à mieux comprendre les tendances régionales, les difficultés et les progrès, ainsi que les occasions à ne pas manquer, dans le contexte de la mise en œuvre des objectifs de développement durable dans les régions.
« La croissance est de retour en Afrique », elle est à 3,1%, a commencé par dire la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), Mme VERA SONGWE, tout en tempérant son observation: ce chiffre n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs de développement durable et éliminer la pauvreté. En effet les inégalités n’ont pas diminué en dépit de la croissance des économies en Afrique, ce continent connaissant toujours des niveaux élevés d’extrême pauvreté. « En d’autres termes, nous continuons de créer des pauvres et des inégalités. » Par ailleurs, 18 pays africains connaissent des problèmes de dettes. « Comment vont-ils financer leur développement? » Mme Songwe a également mentionné les difficultés structurelles comme les retards technologiques et le chômage. En outre, le continent reste intrinsèquement vulnérable aux changements climatiques. Il connaît des taux élevés de dégradation et d’épuisement des terres, des forêts et des ressources de la biodiversité.
Pour relever les défis africains, il faut d’abord une prise de conscience de l’interdépendance des objectifs de développement durable avec les engagements internationaux existants, a poursuivi Mme Songwe. Il faut aussi des données fiables sur lesquelles baser les programmes et une hiérarchisation des interventions stratégiques. La Secrétaire exécutive a constaté quelques tendances émergentes en Afrique comme la conception d’outils de planification pour soutenir les objectifs de développement durable, ou l’amélioration de l’accès aux technologies. La CEA suggère au continent africain de donner la priorité aux investissements dans l’accès à l’eau et à l’assainissement, à l’amélioration de la performance du système de santé, à l’intégration de l’urbanisation dans les plans de développement, aux investissements dans les technologies et les infrastructures qui réduisent les pertes après récolte, et dans l’amélioration de l’accès du monde rural à l’énergie.
Pour la région arabe, le Secrétaire général adjoint de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO), M. MOHAMED ALI ALHAKIM, a indiqué que 60% de la population a moins de 30 ans et que les femmes ne représentent que 20% de la population active. De nombreux pays sont confrontés à la pénurie d’eau, a-t-il indiqué parmi les difficultés de la région. Les examens volontaires auxquels se sont soumis plusieurs gouvernements ont montré la nécessité de renforcer le financement du développement, les partenariats public-privé, les questions transfrontalières, la technologie et l’innovation et la collecte de données.
Il est essentiel de trouver des solutions régionales aux défis régionaux, a conseillé M. Alhakim qui a noté les efforts déployés pour forger des partenariats, notamment avec la Ligue des États arabes, les institutions financières régionales, les universités et la société civile. La CESAO, qui est une plateforme pour de telles discussions, a organisé le Forum arabe pour le développement durable qui a réuni 300 participants, tandis que la trentième session ministérielle de la Commission a vu la participation de 200 représentants des universités, des médias et de la société civile. Le message principal de ces réunions est que la stabilité institutionnelle et la capacité de reconstruire sont nécessaires pour bâtir sur le long terme. La région a en outre besoin de la communauté internationale pour bâtir la paix régionale, notamment en République arabe syrienne et au Yémen.
En Europe, des progrès ont été faits dans de nombreux domaines comme l’élimination de la pauvreté, la réduction des inégalités, la santé et le bien-être, a déclaré à son tour la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Europe (CEE), Mme OLGA ALGAYEROVA. Les objectifs pour lesquels la situation n’est pas satisfaisante concernent des domaines dans lesquels la région a une responsabilité au niveau mondial, comme les modes de production et de consommation durable, ou les changements climatiques. La région connaît en outre une situation disparate en matière de la santé, certains pays faisant mieux que d’autres. La Secrétaire exécutive a recommandé d’anticiper les problèmes à venir et commencer à agir maintenant. Les défis de la région peuvent être regroupés en trois segments: créer des économies plus dynamiques, résilientes et inclusives; réduire les pressions environnementales et utiliser les ressources plus durablement; et améliorer la connectivité dans la région et le développement de nouvelles formes de mobilité.
De même que dans d’autres régions, les progrès ne sont pas suffisants pour les pays d’Asie et du Pacifique, a constaté le Secrétaire exécutif adjoint de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP), M. KAVEH ZAHEDI. Un seul objectif est sur la bonne voie d’être atteint en 2030, à savoir l’accès universel à l’éducation. Beaucoup reste à faire en qui concerne l’inclusion et l’emploi décent, a-t-il dit en soulignant aussi les inégalités de revenus, d’accès à l’assainissement et dans la gestion des changements climatiques. « Pour corriger le tir, nous avons mis en place une feuille de route pour la mise en œuvre des objectifs de développement durable. » Elle est axée sur la lutte contre les inégalités sous toutes ses formes, le renforcement de la résilience dans les domaines de la santé et de l’éducation, la lutte contre les inégalités, le renforcement de la résilience des sociétés.
Le Secrétaire exécutif a poursuivi la liste des problèmes de la région. Certains pays à revenu faible ou intermédiaire ont des taux de mortalité quatre à cinq fois plus élevés que dans les pays à revenu élevé. De plus, en 2017, la région subissait 43% de tous les événements catastrophiques enregistrés au monde. Jusqu’à 35% de la population dans les zones touchées risque de tomber en dessous du seuil de pauvreté à la suite des catastrophes, a-t-il dit. La CESAP s’efforce donc de promouvoir les moyens permettant aux pays de progresser vers la réalisation des objectifs. Elle a publié une feuille de route régionale pour la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 en Asie et dans le Pacifique.
Pour l’Amérique latine et les Caraïbes, c’est Mme ALICIA BÁRCENA IBARRA, Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), qui a fait le bilan de la mise en œuvre du Programme 2030 en énonçant les principaux obstacles: le retour du protectionnisme au niveau international, la menace de la guerre commerciale, la réduction généralisée des budgets publics dans de nombreux pays, le creusement des inégalités technologiques entre les pays en développement et les pays développés, les obstacles aux transferts de fonds et la corruption. Sur ce dernier point, elle a indiqué que 65% des populations de la région se méfient de leurs institutions. La région, a-t-elle poursuivi, a décidé de donner la priorité aux Caraïbes en transformant les 17 objectifs de développement durable en plans nationaux de développement pour chaque pays. Le défi suivant est de financer les objectifs, puis d’assurer le suivi de la mise en œuvre. Mme Bárcena Ibarra a insisté sur le fait que les objectifs de développement durable sont indivisibles. Un autre point sur lequel elle s’est montrée ferme: il faut changer de modèle de consommation, car celui-ci est la mère de tous nos maux.
À son tour, Mme TATYANA VALOVAYA, membre du Conseil d’administration de la Commission économique eurasienne, a souligné l’énorme potentiel de la région dans la mise en œuvre du Programme 2030. L’intégration économique est un facteur essentiel pour atteindre les objectifs, a-t-elle poursuivi. Ce n’est pas étonnant, selon elle, si l’Europe et l’Asie se trouvent au même niveau dans la réalisation des objectifs car ce sont les deux régions les plus intégrées l’une à l’autre et individuellement. Ces deux régions devraient néanmoins améliorer l’accès universel à l’énergie fiable et durable, et progresser dans la réduction des inégalités dans les pays et entre les pays. La Secrétaire exécutive de la CEE s’est d’ailleurs réjouie que les « conseils, les exemples, les suggestions, les expériences » de la CEE soient bien utilisés dans toute la région eurasienne.
Le dernier exposé a attiré l’attention sur le non-respect des droits des peuples autochtones, en particulier les droits fonciers. Mme ALMA SINUMLAG, Chargée de programme du « Cordillera Women Education and Action Research Center » (Asia-Pacific Civil Society Mechanism), a posé une série de questions pour alerter sur cette situation. « Comment peut-on faire du développement alors que nos terres sont militarisées? Comment faire, alors que les multinationales sont plus écoutées que les populations autochtones? » Elle a expliqué qu’il faut participer à différents forums internationaux pour se faire entendre. « Mais nous sommes étonnés que nos voix ne sont pas retenues dans les documents finaux de ces forums », a regretté Mme Sinumlag qui a affirmé la disposition des peuples autochtones à mettre en œuvre les objectifs de développement durable.
Alors que de nombreuses délégations ont salué les contributions des commissions économiques régionales, le Mexique a exprimé sa préoccupation quant à la proposition de limiter leurs compétences et le fait qu’elles seraient appelées à devenir de simples groupes de réflexion dans le cadre de la réforme de l’ONU.
Le grand groupe des enfants et des jeunes a dénoncé le peu de place accordée aux jeunes et aux enfants au Forum et dans les commissions régionales. Ce à quoi la Secrétaire exécutive de la CEE a répondu que sa commission souhaitait travailler plus étroitement avec les jeunes. Elle a demandé à l’Union européenne de se joindre à la CEE sur cette question. Dans le même esprit d’inclusion, le représentant des travailleurs et des syndicats a demandé que l’Organisation internationale du Travail (OIT) participe aux discussions régionales et qu’une approche inclusive soit suivie dans les forums régionaux.
La Palestine, soutenue par l’Afrique du Sud, a regretté que la CESAO et la CESAP n’aient pas parlé de l’occupation israélienne du territoire palestinien qui est selon elle le principal obstacle à la paix, à la stabilité et à la prospérité au Moyen-Orient. Israël a répondu que « le peuple palestinien a les autorités qu’il ne mérite pas ». Il a conseillé de mettre en œuvre les objectifs de développement, pour ne laisser personne de côté.
Dans la même région, l’Iraq a demandé une aide soutenue des commissions régionales pour rattraper les retards du pays causés par les guerres qu’il a subies. Le Secrétaire général adjoint de la CESAO a répondu que sa commission dispose d’un portefeuille d’activités importantes en Iraq. Nous continuerons de soutenir ce pays, a-t-il assuré.
En réponse à une remarque de la CEA, le Togo a dit que l’accès à l’eau dans son pays est passé de 50% à 52% entre 2015 et 2017. La Mauritanie a rappelé qu’il faut un investissement de 34,2 milliards de dollars par an pour atteindre l’accès universel à l’électricité, en particulier dans les zones rurales avant 2030. Quant au Viet Nam, le pays a besoin de ressources financières, techniques et humaines pour faire face aux conséquences des changements climatiques.
Face à toutes ces préoccupations, l’Union européenne a promis de promouvoir l’intégration régionale pour qu’elle bénéficie en particulier aux pays en développement. Le délégué a ajouté que l’Union fera des investissements dans les collectes de données au niveau local.
Car, comme l’a dit le Secrétaire exécutif adjoint de la CESAP, les questions régionales doivent être traitées au niveau régional, par exemple pour gérer les tempêtes de sable dans les régions arabes et du Moyen-Orient, ou encore pour la collecte des données régionales. La Secrétaire exécutive de la CEA a ajouté qu’il faut encore plus d’intégration régionale et de prise de responsabilité au niveau régional pour accélérer les avancées. En outre, il faut que les ressources locales et nationales restent sur place pour qu’elles contribuent au développement local et national.
Transformation vers des sociétés viables et résilientes - perspectives de la société: session organisée avec les grands groupes et autres parties prenantes
Libérer la parole des parties prenantes et grands groupes sur le processus de réalisation des objectifs de développement durable était l’objectif visé par cette table ronde, comme l’a indiqué la modératrice, Mme LUISA EMILIA REYES ZÚÑIGA, du grand groupe des femmes. Les États Membres essaient en effet de montrer les aspects positifs du Programme de développement durable à l’horizon 2030 en occultant l’aspect sombre, a-t-elle dit, en dénonçant la « conditionnalité cachée des donateurs » et les tentatives visant à brider la parole des parties prenantes. « Les parties prenantes ne sont pas vos ennemis; elles sont de votre côté », a-t-elle lancé aux États Membres.
« On ne peut atteindre les objectifs de développement durable sans prendre en compte les catastrophes naturelles », a dit Mme HAYDEE RODRIGUEZ, de Unión de Cooperativas de Mujeres Productoras « Las Brumas », une des parties prenantes de Sendai qui s’est présentée comme une paysanne du Guatemala. Sa coopérative vise à réduire les risques, a-t-elle dit, en remerciant « Dieu et l’ONU » de pouvoir s’exprimer ce jour. Sa coopérative gère un fonds de résilience communautaire face aux risques de catastrophe, ses efforts étant reconnus par le Gouvernement. La clef d’un tel modèle est la volonté politique. Tous les talents de la société doivent être pris en compte pour réaliser les objectifs de développement durable, a-t-elle insisté. Elle a enfin exhorté les États Membres à dialoguer avec le grand groupe des femmes en vue de réduire les risques de catastrophes naturelles, dans le respect du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030) et du Programme 2030.
Le grand groupe de la communauté scientifique et technique s’est exprimé par la voix de M. RUBEN ZONDERVAN, de « Earth System Governance Project », de l’Université de Lund (Suède). Il a souligné l’importance de son groupe pour collecter et traiter les données nécessaires au suivi des objectifs de développement durable. La science permet également d’expliquer les principes directeurs de ces objectifs, qui sont très ambitieux, a-t-il déclaré. Il a donné des explications sur le projet « le monde en 2050 » qui sera présenté la semaine prochaine et qui esquisse des pistes pour la réalisation des objectifs de développement durable à l’adresse des États Membres. Il a déploré l’inégal accès aux connaissances scientifiques dans le monde, avant d’insister sur l’importance des universités.
« Le monde n’est pas aussi simple que nous le pensons », a déclaré Mme JOLLY AMATYA, du grand groupe des enfants et des jeunes. « Le grand défi est d’agir concrètement. » Elle a réclamé un changement de paradigme économique, loin de l’actuel où seule la croissance est recherchée sans prise en compte des conséquences négatives sur les plans économique et environnemental. Elle a demandé la protection des droits de la nature et une prise en compte de la pollution. « Le caractère volontaire de la mise en œuvre des objectifs de développement durable ne doit pas servir d’excuse pour la lenteur des progrès accomplis », a-t-elle mis en garde. Dans la même veine, Mme Amatya s’en est prise aux partenariats public-privé, qui « privatisent les profits et socialisent les pertes », avant de demander l’élaboration de normes communes sur ces partenariats. Elle a également dénoncé le transfert massif de richesse –16,3 mille milliards de dollars depuis 1980- des pays en développement vers les pays développés via les transactions économiques entre les résidents du pays et le reste du monde, avant de souhaiter, pour remédier à cet état de fait, l’imposition d’une taxe sur les transactions financières. « Les droits de l’homme sont réels; les identités sexuelles et de genre sont multiples; aucun être humain n’est illégal; plus de croissance économique ne veut pas forcément dire plus de bien-être; la technologie n’est pas neutre », a-t-elle martelé en conclusion sous un tonnerre d’applaudissements.
« Les États Membres ont aligné leur plan de développement national sur le Programme de développement durable à l’horizon 2030, tout va donc bien dans le meilleur des mondes », a ironisé M. VITALICE MEJA, de « Reality of Aid Network Africa », de la société civile. « Mais non, ce n’est pas le cas », a-t-il dit, en demandant que la société civile soit mieux associée à la réalisation dudit Programme, « comme il se doit ». Il a déploré le manque de clarté sur la mobilisation des parties prenantes, avant de demander une réappropriation nationale des rapports nationaux rédigés dans le cadre du Programme avant leur présentation. « Cela ne suffit pas de reconnaître les grands groupes à l’ONU, il faut qu’ils le soient au niveau national », a-t-il conclu en dénonçant la violence accrue contre les ONG de défense des droits de l’homme.
De son côté, M. BERRY VRBANOVIC, maire de la ville de Kitchener (Canada), représentant du grand groupe des autorités locales, a parlé d’un « tsunami positif depuis l’adoption du Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Les autorités locales s’en sont emparées, malgré leur manque de moyens, a-t-il dit. Pour une réelle appropriation, nous avons besoin d’un appui politique de haut niveau et d’alliances plus robustes, a-t-il déclaré. Environ, 45% des États ont associé les autorités locales à l’élaboration de leur rapport volontaire. « Nous ne voulons plus être une note de bas de page dans la réalisation des objectifs de développement durable. »
La défense des droits de l’homme et la promotion d’un modèle économique et social plus respectueux de ces droits et de l’environnement ont été au cœur de nombreuses interventions faites lors de la discussion interactive qui a suivi les présentations des panelistes.
La Norvège a déploré les intimidations à l’endroit des défenseurs des droits de l’homme et les attaques contre la liberté de réunion et d’expression, indiquant que 197 défenseurs de l’environnement ont été assassinés en 2017. La déléguée du grand groupe des peuples autochtones a dénoncé les structures de pouvoir qui ne profitent qu’à une poignée. « Nos droits sont foulés au pied », a-t-elle dit. Même impression du côté des personnes âgées, tandis que la déléguée des personnes handicapées a indiqué que 170 millions d’entre elles n’ont pas d’accès à l’eau et l’assainissement dans le monde. « Nous sommes attaquées pour la simple raison que nous sommes des groupes de femmes », a dit pour sa part la déléguée du grand groupe des femmes. De son côté, l’Union européenne a demandé que plus d’espace soit laissé à la société civile.
« Les personnes doivent être placées au centre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, pas les profits », a réclamé le grand groupe des travailleurs et des syndicats. Enfin, certains orateurs ont déploré une nouvelle fois les lenteurs dans la réalisation des objectifs de développement durable. « Nous voulons les réaliser mais nous sommes en panne », a déclaré la déléguée du grand groupe des organisations non gouvernementales. « L’élan est retombé », a-t-elle dit. La France a fait le constat que « peu de parties prenantes se sont appropriées les objectifs de développement durable ». Ces objectifs ne sont pourtant pas une nouvelle obligation mais une nouvelle grille de lecture, a ajouté la délégation.
Table ronde interactive sur l’objectif 12 de développement durable: Consommation et production responsables
Au début de la table ronde, la Vice-Présidente de l’ECOSOC, Mme INGA RHONDA KING, de Saint-Vincent-et-les Grenadines, a précisé que ce segment vise à identifier les défis relatifs à la consommation et la production responsables aux niveaux mondial, régional et national, tout en mettant l’accent sur les enseignements tirés de l’expérience et meilleures pratiques.
M. SHASWAT SAPKOTA, de la Division de statistique du Département des affaires économiques et sociales (DAES), a présenté un aperçu de la mise en œuvre de l’Objectif 12 de développement durable (ODD). Il a relevé que l’exploitation des matières premières dans les pays en développement soutient les modes de consommation dans les pays riches. On constate donc que l’empreinte « matérielle » des pays développés est pratiquement le double de celui des pays en développement. M. Sapkota s’est félicité du fait que 93% des 250 plus grandes compagnies du monde font désormais des rapports sur la durabilité, ainsi que les trois quarts des 100 plus grandes entreprises de 49 pays. De même, en 2018, 108 pays avaient développé des politiques nationales de production et consommation durables, y compris de nombreux pays d’Afrique subsaharienne et d’Amérique latine.
L’empreinte « matérielle » dont a parlé M. Sapkota, désigne, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la quantité de matières premières extraites dans le monde pour satisfaire la demande de consommation finale dans un pays donné. Elle met en évidence la quantité de matières premières requises à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement, nationale et internationale. Au niveau mondial, l’empreinte matérielle a augmenté de 48,5 milliards de tonnes en 2000 à 69,3 milliards de tonnes en 2010. Deux régions ont contribué à la plus grande partie de cette empreinte: l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est, avec 28,6 milliards de tonnes et l’Europe et l’Amérique du Nord, avec 21,9 milliards de tonnes.
L’empreinte « matérielle » par habitant a augmenté de 8 tonnes à 10,1 tonnes entre 2000 et 2010. Elle est en hausse dans quasiment toutes les régions, ce qui signifie que, au niveau mondial, il faut maintenant davantage de matières premières pour satisfaire les besoins de consommation par personne. En 2010, la région Australie et Nouvelle-Zélande avait l’empreinte « matérielle » par habitant la plus élevée, avec 34,7 tonnes par habitant, alors que l’Afrique subsaharienne avait la plus faible, avec 2,5 tonnes par habitant. L’empreinte « matérielle » par habitant des régions développées dépasse de loin celle des régions en développement. En d’autres termes, une grande partie des matières premières extraites dans le monde sert donc bien les besoins et les habitudes de consommation finale des populations des régions développées.
« Ce que nous faisons ici c’est assurer l’avenir de nos enfants et leur léguer une planète en bon état », a recadré M. PETER THOMPSON, Envoyé spécial du Secrétaire général pour l’océan. Quelque 2,1 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à l’eau potable alors que 24% de la nourriture est gaspillée dans le monde pendant que certaines parties de la planète meurent de faim. L’océan s’acidifie et les mers se réchauffent. L’Envoyé spécial a exigé un « investissement plus concret et plus volontariste à tous les niveaux », conscient que les contributions nationales en vertu de l’Accord de Paris sur les changements climatiques ne suffiront pas à contenir l’augmentation de la température en-deçà de 2oC. C’est un nouveau partenariat qui est nécessaire, un partenariat entre secteur privé, secteur public et consommateurs. L’Envoyé spécial a dit placer beaucoup d’espoir dans l’économie circulaire qui s’articule autour du recyclage.
Il a été appuyé par la France et la Finlande qui ont dit miser sur la transformation des déchets en ressources. La France a dit avoir adopté une feuille de route avec des cibles claires, des dates butoirs et l’objectif de créer 300 000 nouveaux emplois. De nombreux autres pays comme la Norvège, l’Estonie, l’Irlande, l’Italie, la Belgique ou encore la Pologne ont parlé de leurs plans nationaux sur l’économie circulaire. L’Envoyé spécial a aussi attiré l’attention sur le dynamisme et l’énergie des jeunes pour relever le défi de la durabilité, un point de vue partagé par la Norvège et le grand groupe des enfants et des jeunes.
Il faut impérativement réajuster le tir même si la transition vers des modes de consommation et de production responsables reste un véritable défi, a pressé M. ELLIOT HARRIS, Sous-Secrétaire général chargé du développement économique au DAES. « Nous vivons au-dessus de nos moyens sur cette planète. » L’Indonésie l’a peut-être compris: Mme NUR H. RAHAYU, Directrice de la foresterie et de la conservation de l’eau au Ministère indonésien de la planification du développement a parlé du nouvel étiquetage des produits de consommation qui montre leur origine industrielle. Les normes de production « plus propres » ont également été renforcées alors qu’un travail de sensibilisation des consommateurs est en cours, dans un langage « simple et facilement compréhensible ». Le plastique et les couches jetables sont devenus les ennemis publics numéro 1.
L’Union européenne a d’ailleurs appelé à des mesures strictes de toute urgence pour limiter la consommation du plastique. Il faut offrir des incitations au consommateur pour qu’il se dirige vers des produits durables, a renchéri Mme PETRA BAYR, Présidente du Comité pour le développement durable du Parlement autrichien. Le consommateur doit aussi apprendre « à réparer plutôt qu’à remplacer » et exiger des services publics « propres ». L’oratrice a dénoncé au passage les échecs de la privatisation de certains de ces services. Le secteur privé et le secteur public doivent obéir à des règles « claires », a-t-elle martelé émettant des doutes sur l’approche « base volontaire ». Non, a-t-elle estimé. Il faut des lois et des normes « strictes », sans quoi les systèmes économiques resteront les mêmes et le secteur privé continuera à placer les profits avant les droits de l’homme et l’environnement.
En tant que parlementaire, Mme Bayr a aussi insisté sur des systèmes fiscaux « robustes » car sans impôts, les gouvernements n’auront pas les ressources nécessaires pour financer les programmes de développement durable. Le manque de ressources, c’est l’obstacle principal qu’a cité, avec l’absence d’expertise, Mme JANE NYAKANG’O, Présidente de la table ronde africaine sur les modes de consommation et de production durables. L’Afrique s’organise. Elle a des points focaux nationaux qui assurent le suivi du « Cadre décennal de programmation concernant les modes de consommation et de production durable » (10YPF). Plusieurs pays africains se sont dotés de stratégies sur l’économie verte, comme le Kenya, mais, à bien des égards, le continent en est toujours au stade des projets pilote. Il n’a ni argent ni savoir-faire, a souligné Mme Nyakang’o qui a également insisté sur la disponibilité d’indicateurs clairs pour faciliter l’intégration des modes de consommation et de production durables dans les programmes économiques. Peut-être suffirait-il, a suggéré le Mali, de revenir à l’agriculture traditionnelle « durable par nature » et arme efficace contre l’appauvrissement des sols, réceptacles des déchets toxiques déversés par les multinationales, a ajouté l’Ouganda.
Les progrès, c’est ce que M. ULF JAECKEL a voulu mettre en avant. Le Chef de Division au Ministère allemand de l’environnement et membre du Conseil du « Cadre décennal de programmation concernant les modes de consommation et de production durable » (10YPF) a rappelé que le Cadre est un mécanisme mondial de mise en œuvre du douzième objectif de développement durable, appuyé par plus de 130 points focaux nationaux qui supervisent des programmes englobant la sensibilisation des consommateurs. Le premier bilan du Cadre a débouché sur l’initiative « Un plan pour une planète » qui facilite la coopération entre les différents partenaires, y compris les gouvernements. En Allemagne, par exemple, un programme a été lancé en 2016 pour baisser le prix des produits verts. Faire baisser la consommation de viande, construire des maisons plus petites, renoncer aux voyages en avion, voilà quelques idées qu’a suggérées, Mme AMY LUERS, Directrice exécutive de « Future Earth ». Il faut, s’est-elle expliquée, insister sur les systèmes institutionnels et culturels, car la promotion d’un mode de vie plus durable est une tâche multisectorielle qu’il faut aborder au niveau systémique, avec l’aide de la société civile et du milieu scientifique. Il faut tout simplement « pénaliser les pollueurs », a tranché M. JULIUS H. CAINGLET, du grand groupe des syndicats et des travailleurs. Les programmes sociaux doivent être complétés par des incitations fiscales à la création d’emplois verts, a estimé l’Organisation internationale du Travail (OIT). Tout le monde doit s’y mettre, entreprises, ONU et société civile, a conclu le Réseau « One Planet ».