Le Conseil de sécurité condamne l’utilisation de la famine comme méthode de guerre et les refus d’accès humanitaire
Deux jours après un long débat public sur la protection des civils en période de conflit armé, le Conseil de sécurité a adopté, pour la première fois de son histoire, une résolution par laquelle il condamne fermement l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, ainsi que les refus illicites d’accès humanitaire et la privation des civils de biens indispensables à leur survie.
En adoptant à l’unanimité la résolution 2417 (2018), le Conseil de sécurité engage notamment toutes les parties à protéger les infrastructures civiles, qui sont essentielles pour acheminer l’aide humanitaire, et à assurer le bon fonctionnement des marchés et des systèmes alimentaires dans les situations de conflit armé.
Il engage aussi « vivement » les États à mener, sans tarder et en toute indépendance, dans leur zone de juridiction, des enquêtes exhaustives, impartiales et efficaces sur les violations des dispositions du droit international humanitaire relatives à l’utilisation de la famine comme méthode de guerre.
Le Secrétaire général se voit quant à lui prié d’informer promptement le Conseil de sécurité de l’apparition de risques de famine et d’insécurité alimentaire généralisée causées par les conflits.
Le Conseil rappelle en outre qu’il a adopté et peut envisager d’adopter des mesures de sanctions qui peuvent viser des personnes ou entités qui font obstacle à l’acheminement ou à la distribution de l’aide humanitaire ou à l’accès à cette aide.
À l’issue du vote, les Pays-Bas, au nom des porte-plumes de la résolution, a salué l’adoption d’un texte « historique » qui condamne sans équivoque l’utilisation de la famine comme arme de guerre et qui insiste sur l’importance d’une alerte rapide et de l’accès rapide et sans entrave de l’aide humanitaire.
« Par ce texte, le Conseil souligne que les situations de famine en période de conflit ne sont pas inévitables », a renchéri le Royaume-Uni qui a insisté sur la dimension politique des solutions à apporter au problème. La délégation avait notamment à l’esprit la détérioration de la situation au Soudan du Sud, où un million de personnes sont en situation de grave insécurité alimentaire, une augmentation de 14% comparé à l’an dernier.
De leur côté, les États-Unis ont salué la volonté manifeste du Conseil de sécurité d’aborder le problème de la famine en période de conflit armé. « Avec cette résolution, nous fixons des attentes claires en enjoignant les parties à un conflit à ne prendre aucune mesure pour perpétrer des situations de famine », a indiqué la délégation.
Se félicitant également de l’adoption d’un texte « équilibré », la Fédération de Russie a toutefois fait observer que si l’aide humanitaire peut atténuer les symptômes de la famine, elle ne peut cependant pas « soigner » la situation elle-même.
La délégation a notamment insisté sur le caractère multifactoriel de la famine, faisant observer qu’outre les conflits, l’impact de la fluctuation des cours mondiaux, les déséquilibres dans l’approvisionnement des produits de base et l’impact des changements climatiques, ainsi que les restrictions unilatérales, exercent aussi une influence sur la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale.
PROTECTION DES CIVILS EN PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ
Projet du texte de résolution S/2018/492
Le Conseil de sécurité,
Rappelant toutes ses résolutions pertinentes, notamment les résolutions 1296 (2000), 1894 (2009), 2175 (2014) et 2286 (2016) et la déclaration de son Président du 9 août 2017 (S/PRST/2017/14),
Exprimant sa profonde préoccupation face à l’ampleur des besoins humanitaires dans le monde et au risque de famine qui menace des millions de personnes dans des situations de conflit armé, ainsi que face au nombre de personnes sous-alimentées dans le monde qui, après des décennies de baisse, a augmenté ces deux dernières années, la majorité des personnes souffrant d’insécurité alimentaire et 75 % des enfants de moins de cinq ans souffrant d’un retard de croissance vivant dans des pays en proie à un conflit armé, portant à 74 millions le nombre de personnes dans des situations de conflit armé faisant face à une insécurité alimentaire critique ou pire,
Notant les effets dévastateurs qu’ont sur les civils les conflits armés qui sévissent à l’heure actuelle et la violence qui y est liée et soulignant avec une profonde préoccupation que les conflits armés en cours et la violence ont des conséquences désastreuses sur le plan humanitaire, empêchant souvent l’acheminement d’une aide humanitaire efficace, et constituent par là même une des principales causes du risque de famine actuel,
Se déclarant préoccupé par la multiplication des conflits armés dans différentes régions géographiques partout dans le monde, et soulignant qu’il faut d’urgence redoubler d’efforts pour les prévenir et les régler, les dimensions régionales des conflits armés devant, lorsque cela est pertinent, être traitées en privilégiant tout particulièrement la diplomatie et les accords régionaux,
Réaffirmant son intention de s’efforcer de prévenir et faire cesser par tous les moyens les conflits armés, y compris en s’attaquant à leurs causes profondes d’une manière inclusive, intégrée et durable,
Conscient de la nécessité de mettre fin au cercle vicieux du conflit armé et de l’insécurité alimentaire,
Réaffirmant qu’il a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et, à cet égard, qu’il est résolu à s’attaquer à la question de l’insécurité alimentaire, y compris de la famine, engendrée par les conflits armés,
Réaffirmant son plein respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les États conformément à la Charte des Nations Unies,
Conscient que les conflits armés ont des incidences sur la sécurité alimentaire qui peuvent être directes, telles que les déplacements, les effets sur les zones de pâturage du bétail et les zones de pêche ou la destruction des stocks de nourriture et de biens agricoles, ou indirectes, telles que la perturbation du fonctionnement des marchés et des systèmes alimentaires, entraînant une augmentation des prix alimentaires ou une baisse du pouvoir d’achat des ménages, ou un accès restreint aux biens nécessaires pour préparer les repas, y compris l’eau et les combustibles,
Notant avec une vive inquiétude la grave menace humanitaire que fait peser sur les civils, dans les pays touchés, la présence de mines terrestres, de restes explosifs de guerre et d’engins explosifs artisanaux, qui a des conséquences socioéconomiques graves et durables pour les populations de ces pays et pour leurs activités agricoles, ainsi que pour le personnel participant aux programmes et opérations de maintien de l’ordre, de secours humanitaire, de maintien de la paix, de relèvement et de déminage,
Mettant l’accent sur les effets particuliers que les conflits armés ont sur les femmes et les enfants, notamment réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, ainsi que sur les autres civils présentant des vulnérabilités particulières, tels que les personnes handicapées et les personnes âgées, et soulignant que toutes les populations civiles ont besoin de protection et d’assistance,
Réaffirmant le rôle important que les femmes jouent dans la prévention et le règlement des conflits et dans la consolidation de la paix, et soulignant qu’il importe qu’elles participent sur un pied d’égalité à tous les efforts visant à maintenir et à promouvoir la paix et la sécurité et qu’elles y soient pleinement associées, et qu’il convient de les faire intervenir davantage dans la prise de décisions touchant la prévention et le règlement des conflits,
Rappelant les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, ainsi que l’obligation qui incombe aux hautes parties contractantes et aux parties à un conflit armé de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire en toutes circonstances,
Soulignant qu’affamer les civils comme méthode de guerre peut constituer un crime de guerre,
Insistant sur le fait que, pour répondre efficacement aux besoins humanitaires dans les situations de conflit armé, notamment le risque de famine et d’insécurité alimentaire engendrées par le conflit, il est indispensable que toutes les parties au conflit respectent le droit international humanitaire, soulignant les obligations qui incombent aux parties pour ce qui est de protéger les civils et les biens de caractère civil, de répondre aux besoins élémentaires de la population civile qui se trouve sur leur territoire ou qui est sous leur contrôle effectif et de permettre et de faciliter l’acheminement rapide et sans entrave de secours humanitaires impartiaux à tous ceux qui sont dans le besoin,
Rappelant son intention de donner pour mandat aux missions de maintien de la paix et autres missions des Nations Unies de concourir, lorsqu’il y a lieu, à l’instauration des conditions dans lesquelles l’aide humanitaire peut être acheminée sans risque, sans retard et sans obstacle,
Exigeant que toutes les parties à un conflit armé respectent pleinement les obligations que leur impose le droit international, notamment le droit international des droits de l’homme, le cas échéant, et le droit international humanitaire, en particulier celles que leur font les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977 et 2005, afin de garantir le respect et la protection de l’ensemble du personnel médical et des agents humanitaires dont l’activité est d’ordre exclusivement médical, de leurs moyens de transport et de leur matériel, ainsi que des hôpitaux et des autres installations médicales,
Réaffirmant l’obligation qui incombe à toutes les parties impliquées dans un conflit armé de se conformer au droit international humanitaire, en particulier les obligations qui leur incombent en vertu des Convention de Genève de 1949 et en vertu des Protocole additionnel y relatifs de 1977, d’assurer le respect et la protection de tout le personnel humanitaire et le personnel des Nations Unies et son personnel associé, ainsi qu’aux règles et principes du droit international des droits de l’homme et du droit des réfugiés,
Réaffirmant que toutes les parties à un conflit armé doivent respecter les principes humanitaires d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance dans la fourniture de l’aide humanitaire, notamment médicale, et réaffirmant également qu’en situation de conflit armé, tous ceux qui contribuent à fournir cette aide doivent promouvoir et respecter pleinement ces principes,
Soulignant que les actions et poursuites engagées devant les juridictions pénales nationales et internationales, les tribunaux spéciaux, les tribunaux mixtes et les chambres spécialisées des juridictions nationales sont venues renforcer la lutte contre l’impunité du génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’autres crimes odieux et permettre d’en amener les auteurs à répondre de leurs actes,
Réaffirmant que c’est aux États qu’il incombe au premier chef de protéger leur population sur l’ensemble de leur territoire,
1. Rappelle le lien entre les conflits armés et la violence et l’insécurité alimentaire provoquée par les conflits et le risque de famine, et demande à toutes les parties à des conflits armés de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit international humanitaire pour ce qui est de respecter et de protéger les civils et de prendre toutes les précautions possibles pour épargner les biens de caractère civil, notamment les biens nécessaires à la production et à la distribution de denrées comme les exploitations agricoles, les marchés, les systèmes d’eau, les usines, les sites de traitement et de stockage des produits alimentaires, les pôles et les moyens de transport pour la nourriture, et de s’abstenir d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie des populations civiles tels que les denrées alimentaires, les récoltes, le bétail, les biens agricoles, les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation, et de respecter et de protéger le personnel humanitaire ainsi que les articles destinés aux opérations de secours humanitaire ;
2. Souligne à cet égard que les conflits armés, les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme et l’insécurité alimentaire peuvent être des facteurs de déplacements forcés qui peuvent eux-mêmes, en retour, avoir des effets dévastateurs sur la production agricole et les moyens de subsistance dans les pays en situation de conflit armé, rappelle que les déplacements forcés de civils en temps de conflit armé sont prohibés, et souligne à cet égard qu’il importe de respecter pleinement le droit international humanitaire et les autres dispositions du droit international applicables ;
3. Souligne la nécessité d’acheminer l’aide humanitaire sans distinction de sexe ou d’âge et de rester attentif aux différents besoins des populations, en veillant à prendre en compte ces besoins dans les interventions humanitaires ;
4. Demande à toutes les parties à des conflits armés de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit international humanitaire, et souligne qu’il importe que le personnel humanitaire ait accès librement et en toute sécurité aux civils en période de conflit armé, demande à toutes les parties concernées, y compris aux États voisins, de coopérer pleinement avec le Coordonnateur de l’action humanitaire et les organismes des Nations Unies afin d’assurer un tel accès, invite les États et le Secrétaire général à l’informer de tout refus illicite d’accorder un tel accès en violation du droit international, lorsque ce refus peut menacer la paix et la sécurité internationales et, à cet égard, se déclare disposé à examiner de telles informations et, le cas échéant, à adopter les mesures appropriées ;
5. Condamne fermement l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, prohibée par le droit international humanitaire, dans un certain nombre de situations de conflit ;
6. Condamne fermement les refus illicites d’accès humanitaire et la privation des civils de biens indispensables à leur survie, notamment en entravant intentionnellement l’acheminement des secours destinés à lutter contre l’insécurité alimentaire provoquée par les conflits, qui peuvent constituer une violation du droit international humanitaire ;
7. Engage toutes les parties à protéger les infrastructures civiles, qui sont essentielles pour acheminer l’aide humanitaire et assurer le bon fonctionnement des marchés et des systèmes alimentaires dans les situations de conflit armé ;
8. Engage ceux qui exercent une influence sur les parties aux conflits armés à leur rappeler qu’elles sont tenues de respecter le droit international humanitaire ;
9. Rappelle qu’il a adopté et peut envisager d’adopter, s’il y a lieu et conformément à la pratique établie, des mesures de sanctions qui peuvent viser des personnes ou entités qui font obstacle à l’acheminement ou à la distribution de l’aide humanitaire ou à l’accès à cette aide ;
10. Engage vivement les États à mener, sans tarder et en toute indépendance, dans leur zone de juridiction, des enquêtes exhaustives, impartiales et efficaces sur les violations des dispositions du droit international humanitaire relatives à l’utilisation de la famine comme méthode de guerre, notamment le refus illicite de l’acheminement de l’aide humanitaire aux populations civiles en période de conflit armé, et, le cas échéant, à sévir contre les responsables de ces violations, conformément au droit national et international, en vue de renforcer les mesures de prévention, de veiller à ce que les auteurs répondent de leurs actes et de donner suite aux plaintes des victimes ;
11. Prie le Secrétaire général de continuer de l’informer de l’évolution de la situation et de l’action humanitaires, notamment des risques de famine et d’insécurité alimentaire dans les pays en situation de conflit armé, dans ses rapports périodiques sur la situation de certains pays ;
12. Prie également le Secrétaire général de l’informer promptement de l’apparition, dans des contextes de conflit armé, de risques de famine et d’insécurité alimentaire généralisée causées par les conflits, et entend prêter toute l’attention voulue aux informations communiquées par le Secrétaire général lorsque ces risques sont portés à son attention ;
13. Prie en outre le Secrétaire général de lui faire tous les 12 mois un exposé sur l’application de la présente résolution dans le cadre de son compte rendu annuel sur la protection des civils.