À l’occasion du compte rendu de la mission du Conseil de sécurité au Myanmar et au Bangladesh, le sort des réfugiés rohingya suscite l’inquiétude
Le Conseil de sécurité a rendu compte, cet après-midi, de sa mission effectuée au Bangladesh et au Myanmar du 28 avril au 2 mai 2018, occasion pour ses membres de faire part de leur inquiétude face aux violations des droits de l’homme dont ont été victimes les populations rohingya et à la situation humanitaire alarmante de ceux qui se sont réfugiés au Bangladesh alors qu’approche la saison de la mousson
Les représentants du Koweït, du Pérou et du Royaume-Uni les trois coresponsables de la mission, ont présenté tour à tour leur compte rendu, dont une ébauche avait déjà été publiée dans la déclaration à la presse faite par le Conseil de sécurité le 9 mai dernier.
« Le Conseil a pu toucher du doigt les réalités du camp de réfugiés de Kutupalong, le plus grand au monde avec plus de 600 000 résidents, dont la moitié sont des enfants », a ainsi témoigné le représentant du Koweït. « Je n’avais jamais vu d’aussi près une telle souffrance humaine que lors de la visite à Cox’s Bazar », a renchéri le représentant de la Guinée équatoriale en parlant de centaines de milliers de réfugiés vivant « serrés comme des sardines » dans des conditions sanitaires et alimentaires très précaires. Le représentant du Koweït a également fait part de la promesse des autorités du Bangladesh, dont la Première Ministre, de continuer à assurer une assistance humanitaire, notamment dans le contexte de la prochaine saison des moussons.
En ce qui concerne les entretiens des membres du Conseil avec les autorités du Myanmar, le représentant du Pérou a noté que la Conseillère d’État, Mme Aung San Suu Kyi, s’était dite favorable au prompt retour des réfugiés avant la mousson, mais avait souligné que le processus était retardé par des complications liées aux formulaires administratifs. Le chef des services de défense a pour sa part maintenu que la violence dans l’État Rakhine avait résulté des attaques de l’ARSA (Armée du salut des Rohingya de l’Arakan). La mission du Conseil s’est réunie, le 30 avril, avec les membres du comité du suivi de l’application des recommandations formulées par la Commission consultative sur l’État Rakhine, la « Commission Annan », qui ont présenté diverses initiatives en faveur du développement économique de la région.
La représentante du Royaume-Uni a pour sa part détaillé les dévastations commises dans l’État Rakhine, dont le Conseil a pu se rendre compte de visu. Elle a exhorté les autorités du Myanmar à accorder un accès humanitaire sans entrave dans l’État, avant de se dire vivement préoccupée par les intimidations dont ont été victimes des villageois rohingya, afin de les dissuader de parler aux membres du Conseil.
Des membres du Conseil ont également fait mention de divers manquements aux droits de l’homme dans cet État. La représentante des États-Unis a estimé que la « la responsabilité ultime repose sur les épaules des autorités du Myanmar », exhortant ces dernières à coopérer pour s’assurer que les violations commises dans l’État Rakhine feront l’objet de poursuites car, a-t-elle affirmé, « l’impunité ne peut l’emporter ». Dans le même sens, la France a demandé aux autorités nationales de « diligenter des enquêtes sur les violations des droits de l’homme dans l’Arakan, où les Rohingya sont victimes d’un nettoyage ethnique ».
Aucune violation des droits de l’homme ne sera tolérée et toutes les allégations soutenues par des faits feront l’objet d’enquêtes, a pour sa part assuré le représentant du Myanmar. Il a aussi rappelé que le commandant en chef de l’armée avait assuré aux membres du Conseil que l’armée était disposée à accueillir « à bras ouverts » tout survivant de violence sexuelle qui pourrait apporter les preuves du crime subi, afin que les auteurs aient à rendre des comptes.
Des voix ont également appelé les autorités du Myanmar à mettre pleinement en œuvre la déclaration présidentielle adoptée par le Conseil le 6 novembre dernier, en s’attaquant aux causes profondes de la crise, en coopérant pleinement avec l’Envoyée spéciale récemment nommée par le Secrétaire général et en appliquant les recommandations du rapport Annan. Le Gouvernement entend mettre en œuvre 57 des recommandations de la Commission Annan alors que les 31 restantes sont à l’étude, a annoncé le représentant de ce pays, non sans fustiger « l’attitude hostile de la communauté internationale à l’encontre du Gouvernement du Myanmar, qui ne peut contribuer » selon lui, à l’édification de la paix et de l’harmonie dans le pays.
Sur le plan humanitaire, les orateurs ont salué les moyens colossaux consentis pour résoudre la crise par le Gouvernement du Bangladesh. La France a souligné « la solidarité exemplaire » dont fait preuve le Bangladesh envers « plus d’un million » de Rohingya qui y sont réfugiés, alors que la Suède a appelé à une action rapide la communauté internationale. La Fédération de Russie octroie déjà 1 million de dollars pour le Myanmar et 1 autre million pour le Bangladesh dans le cadre de sa contribution au budget 2018-2019 du Programme alimentaire mondial.
Les Rohingya ont besoin de réponses concrètes concernant les projets des autorités du Myanmar s’agissant de leur nationalité, de leur liberté de circulation et de leurs droits, a fait observer le représentant du Bangladesh en notant l’incertitude qui entoure le retour des Rohingyas. Il a aussi jugé que le temps était venu pour le Conseil d’adopter une résolution sur la situation au Myanmar, qui réglerait notamment les causes profondes de la crise, appuyé en cela par la représentante des États-Unis.
« Nous avons répété à plusieurs reprises que nous voulons débuter le processus de rapatriement au plus vite car le pays est prêt », a retorqué son homologue du Myanmar, qui a accusé les autorités du Bangladesh de trouver « excuses après excuses afin de bloquer le processus de rapatriement ». Il a aussi annoncé la tenue d’une réunion du groupe de travail conjoint sur le rapatriement des déplacés à Dacca, le 17 mai prochain, afin de tabler sur la mise en œuvre du processus de rapatriement. Selon lui, « La principale cause de la récente crise, le meurtre brutal et les atrocités commises par ces terroristes sur des innocents d’ethnie hindoue, sur des bouddhistes de l’État de Rakhine et sur d’autres minorités tribales, a été ignorée par les médias occidentaux », tout comme les atrocités commises par l’ARSA.
MISSION DU CONSEIL DE SÉCURITÉ
Exposé sur la mission du Conseil de sécurité au Bangladesh et au Myanmar (du 28 avril au 2 mai 2018)
Déclarations
M. MANSOUR AYYAD SH. A. ALOTAIBI (Koweït) a présenté le compte rendu de la visite du Conseil au Bangladesh. Il a indiqué que le 28 avril, les membres du Conseil étaient arrivés à Cox’s Bazar pour évaluer la situation des milliers de réfugiés qui y sont installés. La réunion de travail, avec le groupe de travail de l’ONU et les autorités bangladeshi, a permis de souligner que les conditions d’un retour digne et sûr des personnes déplacées ne sont pas encore en place. Le groupe de travail a fait mention de ses préoccupations quant à l’expansion de cette crise dans les pays voisins. Les autorités du Bangladesh ont fait part de leur volonté de continuer à assurer une assistance humanitaire, notamment dans le contexte de la prochaine saison des moussons. Une promesse qui a été par la suite confirmé aux membres du Conseil par la Première Ministre du Bangladesh, Mme Sheikh Hasina.
Dans les camps de réfugiés, les membres du Conseil ont pu voir l’ampleur de la tragédie des Rohingya, qui ont perdu leur foyer et parfois des membres de leur famille. Les gardes frontière du Bangladesh ont fourni à la mission des images de victimes de bombardements militaires à leur entrée dans le pays, en provenance de l’État Rakhine. Des réfugiés rencontrés sur place ont affirmé être originaires du Myanmar et avoir fui des persécutions et un état de déni de leurs droits les plus fondamentaux, comme le droit à l’éducation. Le Conseil a aussi pu toucher du doigt les réalités du camp des réfugiés de Kutupalong, le plus grand au monde avec plus de 600 000 résidents, dont la moitié sont des enfants. Les membres du Conseil ont en outre tenu deux conférences de presse à Dacca et à Cox’s Bazar.
À titre national, M. Alotaibi a déclaré que des mesures devaient être prises par le Conseil de sécurité pour éviter la détérioration de cette crise pouvant avoir des répercussions sur la paix et la sécurité internationales. Il a dit avoir encore en mémoire les pleurs d’enfants dans les camps de réfugiés à la recherche de leurs parents disparus. Il a invité les autorités du Myanmar à établir des mesures pour reconnaître la nationalité du pays aux Rohingya. Il a aussi indiqué que la destruction de leurs habitations faisait croire à une volonté de nettoyage ethnique.
M. GUSTAVO MEZA-CUADRA (Pérou) a présenté la partie du compte rendu de la mission concernant les entretiens des membres du Conseil avec les autorités du Myanmar. Rappelant que la mission avait été menée sous la présidence du Pérou, il a déclaré qu’elle avait permis aux membres du Conseil de rencontrer les plus hautes autorités du Myanmar et de leur transmettre la position du Conseil.
Le représentant a ainsi noté que la Conseillère d’État, Mme Aung San Suu Kyi, s’était dite favorable au prompt retour des réfugiés avant la mousson, mais avait souligné que le processus était retardé par des complications liées aux formulaires administratifs. Elle a aussi insisté sur l’importance pour son gouvernement de mettre en œuvre les recommandations de la Commission consultative sur l’État Rakhine, la deuxième région la plus pauvre du Myanmar, et reconnu la nécessité de réviser certaines règles comme la loi de citoyenneté de 1982, même si cela prendra du temps. Elle a par ailleurs dit que, du fait de l’attention portée aux minorités musulmanes, d’autres communautés se sentaient discriminées.
Les membres du Conseil, a expliqué M. Meza-Cuadra, ont fait part de leur volonté d’appuyer le Gouvernement du Myanmar, tant pour le retour volontaire des réfugiés que pour aborder les causes profondes de la crise. Ils ont demandé au Gouvernement de faciliter l’accès des Nations Unies et des agences humanitaires et de collaborer avec la nouvelle Envoyée spéciale du Secrétaire général. Ils ont indiqué à Mme Aung San Suu Kyi qu’il était urgent de respecter les droits de l’homme de la communauté rohingya, de résoudre la question de la citoyenneté, et de permettre des enquêtes indépendantes pour la reddition de comptes et la promotion de la réconciliation.
M. Meza-Cuadra a ajouté que la mission avait rencontré le général Min Aung Hlaing, commandant en chef des services de défense, lequel a maintenu que la violence dans l’État Rakhine avait résulté des attaques de l’ARSA (Armée du salut des Rohingya de l’Arakan). Le général a fait valoir que les forces armées (« Tatmadaw ») avaient respecté leurs obligations internationales. Les membres du Conseil ont souligné la nécessité de garantir la sécurité dans l’État Rakhine pour permettre le retour volontaire des réfugiés.
Ensuite, a poursuivi M. Meza-Cuadra, la mission du Conseil s’est réunie, le 30 avril, avec les membres du comité du suivi de l’application des recommandations des recommandations formulées par la Commission consultative sur l’État Rakhine, la « Commission Annan », qui ont présenté diverses initiatives en faveur du développement économique de la région. Les membres du Conseil ont également rencontré l’équipe de pays des Nations Unies et des organisations de la société civile.
Enfin, M. Meza-Cuadra a insisté sur l’importance de renforcer l’état de droit et la transition démocratique au Myanmar, pour redonner confiance dans les institutions, réduire les tensions intercommunautaires et promouvoir une paix durable dans ce pays et dans la région.
Mme KAREN PIERCE (Royaume-Uni) a détaillé les dévastations dans l’État Rakhine, dont le Conseil a pu se rendre compte en s’y rendant. J’ai été frappée par l’acuité des défis à relever et par l’ampleur des destructions, a—t-elle dit. La représentante a exhorté les autorités du Myanmar à accorder un accès humanitaire sans entrave, avant de demander le retour des réfugiés rohingya dans la dignité et la sécurité.
Mme Pierce a déploré le manque de progrès en vue d’une solution politique et d’une réconciliation intercommunautaire dans l’État Rakhine. Nous devons mettre en place un mécanisme de responsabilisation pour les violations commises dans l’État Rakhine, a-t-elle déclaré. Enfin, elle s’est dite vivement préoccupée par les intimidations dont ont été victimes des villageois rohingya, afin de les dissuader de parler aux membres du Conseil. Elle a demandé des précisions aux autorités du Myanmar sur ces intimidations.
M. MA ZHAOXU (Chine) a salué l’accueil fait par le Bangladesh aux membres de la mission du Conseil. Il a dit souhaiter que cette visite joue un rôle important pour une solution à la crise en cours dans l’État Rakhine. Le Bangladesh a consenti des moyens colossaux pour résoudre la crise, a fait observer le représentant, qui a également affirmé que le Gouvernement du Myanmar s’était dit prêt à accueillir les réfugiés qui rentrent au pays. Le Myanmar a ainsi construit des centres de transit et d’accueil et a pris un ensemble de mesures pour améliorer la situation dans l’État Rakhine, a-t-il assuré.
Les conditions de vie à Cox’s Bazar seront encore plus âpres avec l’arrivée de la saison des moussons, a averti le représentant, en exhortant le Bangladesh et le Myanmar à mettre en œuvre les accords bilatéraux qui les lient et à favoriser le retour des réfugiés. Les deux pays doivent travailler de concert pour résoudre la crise, a-t-il insisté, tout en invitant la communauté internationale à renforcer son soutien aux deux pays. En tant que voisin de ces deux États, la Chine suit de près la situation et a envoyé une aide humanitaire. M. Ma a assuré que son pays continuerait de jouer un rôle positif pour régler la crise dans l’État Rakhine, conflit qui, a-t-il rappelé, a des racines historiques, religieuses et politiques.
Mme NIKKI R. HALEY (États-Unis) a souligné la nécessité absolue d’un appui international aux réfugiés rohingya. Le Conseil doit oser agir maintenant sur ce dossier, a-t-elle dit. Alors que la saison des pluies commence, nous ne pouvons pas accepter que les réfugiés vivent dans de telles conditions, a affirmé la représentante, qui a invité le Conseil à œuvrer pour le retour des Rohingya dans la sécurité et la dignité.
La responsabilité ultime repose sur les épaules des autorités du Myanmar, a ajouté Mme Haley, qui a exhorté le Myanmar à coopérer pour assurer une reddition de comptes pour les violations commises dans l’État Rakhine. « L’impunité ne peut l’emporter », a-t-elle affirmé. La représentante a demandé la mise en œuvre des recommandations de la Commission Annan, y compris sur la question de l’apatridie des Rohingya, et exhorté le Myanmar à signer le mémorandum d’accord avec le HCR. Le Myanmar doit garantir un accès humanitaire dans l’État Rakhine, a répété Mme Haley.
La représentante a, en outre, demandé la libération des deux journalistes de l’agence Reuters emprisonnés au Myanmar. Enfin, elle a plaidé pour l’adoption d’une résolution mettant en place les conditions pour une sortie de crise. Certains États Membres nous ont en effet empêché d’agir en raison de desseins cyniques, a-t-elle dénoncé avant de conclure. « Nous n’avons plus le choix, il faut agir. »
M. CARL ORRENIUS SKAU (Suède) a déclaré que ce qu’a vu le Conseil durant sa visite laisse une marque indélébile. Ce fut d’abord un choc à l’écoute des histoires de brutalité dont ont souffert les Rohingya. Ce fut ensuite la gratitude après l’accueil ouvert et généreux que les réfugiés ont reçu au Bangladesh. Ce fut enfin une préoccupation à la vue de l’échelle de la crise et de la réponse nécessaire. Après la visite, nous restons profondément préoccupés par la crise humanitaire et des droits de l’homme dans l’État Rakhine ainsi que par la situation alarmante des réfugiés au Bangladesh, a déclaré le représentant. Assurer la pleine mise œuvre de la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité du 6 novembre 2017 demeure pertinent et urgent, a-t-il ajouté.
La visite du Conseil de sécurité souligne la nécessité pour le Conseil de rester saisi de la situation au Myanmar et au Bangladesh et d’accroître ses efforts pour trouver une solution à la crise, a poursuivi le représentant. Dans le court terme, de nombreuses questions doivent être résolues en urgence, a-t-il ajouté.
En premier lieu, nous devons répondre rapidement aux besoins des réfugiés, a déclaré M. Orrenius Skau. L’immensité de la crise veut qu’ils aient un appui pour soutenir la réponse nécessaire. La prochaine saison des pluies aggravera la situation difficile des réfugiés. Une action rapide par la communauté internationale est demandée à cet égard. La Suède encourage tous les États à continuer et à augmenter leur appui en ce sens.
En deuxième lieu, il faut assurer la création de conditions sûres, dignes et durables en faveur des réfugiés. De plus, il est essentiel que les causes qui ont conduit à la violence et au déplacement soient complètement traitées en priorité. Durant la visite du Conseil, il était clair qu’il y a un besoin urgent de sécurité, de programmes de reconstruction et de moyens de subsistance qui profitent à toutes les communautés dans l’État Rakhine. La mise en œuvre des recommandations du rapport de la Commission consultative sur l’État Rakhine doit maintenant être intensifiée en étroite collaboration avec les partenaires internationaux et régionaux y compris la question de la citoyenneté.
À cet égard, le représentant a encouragé le Myanmar et le Bangladesh à accélérer les consultations bilatérales et les efforts en cours et à mettre en œuvre le Mémorandum d’accord à temps, afin de préparer le retour de réfugiés lorsque les conditions le permettront. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés doit être associé dans ce processus, a-t-il insisté. Il a ajouté qu’une attention particulière devait être accordée aux perspectives et besoins spécifiques des survivants des abus sexuels, y compris la protection nécessaire au processus de retour.
En troisième lieu, l’accès et l’engagement de l’ONU sont essentiels. Il est temps que le Gouvernement du Myanmar donne aux Nations Unies et à d’autres organisations nationales, internationales ou non gouvernementales un accès total et sans entrave dans l’État Rakhine. Le Mémorandum d’accord avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et le Haut-Commissariat pour les réfugiés devrait maintenant être conclu le plus rapidement possible. L’accès est essentiel afin de soutenir la mise en œuvre des recommandations de la Commission consultative sur l’État Rakhine.
Enfin, a poursuivi le représentant, les informations, y compris les témoignages entendus par les membres du Conseil, sur les actes de violence systématiques, répandus et coordonnés indiquent que des crimes contre l’humanité ont été commis. Tous les États ont la responsabilité d’agir et de prévenir les violations du droit international, y compris les violations des droits de l’homme. Dans le cas présent, la responsabilité première revient au Gouvernement du Myanmar qui doit faire face à la question de la responsabilité, a rappelé M. Orrenius Skau.
Mme ANNE GUEGUEN (France) a souligné « la solidarité exemplaire » dont fait, selon elle, preuve le Bangladesh, envers « plus d’un million » de Rohingya réfugiés dans ce pays. Pour porter main forte à Dacca, la représentante a appelé la communauté internationale à améliorer le taux de financement du plan de réponse humanitaire, qui n’est actuellement que de 16%. Elle a aussi appelé à prendre des mesures préventives face à l’imminence de la mousson estivale, qui risque d’aggraver la situation dans les camps de réfugiés rohingya.
Parallèlement, Mme Gueguen a appelé les autorités du Myanmar à mettre pleinement en œuvre la déclaration présidentielle adoptée par le Conseil le 6 novembre 2017, en s’attaquant aux causes profondes de la crise, en coopérant pleinement avec l’Envoyée spéciale du Secrétaire général et en appliquant les recommandations du rapport Annan. À ses yeux, seule une reconnaissance, par Naypyidaw, des droits des Rohingya dans leur pays permettra de mettre fin à la crise actuelle. Dans le même sens, la représentante a demandé aux « autorités birmanes » de diligenter des enquêtes sur les violations des droits de l’homme dans l’Arakan, où les Rohingya sont, selon elle, victimes d’un nettoyage ethnique.
Enfin, Mme Gueguen a plaidé en faveur du rétablissement immédiat d’un accès humanitaire « sûr et sans entrave » dans la zone, notamment via la signature par « la Birmanie » d’un mémorandum d’accord avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
M. DIDAR TEMENOV (Kazakhstan) a indiqué que la mission du Conseil de sécurité au Bangladesh et au Myanmar avait été une révélation « frappante et probante », qui avait permis de se rendre compte de première main de la misère des Rohingya. Il a salué la générosité du Bangladesh, attirant dans la foulée l’attention sur les préparatifs que nécessite l’approche de la saison des moussons afin de prévenir des pertes en vies humaines. Cela est d’autant plus important si l’on tient compte du fait que 60% des réfugiés rohingya sont des enfants et que 41% ont moins de 12 ans, a-t-il indiqué.
Face à l’ampleur du problème, le rapatriement des réfugiés sera une tâche des plus ardues qui nécessitera les efforts concertés de nombreuses organisations, États et parties prenantes, a poursuivi le représentant, qui a appelé à la poursuite des efforts de collaboration entre le Gouvernement du Myanmar, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le PNUD. Outre le retour des personnes déplacées dans l’État Rakhine, le représentant a appelé à répondre aux causes sous-jacentes de la crise, notamment le problème de la citoyenneté des Rohingya, la pauvreté et l’accès à l’éducation. Il a souhaité que la visite du Conseil de sécurité ouvre la voie à l’identification de solutions à long terme et permette en outre un accès sans entrave des agences humanitaires à tous ceux qui en ont besoin. Face à l’incapacité de la Croix-Rouge à subvenir seule à l’ensemble des besoins dans le nord de l’État Rakhine, M. Temenov a notamment appelé le Gouvernement du Myanmar à autoriser l’accès au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), au Programme alimentaire mondial (PAM), à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), et au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).
M. ANATOLIO NDONG MBA (Guinée équatoriale) a témoigné qu’il n’avait jamais vu d’aussi près une telle souffrance humaine que lors de sa visite à Cox’s Bazar. Des centaines de milliers de réfugiés - hommes, femmes, enfants -, vivent « serrés comme des sardines » dans des conditions sanitaires et alimentaires très précaires, a-t-il déclaré. Son interaction avec les réfugiés et le personnel des agences des Nations Unies a permis à la mission du Conseil de sécurité de mesurer l’ampleur du drame que vivent ces personnes depuis qu’elles sont sorties de l’Etat Rakhine, a poursuivi le représentant.
Rendant hommage au Gouvernement et à la population du Bangladesh qui accueillent ces réfugiés, M. Ndong Mba a appelé la communauté internationale à apporter une assistance d’urgence à ce gouvernement et aux réfugiés rohingya, dont la situation menace de se détériorer à l’approche de la saison des pluies. Il a de nouveau demandé aux autorités politiques et militaires du Myanmar de prendre toutes les dispositions nécessaires pour rapatrier dans des conditions dignes tous ceux qui ont été déplacés de force. Au niveau de ce Conseil, a-t-il averti, nous devons faire en sorte que les espoirs que notre visite a suscités dans le cœur de ces réfugiés se réalisent concrètement à travers des contacts entre les deux gouvernements et ce, pour faciliter des accords.
M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a jugé important que le Conseil ait pu s’accorder sur une déclaration à la presse après la visite du terrain. Il a salué le Gouvernement et les populations du Bangladesh qui ont ouvert leur cœur et leur porte aux réfugiés. Il a également salué le fait que les autorités du Myanmar ont donné aux membres du Conseil accès à tous les sites. Il s’est dit optimiste sur la promesse faite par les autorités du Myanmar en faveur du retour des réfugiés, comme le démontre la signature d’un mémorandum d’entente avec le PNUD ou encore l’accès à l’État Rakhine accordé aux observateurs internationaux.
Le représentant a invité la communauté internationale à aider les autorités du Bangladesh dans leurs efforts de prise en charge des réfugiés, plaidant aussi pour le retour de ces populations. La Fédération de Russie a pour sa part octroyé 1 million de dollars pour le Myanmar et 1 autre million pour le Bangladesh dans le cadre de sa contribution au budget 2018-2019 du Programme alimentaire mondial (PAM). Il a insisté sur le fait que toute aide apportée à ces pays devait être neutre et non politisée, en droite ligne des textes pertinents de l’ONU. Au sujet des accusations d’atteintes sexuelles, il a invité les deux pays à enquêter dans le respect du droit, en s’appuyant sur les faits, et non en suivant ce qu’il a appelé l’agitation médiatique.
Pour la Fédération de Russie, le fait que les autorités du Myanmar ont demandé que les réfugiés envoient les documents aux tribunaux pour faciliter leur identification représente un pas dans la bonne direction. Il a demandé que soient créées des conditions de retour des réfugiés, notant qu’avec le début de la saison de la mousson, la situation des réfugiés se compliquait davantage. Il faut donner du temps à la nouvelle Envoyée spéciale récemment nommée de prendre ses marques, a également suggéré M. Polyanskiy avant de souligner qu’il était important de conserver l’unité du Conseil de sécurité, invitant ses membres à ne pas utiliser la crise des Rohingya à des fins politiques.
Mme LISE GRÉGOIRE VAN HAAREN(Pays-Bas) s’est dite horrifiée par les récits des réfugiés du camp de Cox’s Bazar, au Bangladesh, et par l’ampleur des destructions dans le nord de l’État Rakhine, au Myanmar. Face aux risques d’inondation des camps bangladeshis à l’approche de la mousson, la représentante a appelé la communauté internationale à redoubler d’efforts pour appuyer le plan de réponse humanitaire, selon elle largement sous-financé.
Par ailleurs, Mme Grégoire Van Haaren a appelé les autorités birmanes à mettre en œuvre la déclaration présidentielle adoptée par le Conseil le 6 novembre 2017, à garantir un accès sans entrave aux agences de l’ONU et à tous les acteurs humanitaires, ainsi qu’à conclure un mémorandum d’entente avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).
Mme Grégoire Van Haaren a aussi appelé les autorités du Myanmar à ouvrir des enquêtes sur les violations des droits de l’homme dans le pays et à devenir parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Dans le cas contraire, a-t-elle déclaré, il reviendra à la communauté internationale de prendre les mesures qui s’imposent pour lutter contre l’impunité, y compris par un renvoi de la question à la CPI.
Mme JOANNA WRONECKA (Pologne) a estimé que la visite du Conseil avait été un « succès », qui a permis à ses membres de comprendre l’ampleur de la crise, notamment à Cox’s Bazar. Le début de la saison des pluies risque d’aggraver cette crise et nous devons agir, car une course contre la montre est engagée, a-t-elle ajouté. « Nous devons améliorer le sort des Rohingya », a poursuivi la représentante, qui a demandé un accès humanitaire sans entrave dans l’État Rakhine. Enfin, Mme Wronecka a souhaité la réintégration sociale harmonieuse des Rohingya au Myanmar, en particulier pour les femmes et les enfants.
M. U HAU DO SUAN (Myanmar) a dit espérer que la visite du Conseil de sécurité avait permis à ses membres de mieux comprendre la situation sur le terrain. Pour lui, la tâche la plus urgente est le rapatriement des personnes déplacées dans le respect des accords bilatéraux. « Nous avons répété, à plusieurs reprises, que nous voulons débuter le processus de rapatriement au plus vite car le pays est prêt », a-t-il affirmé.
À preuve, a poursuivi le représentant, « mon gouvernement a rappelé à l’Ambassadeur du Bangladesh que le Myanmar était prêt à lancer le rapatriement des déplacés dont le statut a été vérifié avant le début de la mousson, en droite ligne des accords entre les deux pays ». Il a toutefois déploré le fait que le Bangladesh n’ait pas respecté le format agréé entre les deux États dans l’établissement des listes de déplacés. Il a notamment insisté sur le besoin de joindre au nom une photo et des empreintes digitales des réfugiés, afin de s’assurer de leur consentement.
Le représentant a ensuite rappelé qu’avant la visite du Conseil de sécurité, le Ministre du bien-être social et de la réinstallation du Myanmar s’était rendu à Cox’s Bazar afin de présenter les détails du programme de retour et de réinstallation aux réfugiés. Grande a été sa surprise de constater qu’ils n’en avaient jamais entendu parler de la part des autorités locales, a-t-il affirmé. De plus, le Ministre a essayé en vain de rencontrer des gens qui faisaient partie de la liste des déplacés qui auraient donné leur accord pour un retour aux autorités du Bangladesh, a poursuivi M. Suan, qui a accusé les autorités de ce pays de trouver « excuses après excuses afin de bloquer le processus de rapatriement ».
M. Suan a ensuite insisté sur le fait qu’aucune violation des droits de l’homme ne serait tolérée, que toutes les allégations soutenues par des faits feraient l’objet d’enquêtes et que des actions seraient prises en accord avec le droit. Il a rappelé que la Conseillère d’État, Mme Aung San Suu Kyi, avait assuré les membres du Conseil de sécurité qu’elle condamnait la violence et s’était dite prête à prendre des mesures en cas de violation des droits de l’homme dans l’État Rakhine si on lui présentait des faits. De plus, le commandant en chef de l’armée a également assuré aux membres du Conseil que l’armée est disposée à accueillir à bras ouverts tout survivant de violence sexuelle qui pourrait apporter les preuves du crime subi, afin que les auteurs aient à rendre des comptes.
Le représentant a également rappelé que la situation actuelle résultait des attaques des rebelles de l’ARSA contre 30 postes frontière au nord de l’État Rakhine. « La principale cause de la récente crise, le meurtre brutal et les atrocités commises par ces terroristes sur des innocents d’ethnie hindoue, sur des bouddhistes de l’État de Rakhine et sur d’autres minorités tribales, a été ignorée par les médias occidentaux », a déploré le représentant. Pour lui, la vérité a donc été supprimée au profit de l’argument sensationnaliste de victimisation de musulmans. Il a regretté le fait qu’une vingtaine de Mro, de Maramar et d’Hindous aient attendu en vain les membres de la mission du Conseil dans la salle du Conseil municipal de Maungdaw, faute de temps. Une femme rohingya et une autre, hindoue, ont pu témoigner d’atrocités commises par les membres de l’ARSA, a poursuivi le représentant, qui a suggéré que des enquêtes soient également engagées sur les atrocités commises par les terroristes.
M. Suan a par ailleurs estimé que le Bangladesh admettait, peut-être inconsciemment, des extrémistes sur son territoire. L’ARSA a même déjà une emprise dans les camps de réfugiés, a-t-il affirmé, en annonçant que ces camps seraient bientôt des bastions du terrorisme et de l’extrémisme.
Le représentant a indiqué que son gouvernement était en train d’établir des memorandums d’entente avec le PNUD et le HCR dans le cadre du retour volontaire et digne des réfugiés. Il a aussi invité chacun à se tourner vers les recommandations de la Commission Annan pour faire face aux causes du conflit. Ainsi, les 88 recommandations de cette Commission et les 48 présentées par la Commission d’enquête nationale se rejoignent parfois, a-t-il fait observer. Le Gouvernement entend donc mettre en œuvre 57 des recommandations de la Commission Annan alors que les 31 restantes sont à l’étude.
Au sujet de l’émission des cartes nationales de vérification, le représentant a déploré que des informations fausses soient divulguées afin de décourager les gens voulant en faire la demande. Il a expliqué que les détenteurs de ladite carte qui satisfont aux critères juridiques pourraient recevoir la nationalité du Myanmar en quelques mois. Il a précisé que tous les habitants du pays étaient astreints au même processus, y compris lui-même.
M. Suan a invité la communauté internationale et les Nations Unies à œuvrer à la création d’un environnement favorable au retour de la paix, de l’harmonie et du développement pour tous dans l’État Rakhine. « L’attitude hostile à l’encontre du Gouvernement du Myanmar ne peut contribuer » à l’édification de la paix et de l’harmonie dans le pays, a—t-il argué. Il a aussi annoncé la tenue d’une réunion du groupe de travail conjoint sur le rapatriement des déplacés à Dacca, le 17 mai prochain, afin de tabler sur la mise en œuvre du processus de rapatriement.
M. MASUD BIN MOMEN (Bangladesh) a dit les attentes de son pays envers ce Conseil: la prise d’actions décisives pour un retour durable des Rohingya, l’adoption d’une résolution, la mise en œuvre par le Myanmar des recommandations de la Commission Annan et une responsabilisation. Les Rohingya ont besoin de réponses concrètes concernant les projets des autorités du Myanmar s’agissant de leur nationalité, de leur liberté de circulation et de leurs droits, a-t-il dit. Notant l’incertitude qui entoure le retour des Rohingya, il a appelé à la pleine mise en œuvre de l’accord signé entre le Myanmar et les agences onusiennes.
Soulignant l’imminence de la saison des pluies, le représentant a indiqué que plus de 2 500 hectares de terre avaient d’ores et déjà été alloués par son gouvernement pour accueillir des réfugiés extrêmement vulnérables, ajoutant que « 12 411 individus ont été réinstallés au sein des camps » et que « des projets sont en place pour réinstaller 20 000 réfugiés supplémentaires ».
M. Momen a appuyé la mise en place d’un mécanisme pour une enquête impartiale et indépendante sur les violations subies par les Rohingya. Enfin, il a jugé que le temps était venu pour le Conseil d’adopter une résolution sur la situation au Myanmar, qui réglerait notamment les causes profondes de la crise. « Les membres du Conseil devraient réfléchir sérieusement à cette possibilité lors des consultations prévues après cette réunion », a-t-il conclu.