Iraq: les défis de longue date ont ressurgi après la victoire contre Daech, déclare le Chef de la MANUI
Le Représentant spécial pour l’Iraq, M. Ján Kubiš, a souligné ce matin, devant le Conseil de sécurité, l’acuité des défis qui ont ressurgi en Iraq après la victoire contre Daech, parmi lesquels les tensions entre le Gouvernement fédéral et la Région du Kurdistan et la question électorale.
Le fait que de nombreux Iraquiens, « en particulier venant des communautés sunnites », demeurent déplacés pourrait jeter le doute sur le résultat des élections de 2018, a-t-il mis en garde. « La phase d’après conflit est plus périlleuse encore que celle de la guerre », a reconnu le délégué de l’Iraq.
M. Kubiš, qui est également Chef de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq (MANUI), présentait deux rapports du Secrétaire général, le premier* en application de la résolution 2107 (2013), le second** en application de la résolution 2367 (2017).
Le Représentant spécial a commencé son intervention en félicitant le Gouvernement et le peuple iraquiens pour leur victoire historique, « acquise au nom de la communauté internationale », contre Daech. Depuis l’été 2014, Daech a perdu 95% du territoire qu’il contrôlait en Iraq et en Syrie, a-t-il noté.
M. Kubiš a insisté sur le coût très élevé de cette victoire, avant de rappeler que Daech était encore présent en Iraq. Le Représentant spécial a donc encouragé la coalition internationale à poursuivre ses efforts militaires, mais aussi non militaires, afin de préserver la stabilité du pays.
Alors que « l’Iraq avait à peine poussé un soupir de soulagement » après la victoire, M. Kubiš a mentionné la recrudescence des tensions entre le Gouvernement fédéral iraquien et la Région du Kurdistan, dans la foulée du référendum sur l’indépendance déclaré unilatéralement qui s’est tenu le 25 septembre 2017 dans la Région du Kurdistan et d’autres secteurs contestés.
La confrontation entre Bagdad et Erbil qui a suivi a introduit une insécurité et fragmentation supplémentaires dans le pays, a tranché M. Kubiš. Il a noté les mesures décisives du Gouvernement pour réaffirmer son autorité et l’ordre constitutionnel, notamment aux points de passage aux frontières, dont les aéroports internationaux situés au Kurdistan.
La Cour suprême fédérale iraquienne a, dans une décision du 20 novembre, jugé que ce référendum était inconstitutionnel et devait voir ses résultats annulés, a poursuivi M. Kubiš. Il a tenu à souligner le rôle essentiel joué par la Cour dans la création de conditions propices au règlement constitutionnel et pacifique de la crise entre Bagdad et Erbil.
« Toutes les questions entre le Gouvernement et la Région du Kurdistan doivent être réglées au moyen d’un dialogue constructif en vue d’aboutir à des solutions durables sur la base de la Constitution iraquienne, en vue de garantir les droits constitutionnels de la Région du Kurdistan et de ses habitants », a insisté le Chef de la MANUI.
Le Représentant spécial a également appelé à la poursuite du dialogue intergouvernemental de haut niveau afin d’éviter les affrontements pendant le déploiement des forces fédérales dans les zones contestées et de permettre l’établissement de l’autorité fédérale aux frontières, y compris dans les aéroports internationaux de la Région, en vue d’une reprise des vols.
La MANUI continue d’engager les partis iraquiens en vue de promouvoir la réconciliation nationale, en prévision des élections nationales et provinciales de mai 2018, a affirmé M. Kubiš. Il a aussi souligné l’urgence qui s’attache à la « réconciliation sociale » autour du retour des personnes déplacées.
Le 23 octobre, après des mois de report, un nouveau conseil des commissaires au sein de la Haute Commission électorale indépendante a été approuvé après un processus de négociation épineux basé une nouvelle fois sur une approche de quotas, a précisé le Représentant spécial.
Il s’est dit très déçu que, pour la première fois, aucune femme ne siège au sein de ce conseil, avant d’insister sur la « tâche herculéenne » qui attend le nouveau conseil, en prévision des élections aux conseils des provinces et à la Chambre des députés, prévues le 15 mai 2018.
La tenue d’élections, alors que des parties du territoire iraquien sont en proie à l’insécurité et qu’un grand nombre de personnes, en particulier venant des communautés sunnites, continuent d’être déplacées, peut jeter le doute sur l’inclusion et la crédibilité de ces élections et de ses résultats, a admis le Chef de la MANUI.
« Je réitère mon appel au Conseil des représentants pour qu’il adopte de toute urgence la législation pertinente d’organisation de ces élections, afin qu’elles puissent se dérouler, malgré les défis, à la date prévue », a-t-il lancé. Le Représentant spécial a également dit s’attendre à une surveillance internationale « limitée » lors de ces élections.
Enfin, M. Kubiš a souligné les liens étroits noués par le Koweït et l’Iraq dans une région en proie à l’instabilité. Leur coopération sur la question des nationaux du Koweït et d’États tiers portés disparus, ainsi que des biens koweïtiens disparus, en est une illustration impressionnante, a-t-il conclu.
De son côté, le délégué de l’Iraq a indiqué que son gouvernement menait un dialogue constructif avec la Région du Kurdistan, dans le respect de l’article 1 de la Constitution iraquienne. Il n’est pas possible de transiger avec l’unité de l’Iraq, a-t-il dit, avant de souligner l’importance de la récente décision rendue par la Cour suprême iraquienne.
Rappelant que le pétrole et le gaz sur le territoire iraquien étaient la propriété de l’Iraq, le délégué a plaidé pour un mécanisme de suivi des recettes retirées de la vente de pétrole et collectées aux frontières iraquiennes.
« En dépit de certains appels militaires lancés depuis la Région du Kurdistan, mon gouvernement a fait preuve de retenue », a-t-il affirmé.
Le délégué iraquien a enfin sollicité l’aide de la communauté internationale pour renforcer le secteur judiciaire et de la sécurité de son pays, en vue notamment de juger « les criminels de Daech ». Invitée à s’exprimer devant le Conseil, la Chef d’équipe du premier cours de police féminine à Bagdad, Mme Anna Patrono, Arma Dei Carabinieri, a détaillé les activités de l’équipe spéciale déployée à Bagdad.
« Notre mission est de renforcer les capacités de la police fédérale iraquienne, en lui permettant d’assumer la responsabilité principale de la stabilisation du pays », a-t-elle expliqué. L’équipe spéciale de police coordonne les initiatives de formation auxquelles participent tous les groupes religieux et ethniques représentés au sein de la police iraquienne.
« Dans ce contexte, le respect de la parité hommes-femmes constitue le fondement de la stratégie des carabiniers en matière de gestion des crises », a précisé Mme Patrono. Elle a expliqué que le renforcement de la participation des femmes à la police, et la revalorisation de leur rôle dans les phases postconflit, pouvaient se traduire par l’amélioration des efforts de stabilisation, en particulier au niveau local.
La représentante des États-Unis a tenu à prendre la parole pour se féliciter de l’évaluation de la MANUI par des experts consultants externes, « une première du genre ». D’excellentes recommandations sur la manière de s’acquitter plus efficacement de son mandat ont été formulées, a-t-elle dit. À cet égard, le délégué iraquien a souhaité que la Mission renforce « l’immunité » de la société iraquienne face à l’extrémisme.
Enfin, le représentant de la Bolivie a appelé Bagdad et Erbil « à poursuivre un dialogue franc et constructif », en vue de maintenir l’unité et l’intégrité territoriale de l’Iraq, tandis que son homologue uruguayen a demandé que les combattants de Daech répondent de leurs actes susceptibles de constituer des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et « peut-être même des crimes de génocide ».
* S/2017/880
** S/2017/881