Méditerranée: le Conseil de sécurité réfléchit aux moyens de relever des défis multidimensionnels dans ce « confluent de civilisations et de cultures »
Le Conseil de sécurité s’est réuni, cet après-midi, sous la présidence du Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de l’Italie, M. Angelino Alfano, pour se pencher sur les menaces interdépendantes qui se posent à la paix et à la sécurité en mer Méditerranée, une région située au « confluent de civilisations, de cultures, de religions, d’échanges et de migrations », selon les mots du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres.
« Commerce illicite de stupéfiants, d’armes et de produits pétroliers; flux considérables de réfugiés et de migrants, souvent aux mains de trafiquants d’êtres humains; piraterie maritime: les événements des dernières années l’ont clairement et douloureusement démontré, la région méditerranéenne est confrontée à de graves défis sur plusieurs fronts », a expliqué le chef de l’Organisation.
« La mer Méditerranée regorge de ressources économiques –hydrocarbures, stocks halieutiques– et de voies navigables inestimables. Ses avantages dépendent toutefois de la stabilité et de la coopération entre États », a fait observer le Secrétaire général, pour qui la situation en Méditerranée exemplifie les liens étroits entre paix et sécurité d’un côté, et progrès démocratiques, économiques et sociaux de l’autre.
Évoquant la crise migratoire, M. Alfano a indiqué que son pays avait secouru un demi-million de personnes au large des côtes italiennes tout en luttant contre l’extrémisme. « Nous devons en faire davantage pour lutter contre les groupes terroristes et les combattants terroristes étrangers », a-t-il dit, en soulignant la nécessité d’un partage des renseignements pour identifier les djihadistes, y compris au Sahel, tant la stabilité de cette zone subsaharienne a une incidence en Méditerranée.
Cet appel a été repris à son compte par les États-Unis, qui ont estimé que les défis dans cette région sont la conséquence de deux conflits apparus en 2011, à savoir en Libye et en Syrie. « Le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad est synonyme d’instabilité », a assuré la représentante, avant d’encourager le peuple et le Gouvernement d’entente nationale libyen à œuvrer de concert à consolider l’état de droit dans ce pays où règne l’insécurité depuis la chute du régime Qadhafi.
La Fédération de Russie a, de son côté, imputé l’instabilité « préoccupante » en Libye à l’intervention militaire des États membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 2011. Il a donc suggéré aux pays « interventionnistes » d’assumer les conséquences de leurs actions, en fournissant notamment une aide accrue aux pays d’accueil des réfugiés et des migrants.
Le défi migratoire, a rappelé de son côté le représentant de la France, impose une coopération européenne et internationale renforcée, « qui doit permettre d’appréhender l’ensemble du parcours migratoire, depuis les pays d’origine jusqu’aux pays de destination, dans le respect des droits des personnes concernées ».
À cet égard, nombreux ont été aujourd’hui les appels lancés aux autorités de la Libye pour améliorer les conditions de détention des migrants dans ce pays de transit, du Secrétaire général au chef de la diplomatie italienne, en passant par l’Éthiopie.
Le Royaume-Uni a lui aussi souligné la nécessité de voir le processus politique libyen couronné de succès, avant d’appeler à une intensification de l’appui aux communautés d’accueil, en mentionnant le soutien financier fourni à cet égard par Londres par le truchement, notamment, de la Banque mondiale.
Soulignant la responsabilité « colossale » qui s’attache à l’amélioration du sort des migrants en Libye, le Ministre a donc proposé d’appuyer le Plan d’action des Nations Unies au sujet duquel le Représentant spécial en Libye est intervenu hier au Conseil de sécurité. « Si nous laissons passer cette chance, nous paierons tous un lourd tribut », a-t-il averti.
« Voulons-nous faire de la mer Méditerranée un lieu de rencontres et d’enrichissement des cultures ou alors un lieu où règnent la peur et le terrorisme? » a-t-il demandé. « La réponse dépendra de la volonté de la communauté internationale », a-t-il conclu.
MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES
Problèmes de sécurité en Méditerranée
Déclarations
M. ANTÓNIO GUTERRES, Secrétaire général de l’ONU, a rappelé que le mot « Méditerranée » signifie, littéralement, « au milieu de la terre ». Sur le plan figuratif aussi, la Méditerranée est depuis des temps immémoriaux au confluent de civilisations, de cultures, de religions, d’échanges et de migrations, et les développements dans la région continuent de façonner l’histoire et la politique du monde entier, a-t-il relevé. « La mer Méditerranée fournit d’immenses ressources économiques –telles que les hydrocarbures et les stocks halieutiques– et des routes commerciales inestimables. »
« Cependant, ses avantages dépendent de la stabilité et de la coopération », a fait observer le chef de l’Organisation. En effet, la situation en Méditerranée illustre le fait que la paix et la sécurité sont indissociables du progrès démocratique, économique et social, et de la promotion du genre, de la jeunesse, des minorités et des droits de l’homme.
« Les événements des dernières années dans la région l’ont clairement et douloureusement démontré », a poursuivi M. Guterres. C’est que la région méditerranéenne est confrontée à de sérieux défis sur plusieurs fronts: commerce illicite de stupéfiants, d’armes et de produits pétroliers; vastes flux de réfugiés et de migrants, malheureusement gérés par des trafiquants d’êtres humains; piraterie maritime; trafic de stupéfiants.
En outre, dans certaines parties de la région, cette situation est exacerbée par des violations systématiques des droits de l’homme et la violence dirigée contre les femmes et les filles. La Méditerranée, a également relevé le Secrétaire général, souffre également d’une grave détérioration de l’environnement et de pertes de ses ressources naturelles. Ces dernières années, cet amenuisement, conjugué à une forte hausse des prix, a provoqué des troubles sociaux et politiques.
« Les longues plaies régionales et les divisions confessionnelles ont été aggravées par les atrocités criminelles, le terrorisme, les tentatives d’anéantissement des minorités, le pillage du patrimoine culturel, les déplacements forcés et l’utilisation d’armes chimiques », a constaté le haut fonctionnaire. Ainsi, la stabilité de la Libye est vitale pour la région. Pourtant, après des années de transition prolongée, les institutions du pays restent profondément divisées, même si l’ONU est déterminée à aider le peuple libyen à parvenir à un règlement politique inclusif.
Et l’instabilité dans la région du Sahel a contribué à une hausse des migrations irrégulières vers l’Europe. L’ONU continuera de soutenir les pays du G5 Sahel et leur force conjointe, notamment dans le cadre de sa Stratégie intégrée pour le Sahel, a-t-il assuré. La réalisation de la paix entre Israéliens et Palestiniens, en faveur de laquelle l’ONU reste plus que jamais engagée, est également cruciale. « Et un règlement politique global à Chypre atténuerait également les tensions politiques dans la région », a-t-il ajouté. Mais Daech continuera de s’épanouir tant que les causes politiques profondes du conflit syrien ne seront pas résolues dans le cadre d’un processus politique crédible et global. Et les gains obtenus contre les groupes terroristes en Libye, en Iraq et ailleurs peuvent s’avérer réversibles en l’absence de reconstruction et de reprise économique.
Le mouvement des réfugiés et des migrants à travers le Sahara et la Méditerranée continue d’avoir un impact dévastateur, a déploré M. Guterres. Jusqu’à présent, cette année, au moins 2 800 réfugiés et migrants ont péri en Méditerranée, tandis que d’innombrables autres sont morts en traversant le désert. Ceux qui rallient l’Europe font état de graves violations perpétrées par les réseaux criminels et les autorités des pays traversés au cours de leur périple, notamment d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de violences et d’exploitation sexuelles, de travail forcé, d’extorsion et d’actes de torture. Les conditions de vie dans les centres de détention sont décrites comme consternantes.
D’autres sont simplement abandonnés en plein désert ou en pleine mer. Dans ce contexte, une coopération plus efficace pour réprimer passeurs et trafiquants est nécessaire, de même qu’une protection des victimes et des possibilités pour ouvrir des canaux de migration réguliers.
Aussi s’est-il félicité de la générosité démontrée par les pays hôtes. Il est clairement nécessaire de réfléchir à des moyens plus réguliers et sûrs de protéger ceux qui fuient les persécutions et de s’attaquer aux moteurs du déplacement. « Nous devons également faire face à la hausse inquiétante de la xénophobie et de la discrimination contre les réfugiés, les migrants et les minorités. »
Pour le Secrétaire général, « c’est une responsabilité partagée et globale », et « il est essentiel de rétablir l’intégrité du régime de protection des réfugiés de part et d’autre de la Méditerranée ». La traite d’êtres humains, a-t-il expliqué, ne peut être isolée du trafic de biens culturels, de stupéfiants, d’armes et de pétrole qui profite aux milices, aux terroristes et aux groupes armés.
Dans ce contexte, le régime de sanctions de la Libye restreint la circulation des armes et du matériel connexe à l’intérieur et à l’extérieur de la Libye et les groupes d’experts sur la Libye et le Soudan ont déjà enquêté sur le financement des groupes armés opérant dans ces pays. « J’espère que ces instruments, ainsi que le nouveau régime de sanctions en vigueur au Mali, seront utiles pour aider les gouvernements et les régions qui œuvrent à des transitions pacifiques. »
Trop souvent, les réponses aux défis sécuritaires en Méditerranée se font en grande partie ou uniquement par le biais d’arrangements de sécurité traditionnels ou de solutions ad hoc. Pour le chef de l’Organisation, de telles approches risquent de prolonger des situations inacceptables ou de les aggraver si elles ne sont pas soutenues par des efforts pour s’attaquer aux causes profondes sous-jacentes.
« Nos efforts pour réaliser le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ont un rôle important à jouer à cet égard pour contribuer à résoudre les problèmes auxquels se heurte la région. »
M. ANGELINO ALFANO, Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de l’Italie, a souligné les incidences mondiales des enjeux en Méditerranée, mer qui n’est pourtant qu’un « grand lac » et ne représente qu’un pour cent de la surface du monde. L’Italie est au cœur de la Méditerranée et au carrefour de ses vulnérabilités, a-t-il dit.
Évoquant la crise migratoire, le Ministre a indiqué que son pays avait sauvé un demi-million de vies en mer tout en luttant contre l’extrémisme. « Nous devons en faire davantage pour lutter contre les groupes terroristes et les combattants terroristes étrangers », a-t-il dit, en soulignant la nécessité d’un partage des renseignements pour identifier les djihadistes. Il a appelé à un engagement similaire au Sahel, tant la stabilité de cette région a une incidence en Méditerranée. Daech, qui a dû abandonner la ville de Syrte, demeure une réelle menace en Libye, a-t-il poursuivi.
M. Alfano a en outre mentionné la responsabilité colossale qui s’attache à l’amélioration du sort des migrants en Libye. Il est par ailleurs jugé crucial d’appuyer le Plan d’action du Représentant spécial en Libye. « Si nous laissons passer cette chance, nous paierons tous un lourd tribut », a-t-il averti.
En Syrie, le Ministre a indiqué que l’objectif n’avait pas changé et qu’il consistait à parvenir à la paix. Il s’est ensuite dit préoccupé par les récents développements an Liban et a demandé le plein respect de l’intégrité de ce pays. Les forces étrangères n’ont pas leur place au Liban, a affirmé M. Alfano.
Le Ministre a déclaré que la préservation du patrimoine culturel était une autre manière de lutter contre le terrorisme. Les terroristes cherchent à effacer l’identité des personnes humaines quand ils détruisent le patrimoine culturel, a-t-il affirmé. Le Ministre a insisté sur l’importance de défaire les fanatiques qui « prennent Dieu en otage ».
Enfin, il a évoqué le potentiel économique certain de la Méditerranée et exposé le choix qui s’offre quant à l’avenir de la Méditerranée. « Voulons-nous en faire un lieu de rencontres et d’enrichissement des cultures ou alors un lieu où règnent la peur et le terrorisme », a-t-il demandé. « La réponse dépendra de la volonté de la communauté internationale. »
M. AMR ABDELLATIF ABOULATTA (Égypte) a rappelé la dimension historique et culturelle de la mer Méditerranée. Elle est devenue le théâtre d’opérations de réseaux de criminalité terroristes et de groupes terroristes qui n’hésitent pas à piller les monuments historiques et à se livrer à la traite d’êtres humains pour financer leurs activités.
Aussi, une approche globale est-elle, selon lui, nécessaire pour venir à bout de ces phénomènes interdépendants, laquelle approche devra s’attaquer aux causes profondes du phénomène sous peine d’en faire le problème d’autres zones géographiques. Le représentant a tout particulièrement cité la situation en Libye et au Mali, où un vide sécuritaire s’est créé dans les zones frontalières isolées et désertiques, plaidant pour un soutien raffermi à la Force conjointe du G5 Sahel et pour la mise en œuvre de la Stratégie des Nations Unies pour cette région.
La région souffre également de pénuries dans l’est, où tous nos efforts visant à lutter contre les crises doivent tenir compte de l’amenuisement des ressources halieutiques. C’est la raison pour laquelle il faut tenir compte des changements climatiques, qui sont à l’origine des déplacements forcés, a observé le délégué.
L’Égypte a salué les efforts de la communauté internationale visant à se doter d’un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières en 2018. M. Aboulatta a plaidé en conclusion pour éviter que la mer Méditerranée ne se transforme en « tombeau à ciel ouvert ».
M. OLOF SKOOG (Suède) a souligné l’importance que la communauté internationale apporte des réponses en matière de sécurité tenant dûment compte des besoins et des réalités quotidiennes des peuples de la Méditerranée. Faisant référence au Secrétaire général lorsque celui-ci s’est exprimé devant le Conseil des droits de l’homme, il a estimé que des progrès dans le domaine de la sécurité en Méditerranée ne seraient obtenus qu’en faisant progresser ensemble la dignité, la justice, l’égalité et l’état de droit.
« Nous devons toutefois aller plus loin, a-t-il ajouté, en arguant que la protection de la dignité humaine et des droits de l’homme est à la fois le moyen le plus sûr de prévention des conflits mais aussi pour édifier des sociétés durables, prospères et pacifiques. Pour le représentant suédois, la situation dans la région exige, en tout premier lieu, que tous les États Membres respectent le droit international et les cadres d’action globaux relatifs aux réfugiés et aux migrants.
Selon lui, le Conseil de sécurité et le système des Nations Unies, pour être plus efficaces, gagneraient également à analyser de façon plus approfondie les causes de tensions et de conflits en Méditerranée. À cet égard, il a pris comme exemple la compréhension, par la communauté internationale, des effets déstabilisateurs au plan politique des changements climatiques dans la région du lac Tchad, laquelle, a-t-il dit, a entraîné le développement de stratégies de gestion du risque et de mécanismes d’alerte.
D’autre part, il a souligné l’importance d’une mise en place volontariste du Programme de développement durable à l’horizon 2030, qui, en Méditerranée tout particulièrement, nécessite la participation active des femmes.
M. MATTHEW JOHN RYCROFT (Royaume-Uni) a pleinement adhéré à ce qu’a dit le Secrétaire général sur la nécessité de prévenir les conflits. Le Royaume-Uni, porte-plume des textes sur la Libye au sein de ce Conseil, est en première ligne pour aider ce pays à surmonter ses défis, a-t-il dit.
M. Rycroft a souligné la nécessité de voir le processus politique libyen couronné de succès, avant d’appeler à une intensification des efforts contre les groupes terroristes. Quand une crise s’installe, les réfugiés ne peuvent rentrer dans leurs foyers, c’est pourquoi il faut apporter un appui renforcé aux communautés qui les accueillent, a-t-il poursuivi, en détaillant le soutien fourni par son pays, par le truchement, notamment, de la Banque mondiale.
Le délégué a ensuite évoqué l’appui britannique fourni au Nigéria pour lutter contre les organisations criminelles qui exploitent les migrants. « Nous voulons faire de la Méditerranée un endroit bien gouverné, où les droits de l’homme sont respectés », a conclu M. Rycroft.
L’absence de règlement de la crise actuelle en Libye est d’autant plus regrettable, a estimé M. VOLODYMYR YELCHENKO (Ukraine), que la stabilité des pays voisins, de l’Afrique du Nord et du Sahel en dépend. Dans le même temps, a-t-il ajouté, le « vide sécuritaire » engendré par la crise libyenne a été exploité par des organisations criminelles et des groupes terroristes locaux afin d’étendre leur influence sur la région.
Ce n’est pas un phénomène nouveau dans le sud-est de la Méditerranée et le Sahel, a toutefois nuancé le représentant, ajoutant qu’un grand nombre des combattants terroristes étrangers qui avaient rejoint les rangs de Daech, d’Al-Qaida, du Front el-Nosra et de leurs alliés en Syrie et en Iraq étaient originaires de ces régions.
Or, s’est inquiété le représentant, suite aux récents revers essuyés par ces groupes terroristes au Moyen-Orient, l’Afrique du Nord doit désormais faire face à un afflux de combattants terroristes étrangers qui rentrent chez eux ou sont redéployés dans la zone. « Leur présence ne fera, sans aucun doute, que nourrir le sectarisme et qu’augmenter la complexité et la durée des conflits », a-t-il mis en garde.
Pour les en empêcher, le représentant ukrainien a appelé à criminaliser davantage les combattants terroristes étrangers, notamment en intensifiant l’échange bilatéral et global d’informations concernant leurs crimes, dans le but de les traduire en justice le plus vite possible. Il a également appelé à renforcer l’échange « rapide et sans entrave » d’informations sur les données biométriques de ces combattants, ainsi qu’à universaliser l’utilisation de systèmes informatisés de filtrage des passagers et des bases de données de l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL).
Le renforcement de la coopération transfrontalière, l’identification des zones frontalières vulnérables et l’assèchement des sources de financement du terrorisme, y compris en refusant de payer des rançons en cas d’enlèvements, figurent également parmi les mesures préconisées par le représentant.
S’agissant de la Syrie, cet autre « foyer brulant de tensions » en Méditerranée, le délégué ukrainien a affirmé que toute victoire contre Daech dans le pays n’offrirait « qu’un soulagement de courte durée » et que la « porte resterait entrouverte » pour une nouvelle crise du même type. Il a par conséquent insisté sur la nécessité de trouver une solution politique au conflit en cours.
M. SACHA SERGIO LLORENTTY SOLÍZ (Bolivie) a salué les efforts importants entrepris au niveau international pour améliorer la situation des migrants et des réfugiés qui tentent d’échapper aux conflits en traversant la Méditerranée, ainsi qu’aux niveaux national et régional pour lutter contre la traite des personnes, notamment sur les côtes libyennes, en application des résolutions 2240 (2015), 2312 (2016) et 2380 (2017) du Conseil de sécurité.
Il a appelé la communauté internationale à faire davantage pour prévenir et éliminer les réseaux criminels en Méditerranée, via le développement et le renforcement des capacités institutionnelles des pays de transit et d’origine des victimes. La Bolivie a proposé en juin dernier, lors de la Conférence mondiale des peuples, le concept de « citoyenneté universelle » afin de réduire les barrières qui empêchent les réfugiés d’échapper à la guerre et aux conflits armés, et à la traite.
Le représentant a lié le débat d’aujourd’hui au thème de la sécurité en Afrique du Nord et dans la sous-région du Sahel, y compris la présence de combattants étrangers et de mercenaires. Il a rappelé que les armes provenant de la Libye ont considérablement renforcé la capacité militaire des groupes terroristes, qui ont également profité du déficit de gouvernance, de la faiblesse des forces de l’ordre et de sécurité, et de l’absence de contrôle aux frontières.
D’après le représentant, le Conseil de sécurité doit concentrer ses efforts sur la résolution pacifique de ces conflits. À cet égard, a-t-il conclu, les missions de l’ONU sur le terrain jouent un rôle essentiel.
En plus d’être particulièrement vulnérable aux répercussions des conflits, la région méditerranéenne est exposée à une multitude de défis tels que les changements climatiques, la famine, le terrorisme, l’extrémisme violent, le crime transnational organisé, le trafic d’êtres humains, et des migrations sans précédent, a constaté M. KORO BESSHO (Japon).
Le représentant a donc plaidé pour une approche globale et intégrée, en mettant l’accent sur le lien entre la paix et la sécurité, le développement et l’humanitaire. « On ne peut s’occuper des facteurs complexes menant au conflit avec une perspective fragmentée », a-t-il affirmé. À cet égard, il a souligné l’importance de mettre en œuvre la Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel, qui permet de s’occuper des « défis multidimensionnels et connectés » de la région, et qui sont parmi les facteurs principaux menant au vaste déplacement de population en Méditerranée.
Saluant le leadership du Secrétaire général dans le renforcement du travail des Nations Unies au Sahel, M. Bessho a indiqué que son pays était un fervent soutien des projets de la Stratégie, en particulier ceux visant à renforcer la capacité de contrôle aux frontières et à empêcher la radicalisation des jeunes. « Les efforts pour atteindre une paix durable ne peuvent être couronnés de succès sans leur appropriation par les pays », a poursuivi le représentant, qui a salué le processus politique en cours en Libye et a invité le Conseil de sécurité à soutenir fermement de tels exemples.
Le représentant a aussi mis en évidence le rôle joué par les organisations régionales telles que la Ligue arabe, l’Union européenne et l’Union africaine, appelant les Nations Unies et le Conseil à renforcer les partenariats à ce niveau.
Enfin, M. Bessho a plaidé en faveur de l’approche de la sécurité humaine, « un outil utile pour gérer les menaces concrètes et entremêlées dans la région ». La sécurité humaine cherche à protéger et à valoriser chaque individu et s’occupe de plusieurs défis parmi les plus déstabilisants de la région tels que l’insécurité alimentaire et hydrique, la migration et les personnes déplacées, ainsi que la santé, a-t-il précisé.
Mme MICHELE J. SISON (États-Unis) a rappelé que les défis dans cette région sont la conséquence de deux conflits apparus ces dernières années, à savoir en Libye et en Syrie. Le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad est synonyme d’instabilité, a-t-elle assuré, avant d’encourager le peuple et le Gouvernement d’entente nationale libyen à œuvrer de concert à consolider l’état de droit dans ce pays instable depuis la chute du régime Qadhafi en 2011.
« La communauté internationale doit accompagner les parties libyennes et le Représentant spécial du Secrétaire général, M. Ghassan Salamé, dans leurs efforts pour créer en Libye des forces sécuritaires unifiées contre leur véritable ennemi, à savoir Daech », a encouragé la représentante. Au Conseil de sécurité, « nous devons mieux faire dans les mots et les paroles », a-t-elle ensuite plaidé, en rappelant qu’il y a de nombreuses menaces immédiates qui se posent dans la région méditerranéenne, dont Daech, une organisation terroriste contre laquelle les États-Unis se sont mobilisés.
Évoquant de récentes frappes aériennes en Syrie qui ont fait 50 morts, « faisant le jeu des groupes terroristes », ainsi que la découverte, le 26 octobre en Libye, de 36 cadavres près de Benghazi, la déléguée américaine a exigé que les auteurs de ces actes soient tenus pour comptables de leurs actes.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a constaté une augmentation des activités terroristes en Méditerranée. « Face à la menace terroriste, il faut unir nos efforts pour résoudre les crises au Sahara, au Sahel et au Moyen-Orient », a-t-il dit. Il a invité le Conseil à méditer les leçons tirées des printemps arabes, dont il a souligné les effets déstabilisateurs. Les groupes terroristes ont profité de cette instabilité, a-t-il affirmé.
Il a déploré la destruction du patrimoine culturel par les terroristes, avant d’imputer l’instabilité préoccupante en Libye à l’intervention militaire de 2011 des pays de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Avec la chute du régime libyen de l’époque, les terroristes ont eu accès à des armes en grande quantité, a tranché le délégué russe. Il est inacceptable de fermer les yeux sur le phénomène de la radicalisation ou de l’encourager, a-t-il poursuivi.
M. Nebenzia a rejeté l’explication consistant à imputer l’origine des crises et des conflits aux violations des droits de l’homme. Il faut inverser le lien de causalité, car c’est bien le règlement des crises qui permettra in fine de protéger les droits de l’homme, a expliqué le délégué. Il a souhaité que les pays interventionnistes reconnaissent les conséquences de leurs actions et fournissent une aide accrue aux pays accueillant les réfugiés. Une paix pérenne, en Syrie et en Libye notamment, permettra de contribuer au règlement de la question migratoire, a-t-il affirmé.
Enfin, il a souligné la nécessité de « renoncer à jouer la carte des éléments radicaux ». La Russie mène, à ce titre, une politique claire et nous n’avons pas de buts cachés, a-t-il conclu.
M. FODÉ SECK (Sénégal) est revenu sur les récentes révélations concernant la vente sur le territoire libyen de migrants originaires d’Afrique subsaharienne. Il a appelé les autorités libyennes, ainsi que l’Union africaine (UA) et les Nations Unies, à diligenter dans les plus brefs délais une enquête sur cette « pratique d’un autre âge » dans le but d’y mettre fin.
Les conséquences de l’ébranlement de la Libye, a par ailleurs constaté le représentant, se font désormais sentir dans toute la région du Sahel, en particulier au Mali, en proie à l’insécurité, aux trafics en tout genre, à l’extrémisme violent et aux groupes terroristes. Ces groupes, a-t-il poursuivi, profitent des failles des systèmes financiers pour collecter des fonds à travers le trafic de pétrole, les enlèvements contre rançons, la traite, le trafic d’armes et le pillage de biens culturels et précieux.
Pour lutter contre cette tendance, le représentant a appelé à développer une « approche holistique », dans le cadre de la Stratégie intégrée des Nations Unies pour le Sahel.
Concernant, spécifiquement, la résolution de la crise libyenne, le représentant a réaffirmé son soutien à une solution politique dans le cadre d’un processus mené par les Libyens, sous l’égide de l’ONU. S’agissant de la crise syrienne, le représentant a également renouvelé son appui à une solution politique, sur la base, cette fois, du Communiqué de Genève et de la résolution 2254 (2015).
Abordant, enfin, la question du conflit israélo-palestinien, le représentant a appelé le Conseil de sécurité, le Quartet et les pays de la région à redoubler d’efforts afin que les Palestiniens puissent jouir d’un État « souverain et viable, à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues ».
Mme MAHLET HAILU GUADEY (Éthiopie) a estimé que les interventions de certaines délégations étaient sorties du contexte du débat de ce jour. Les déplacements de population et les activités terroristes en Méditerranée sont des défis de taille, a-t-elle dit. Pour les régler, elle a prôné une approche concertée, visant, tout d’abord, à remédier aux causes profondes des conflits.
Le Conseil doit trouver les solutions politiques aux conflits, en utilisant tous les instruments à sa disposition, a-t-elle dit, en soulignant l’appui précieux de l’Union africaine. Une telle approche veillerait également à renforcer les institutions nationales, notamment dans les pays du Sahel, a déclaré la déléguée de l’Éthiopie.
Elle a ensuite souligné la nécessité d’organiser des flux migratoires ordonnés, en octroyant notamment davantage de visas et en facilitant les possibilités de regroupement familial. La déléguée a demandé une amélioration du sort des migrants dans les pays d’asile, avant de louer, en conclusion, la générosité des pays méditerranéens qui n’ont pas fermé leurs portes aux migrants.
M. KAIRAT UMAROV (Kazakhstan) a exhorté tous les États Membres à mettre en œuvre les obligations internationales en vigueur pour lutter contre le trafic de migrants et d’êtres humains au large des côtes libyennes. À ce propos, il s’est réjoui de la prorogation pour une durée de 12 mois de l’opération militaire de l’Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée centrale, dite « opération SOPHIA », et il a salué les mesures prises, sous l’égide du Groupe de contact méditerranéen, à l’occasion de la dernière Conférence méditerranéenne de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
L’action collective en Méditerranée, mobilisant l’ONU, l’Union européenne (UE), l’Union africaine, la Ligue des États arabes et l’Organisation de la coopération islamique (OCI), doit porter sur les dimensions humanitaire, politique et sécuritaire des problèmes, a-t-il souligné.
Le représentant a ajouté que le principe directeur de cette action, qui consiste prioritairement en la fourniture d’une assistance technique et dans le renforcement de capacités institutionnelles, est celui de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, y compris ceux qui font face aux défis de sécurité dans la région.
M. WU HAITAO (Chine) a déclaré que les situations en Libye, en Syrie et au Sahel ont exacerbé les menaces qui se posent dans la région méditerranéenne, comme les flux en hausse de migrants et les trafics illicites en tout genre. Or, les conséquences de ces menaces au-delà de la région ne sauraient être sous-estimées, a prévenu le délégué, avant d’évoquer la question palestinienne, qui ne saurait être négligée sous peine de ne pas pouvoir rétablir la stabilité régionale.
C’est la raison pour laquelle il a plaidé en faveur d’une diplomatie préventive respectueuse de la souveraineté des États. Le représentant a également encouragé la communauté à lutter contre le terrorisme et la traite de migrants, en préconisant de renforcer les contrôles aux frontières en coopération avec les pays concernés.
M. Wu a enfin proposé de promouvoir un développement inclusif et équilibré profitant à tous dans le respect de l’environnement. C’est le sens de l’initiative « nouvelle route de la soie », une liaison ferroviaire ralliant la Chine et l’Europe, a-t-il ajouté.
M. ELBIO OSCAR ROSSELLI FRIERI (Uruguay) a reconnu que les problèmes de sécurité en Méditerranée sont alimentés par les crises en Libye, en Syrie et dans le Sahel, et par une série de défis liés au terrorisme et à l’extrémisme violent, à la traite des personnes, à la criminalité transnationale organisée, à l’absence d’autorité étatique ou aux effets des changements climatiques.
Selon lui, il faut s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté, de la faim, du chômage et des tensions sectaires et religieuses susceptibles de menacer la stabilité régionale.
Le déplacement de personnes ne constitue pas, en soi, une menace à la paix et à la sécurité internationales, a tenu à souligner le représentant. Alors que la communauté internationale s’apprête à entamer les négociations sur un pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, l’Uruguay refuse de criminaliser les migrations irrégulières et dit qu’il faut promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous.
M. Rosselli Frieri a appelé le Conseil de sécurité à condamner unanimement la vente d’esclaves en Libye, un phénomène « abject ». À cet égard, il a salué la nouvelle feuille de route pour une solution politique en Libye sous l’égide de l’ONU.
M. FRANÇOIS DELATTRE (France) a tout d’abord annoncé qu’en avril 2018, la France organiserait, à Paris, une conférence internationale sur le retour ou la relocalisation des combattants étrangers, l’utilisation d’Internet par les groupes terroristes et le financement du terrorisme. Concernant la crise migratoire en Méditerranée, le représentant a estimé qu’un traitement purement sécuritaire de cette question n’est ni souhaitable, ni efficace.
Le défi migratoire, a-t-il ainsi dit, impose une coopération européenne et internationale renforcée, « qui doit permettre d’appréhender l’ensemble du parcours migratoire, depuis les pays d’origine jusqu’aux pays de destination, dans le respect des droits des personnes concernées ».
Sur la Libye, il a indiqué que la France continuait d’appeler les autorités libyennes à tout mettre en œuvre pour que les migrants soient traités dignement, et il a noté avec satisfaction le récent renouvellement du mandat de l’opération SOPHIA, « qui sauve des dizaines de milliers de vies chaque année ».
Cela illustre, a-t-il dit, l’engagement de l’Union européenne (UE) à lutter contre le trafic de migrants en Méditerranée centrale. De manière générale, M. Delattre a insisté sur l’importance de promouvoir une approche transversale, reposant sur la coopération entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe, pour traiter ces questions, y compris les effets des changements climatiques, sur le long terme.
Il a ensuite rappelé que la France soutient l’initiative du G5 Sahel d’établir une force conjointe menant des opérations transfrontalières afin de lutter contre la menace transnationale que font peser le terrorisme et les trafics sur les États de la région. Le volet politique et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali doivent progresser en parallèle, a-t-il également ajouté.
En Libye aussi, a-t-il poursuivi, pour vaincre durablement le terrorisme et répondre aux défis des migrations, la solution passe par la réconciliation et la restauration de l’État sur le tout le territoire.