Deux hauts responsables décrivent devant le Conseil de sécurité la « triple tragédie » qui frappe le Yémen
Le Conseil de sécurité a entendu, ce matin, les propositions de deux hauts responsables de l’ONU afin de régler la situation au Yémen, pays qui fait face à « une triple tragédie » constituée par la famine, une épidémie de choléra sans précédent et un véritable « choléra politique » entravant la voie vers la paix. Les deux hommes ont notamment exigé le retour à la table des négociations des parties au conflit.
Par ailleurs, en début de séance, le Conseil a observé une minute de silence à la mémoire des victimes de l’attaque terroriste qui a frappé, hier, la ville de Barcelone.
Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Stephen O’Brien, a décrit le « tourbillon de peurs et de destructions » qui s’est emparé du pays. Il a rappelé que près de sept millions de personnes étaient menacées de famine et 16 millions étaient privées d’accès à l’eau potable ou à l’assainissement. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 500 000 cas de choléra auraient été recensés au Yémen.
Mettant en garde contre un « brouillard statistique », le Coordonnateur des secours d’urgence a rappelé que ces chiffres représentaient « des visages humains et d’énormes souffrances ». M. O’Brien a en particulier dénoncé la brutalité des méthodes de guerre. « Même les guerres obéissent à des règles, ou du moins elles le devraient. »
Il a rappelé que seule la coalition dirigée par l’Arabie saoudite avait les moyens aériens pour mener des frappes comme celles qui ont tué au moins 12 civils à Sanaa au début du mois.
« Les parties au conflit continuent d’empêcher les importations de produits de base et de médicaments, alors que le pays doit importer 90% de ces derniers », a-t-il accusé. Il a en outre déploré que le mécanisme de vérification et d’inspection des Nations Unies mis en place en juin 2016 pour faciliter l’importation de produits commerciaux essentiels soit contourné par le Gouvernement et la coalition.
La fermeture de l’aéroport de Sanaa empêche toujours des milliers de Yéménites de se rendre à l’étranger, a continué le Secrétaire général adjoint, qui y a vu là « les manœuvres pernicieuses » des autorités locales appuyées par les parties au conflit.
M. O’Brien a en conséquence demandé la réouverture de l’aéroport et du port d’Hodeïda, le déploiement du personnel humanitaire dans les zones où les besoins sont les plus grands –« dans le nord du pays »- et la fin du détournement de l’aide.
M. O’Brien a ensuite présenté les résultats obtenus grâce aux efforts humanitaires, rappelant que quelque 120 partenaires étaient parvenus à aider 5,9 millions de personnes cette année. Il a notamment rappelé que 222 centres de traitement du choléra et 926 points de réhydratation orale avaient pu être installés pour répondre à l’épidémie de choléra.
Le Coordonnateur des secours d’urgence a néanmoins fait observer que le plan d’aide humanitaire pour le pays n’avait recueilli à ce jour que 39% des 2,3 milliards de dollars demandés. Les fonds doivent être fournis maintenant, a insisté le Secrétaire général adjoint, qui a affirmé que les prévisions de besoins n’étaient en aucun cas « gonflées », ajoutant que, même si le conflit cessait à cet instant, les fonds demandés resteraient nécessaires.
M. O’Brien a apporté son soutien à l’appel du Haut-Commissaire aux droits de l’homme en faveur de la création d’un mécanisme international indépendant d’enquête. « Les parties au conflit savent fort bien qui commet toutes les atrocités aujourd’hui au Yémen. »
Enfin, il a exigé le retour à la table des négociations afin d’aboutir à une solution politique et mettre fin à la « honte » éprouvée devant la situation dans ce pays.
Un point de vue pleinement partagé par l’Envoyé spécial du Secrétaire général au Yémen, M. Ismail Ould Cheikh Ahmed, qui s’exprimait par visioconférence depuis Amman, en Jordanie. Il a avancé des propositions afin de guérir le pays des « tensions politiques » qui continuent de saper les institutions étatiques dont dépendent les Yéménites et du « choléra politique » qui empêche le retour de la paix.
Il a ainsi exhorté les parties à assurer, dans un premier temps, le flux continu de l’aide humanitaire, le paiement des salaires des fonctionnaires et le contrôle de la contrebande d’armes. « Cette proposition vise à assurer le fonctionnement sûr et ininterrompu du port d’Hodeïda, qui est actuellement une artère clef pour l’ensemble de l’économie yéménite », a-t-il expliqué.
Cette proposition comprend un plan pratique pour remettre le contrôle du port à un comité de personnalités issues des secteurs économique et sécuritaire du Yémen, sous la supervision de l’ONU, a-t-il déclaré.
L’Envoyé spécial a ajouté que le comité serait chargé de veiller au bon acheminement des marchandises humanitaires et commerciales transitant par ce port et au bon transfert des recettes portuaires en vue de financer la reprise du versement des salaires aux fonctionnaires.
« Ces initiatives devraient contribuer à la restauration de la confiance parmi les parties et constituer un premier pas vers une nouvelle cessation des hostilités et une reprise des discussions. »
Se voulant optimiste, l’Envoyé spécial a noté qu’il existait encore un consensus pour parvenir à une solution politique et soutenir le processus de paix parrainé par l’ONU.
La voie vers la paix au Yémen est clairement dessinée et nous avons en main les propositions idoines pour restaurer la confiance entre les parties, a déclaré l’Envoyé spécial. Il a précisé que l’élément manquant pour l’heure était la claire intention des parties de mettre fin à la guerre. « Ce n’est un mystère pour personne que de nombreux marchands de guerre au Yémen ne veulent pas la paix. »
M. O’Brien avait exprimé un avis similaire en rappelant que la tragédie humaine dans ce pays était « le résultat direct de politiques et tactiques délibérées de la part des différentes parties et de leurs puissants alliés ».
Si le représentant du Yémen a indiqué que son gouvernement avait agréé les propositions de l’Envoyé spécial, il a déploré que les Houthistes et les partisans de l’ancien Président Ali Abdallah Saleh continuent de les rejeter.
« Ils veulent détruire l’État national et le remplacer par un État sectaire », a-t-il accusé. « Le conflit est dans l’impasse car la guerre est lucrative pour les auteurs du coup d’État. » S’agissant de la lutte contre le choléra, le délégué a précisé que son gouvernement coopérait avec les agences humanitaires, avant de demander une aide accrue de la communauté internationale.
Enfin, les représentants de la Bolivie et de l’Uruguay se sont exprimés, le premier, pour dénoncer « l’indifférence » de la communauté internationale vis-à-vis de la situation au Yémen, le second, pour exhorter le Conseil à mettre en place des mécanismes d’enquête indépendants et impartiaux sur les violations des droits de l’homme.