Libéria: le soutien de l’ONU reste essentiel pour la consolidation de la paix, avant et après le retrait de la MINUL
Le Représentant spécial du Secrétaire général pour le Libéria, M. Farid Zarif, a, cet après-midi, devant le Conseil de sécurité, fait état d’une situation stable sur le plan de la sécurité, à quatre mois des premières élections démocratiques de l’histoire moderne du pays et à moins d’un an du retrait de la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL) dont il est à la tête.
Cette transition exige cependant le maintien des efforts nationaux et du soutien de l’ONU et de la communauté internationale, a-t-il affirmé, à l’instar du Président de la formation Libéria de la Commission de consolidation de la paix (CCP), M. Olof Skoog, qui a effectué un récent déplacement sur le terrain.
Le Conseil était notamment saisi d’un plan de consolidation de la paix* qui définit le rôle du système des Nations Unies et d’autres partenaires pour soutenir la transition au Libéria, fruit d’intenses consultations dirigées par la MINUL, en étroite coordination avec le Gouvernement libérien et les partenaires internationaux, ainsi qu’avec les partis politiques et les organisations de la société civile du pays.
« Le plan constitue un cadre de coopération solide entre l’ONU et la communauté internationale dans son ensemble en soutien au Gouvernement libérien et aux autres acteurs nationaux », estime le Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, dans sa lettre du 4 avril 2017.
Le Représentant spécial présentait aussi le trente-troisième rapport** du Secrétaire général sur la MINUL dans lequel il est mis l’accent sur deux étapes capitales qui consolideront la transformation au Libéria, sur la voie d’une paix durable et d’un ordre démocratique: la tenue d’élections présidentielle et législatives crédibles en octobre 2017 et la passation pacifique du pouvoir en janvier 2018.
M. Zarif a commencé son intervention en assurant que le Libéria était resté stable, mais en prévenant que les institutions chargées du maintien de l’ordre devaient se préparer à de faibles troubles au cours de cette période délicate.
La MINUL apporte son soutien à la police nationale, a-t-il dit, en vue d’élaborer un plan de sécurité pour la période électorale. Il a souligné les activités que mène déjà la police au niveau communautaire afin d’instaurer la confiance au sein de la population avant les élections. La MINUL a aussi mené des campagnes de sensibilisation pour éviter les problèmes de vindicte populaire et inciter à respecter l’état de droit.
La MINUL, a-t-il ajouté, est prête à répondre à toute situation, par exemple dans le cadre d’une escalade ou d’une remise en question de la paix et la stabilité. Cependant, le Chef de la Mission a fait remarquer que la réponse de celle-ci serait limitée par ses capacités réduites, sachant qu’elle ne compte plus que 260 policiers et 230 soldats, ainsi que seulement deux bureaux sur le terrain. Toute coupe budgétaire affectera de manière significative la capacité de la MINUL à remplir son mandat, a-t-il donc averti.
La transition entre la MINUL et le Gouvernement du Libéria passe par une coopération avec la Commission électorale nationale, a-t-il poursuivi, en espérant que tous ces efforts permettraient un transfert du pouvoir en douceur. Il a salué à cet égard la Déclaration de la rivière Farmington adoptée à l’issue du forum national convoqué par le Conseil interreligieux du Libéria.
Cet accord, qui doit servir de guide pour les partis politiques et les institutions de l’État engagés dans une transition pacifique, a été formalisé le 4 juin 2017 lors du Sommet des chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Pour que le transfert de pouvoir se passe bien, le Gouvernement du Libéria a élaboré un projet de loi et mis sur pied une équipe de transition. Le Sénat a en outre proposé un amendement au Code de conduite sur l’application des lois. Le Représentant spécial a toutefois fait état de quelques problèmes pour l’inscription sur les listes électorales.
Malgré les grands progrès accomplis par le Libéria au cours de la période de redressement postconflit, le pays fait toujours face à de grandes difficultés, a poursuivi M. Zarif. Il s’est inquiété des longs retards qui empêchent les réformes structurelles d’avancer, notamment en ce qui concerne les projets de loi sur les droits fonciers, l’administration locale et la violence domestique.
Il s’est dit encouragé par la meilleure capacité du pays à respecter les droits de l’homme, comme l’illustre la récente accréditation de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme qui a vu le jour grâce à plusieurs années de labeur de la MINUL chargée d’apporter un appui technique.
Il a demandé à cette commission de faire davantage d’efforts pour répondre aux problèmes dans ce domaine, citant en particulier les viols en réunion de garçons et de filles. Le Gouvernement doit résoudre de toute urgence la question de l’impunité dont bénéficient les auteurs de viol au Libéria, a plaidé le Représentant spécial, en citant le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
Venant au plan de consolidation de la paix transmis par le Secrétaire général le 4 avril 2017, M. Zarif a indiqué que des mesures devaient être prises dans le cadre de la première phase qui va jusqu’au 30 mars 2018, soit la date de fin de mandat de la MINUL.
Ce plan, a-t-il expliqué, fournit une base pour le Plan intégré de transition du système de l’ONU, qui est en passe d’être finalisé. Le Gouvernement est en train de prendre des mesures précises pour la mise en œuvre de tous les engagements compris dans le Plan, une tâche que la MINUL soutient, avec le concours de la CCP.
De son côté, l’équipe de pays des Nations Unies a récemment évalué les capacités qu’il lui faudra pour mener à bien sa mission après le départ de la MINUL et est arrivée à la conclusion qu’il lui faudrait davantage de ressources financières, matérielles et logistiques. Il faudra aussi une présence sur place du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et peut-être un fonds multipartenaires destiné à soutenir la transition au Libéria. Des discussions sont également en cours pour discuter de l’opportunité de convoquer une conférence internationale, en avril 2018, qui permettrait au Gouvernement de présenter ses priorités nationales.
Sur le plan budgétaire, le pays a prévu de consacrer seulement 6% des dépenses publiques au plan d’investissement dans le secteur public, avec un budget en outre à la baisse (-12,3%) par rapport à 2016/17. Le Représentant spécial a mis en garde du manque de ressources qui se fera ressentir encore plus si l’aide des donateurs internationaux décline.
Si le pays a bien progressé depuis la signature de l’Accord de paix d’Accra en 2003, il lui faut encore relever des défis pour ne pas revenir en arrière, ce qui exige des efforts sans relâche du Gouvernement, du système de l’ONU et de la communauté internationale dans son ensemble, a conclu M. Zarif.
Au cours des réunions qu’il a eues lors de sa visite au Libéria, le Président de la formation Libéria de la CCP a salué les efforts du Gouvernement et de l’ONU pour arriver à un plan de consolidation de la paix. Il a exhorté les parties prenantes à œuvrer en faveur d’élections libres et justes, donner la priorité à la participation significative des femmes et impliquer les jeunes dans tout le processus.
Au moment où « plusieurs transitions historiques » sont en cours au Libéria, M. Skoog a prévenu des risques courus au moment du retrait de toute mission. La réconciliation, a-t-il ajouté, doit se faire sur les questions cruciales de l’utilisation des terres, la décentralisation, l’accès à la justice et la violence à l’encontre des femmes.
Il a mis en garde des risques de doléances de la population au vu des ressources fiscales limitées du pays, plaidant en faveur d’une diversification et d’une revitalisation de l’économie. L’inclusion et la cohésion sociales sont aussi des domaines sur lesquels il faut mettre l’accent, à son avis.
« Les élections seront une étape décisive pour le Libéria qui connaîtra le premier transfert démocratique de pouvoir de son histoire moderne. » Pour que tout se passe au mieux, M. Skoog a invité à régler au plus vite les problèmes de financement de la Commission électorale nationale et les difficultés d’application du Code de conduite.
Outre l’éducation civique, il a demandé de garantir la forte participation des femmes aux futures élections qui se dérouleront d’ailleurs, a-t-il précisé, pendant la saison des pluies, qui est un facteur de complication.
Notant que les 22 partis qui présentent des candidats aux élections tendaient à personnaliser un peu trop les campagnes, il les a invités à se concentrer sur les questions clefs importantes pour le pays. Il a aussi souhaité voir des mécanismes solides capables de résoudre rapidement les différends potentiels relatifs à ces élections.
Le plan de consolidation de la paix semble rallier un grand nombre de parties prenantes, a remarqué M. Skoog en notant cependant que la question de son financement restait à résoudre. Il a d’ailleurs félicité l’équipe de pays des Nations Unies d’avoir plaidé en faveur de fortes capacités. Il s’est lui-même montré inquiet des lacunes en termes de capacité de cette équipe, une préoccupation basée sur l’expérience de la CCP en Sierra Leone.
« Le retrait de la MINUL est un test pour le système de l’ONU en matière de consolidation de la paix », a conclu M. Skoog, en soulignant la « responsabilité collective des partenaires internationaux du Libéria de ne pas laisser perdre les investissements des 13 dernières années ».
Il faudra être « créatif pour mobiliser des ressources fiables après le départ de la Mission », a-t-il recommandé en désignant le Conseil de sécurité comme un acteur clef de ce processus. Pour sa part, la CCP reste prête à accompagner le pays et à maintenir l’attention de la communauté internationale sur le pays, a-t-il assuré.
Deux membres du Conseil de sécurité ont tenu à s’exprimer sur ce dossier. Le représentant de l’Uruguay, M. Elbio Rosselli, a salué le rôle essentiel joué par la MINUL dans le relèvement du pays et s’est félicité des efforts du Gouvernement pour assurer sa présence sur l’ensemble du territoire.
Il a estimé que la tenue d’élections libres et transparentes serait un jalon important pour le processus de paix. Néanmoins, au vu des nombreux défis, il a souhaité que le pays redouble d’efforts en matière de sécurité, tout en s’attaquant aux causes profondes du conflit. Préoccupé par l’insuffisance des progrès en matière de droits de l’homme, il a demandé de mieux lutter contre l’impunité et s’est dit favorable à la présence d’un bureau de pays du Haut-Commissariat aux droits de l’homme.
À son tour, le représentant du Sénégal, M. Fodé Seck, a rappelé le long chemin parcouru par le Libéria pendant les 13 années de présence de la MINUL, rappelant que la Mission avait été précédée dans le pays par l’ECOMOG, une mission de la CEDEAO. Il a également rappelé que la force de réaction rapide déployée initialement au sein de l’ONUCI et transférée au Mali pourrait toujours être appelée à agir.
Le Sénégal appelle la communauté internationale à soutenir le pays, notamment en assurant le bon financement de la Commission électorale nationale, sachant que les processus électoraux continuent d’être sources de tension dans l’ouest de l’Afrique. Le soutien doit aussi répondre aux difficultés économiques du pays, a-t-il ajouté.
Le représentant du Libéria, M. Lewis Garseedah Brown, a, de son côté, prononcé un discours marqué par les remerciements, la confiance et la volonté politique, ainsi que par le réalisme. Il a d’abord constaté que la MINUL était un succès après 14 années de présence qui ont stimulé le processus politique et économique.
M. Brown a rappelé que la société désespérée lors de l’arrivée de la MINUL avait cédé la place à une société qui, malgré les difficultés actuelles, s’est engagée en faveur d’une gouvernance démocratique. Le Libéria, qui a mené à bien le plan de consolidation de la paix conformément à la résolution 2333 (2016), espère aujourd’hui la poursuite d’un partenariat et du soutien nécessaires à la paix.
La transition qui doit avoir lieu en janvier 2018 sera la première passation de pouvoir entre deux présidents démocratiquement élus depuis 73 ans et la deuxième depuis l’indépendance du pays en 1847, a-t-il rappelé. Par-delà la signification historique qui ne doit pas être négligée, il a évoqué d’autres conséquences importantes au succès de telles élections, dont les bénéfices démocratiques qu’en tirera toute la sous-région.
Au plan national, il a estimé qu’aussi imparfait qu’il soit encore, le processus en cours semble s’améliorer et être davantage marqué par la qualité du discours politique, et non plus seulement par la quantité des partis politiques. Il contribue aussi au développement d’une culture de paix.
C’est pourquoi la Commission électorale nationale et d’autres acteurs travaillent à corriger les irrégularités qui sont apparues lors de l’enregistrement des électeurs. « Je puis vous assurer qu’il n’y a pas de manque de volonté politique à y parvenir, ni de la part du Gouvernement, ni de la part de la population », a assuré M. Brown.
Néanmoins, nous sommes en train de réaliser que la volonté politique pourrait ne pas être suffisante, a nuancé M. Brown, faisant référence aux difficultés économiques relevées par le rapport du Secrétaire général. Le Gouvernement libérien est inquiet en particulier que 17,5 millions de dollars manquent encore pour financer les activités de la Commission électorale nationale. Sur les 45 millions nécessaires, le Gouvernement en a apporté 20 et la communauté internationale environ huit.
Malgré les différents défis, le peuple libérien fait preuve d’une confiance croissante en l’avenir du pays, a ensuite déclaré M. Brown, en mettant l’accent sur la résilience de celui-ci. Le rapport du Secrétaire général confirme que nous n’avons pas encore commencé d’avancer comme nous savons être capables de le faire, a-t-il indiqué. Mais, pour lui, le peuple libérien ne reste plus immobile, écrasé par un sentiment déshumanisant d’impuissance face à l’énormité des défis.
« Nous savons aujourd’hui qu’une société plus juste, plus équitable et inclusive représente un des fondements nécessaires au renforcement de l’architecture de paix et de sécurité dont nous avons jeté les bases », a insisté M. Brown. Il a reconnu la nécessité de faire plus pour protéger et exploiter dans la transparence les ressources naturelles et humaines, pour améliorer la gouvernance et lutter contre la violence familiale. « Tous ces aspects sont aujourd’hui en cours de développement. »
Certes, a-t-il reconnu, « nous aimerions aller plus vite mais il nous faut aussi tirer les leçons de notre passé tragique, et notamment qu’il est plus facile de diriger quand les autres suivent ».
« La lenteur de notre rythme n’est donc pas l’effet d’un manque de volonté politique, mais la conséquence d’une prise de conscience de la nécessité de toujours obtenir le soutien de la majorité de notre peuple pour procéder aux changements, et d’accompagner les réformes par des capacités institutionnelles aujourd’hui presque inexistantes. C’est pourquoi, malheureusement, le rythme des réformes a ralenti en même temps que se contractait l’assiette fiscale. »
Néanmoins, le représentant a réaffirmé la confiance de son pays et de sa population, s’est dit heureux que le rapport du Secrétaire général reconnaisse les efforts consentis et les progrès réalisés et a conclu en appelant la communauté internationale à poursuivre son partenariat avec le Libéria sur la voie de la paix.
* S/2017/282
** S/2017/510