Burundi: l’ONU s’inquiète d’une situation instable alors que le représentant du pays estime qu’il « n’y a plus de crise politique »
Le Burundi souhaite un « embellissement » de ses relations avec les Nations Unies et des « relations apaisées » avec ses partenaires au développement
La sécurité au Burundi reste instable, la situation socioéconomique se dégrade, et la récente décision des autorités de mettre en place une commission de révision de la Constitution dans un contexte de fortes restrictions aux libertés civiles risque de provoquer une escalade dans la crise, a averti aujourd’hui le Sous-Secrétaire général aux affaires politiques, M. Tayé-Brook Zerihoun.
Devant le Conseil de sécurité, M. Zerihoun a toutefois estimé que la nomination récente par le Secrétaire général de M. Michel Kafando comme Envoyé spécial au Burundi permettrait d’avoir une meilleure compréhension du processus politique en cours.
En revanche, pour le représentant du Burundi, M. Albert Shingiro, « il n’y a plus de crise politique au vrai sens du terme au Burundi ». Selon lui, les autorités doivent plutôt gérer aujourd’hui les conséquences politiques et économiques de la crise de 2015, dont il a rendu responsable un « plan de déstabilisation des institutions burundaises minutieusement conçu par des éléments exogènes aisément identifiables ». Le représentant a toutefois insisté sur la recherche d’un « embellissement » des relations du Burundi avec les Nations Unies et sur la reprise de « relations apaisées » avec ses partenaires au développement dans le respect de sa souveraineté nationale.
Dans son exposé, le Sous-Secrétaire général a dépeint une situation fragile et instable. Il a fait état d’attaques à la grenade dans la capitale ces dernières semaines, ainsi que de répression et d’intimidation de la part des forces de sécurité et des groupes qui leur sont liés. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) continue ainsi de faire état d’arrestations, de détentions arbitraires, de torture et de mauvais traitements à l’égard de membres de l’opposition ou perçus comme tels.
En outre, les cas d’incitation à la violence et à la haine ont augmenté depuis avril, notamment à l’occasion de rassemblement des Imbonerakure, les milices de jeunes du parti CNDD-FDD au pouvoir. La commission d’enquête mise en place par le Conseil des droits de l’homme a présenté à Genève un rapport oral dans lequel elle dit avoir recueilli plus de 470 témoignages faisant état de violations des droits de l’homme depuis 2015. Son rapport final est attendu en septembre.
À cet égard, le Président de la formation Burundi de la Commission de consolidation de la paix (CCP), M. Jürg Lauber, de la Suisse, qui s’exprimait depuis Genève par visioconférence, a estimé qu’une plus grande présence d’observateurs internationaux au Burundi pourrait contribuer considérablement à améliorer la situation dans les domaines des droits de l’homme et de la sécurité. Il a donc souhaité que puissent être enfin déployés 200 observateurs militaires et des droits de l’homme de l’Union africaine (UA), qui viendraient appuyer la trentaine qui s’y trouvent déjà et qui, selon le représentant du Burundi, « travaillent librement sans aucune entrave ».
M. Zerihoun a également rappelé que la Commission nationale de dialogue interburundais (CNDI) avait, le 12 mai, conclu qu’une majorité de Burundais soutient le projet de révision de la Constitution qui permettrait notamment de supprimer les restrictions au nombre de mandats que peut effectuer le chef de l’État. Ce rapport et la création d’une commission de révision de la Constitution qui a immédiatement suivi ont été dénoncés par l’opposition.
Le Sous-Secrétaire général juge très préoccupant que de tels développements aient lieu dans un contexte de fortes restrictions aux libertés civiles et y voit un risque d’aggravation des tensions.
Autre point noir, la situation économique et humanitaire, qui se dégrade. Le Sous-Secrétaire général a fait état de 3 millions de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire et de 2,6 millions exposées à une insécurité alimentaire aiguë, alors que 700 000 dépendent d’une aide alimentaire d’urgence. Il a également fait état de plus de 400 000 réfugiés et 209 000 déplacés internes. Il a toutefois noté que le Gouvernement burundais avait levé certaines restrictions à l’accès humanitaire.
C’est un tout autre tableau qu’a présenté M. Shingiro. Pour le représentant, « qui dit crise politique dit absence ou paralysie des institutions ou encore une insécurité généralisée dans le pays ». Or, a-t-il ajouté, « le Burundi n’a rien de tout cela ». La sécurité a connu une « amélioration remarquable » et quelque 156 000 réfugiés sont rentrés, ainsi que certains dirigeants politiques, ce qui ne peut que contribuer à la stabilité régionale. Pour M. Shingiro, ce que le Gouvernement doit aujourd’hui gérer, ce sont « les conséquences politiques et économiques de la crise de 2015 ».
Le représentant a ainsi longuement dénoncé la tentative de mise en œuvre depuis 2015 d’un « plan de déstabilisation, sous l’impulsion duquel des résolutions biaisées et politiquement motivées sur la situation des droits de l’homme sont régulièrement adoptées à Genève » à l’initiative de commissions d’enquête qui « produisent des rapports à distance sans jamais mettre les pieds au Burundi ».
Défendant les efforts de son gouvernement dans le cadre d’un « combat permanent » pour les droits de l’homme, M. Shingiro a appelé à « rompre définitivement avec la sélectivité, la politisation, la partialité et la subjectivité ». « Il est grand temps que le harcèlement politico-diplomatique dont le pays est victime depuis 2015 cesse et cède la place à la coopération », a-t-il ajouté, insistant sur le respect de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique du pays.
C’est dans le respect de ces « trois piliers de l’existence de tout État » que le représentant a appelé à une coopération internationale et un partenariat mutuellement bénéfique qui permettront de réellement contribuer à la promotion et à la protection des droits de l’homme.
Les intervenants ont tous insisté sur l’importance de cette coopération au niveau régional. M. Zerihoun et M. Lauber ont ainsi rappelé la tenue, le 20 mai, à Dar es-Salaam, du Sommet de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), laquelle a porté à sa tête le Président Museweni de l’Ouganda et a approuvé les recommandations présentées par son facilitateur dans la crise burundaise, l’ancien Président Mkapa de Tanzanie.
À cette occasion, ce dernier a présenté neuf points pour « nettoyer l’environnement politique pollué » afin de préparer efficacement les élections de 2020. Il s’agit notamment de prendre des mesures pour renforcer la confiance, élargir l’espace d’expression politique, faciliter le retour des réfugiés et des dirigeants politiques exilés, ainsi que préserver la Constitution et l’Accord d’Arusha. M. Mkapa s’est dit préoccupé par la lenteur des progrès dans le dialogue et par la demande du Gouvernement de « rapatrier » au Burundi le dialogue avec la CAE.
M. Lauber a estimé que le plan du facilitateur de la CEA offrait « une voie sûre vers des progrès ».
Le représentant du Burundi a pour sa part estimé que les consultations avec la CAE étaient sur la bonne voie « malgré quelques défis qui restent à relever ». Il a surtout énuméré les éléments de consensus qui se sont dégagés à l’occasion d’une réunion tenue le 31 mai à l’initiative du Président de la formation Burundi de la CCP. Ces éléments prévoient notamment que le peuple concerné et la région doivent conserver le rôle dirigeant dans la gestion de la situation au Burundi, que le rôle de la communauté internationale se limiterait à l’accompagnement et que le volet social et économique devrait toujours bénéficier de l’attention des partenaires au développement du pays.
M. Shingiro a également rappelé que les pays de la région avaient demandé la levée des sanctions qui frappent actuellement le pays, souhaitant que ces différents appels soient entendus par la communauté internationale.
C’est dans ce cadre que le représentant du Burundi a mis en avant les nouvelles relations que son pays entend nouer avec la nouvelle administration de l’ONU. Il a notamment fait valoir la rapidité avec laquelle son gouvernement avait accrédité tant le nouveau Coordonnateur résident du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), que le nouvel Envoyé spécial du Secrétaire général nommé début mai, qui devrait se rendre au Burundi avant la fin du mois. M. Lauber a d’ailleurs jugé de bon augure cette rapide accréditation.
Pour le représentant du Burundi, le plus grand défi auquel le pays est confronté est d’ordre économique. C’est pourquoi les discussions politiques « ne devraient pas supplanter le volet économique et social » et tout doit se faire parallèlement, « conformément aux trois piliers de l’ONU qui sont notre repère ». À cet égard, il a salué la nouvelle approche de la formation Burundi de la CCP depuis novembre 2016.
Le représentant de l’Uruguay, M. Elbio Rosselli, s’est félicité que le Sommet de la CAE du 20 mai dernier ait été l’occasion pour les dirigeants de la région de réitérer leur engagement en faveur de la paix au Burundi et il a invité les parties à mettre en œuvre la feuille de route du facilitateur, M. Mkapa. Il a aussi souhaité le rétablissement de la confiance mutuelle entre le Gouvernement du Burundi et les Nations Unies, notamment par la conclusion de l’accord pour la reprise des activités du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme dans le pays.
La coopération entre le Burundi et ce dernier est suspendue depuis octobre 2016 mais M. Shingiro a affirmé devant le Conseil que le maintien du Bureau du HCDH « était acquis ».