7895e séance – matin
CS/12746

Conseil de sécurité: la tentative du Président burundais de briguer « au nom de Dieu » un quatrième mandat risque d’aggraver la crise

Le Conseiller spécial du Secrétaire général, M. Jamal Benomar, a estimé, ce matin, devant le Conseil de sécurité, que la tentative du Président du Burundi, M. Pierre Nkurunziza, de briguer en 2020 un quatrième mandat risquerait d’intensifier la crise dans ce pays, de saper les efforts visant à la régler et d’accroître l’isolement international du Burundi.

Un point de vue rejeté par le représentant burundais, qui a vu dans l’évocation d’un quatrième mandat « non annoncé du Président », le signe d’une politique de deux poids, deux mesures à l’égard de son pays.  Le Facilitateur du dialogue interburundais et ancien Président de la République-Unie de Tanzanie, M. Benjamin William Mkapa, a déploré que chacun considère la partie adverse comme un « ennemi ».  Le Président de la formation Burundi de la Commission de consolidation de la paix (CCP) et le représentant de l’Uruguay se sont également exprimés.

Selon le dernier rapport du Secrétaire général sur le Burundi*, que son Conseiller spécial a présenté ce matin, le Président burundais a mentionné fin 2016, « à l’issue d’une semaine de prière sous sa conduite », sa candidature éventuelle aux élections de 2020, « sous réserve de la réforme constitutionnelle et de l’appui de la population ».  Le rapport mentionne également un discours en date du 19 novembre 2016 dans lequel le Président avertit qu’il « tient son mandat de Dieu, qui punirait quiconque s’y opposerait, Burundais ou étranger ».

Tout en reconnaissant le droit souverain des Burundais de modifier leur Constitution, le Conseiller spécial du Secrétaire général a rappelé que la décision que le Président Nkurunziza avait prise de briguer un troisième mandat en 2015 avait déjà provoqué la plus grave crise qu’ait connue le Burundi depuis la fin de la sanglante guerre civile, il y a plus de 10 ans.  Le Burundi ne s’est toujours pas remis de la crise électorale et continue de faire face à des défis multiformes, a affirmé le Conseiller spécial.

Parmi ces défis, M. Benomar a cité une situation relative aux droits de l’homme « extrêmement préoccupante » marquée par des exécutions extrajudiciaires, des détentions arbitraires, des actes de torture et des disparitions forcées.  Plus de 210 cas de disparition forcée ont été signalés entre octobre 2016 et janvier 2017.  De nombreux Burundais vivent dans la peur en raison de la large répression et du nombre croissant des actes d’intimidation de la part des milices de jeunes du parti au pouvoir, les « Imbonerakure ».

Le Conseiller spécial a également mentionné la détérioration de la situation humanitaire, avec trois millions de personnes, soit 26% de la population, qui ont besoin d’une assistance humanitaire.  Il est revenu sur l’impasse politique, deux ans après le début de la crise électorale.  Depuis, l’espace de dialogue politique s’est encore rétréci.

Rappelant que le dialogue interburundais organisé sous les auspices de la Commission nationale de dialogue interburundais (CNDI) touchait à son terme, le Conseiller spécial a estimé que certaines conclusions du rapport intérimaire de la Commission étaient de nature à saper l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha pour le Burundi de 2000.  Selon ce rapport, la majorité des citoyens veut abolir la disposition qui limite le nombre des mandats présidentiels et est en faveur d’une révision de la Constitution.

Le Conseiller spécial s’est fait l’écho des préoccupations des dirigeants de l’opposition et groupes de la société civile, pour lesquels le processus conduit par la CNDI serait contrôlé par le Gouvernement pour produire un résultat politique prédéterminé.  Le Conseiller spécial a insisté sur les risques inhérents à une telle réforme constitutionnelle.

« Mon pays n’est pas d’accord avec certains faits et omissions du premier rapport du Secrétaire général sur la situation au Burundi », a déclaré le délégué burundais qui a dénoncé l’utilisation « imprudente » du mot « milice » pour qualifier la ligue des jeunes du parti au pouvoir, estimant que le choix de ce mot sortait du cadre du langage agréé au sein du Conseil.  Le représentant a également rappelé que le phénomène des disparitions forcées était une menace globale et qu’aucune nation n’était épargnée. 

Le chiffre de plus de 200 cas a été établi sans preuves et sans enquêtes sérieuses, a-t-il argué, avant de détailler les garanties apportées par les autorités s’agissant de la défense des libertés de réunion et d’expression.  Il a insisté sur l’engagement du Gouvernement à garantir un processus inclusif « à l’exception des putschistes du 13 mai 2015 qui sont aujourd’hui en cavale et sous la protection de certains États Membres de l’ONU ».

« La question d’un quatrième mandat n’a jamais été évoquée par une autre autorité de l’ONU pour des cas de quatrième, cinquième, sixième, voire même septième mandat ailleurs dans le monde », s’est-il étonné.  Il a dit attendre la désignation d’un autre fonctionnaire de l’ONU pour accélérer la signature du cadre de coopération avec le Bureau du Conseiller spécial.  M. Benomar avait pourtant pris soin dans son exposé de préciser qu’il s’était abstenu de « toute critique publique ».

Cette approche « modérée » n’a pas empêché les « portes de la coopération » de rester fermées, a regretté le Conseiller spécial, en pointant les risques d’un « isolement international » du Burundi.  Une préoccupation partagée par le Président de la formation Burundi, qui a dénoncé « les signaux de désengagement », tels que la suspension de la coopération avec le Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.  L’abandon du Burundi exposerait le pays aux risques d’un nouveau conflit, a-t-il mis en garde.

S’agissant des initiatives régionales pour régler la crise, lesquelles, de l’aveu de M. Benomar, n’ont rien donné, le Facilitateur a rappelé qu’il avait demandé au Gouvernement burundais de suspendre les mandats d’arrêt émis à l’encontre de certains acteurs politiques influents pour qu’ils puissent se rendre à Arusha.  « Cette demande n’a pas été bien accueillie », a-t-il regretté.

Enfin, le délégué de l’Uruguay, à l’instar du Facilitateur, a prôné le dialogue pour mettre en œuvre l’Accord d’Arusha, sous peine de voir « réduite à néant plus d’une décennie de consolidation de la paix ».  Il a par ailleurs encouragé le Burundi à envisager de signer l’accord sur le statut de la mission des Nations Unies qui permettrait à l’Envoyé spécial de travailler en toute liberté.

* S/2017/165

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