Guinée-Bissau: « l’impasse perdure » entre les branches éxecutive et législative, constate le Représentant spécial devant le Conseil de sécurité
Quatre mois jour pour jour après la signature de l’Accord de Conakry, qui visait à baliser le retour à la stabilité politique et institutionnelle en Guinée-Bissau, l’impasse perdure dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, a constaté ce matin, devant le Conseil de sécurité, le Représentant spécial du Secrétaire général, M. Modibo Ibrahim Touré.
« À la dynamique du dialogue, du sens de la conciliation et de concession mutuelle qui ont caractérisé l’esprit et la lettre de l’Accord s’est substituée une logique de dissension et de polarisation des positions », s’est alarmé le haut fonctionnaire, venu présenter le dernier rapport* en date du Secrétaire général sur les activités du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (BINUGBIS) et l’évolution de la situation sur place.
À telle enseigne, a-t-il poursuivi, que les chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont réunis, le 17 décembre dernier, lors du Sommet d’Abuja, pour exprimer leur « grave préoccupation » et inviter instamment les parties prenantes au respect de l’Accord de Conakry, qui vise à créer les conditions idoines aux réformes essentielles.
Une préoccupation relayée aujourd’hui même par le représentant du Libéria, M. Lewis G. Brown II, qui s’exprimait au nom de la CEDEAO, pour rappeler « l’urgente nécessité d’adhérer et d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord de Conakry ».
Selon lui, le défi pour le Gouvernement bissau-guinéen est de faire en sorte que le Parlement adopte son plan de développement. En cas d’échec, le nouveau Premier Ministre devrait démissionner, ce qui constitue une source de tension croissante entre le Président du Parlement et l’exécutif, a expliqué M. Brown II.
Dans un « climat de méfiance » grandissant entre acteurs politiques, marqué par des « escalades verbales », des « accusations mutuelles » et des allégations de diverses natures, le Premier Ministre a remis au Président de l’Assemblée nationale populaire le programme de gouvernement conformément au délai règlementaire. Mais le calendrier d’examen de ce programme par l’Assemblée n’a pas encore été fixé, a fait observer le Représentant spécial.
M. Touré est revenu sur les derniers événements à s’être produits depuis le début 2017. L’année a débuté par la révocation de tous les gouverneurs régionaux, du maire de Bissau et le remplacement de plusieurs hauts fonctionnaires gouvernementaux et responsables des institutions sécuritaires.
En outre, la décision, prise le 20 janvier, de mettre en place une rotation des personnels de sécurité à l’Assemblée nationale a été immédiatement qualifiée d’« illégale » par une commission permanente de l’Assemblée. Quatre jours plus tard, le bureau du Président de l’Assemblée était cambriolé par des éléments inconnus, suscitant des accusations à l’encontre du Premier Ministre et du Président du pays.
Par ailleurs, le 8 février, le Bureau de l’Assemblée nationale a rejeté une requête du Procureur général pour obtenir la levée de l’immunité parlementaire du Président du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et de Cabo Verde (PAIGC) et ancien Premier Ministre, M. Domingos Simões Pereira, le Bureau estimant que ce dernier pouvait être entendu à l’Assemblée.
Face à l’aggravation de la crise institutionnelle en Guinée-Bissau, une approche plus soutenue et mieux coordonnée est nécessaire, a estimé le Représentant spécial, qui a appelé les partenaires internationaux de ce pays à continuer de faire pression sur ses dirigeants pour la mise en œuvre de la feuille de route en six points prévue par la CEDEAO et de l’Accord de Conakry.
Cet appel a été repris à son compte par le Président de la formation Guinée-Bissau de la Commission de consolidation de la paix (CCP), M. Mauro Viera.
« Toute percée dans le dialogue politique resterait sans lendemain sous peine de ne pas s’attaquer aux causes structurelles de l’instabilité dans le pays », a prévenu M. Touré. Il est donc, selon lui, crucial que les acteurs nationaux appliquent les dispositions de l’Accord relatives à l’examen de la Constitution pour clarifier tous les articles qui donnent lieu à des « conflits interinstitutionnels ».
« Je lance un appel à l’ensemble de la classe politique pour qu’elle dépasse les considérations partisanes et place l’intérêt national au-dessus de tout pour se concentrer sur les vrais problèmes du pays, à savoir la lutte contre la pauvreté et la promotion du développement durable », a plaidé le Représentant spécial.
L’Envoyé spécial du Premier Ministre de la Guinée-Bissau, M. Soares Sambu, a assuré les membres du Conseil de l’engagement de son gouvernement en faveur d’une mise en œuvre rigoureuse de l’Accord de Conakry et d’une inclusion de toutes les parties signataires, afin d’élargir sa base politique.
« Malgré les divergences d’interprétation de certains, qui ont entraîné des difficultés de mise en œuvre, le Gouvernement souscrit à tous les mécanismes de dialogue et aux principaux éléments des réformes politiques attendues », s’est défendu le délégué.
Malgré l’hostilité des commissions permanentes du Parlement, le Gouvernement considère qu’un espace de dialogue avec les parties ayant des interprétations divergentes de l’Accord existe toujours et que le programme sera approuvé, a poursuivi M. Sambu.
Le Représentant spécial a identifié un domaine dans lequel des progrès remarquables ont été enregistrés: l’économie, le taux de croissance ayant augmenté de 5% en 2016, grâce à une nouvelle récolte record de noix de cajou, principal produit d’exportation de la Guinée-Bissau.
L’Uruguay s’est, quant à lui, félicité d’une situation sécuritaire demeurée calme au cours de la période à l’examen, y voyant la conséquence positive de l’imposition de sanctions par le Conseil de sécurité en 2012.
Conscient que les défis auxquels est confronté le pays exigeront du BINUGBIS une nécessaire adaptation, M. Touré a annoncé que le Bureau réalignerait ses priorités à la lumière des conclusions de la mission dépêchée par le Département des affaires politiques en Guinée-Bissau du 4 au 14 décembre 2016.
La principale de ces conclusions? « Appuyer un calendrier électoral permettant la tenue d’élections législatives et présidentielles en 2018 et 2019, et ce, qu’un gouvernement consensuel soit ou non constitué », selon le Secrétaire général. Le représentant bissau-guinéen a apporté son soutien à cette stratégie d’adaptation du BINUGBIS.
M. Viera a de son côté assuré que la formation Guinée-Bissau continuera d’accompagner la mise en œuvre du Plan prioritaire de la CCP à l’appui de la réforme du secteur de la sécurité et du renforcement des capacités, ainsi qu’à l’autonomisation des jeunes et des femmes.