Yémen: l’Envoyé spécial veut faire converger les positions des parties sur la base d’une proposition de paix équilibrée avec l’appui des pays de la région
L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen, M. Ismail Ould Cheikh Ahmed, a expliqué aux membres du Conseil de sécurité, cet après-midi, qu’il espérait pouvoir amener les parties à travailler en vue de la paix sur la base d’une proposition viable, une vision que le représentant du Yémen a partagée en exprimant sa confiance en l’efficacité des travaux de l’ONU pour rétablir la paix.
De son côté, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Stephen O’Brien, a attiré l’attention sur la situation humanitaire du pays, en signalant « la plus importante urgence alimentaire dans le monde » et en avertissant d’un risque de famine en 2017.
« On a constaté une recrudescence des activités militaires au cours des derniers mois », a dit l’Envoyé spécial, précisant que les civils se trouvant à Taëz souffraient toujours de tirs aveugles dans les zones résidentielles. En outre, les combats au sol et les tirs aériens se sont accrus sur la côte ouest du pays après le lancement de l’opération « Lance d’or » par le Gouvernement yéménite et les forces alliées.
« Je reste convaincu qu’il n’y a pas de solution militaire possible », a-t-il dit, en prévenant des risques que court le pays si le conflit se poursuit sur ce plan, alors qu’il y a une proposition de paix viable sur la table.
Une cessation des hostilités après deux semaines de période préparatoire, telle est la proposition qui est ressortie d’une réunion tenue à Riyad le 18 décembre avec le Ministre des affaires étrangères de l’Arabie saoudite et des représentants d’Oman, des Émirats arabes unis, des États-Unis et du Royaume-Uni. Alors que plusieurs cessez-le-feu ont échoué, ces derniers mois, « nous voulons cette fois que la cessation des hostilités dure et apporte un répit au peuple yéménite ».
Le Ministre des affaires étrangères de la Jordanie est prêt à apporter tout son appui à la paix au Yémen, a indiqué M. Ould Cheikh Ahmed, en se félicitant que ce pays souhaite organiser une réunion pour les préparatifs à la cessation des hostilités.
Lors de la réunion du 18 décembre, il a aussi été demandé aux parties de travailler de toute urgence avec l’Envoyé spécial, avant le démarrage des négociations, sur la base des propositions soumises. Celles-ci sont cohérentes avec l’Initiative du Conseil de coopération des États arabes du Golfe et avec son mécanisme de mise en œuvre, ainsi qu’avec les résolutions du Conseil de sécurité.
Les parties ont cependant certaines réserves, a expliqué M. Ould Cheikh Ahmed en assurant vouloir poursuivre les consultations avec elles pour faire converger leurs vues. « Nous espérons que nous pourrons trouver des solutions en harmonie avec les résolutions du Conseil de sécurité, pour ouvrir la voie à une période de transition. »
L’Envoyé spécial a affirmé qu’avec l’aide d’Oman et des États-Unis, Ansar Allah et le Congrès général du peuple avaient, en novembre, accepté la feuille de route comme base des futures consultations. Il a cependant regretté que ces parties ne fassent pas de propositions et ne discutent pas sérieusement des accords en matière de sécurité.
En outre, la décision d’Ansar Allah et du Congrès général du peuple de nommer un gouvernement parallèle est très décevante, a-t-il dit, en avertissant à nouveau que de telles mesures unilatérales sapaient la confiance entre les parties.
L’Envoyé spécial s’est rendu deux fois à Aden depuis son dernier exposé pour demander au Président de s’engager publiquement en faveur des consultations basées sur ses propositions, mais il a regretté les critiques réitérées du Président concernant la feuille de route.
La situation économique et humanitaire continue de se dégrader, a-t-il poursuivi, ajoutant que 18,8 millions de Yéménites avaient besoin d’aide humanitaire et que 2,2 millions d’enfants souffraient de malnutrition aiguë.
La situation est aggravée du fait de la fermeture de l’aéroport de Sanaa. Il a donc demandé, dans une lettre adressée au Gouvernement du Yémen et aux parties, d’assurer la sûreté de l’aéroport et de permettre la reprise des vols commerciaux et civils, une requête exprimée également par le Coordonnateur des secours d’urgence.
Si le retard de versement du traitement des fonctionnaires a gravement affecté le pouvoir d’achat, il a dit avoir été informé, aujourd’hui, que les versements avaient repris. Il faudra aussi, a-t-il ajouté, garantir le financement du Fonds de protection sociale. Il a en outre encouragé les partenaires internationaux à trouver les moyens d’assurer les paiements en devises fortes pour les importations de matières premières.
M. Ould Cheikh Ahmed a insisté sur le caractère équilibré de sa proposition qui tient compte des considérations des deux parties, ainsi que de la situation du pays. Malgré les compromis difficiles à faire, il y a vu une possibilité de retour à la paix et a encouragé les parties à y réfléchir.
Il s’est d’ailleurs félicité du soutien exprimé par plusieurs pays de la région, en espérant que cela inciterait les parties à s’engager en vue d’une cessation rapide des hostilités. « J’espère aussi que les dirigeants yéménites prendront conscience des souffrances de la population et auront l’audace de s’engager en faveur d’une solution politique pour y mettre fin. »
Dans son exposé axé sur la situation humanitaire, M. O’Brien a, lui, déploré une constante détérioration, tandis que le conflit armé, marqué par des frappes aériennes quotidiennes et des affrontements, s’est intensifié. Il a signalé que 10,3 millions de Yéménites avaient besoin d’une aide urgente et vitale, « un chiffre sidérant » qui équivaut à la population de la Suède.
En outre, plus de deux millions de personnes sont déplacées et, au 31 décembre, 7 469 Yéménites avaient été tués et 40 483 blessés en raison du conflit, des chiffres probablement en deçà de la réalité.
M. O’Brien a insisté sur la condition désastreuse des enfants au Yémen: un enfant âgé de moins de 5 ans mourant toutes les 10 minutes de causes évitables. Depuis le début des hostilités en mars 2015, plus de 1 400 enfants ont été tués et plus de 2 140 autres blessés, tandis que 1 441 enfants ont été recrutés par les parties belligérantes, certains étant âgés de moins de 8 ans. Il a précisé que, là encore, les véritables chiffres étaient sans doute bien plus élevés.
Il a ensuite fait état de « la mort silencieuse » des Yéménites, emportés par la famine et des maladies, pourtant largement évitables. Le conflit au Yémen entraîne la plus importante urgence alimentaire dans le monde. « Si une action immédiate n’est pas prise, la famine est un scénario possible en 2017 », a-t-il poursuivi, en précisant que deux millions de personnes avaient besoin d’une aide alimentaire d’urgence et que 2,2 millions de bébés souffraient d’une malnutrition aiguë.
Le Coordonnateur des secours d’urgence a également noté que deux tiers des dommages causés aux infrastructures résultaient de frappes aériennes, tout en déplorant les nombreuses violations des droits de l’homme.
Il a ensuite présenté la situation économique et sociale, marquée par un effondrement d’une ampleur sans précédent des institutions publiques, une destruction des infrastructures, une crise de liquidités et une dévalorisation continue de la monnaie locale. En décembre, le prix de la farine de blé était de 25% plus cher qu’avant le début de la crise, tandis que le gaz de cuisine est aujourd’hui plus cher de 60%.
M. O’Brien a indiqué que le mécanisme de vérification et d’inspection des Nations Unies avait donné son feu vert à 324 vaisseaux sur 394 demandes. Depuis le début des opérations, plus de cinq millions de tonnes de livraisons ont été déchargées, y compris deux millions de tonnes de denrées alimentaires et un peu plus d’un million de tonnes d’essence. Les délais dans l’octroi des autorisations sont dus aux restrictions imposées par la coalition emmenée par l’Arabie saoudite.
Malgré les difficultés, M. O’Brien a souligné que les acteurs humanitaires –114 organisations opèrent dans le pays- avaient pu fournir une aide à 5,6 millions de Yéménites. Si l’épidémie de choléra a été enrayée, grâce notamment à la mise en place de 26 centres de traitement, il faut néanmoins rester vigilant.
Il a ensuite insisté sur les progrès enregistrés sur le plan administratif, notamment en ce qui concerne la délivrance de visas pour les travailleurs humanitaires. Il a salué les efforts des autorités saoudiennes en vue de renforcer leur dialogue avec les partenaires humanitaires afin de surmonter les défis existants dans la fourniture de l’aide humanitaire.
Estimant à deux milliards de dollars environ la somme nécessaire au financement de la réponse humanitaire en 2017 au Yémen, il a appelé les États Membres à se montrer « généreux » lors de la Conférence des donateurs pour le Yémen, prévue fin mars.
Le Secrétaire général adjoint a invité les membres du Conseil à appeler à un cessez-le-feu immédiat au Yémen, à user de leur influence auprès des parties pour qu’elles respectent leurs obligations, y compris un accès humanitaire sûr et sans entrave, à faciliter une augmentation des importations d’articles de première nécessité et à faire en sorte que les fonctionnaires dans le pays soient payés.
Le représentant du Yémen, M. Khaled Hussein Mohamed Alyemany, a remarqué que, deux ans après le début des attaques par les milices houthies et les forces de l’ancien Président contre le régime yéménite, leur projet s’effondrait face à la détermination du peuple. Il a fait référence au dialogue qui a été lancé et qui est accepté par le peuple yéménite, en exprimant une volonté de mener une transition pacifique au Yémen.
Le Gouvernement yéménite réaffirme son attachement à la paix, a-t-il dit, en expliquant pourquoi il avait rejeté le plan du Secrétaire d’État américain John Kerry. Il faut tenir compte des résultats des réunions du Koweït, a-t-il demandé, ne voulant pas que le coup d’État soit légitimé d’aucune façon car « aucune cessation des hostilités ne peut tenir sans accord de toutes les parties ».
Il a indiqué que les adversaires de son gouvernement avaient refusé de participer à un atelier organisé par le Comité de désescalade organisé en Jordanie.
M. Alyemany a fait état des grandes souffrances qu’enduraient le peuple yéménite, avant de dénoncer les pratiques des auteurs du coup d’État qui s’approprient les ressources du pays, notamment des fonds de la Banque centrale, et pratiquent toutes sortes de trafics illicites. De même, il a été demandé au Président de la Banque centrale de verser les traitements des fonctionnaires.
Des milliers d’enfants sont recrutés par les milices pour être envoyés sur les fronts, a également dénoncé le représentant du Yémen en espérant que les responsables rendraient des comptes de leurs actes après la cessation des hostilités. Il a aussi mentionné le nombre de détenus arbitraires, dont des enfants, en souhaitant que les membres des familles puissent connaître le sort de ces détenus. « Pourquoi priver de liberté les personnes qui ont condamné le coup d’État ? »
Le Gouvernement a invité le Groupe d’experts à se rendre dans toutes les zones qu’il contrôle, a-t-il dit, avant de reconnaître qu’il restait encore à protéger l’aéroport de Sanaa et à assurer la sécurité des ports. Mais toutes les parties du pays sont maintenant accessibles et l’aéroport d’Aden fonctionne normalement.
Il a d’ailleurs lancé une invitation au Secrétaire général pour qu’il puisse voir sur place le travail accompli. Enfin il a souhaité que le Conseil de sécurité prenne position sur les auteurs du coup d’État.
Seul membre du Conseil de sécurité à s’exprimer au cours de la séance, le délégué de l’Uruguay, M. Elbio Rosselli, s’est dit consterné par l’aggravation constante de la situation au Yémen. Le peu de bruit médiatique autour de ce conflit n’exonère ni les parties ni la communauté internationale, de leurs responsabilités, a-t-il dit.
Rappelant que le Conseil avait tenu 13 réunions sur la Syrie, au 31 octobre 2016, il a constaté un déséquilibre manifeste. Il a ensuite déploré la paralysie du processus de paix et appelé les parties à reprendre le dialogue.
Il a fermement condamné les attaques contre les civils, les écoles et les hôpitaux qui démontrent, comme en Syrie, une déshumanisation sans précédent. Les responsables de ces atrocités devront rendre des comptes, a conclu le représentant.