Troisième Commission: comment obtenir la ratification universelle des conventions sur les disparitions forcées ou les droits des migrants
La Troisième Commission a poursuivi, aujourd’hui, l’examen de la protection et la promotion des droits de l’homme sous tous ses aspects en se penchant sur les thèmes des disparitions forcées, des migrants, des personnes déplacées internes et de la vie privée. Les Présidents des organes conventionnels concernés ont insisté sur l’importance d’une ratification universelle des traités concernés, ce qui est loin d’être actuellement le cas, voire de nouveaux instruments. Certaines des délégations ont exprimé leur opposition.
Ainsi, la Présidente du Comité des disparitions forcées, Mme Suela Janina, et le Président du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, M. Bernard Duhaime, ont-ils tous deux appelé les États Membres à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée il y aura bientôt 11 ans et qui ne compte encore que 57 États parties. Tous deux ont rappelé l’objectif fixé par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de doubler ce nombre dans les cinq prochaines années.
Pour preuve de l’urgence de cet appel, M. Duhaime est revenu sur le nombre « inacceptable » de signalements de disparitions forcées transmises l’an dernier à son Groupe de travail: 1 094 cas concernant 36 États, soit deux fois plus que l’année précédente. M. Duhaime a déploré que les États tentent de justifier les disparitions forcées dans le cadre de la lutte contre le crime et le terrorisme: « Il n’existe aucune justification qui favoriserait les disparitions forcées », s’est-il insurgé, en rappelant que de nombreux États parties étaient en outre en retard dans la remise de leur rapport périodique.
Autre forme, « moins visible » de disparitions forcées, celles en lien avec les migrations. Certaines personnes migrent parce qu’elles sont menacées de disparition forcée dans leur pays ou disparaissent pendant leur voyage, voire dans leur pays de destination, a expliqué M. Duhaime.
Abondant dans son sens, Mme Cecilia Jimenez-Damary, Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, a ajouté qu’il ne fallait pas oublier ceux qui sont déplacés à l’intérieur de leur propre pays, parmi lesquels figurent souvent les plus vulnérables et marginalisés. Une situation « extrêmement préoccupante » pour la Rapporteuse spéciale qui a rappelé qu’en 2016, 40,3 millions de personnes étaient ainsi déplacées internes du fait de conflits ou de violences. Or, beaucoup ne bénéficient pas, dans leur pays d’origine, de la sécurité, de l’assistance et des conditions de subsistance qui leur permettraient de rester.
Autre population vulnérable, les plus de 224 millions de migrants que compte le monde, dont la moitié est des femmes et quelque 30 millions des enfants, et dont on estime que 20% sont en situation irrégulière. Pour le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, M. Felipe Gonzáles Morales, cette situation des migrants requiert de nouvelles réponses de la part de la communauté internationale. M. Jose Brillantes, Président du Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, a déploré que le potentiel de la Convention, adoptée en 1990, ne soit pas totalement déployé, compte tenu du faible nombre de ratifications –51 à ce jour– lesquelles concernent surtout des pays d’origine. Des propos appuyés par le Maroc et l’Indonésie, qui ont rappelé que la Convention était, à ce jour, le seul traité à portée universelle concernant la protection des travailleurs migrants et leur famille.
Tout en reconnaissant que les types de violations des droits des migrants variaient selon les États concernés, M. Brillantes a cependant observé des similitudes qui justifient à ses yeux une ratification universelle de la Convention, qui permettrait en outre de mettre en place une migration légale et de lutter ainsi contre l’immigration illégale, source de nombreuses violations des droits de l’homme.
Cette position a suscité de nombreuses réserves. L’Union européenne, qui n’est pas partie à la Convention, a rappelé son engagement à protéger les droits fondamentaux de tous les migrants mais plaide pour un renforcement de la coopération internationale et une « approche équilibrée » reconnaissant l’existence de pays d’origine, de transit et de destination. La Fédération de Russie a insisté sur la distinction à faire entre migrants et réfugiés. Quant aux États-Unis, ils ont rappelé qu’il revient aux États de contrôler et de gérer leurs propres frontières et que tout mécanisme envisagé dans le cadre du projet de pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ne pourra être accepté que sur une base purement volontaire. M. Brillantes a, pour sa part, souhaité que les dispositions de la Convention soient reflétées dans le futur pacte mondial, qui devrait être adopté en 2018.
Par ailleurs, la Troisième Commission a dialogué avec le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, M. Joseph Cannataci, qui a expliqué que les seuls domaines où le droit à la vie privée ne pouvait être absolu étaient la détection, la prévention, l’investigation et les poursuites d’actes criminels ainsi que ce qui touche à la sécurité nationale. Rappelant la difficulté à concilier les avantages offerts par les nouvelles technologies de l’information avec les risques qu’elles font peser sur le droit fondamental à la vie privée, M. Cannataci a lancé l’idée d’un instrument juridique que l’ONU pourrait adopter pour protéger la vie privée.
La proposition a été aussitôt combattue par les États-Unis, pour qui un nouvel instrument juridiquement contraignant est inutile car les mécanismes internationaux existants suffisent. Dans le même sens, l’Union européenne a en outre estimé qu’un tel texte n’aurait pas forcément d’impact sur la collecte des données par les sociétés privées. L’Union européenne et les États-Unis ont partagé une même inquiétude face à l’interférence de gouvernements dans la vie privée des opposants politiques, membres de la société civile ou défenseurs de droits de l’homme.
Lundi 23 octobre, la Troisième Commission poursuivra son examen de la protection et la promotion des droits de l’homme et son dialogue avec plusieurs rapporteurs spéciaux sur des questions relatives à des droits économiques, sociaux et culturels.
PROMOTION ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME (A/72/40 ET A/C.3/72/9)
Questions relatives aux droits de l’homme, y compris les divers moyens de mieux assurer l’exercice effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Situations relatives aux droits de l’homme et rapports des rapporteurs et représentants spéciaux
Déclarations liminaires, suivies de dialogues interactifs
Mme SUELA JANINA, Présidente du Comité des disparitions forcées, qui présentait son premier rapport en tant que Présidente de cet organe conventionnel, a tout d’abord souligné que le Comité se voulait le « gardien juridique » de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. À cet égard, elle s’est dite « encouragée » par le résultat de la Conférence des États parties à la Convention, qui s’est tenue le 19 décembre 2016 à Genève et au cours de laquelle les États parties ont tous salué l’efficacité du Comité. Rappelant qu’à ce jour, 57 États sont parties à la Convention pour 97 signataires, elle a aussi relevé qu’à l’occasion des célébrations du dixième anniversaire de la Convention, le 17 février dernier, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme s’était fixé pour objectif de doubler le nombre des ratifications lors des cinq prochaines années, le but ultime étant sa ratification universelle.
Revenant à ses travaux, Mme Janina a noté que le Comité était préoccupé par le nombre de retards dans la présentation de rapports des États parties. Elle a constaté que les rapports de plusieurs des États ayant ratifié parmi les premiers la Convention avaient accusé des retards ces cinq dernières années. C’est pourquoi, un premier rappel a été adressé, le 17 janvier dernier, au Lesotho et au Togo, a-t-elle précisé, faisant état de plusieurs autres rappels: un deuxième au Cambodge et au Maroc; un troisième à la Mauritanie; un quatrième au Costa Rica; et un cinquième à la Bolivie, au Brésil, au Chili, au Mali, au Nigéria, au Panama et à la Zambie. Face à ce problème récurrent, a-t-elle ajouté, le Comité a décidé en septembre qu’en cas de retard de plus de cinq ans, il pourrait examiner la situation des États parties en l’absence de rapport.
S’agissant des demandes d’action urgente, le Comité en a enregistré 359 entre 2012 et le 17 mars dernier. Mme Janina a précisé que la plupart émanait du Mexique et de l’Iraq. Au 10 octobre de cette année, a-t-elle poursuivi, un total de 414 demandes d’actions urgentes avait été enregistré. La Présidente du Comité a expliqué à ce sujet que son organe limitait son rôle à celui que lui prévoit l’article 30 de la Convention. Il ne considère donc les poursuites criminelles et la responsabilité des auteurs de disparitions forcées que sur la base de preuves pouvant se révéler pertinentes pour la recherche et la localisation des victimes. Mme Janina a relevé que les États parties répondaient à la grande majorité des demandes d’action présentées par le Comité. À défaut, le Comité envoie des rappels.
Au cours de la période considérée, a encore indiqué Mme Janina, le Comité a suspendu trois actions urgentes liées à la disparition de personnes qui ont été localisées en détention et a mis un terme à 24 autres liées à la disparition de personnes retrouvées vivantes et libérées (huit cas) ou retrouvées mortes (deux cas).
Pendant cette même période, le Comité a reçu quatre plaintes individuelles soumises en vertu de l’article 31 de la Convention. Toutefois, elles se référaient à des faits survenus dans des États non parties et n’ont donc pu être enregistrées, a-t-elle dit, notant que seuls 23 des 57 États parties ont jusqu’alors accepté la compétence du Comité en ce qui concerne les communications individuelles au titre de cet article. Elle y a vu un « signe de réticence » à reconnaître la compétence du Comité et, en conséquence, a appelé les États parties et ceux qui vont le devenir à accorder au Comité le plein exercice de cet instrument important prévu par la Convention.
Faisant état, comme à chacune des sessions du Comité, des échanges de correspondance commencés en mai 2013 avec le Mexique concernant la possibilité d’une visite du Comité au titre de l’article 33 de la Convention, Mme Janina a dit regretter d’annoncer que cet État avait refusé la requête du Comité.
Enfin, la Présidente du Comité a souligné l’importance des échanges avec toutes les parties prenantes, souhaitant à cet égard que le Comité renforce sa coopération avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, ces deux organes travaillant dans le même sens et pour la même mission.
Lors du débat avec Mme Janina, Présidente du Comité des disparitions forcées, l’Iraq a affirmé qu’il répondait toujours positivement aux demandes du Comité, mais a ajouté que, dans le cas des personnes enlevées par des terroristes, notamment pour les victimes de Daech, le pays avait besoin de l’appui de la communauté internationale.
La France a relayé l’appel du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à doubler le nombre de ratifications en cinq ans pour atteindre le nombre de 150 États parties en 2022. La représentante a demandé à la Présidente quelles étaient les pistes à poursuivre pour renforcer ses activités de contrôle et de suivi. L’Union européenne a souligné le rôle de relai que pouvaient jouer les organisations régionales et a demandé à la Présidente comment elle envisageait son mandat et quelles étaient ses pistes pour analyser les rapports des États. L’Union européenne a également demandé quelles étaient les meilleures voies pour réussir à doubler le nombre de ratifications de la Convention. L’Argentine a salué la ratification de la Convention, l’année dernière, par de nouveaux pays et a demandé à tous les États d’y adhérer. L’Argentine, la France et le Maroc présenteront deux projets de résolution en ce sens.
Le Japon a lui aussi demandé ce que le Comité pouvait faire pour augmenter le nombre d’États parties à la Convention. Il a rappelé qu’il avait, pour sa part, soumis son premier rapport au Comité, dont l’examen aura lieu l’année prochaine et a insisté sur la nécessité de coopération entre toutes les agences de l’ONU pour faire face à ce « crime grave » qu’est la disparition forcée.
Le Mexique a rappelé le cadre législatif dont il s’est doté et notamment le protocole sur la recherche des personnes disparues en 2015 ainsi que la nouvelle loi sur les personnes disparues de mars 2017. Affirmant avoir progressé sur l’enregistrement des données sur les personnes recherchées, le Mexique a toutefois appelé à la création d’un registre international des personnes disparues. Il a enfin demandé quelles étaient les perceptions les plus communes des États Membres quant à la Convention et comment progresser quant à son universalisation.
La Colombie a rappelé les nombreuses disparitions forcées générées par le conflit armé qu’a connu le pays pendant un demi-siècle et a cité des mesures mises en œuvre par le pays contre ce « crime », notamment l’inscription dans la Constitution de 1981 de l’interdiction des disparitions forcées, la création en 2007 de la Commission de la recherche des personnes disparues et l’adoption d’une loi qui rend hommage aux victimes de disparitions forcées. La Colombie a fait état d’une réduction de 80% de disparitions forcées sur une décennie. Elle a aussi rappelé que l’Accord final de paix conclu avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP), en 2016, avait permis de mettre en place une action humanitaire de recherche des personnes disparues.
Dans ses réponses, Mme Janina, Présidente du Comité des disparitions forcées, a déclaré que, malheureusement, les disparitions forcées ne relevaient pas du passé, mais restaient un phénomène connu largement dans le monde. C’est pourquoi, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées reste l’outil adapté pour répondre à ce défi et rechercher les personnes disparues. Elle a aussi indiqué que, parmi les cas rapportés au Comité, 10% avaient pu être vérifiés. Parmi les personnes recherchées, 34% ont été retrouvées vivantes.
La Présidente a également estimé que la Convention était un instrument moderne et nouveau, qui par ailleurs n’oblige pas à des rapports cycliques qui mènent à une routine. Le Comité souhaite éliminer le phénomène de la disparition forcée, aider les pays à appliquer la Convention et non créer une monotonie dans la présentation des rapports. C’est pour cela aussi qu’il considère que cette Convention doit être ratifiée universellement pour parvenir à éliminer ce phénomène, a conclu la Présidente.
M. BERNARD DUHAIME, Président du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, qui présentait aussi son premier rapport en cette qualité, a commencé par s’interroger sur le caractère « acceptable » des disparitions forcées en 2017. Il a expliqué poser cette question en raison du nombre « inacceptable » de signalements de disparitions forcées adressés, chaque jour, à son Groupe de travail. Au cours de la période du rapport, celui-ci a ainsi transmis 1 094 nouveaux cas de disparitions forcées à 36 États, a-t-il expliqué, précisant que, sur ce total, 260 avaient été transmis au titre de la procédure d’urgence à 23 États, un nombre selon lui « totalement inadmissible ».
Soulignant que le spectre des raisons ou justifications données aux disparitions forcées était aujourd’hui plus large que lorsque cette pratique honteuse a commencé à attirer l’attention de la communauté internationale, voilà plusieurs décennies, M. Duhaime a noté que ces disparitions étaient le plus souvent utilisées pour réprimer des opposants politiques mais aussi en situation de conflit ou de violence, ainsi que pour combattre le crime organisé et le terrorisme.
S’agissant de ce dernier contexte, le Groupe de travail a constaté ces dernières années une forte hausse des disparitions prétendument de « courte durée », qui consistent en une privation de liberté hors de la protection de la loi pendant une période de temps limitée, assortie d’interrogatoires et souvent de torture. Si dans de nombreux cas, la victime finit par réapparaître, il se peut aussi qu’elle fasse l’objet d’une exécution extrajudiciaire, a-t-il relevé. Face à ces pratiques « préoccupantes », M. Duhaime a appelé à l’éradication de toutes les formes de disparitions forcées, ajoutant que, quelle que soit la durée, toutes les informations concernant une personne privée de liberté devaient être communiquées promptement aux membres de sa famille.
Le Président du Groupe de travail a également mis l’accent sur d’autres formes « peut-être moins visibles » de disparitions forcées, en lien notamment avec les migrations. Il a jugé à cet égard que la communauté internationale dans son ensemble ne prêtait pas suffisamment attention à ce problème, certains États préférant renvoyer la responsabilité à d’autres États. Or, a-t-il dénoncé, des personnes migrent parce qu’elles sont menacées de disparition forcée dans leur pays ou disparaissent pendant leur voyage, voire dans leur pays de destination. Cela peut résulter d’un enlèvement pour motif politique, d’un placement en détention ou d’une procédure d’expulsion, ou encore d’un trafic d’êtres humains, a-t-il expliqué.
Lorsque les disparitions de migrants sont perpétrées par des acteurs non étatiques mais avec l’implication directe ou indirecte d’autorités étatiques, ces actes relèvent clairement de la disparition forcée, a poursuivi M. Duhaime, notant que, dans certains autres cas, ces disparitions étaient aussi la conséquence directe, bien qu’involontaire, d’actions d’États consistant à refouler les migrants. Si ces dernières ne sont pas, au sens strict, des disparitions forcées, elles engagent néanmoins la responsabilité des États au regard de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
M. Duhaime a par ailleurs réaffirmé son inquiétude quant à la question des menaces, intimidations et représailles à l’encontre de victimes de disparitions forcées, y compris les membres de leur famille, les témoins et les défenseurs des droits de l’homme. Des appels à l’action urgente sont régulièrement adressés au Groupe de travail à ce sujet, a-t-il dit, évoquant le cas de M. Ibrahim Metwally, avocat et père d’une personne disparue, arrêté le mois dernier alors qu’il se rendait à Genève pour rencontrer le Groupe de travail et assister à une session du Conseil des droits de l’homme. Appelant tous les États à prendre des mesures pour prévenir de tels actes et protéger ceux qui travaillent sur des disparitions forcées, M. Duhaime s’est félicité que M. Andrew Gilmour, Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme, ait été chargé de mener ces efforts au sein du système des Nations Unies.
M. Duhaime a enfin souligné l’importance cruciale des visites que peut effectuer son Groupe de travail dans le cadre de son mandat, remerciant l’Albanie et la Gambie pour leur récent accueil et se disant impatient de se rendre, en novembre, au Soudan et, en juin 2018, en Ukraine., Tous les États auxquels une demande de visite a été adressée sont priés de répondre favorablement, a-t-il conclu, saluant également le Chili et l’Espagne pour leur coopération dans le cadre de rapports de suivi.
Lors du débat avec M. Duhaime, Président du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, les États-Unis ont constaté que le Groupe de travail affirmait avoir reçu 1 094 nouveaux cas de disparitions forcées, concernant 36 États, c’est-à-dire deux fois plus de cas que l’année précédente. Ils ont aussi noté que l’Observatoire syrien des droits de l’homme faisait état d’un nombre important de cas de disparitions forcées impliquant les forces de sécurité gouvernementales. Ils ont par ailleurs relevé que le Groupe de travail avait été saisi de cas de disparitions forcées en Chine impliquant le Gouvernement. Les États-Unis ont demandé au Groupe de travail comment il entendait résoudre la question des disparitions forcées dans ces pays mentionnés et ailleurs.
L’Argentine a demandé s’il était possible au Groupe de travail de coordonner ses travaux avec d’autres mécanismes du Conseil des droits de l’homme pour aborder la question des représailles contre les victimes de disparitions forcées et leurs familles. Elle a demandé l’avis du Groupe de travail sur les moyens de lutter contre cette pratique. L’Union européenne a, elle aussi, condamné cette pratique des représailles à l’encontre des victimes de disparitions forcées et a souhaité savoir quelles sont les nouvelles tendances que le Groupe de travail constate en matière de disparitions forcées dans le monde. L’Union européenne a également demandé à M. Duhaime si le Groupe de travail collaborait avec les groupes régionaux.
Le Japon, pour qui les disparitions forcées constituent une des pires formes de violation des droits de l’homme et se confondent avec la torture, a soulevé la question de l’enlèvement de ressortissants japonais par la République populaire démocratique de Corée, ajoutant que cette question concernait aussi la communauté internationale. La République de Corée a demandé quel rôle pouvait jouer la société civile dans le cadre de la lutte contre les disparitions forcées et comment renforcer ce rôle.
La France a voulu savoir quelles étaient les mesures que les États pouvaient mettre en place pour faire face au lien que le Groupe de travail établit entre migrations et disparitions forcées.
La Chine a affirmé que sa loi interdisait les disparitions forcées et que, de fait, personne n’en était victime. Elle a donc appelé le Groupe de travail à respecter la souveraineté des États et à se conformer au Code de conduite des procédures spéciales, notamment en se fondant sur des informations fiables et crédibles. Par ailleurs, la délégation a rejeté les déclarations « totalement infondées » des États-Unis
Dans ses réponses, M. Duhaime, Président du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, a déclaré que les représailles à l’encontre des familles de personnes disparues faisaient partie de ses préoccupations principales et qu’il essayait d’élargir les initiatives du Groupe de travail pour lutter contre ce phénomène. Il a insisté sur l’importance de condamner ces actions au sein des Nations Unies mais aussi par les États Membres eux-mêmes.
Aux États-Unis, le Président du Groupe de travail a dit accorder une importance toute particulière à l’impact des disparitions forcées sur les familles et les communautés, notamment en ce qui concerne l’obligation des États. Souvent, les réparations ne peuvent pas se concentrer sur les individus et il faut mettre en place des mesures telles que la reconnaissance publique des violations dont les familles ont souffert ou encore des mentions dans les manuels scolaires.
En réponse à l’Union européenne, M. Duhaime a déploré que le nombre de disparitions forcées soient en augmentation, notamment en ce qui concerne les actions des États dans le cadre de la lutte contre le crime et le terrorisme. Expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène nouveau, il a néanmoins constaté qu’aux yeux des autorités, de telles disparitions forcées se justifiaient dans certains contextes. Or, s’est-il insurgé, « il n’existe aucune justification qui favoriserait les disparitions forcées; même dans des circonstances objectives difficiles, on ne peut pas justifier ce crime ».
M. Duhaime a également estimé que les États pouvaient prendre en considération la nature transnationale du crime de disparition forcée dans le cadre de la migration, a insisté sur la nécessité de la coopération transnationale et a invité les États Membres à coopérer à ce sujet. Enfin, il a rappelé que les mécanismes du Groupe de travail trouvaient leurs origines dans les luttes de la société civile et dans celle, quotidienne, des familles des personnes disparues. Rendant hommage à celles-ci, il a déclaré que c’était grâce à elles que « nous étions réunis ici pour dénoncer ces pratiques persistantes et faire des recommandations plus larges pour pousser la communauté internationale à se concentrer en permanence sur ces crimes ».
Mme CECILIA JIMENEZ-DAMARY, Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, s’est déclarée honorée de présenter son premier rapport et a rappelé que 2018 marquera le vingtième anniversaire de l’adoption des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays. Elle s’est également félicitée que la première Conférence des États parties à la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique -Convention de Kampala- organisée cette année, ait débouché sur un plan d’action pour la mise en œuvre de cette Convention.
Malgré ces points positifs, la situation mondiale reste « extrêmement préoccupante », a souligné la Rapporteuse spéciale, rappelant qu’à la fin de 2016, on estimait à 40,3 millions le nombre de personnes vivant en déplacement interne du fait de conflits ou de violences. Un chiffre deux fois plus important qu’en 2000 et qui s’accroît « à hauteur de plusieurs millions chaque année », 6,5 millions de nouveaux déplacés internes pour cause de conflits ou de violences ayant été comptabilisés pour la seule année 2016. À ce total, s’ajoutent les 24,2 millions de nouveaux déplacés en raison de catastrophes, a poursuivi Mme Jimenez-Damary, expliquant que ces chiffres ne prenaient pas en compte les millions de personnes déplacées dans leur propre pays du fait de risques naturels ou de projets nationaux de développement.
Alors que l’ONU met l’accent sur le sort des réfugiés et des migrants dans le monde, il ne faut pas oublier ceux qui sont déplacés à l’intérieur de leur pays, parmi lesquels figurent souvent les plus vulnérables et marginalisés, a encore souligné Mme Jimenez-Damary. La Rapporteuse spéciale a d’ailleurs fait observer que ceux qui finissent par traverser ont souvent entamé leur périlleux voyage en tant que déplacés internes pour fuir des conflits ou des violences. Beaucoup ne bénéficient pas, dans leur pays d’origine, de la sécurité, de l’assistance et des conditions de subsistance qui leur permettraient de rester, a-t-elle ajouté. Tout doit être fait par la communauté internationale pour prévenir et réduire ce type de situation, tout en veillant à protéger les droits de l’homme des déplacés internes, a plaidé la Rapporteuse spéciale.
Mme Jimenez-Damary a ensuite évoqué les questions sur lesquelles elle comptait travailler dans le cadre de son mandat, à commencer par l’inclusion des déplacés internes dans les processus judiciaires afin qu’ils aient accès à des voies de recours et de réparations pour les violations des droits de l’homme subies. Elle a aussi appelé à une meilleure protection des enfants déplacés dans leur pays, indiquant qu’elle souhaitait promouvoir le principe de responsabilité des États dans le cadre d’un projet mené en collaboration avec l’UNICEF en vue d’un rapport en 2019.
La Rapporteuse spéciale s’est, d’autre part, prononcée pour un renforcement du rôle des institutions nationales des droits de l’homme dans la protection des déplacés internes mais aussi de la participation effective de ceux-ci dans les décisions qui les affectent. Outre le fait qu’elle accroît leurs capacités et les rend plus résilients, une telle participation permet aux déplacés internes d’être mieux compris et intégrés dans des plans de long terme. Mme Jimenez-Damary recommande donc que les États s’engagent à soutenir ces processus participatifs en collaboration avec la société civile, les Nations Unies et les partenaires humanitaires et de développement. Ils contribuent, selon elle, à accroître la responsabilisation des États à l’égard des déplacés internes, tout en améliorant la gouvernance, mais doivent être menés à toutes les étapes du déplacement, et si possible avant, par souci d’efficacité.
Évoquant par ailleurs la visite effectuée au titre de son mandat à El Salvador en août 2017, la Rapporteuse spéciale a rappelé que ce pays était confronté à une « tragédie cachée » de déplacements forcés provoqués par des bandes armées, « un problème plus grave et plus large que ce que prétend le Gouvernement ». Elle s’est réjouie, à ce sujet, que les autorités salvadoriennes aient entrepris une étude sur la situation des déplacés à l’intérieur du pays et les a remerciées pour leur pleine collaboration. Adressant également des remerciements au Guatemala pour son invitation à une visite en 2019, elle a en revanche indiqué attendre toujours une réponse positive de la part du Bangladesh, de la Colombie, d’Haïti, de la Libye, du Malawi, du Mexique, du Népal, de la République arabe syrienne et du Yémen.
Lors du débat avec Mme Jimenez-Damary, Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, les États-Unis ont estimé que les priorités thématiques de la Rapporteuse spéciale avaient une grande valeur et lui ont demandé comment elle voyait le rôle des communautés touchées par les déplacements.
L’Union européenne et l’Autriche ont demandé comment utiliser le vingtième anniversaire des principes directeurs relatifs aux déplacements internes, qui sera célébré l’an prochain, pour accentuer les efforts envers les personnes déplacées, notamment au sein des Nations Unies. La Norvège a demandé quelles devaient être les priorités pour que les personnes déplacées internes ne soient pas laissées sur le bord du chemin. Le Royaume-Uni a souhaité savoir ce qui pouvait être fait pour encourager les États à intégrer les besoins des personnes déplacées dans leurs politiques nationales.
La Suisse a demandé quels étaient les éléments critiques à changer dans la manière de traiter de la question des déplacés internes et comment la communauté internationale pouvait y contribuer. La Suisse aimerait également savoir comment s’assurer que les déplacés et les communautés d’accueil ont réellement accès aux mécanismes de participation et quelles sont les bonnes pratiques et les leçons apprises dans ce domaine.
Le Maroc a souligné la nécessité de disposer de données fiables en ce qui concerne les personnes déplacées internes et a demandé à la Rapporteuse spéciale quels moyens elle proposait pour collecter ces données, ainsi que pour prévenir les déplacements internes.
Parmi les pays les plus affectés par les déplacements internes de populations, l’Iraq a rappelé qu’il comptait 3,6 millions de ces personnes à cause du groupe terroriste Daech. Il a affirmé qu’il n’épargnait aucun effort pour leur apporter une aide adéquate, en dépit de la situation sécuritaire et de la baisse de revenus pétroliers, et a par ailleurs rendu hommage à l’aide que lui ont apportée la communauté internationale et la société civile.
L’Azerbaïdjan a souhaité savoir comment la question des déplacés internes pouvait être intégrée au pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. La Géorgie a déploré que des centaines de milliers de personnes restent déplacées en Abkhazie et en Ossétie du Sud, à cause de l’occupation russe, malgré les résolutions des Nations Unies réaffirmant la souveraineté de la Géorgie sur ces deux territoires.
L’Afghanistan a demandé à la Rapporteuse spéciale comment elle entendait apporter des solutions aux causes profondes qui sont à l’origine des déplacements et pour apporter une aide à ces personnes.
La République arabe syrienne a réfuté le rapport de la Rapporteuse spéciale, estimant qu’elle aurait dû consacrer quelques pages aux causes des déplacements internes dans le pays, à savoir le terrorisme et les groupes armés soutenus par certains États Membres des Nations Unies connus et présents à cette réunion. La République arabe syrienne aurait aussi aimé voir la Rapporteuse spéciale s’intéresser aux déplacements internes au Yémen, provoqués par la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite. Ces déplacements représentent aujourd’hui une des pires crises humanitaires au monde, aggravée par les risques de choléra qui menace ces populations à cause de l’embargo décrété par cette coalition.
L’Éthiopie a estimé que les communautés touchées par les déplacements devaient elles-mêmes être intégrées aux processus et programmes qui les concernent, ajoutant qu’il appartient aux États de veiller à cette participation.
Enfin, la République populaire démocratique de Corée est revenue sur la question des enlèvements de certains de ses ressortissants par le Japon dans le passé, accusant ce pays de ne rien faire pour assumer ses responsabilités historiques. Son représentant a également demandé à la République de Corée de libérer 12 ressortissantes nord-coréennes qui y seraient retenues prisonnières.
Répondant aux délégations, Mme Jimenez-Damary, Rapporteuse spéciale sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, a expliqué qu’elle devait organiser des visites dans certains pays pour répondre à certaines questions particulières, notamment celles de la République arabe syrienne. Elle a insisté sur la nécessité de mettre en exergue l’approche humanitaire et le développement dans la promotion des personnes déplacées internes.
La Rapporteuse spéciale a également insisté sur le fait que, sans statistiques adaptées, il était impossible de fournir un diagnostic pertinent et donc des recommandations valables aux États. Il est essentiel que les bureaux de statistiques de vos pays s’engagent, car sans eux nous n’arriverons pas à nos objectifs, a-t-elle déclaré, ajoutant que ses services avaient besoin de données en permanence.
Mme Jimenez-Damary a par ailleurs expliqué que certains mécanismes de participation des personnes déplacées au sein de leurs propres pays avaient été mis en place mais que leurs voix n’atteignaient pas les autorités chargées de prendre les décisions qui les concernent.
La Rapporteuse spéciale a aussi insisté sur le fait que la question des déplacés internes devait être abordée au niveau international, tout ne pouvant être traité au niveau des agences des Nations Unies. Il faut renforcer la collaboration des agences, mais il faut surtout que les pays agissent de concert, notamment ceux qui accueillent des déplacés internes, a-t-elle précisé. Elle a cité comme un « excellent exemple » de traité régional la Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, dite Convention de Kampala, y voyant un instrument susceptible de faire la différence sur le terrain.
Enfin, Mme Jimenez-Damary a estimé que, pour s’assurer que les personnes déplacées internes n’étaient pas laissées-pour-compte, il fallait s’assurer que leurs voix étaient entendues aussi au niveau national. Les autorités nationales et locales doivent accorder la priorité aux droits des personnes déplacées et créer des structures adaptées au niveau national, telles que des points focaux, a-t-elle encore ajouté. La coopération nationale, régionale et internationale est essentielle car la responsabilité en incombe d’abord aux États, a-t-elle conclu.
M. JOSE BRILLANTES, Président du Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, a déclaré que la migration restait une réalité aujourd’hui et que les travailleurs migrants et les membres de leurs familles devaient être protégés comme le veut la Convention pertinente. Pour M. Brillantes, la Convention établit la meilleure stratégie pour protéger et prévenir les abus commis à leur encontre, tout en se penchant sur les défis qu’ils affrontent. Elle fournit également des lignes directrices pour l’élaboration de législations et de politiques sur les migrations, de même que les principes de coopération internationale basés sur le respect des droits de l’homme et de l’état de droit.
Alors qu’il existe plus de 224 millions de migrants dans le monde, dont la moitié sont des femmes et quelque 30 millions des enfants, on estime qu’environ 20% sont en situation irrégulière, a déclaré le Président du Comité. Ce dernier estime qu’il faut se mobiliser rapidement et apporter des solutions concrètes. À cet égard, il espère que le futur pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, qui devrait être adopté en 2018, aidera à résoudre les questions clefs de ces défis afin que tous puissent vivre dans la dignité. Le Comité souligne aussi que tout engagement envers la migration doit être soutenu par la Convention et doit assurer une protection à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille, détenteurs de documents ou non. M. Brillantes a également estimé que si les États ont des préoccupations légitimes en termes de sécurité et de contrôle des frontières, celles-ci ne doivent pas l’emporter sur leurs obligations internationales.
Le Président du Comité a rappelé qu’à ce jour, 51 États étaient désormais parties à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. La République du Congo, Sao Tomé-et-Principe et le Venezuela y ont adhéré dans les 12 derniers mois. En outre, la Gambie a signé la Convention le 20 septembre dernier; 16 des signataires de la Convention ne l’ont pas encore ratifiée.
Concernant le Comité lui-même, il a tenu en avril et septembre derniers ses vingt-cinquième et vingt-sixième sessions, durant lesquelles il a examiné sept rapports et adopté ses conclusions finales sur ceux-ci, de même que cinq listes de questions au titre de la procédure simplifiée de présentation de rapports. Le Comité a également poursuivi ses efforts de mise en œuvre de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale sur le renforcement des organes de traités, notamment en continuant d’harmoniser ses méthodes de travail avec d’autres mécanismes et en promouvant la procédure simplifiée de présentation de rapports. Il a aussi adopté les lignes directrices d’Addis-Abeba sur l’indépendance et l’impartialité des membres des organes de traités des droits de l’homme et celles de San José contre les intimidations et représailles.
Par ailleurs, le Comité observe qu’alors que le système des droits de l’homme ne cesse de croître, les ressources ne suivent pas ce mouvement. À cet égard, il demande à l’Assemblée générale de considérer cette réalité et de pourvoir les ressources nécessaires au fonctionnement des organes, a déclaré son Président.
Le Comité a également poursuivi son travail de coopération avec des partenaires du système des Nations Unies, dont ONU-Femmes, l’Organisation internationale du Travail (OIT), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ou encore le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Ses membres ont également participé à des rencontres internationales organisées par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme ou des États Membres, comme en décembre dernier au Forum mondial sur la migration et le développement tenu à Dhaka en Indonésie. Le Comité a en outre développé sa stratégie médiatique en publiant plusieurs communiqués de presse, liés par exemple aux femmes dans le contexte de la migration ou encore lors de la célébration de la Journée internationale des migrants, le 18 décembre.
En outre, le Comité a poursuivi ses activités d’élaboration de commentaires généraux, a rappelé M. Brillantes. À sa vingt et unième session et conjointement avec le Comité des droits de l’enfant, il a élaboré un commentaire général sur les droits de l’enfant dans le contexte de la migration. Les deux organes ont en outre décidé d’élaborer deux autres commentaires généraux, portant l’un sur les principes généraux et l’autre sur les obligations des États vis-à-vis des droits de l’enfant dans le contexte de la migration. Ces deux commentaires ont été publiés récemment et seront officiellement lancés à la session d’avril 2018.
En conclusion, M. Brillantes a déclaré que le potentiel de la Convention n’était pas encore totalement déployé, compte tenu du faible nombre de ratifications. Cependant, la Convention a déjà permis quelques avancées, a insisté le Président du Comité, qui a souhaité un fois encore que les dispositions de la Convention soient reflétées dans le futur pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.
Lors du dialogue avec M. Brillantes, Président du Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le Mexique a salué les efforts du Comité en faveur d’une sensibilisation aux dispositions du futur pacte mondial sur les migrations. Soulignant la réalité multidimensionnelle des migrations, il a jugé qu’après la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, adoptée en septembre 2016, le problème ne pourra être traité qu’en s’attaquant à l’ensemble de ces dimensions. À ce sujet, le Mexique aimerait connaître les violations les plus systématiques auxquelles font face les migrants au niveau mondial et s’il existe des bonnes pratiques en matière d’engagement des États, permettant un travail décent pour les migrants.
L’Union européenne a rappelé son engagement à protéger les droits fondamentaux de tous les migrants, plaidant pour un renforcement de la coopération internationale et une approche équilibrée reconnaissant l’existence de pays d’origine, de transit et de destination. Elle a souhaité savoir quelles bonnes pratiques, au niveau du dialogue international, permettraient de minimiser les coûts pour les pays de transit et de destination. S’agissant de la traite des êtres humains, qui continue de représenter un défi considérable dans le contexte des migrations, l’Union européenne a demandé à connaître les meilleures pratiques en matière de normes internationales concernant les migrants et en particulier les enfants.
Le Maroc a souligné le fait que la Convention était, à ce jour, le seul traité à portée universelle concernant la protection des travailleurs migrants et leur famille. Déplorant le faible nombre d’États parties à ce texte pourtant crucial, il a souhaité savoir quelles mesures le Comité préconisait pour relever le défi d’une augmentation du nombre des ratifications dans une conjoncture marquée par la xénophobie et les discriminations à l’encontre des travailleurs migrants dans le monde.
L’Indonésie a précisé être un pays d’origine et noté que la plupart des États parties à la Convention l’étaient également. Qualifiant d’« essentielles » l’adoption de la Déclaration de New York et la préparation des futures conclusions d’un pacte sur les migrations, elle a appelé la communauté internationale à poursuivre sur cet élan. En ce qui concerne la Convention, dont elle a regretté, elle aussi, le faible niveau de ratification, elle a demandé au Comité de formuler des recommandations pratiques permettant une mise en œuvre efficace sur le terrain.
Dans ses réponses, M. Brillantes, Président du Comité sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, a rappelé au Mexique que les types de violations des droits des migrants étaient assez spécifiques aux États concernés. Par exemple les problèmes constatés au Qatar sont différents de ceux rencontrés dans la région de la Méditerranée. On observe cependant des similitudes dans les problèmes rencontrés. Cela justifie en tout cas que la Convention soit universellement ratifiée, notamment par les pays de destination. Actuellement les États parties sont essentiellement des États d’origine de la migration, a-t-il rappelé.
Par ailleurs, le Président du Comité s’est dit heureux que l’Union européenne soit intervenue, d’autant qu’elle n’a pas ratifié la Convention. Il lui a rappelé que l’un des avantages de la ratification serait non seulement de progresser vers l’universalité de la Convention, mais aussi que l’on pourrait alors mettre en place une migration régulière qui découragerait la migration irrégulière et le trafic des migrants. Elle permettra aussi aux États de développer des politiques plus appropriées et coordonnées.
Répondant à l’Indonésie, le Président a expliqué que le Comité utilisait tous les outils à sa disposition –États, société civile, institutions nationales des droits de l’homme- pour parvenir à une ratification universelle. Il a dit espérer que ce dialogue aura été utile à cette fin et que le pacte mondial y contribuera aussi.
M. FELIPE GONZÁLES MORALES, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, qui se présentait pour la première fois devant la Commission, a déclaré qu’il entendait travailler à renforcer les droits de l’homme des migrants et travailler de manière constructive avec les États et les autres partenaires et mécanismes des Nations Unies. Comme les membres de la Troisième Commission le savent déjà, la situation des migrants partout dans le monde requiert de nouvelles réponses de la part de la communauté internationale, a-t-il ensuite rappelé. À cet égard, il a indiqué s’être impliqué dès le début de son mandat dans diverses initiatives internationales, dont le projet de pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, mais aussi dans des consultations régionales en Amérique latine et dans les Caraïbes, tenues en août dernier à Santiago du Chili. Il a également expliqué qu’il avait participé à des réunions informelles sur la migration irrégulière, la semaine dernière à Genève.
Revenant à son mandat, le Rapporteur spécial a expliqué qu’il entendait se pencher sur les questions portant sur le retour, la réintégration et l’accès à la justice pour tous les migrants. Il a dit avoir constaté des problèmes majeurs dans ces domaines, ajoutant que les migrants n’étaient pas protégés comme le sont les réfugiés au titre de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Ils sont également victimes de travail forcé, d’exploitation sexuelle, de torture et de retour forcé, sans respect des procédures en vigueur dans ce domaine.
À cet égard, le Rapporteur spécial s’est déclaré préoccupé par l’augmentation des accords de réadmission. Il a aussi annoncé qu’il se pencherait sur la vulnérabilité des femmes, des enfants et des mineurs non accompagnés, ajoutant que leur situation particulière exigeait des procédures et des mesures de sauvegarde spécifiques. Son premier rapport thématique traitera de la question du retour et de la réintégration et sera présenté au Conseil des droits de l’homme à sa session de juin 2018. Pour élargir sa compréhension de ce problème, le Rapporteur spécial a demandé à se rendre au Mali, au Népal et au Niger et compte visiter ces pays au cours de l’année prochaine. Il présentera aussi un rapport sur l’accès à la justice pour tous les migrants à l’Assemblée générale en 2018.
Lors du dialogue avec M. Gonzáles Morales, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, l’Érythrée a déploré qu’alors que les migrations font partie de l’histoire humaine et qu’on ne peut les empêcher, on traite de la question des migrants comme d’une crise. En tant que pays ayant une forte diaspora, l’Érythrée est préoccupée par le sort fait aux migrants dans certains pays, notamment dans un pays de l’Union européenne qui a empêché la tenue d’une réunion de jeunes érythréens. L’Érythrée a demandé au Rapporteur spécial comment s’assurer que le droit des migrants à maintenir un lien avec le pays d’origine soit préservé et encouragé.
Le Mexique a déclaré qu’alors que les migrants comptent pour 3,3% de la population mondiale, ils produisent 9% de sa richesse, tout en étant dépeints de manière négative dans certains discours politiques. Comment, dès lors, combler ce fossé entre l’image réelle et l’image véhiculée? Et comment assurer et garantir le suivi des engagements pris dans le futur pacte mondial? Le Brésil s’est, lui aussi, demandé comment effacer cette image erronée des migrants alors qu’ils représentent un apport positif, avant de demander au Rapporteur spécial quelles seraient ses futures priorités de travail.
Le Qatar a assuré qu’il apportait un soutien aux migrants, citant en exemple les mesures législatives adoptées pour réglementer les relations entre employeurs et travailleurs domestiques. Le Qatar a en outre adopté la Convention no 189 de l’Organisation internationale du Travail sur les travailleuses et travailleurs domestiques.
Après avoir observé que l’expérience du Rapporteur spécial s’est essentiellement forgée dans la région d’Amérique latine, la Suisse lui a aussi demandé s’il pensait pouvoir étendre cette expérience à d’autres régions et si les leçons apprises dans cette région pouvaient servir dans le cadre du pacte mondial. La Suisse a par ailleurs demandé à M. Gonzáles Morales s’il entendait poursuivre la proposition de son prédécesseur d’un « programme pour faciliter la mobilité humaine à l’horizon 2035 » et s’il pensait que l’initiative était susceptible d’appuyer le projet de pacte mondial. L’Union européenne et le Maroc ont eux aussi souhaité savoir quels avantages pourrait apporter ce programme.
Pour sa part, la Fédération de Russie a estimé que la proposition d’un programme supplémentaire fera doublon avec d’autres mécanismes internationaux. La Fédération de Russie estime en outre qu’il faut faire une différence entre migrants et réfugiés et ne partage donc pas le point de vue du Rapporteur spécial, qui affirme que nul ne doit être refoulé. Pour la Fédération de Russie, il faut à la fois lutter contre la criminalité des migrants et refuser qu’ils soient instrumentalisés par des groupes terroristes ou des États.
Le Canada a demandé quels étaient les principaux défis à relever et comment le faire dans le contexte du pacte mondial, compte tenu des divergences entre États sur cette question. L’Éthiopie a souligné l’importance d’intégrer les apports du Rapporteur spécial dans le cadre du processus de négociation du pacte mondial.
Les États-Unis ont dit être préoccupés par les généralisations du rapport. Ils estiment qu’il revient aux États de contrôler et de gérer leurs propres frontières. Ils estiment en outre que tout mécanisme envisagé dans le cadre du pacte mondial devra se faire sur une base purement volontaire. Par ailleurs, les États-Unis souhaitent avoir des données sur la population « protéiforme » des migrants.
L’Afrique du Sud a souhaité savoir quel rôle jouent les inégalités et la pauvreté dans le phénomène migratoire.
Le Chili a voulu savoir quelles mesures peuvent prendre les États pour faciliter l’accès à la justice par les migrants.
Dans ses réponses, M. González Morales, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, a souhaité mettre en exergue la question de la régularisation des migrants. Quand ils sont en situation irrégulière et que leur vie est menacée, il leur est difficile de garder contact avec leur pays d’origine, a-t-il souligné. Mais une fois régularisés, ils ont la capacité de s’organiser et de reprendre contact. Sur le continent américain, les situations sont ainsi très disparates: dans certains pays de destination, il existe de grandes facilités au sein de la société civile pour aider les migrants à conserver un lien alors que, dans d’autres, ce n’est pas le cas. Il a aussi jugé que le droit aux services consulaires, également évoqué par la délégation érythréenne, était fondamental pour accéder à la justice. Il a toutefois estimé qu’il pourrait être renforcé.
Au Mexique, M. González Morales a répondu que la xénophobie dissimulait souvent le rôle des autorités de l’État et les perceptions sociales au sein de la culture des différents pays. Les États doivent donc prévenir et lutter contre ces pratiques discriminatoires. À cet égard, a-t-il dit, le futur pacte mondial doit être un document pratique, avec des indicateurs lui permettant d’être véritablement efficace. Il a ajouté qu’il faudrait en garantir le suivi.
M. González Morales a aussi indiqué qu’il comptait rédiger un rapport sur la réintégration et sur l’accès à la justice. Il s’emploie à cet égard à prendre en considération les recommandations de son prédécesseur pour l’élaboration du pacte mondial. Le Rapporteur spécial a aussi souhaité que toute personne connaisse clairement son statut légal. À cet égard, bien que son mandat ne fasse pas mention des réfugiés, il a dit vouloir se pencher sur la question de la détermination du statut de migrant ou de réfugié.
Le Rapporteur spécial a par ailleurs déclaré partager la remarque du Qatar sur les contributions apportées par les migrants.
M. González Morales a rappelé que le projet de pacte mondial est un processus doté d’une date de conclusion, à savoir l’automne 2018. Sans préjuger d’un mécanisme de suivi, il est important de maintenir une approche à moyen et à long termes, a-t-il fait valoir, notant à cet égard que le projet de « programme pour faciliter la mobilité humaine à l’horizon 2035 », lancé par son prédécesseur, permettrait d’intégrer de nouveaux éléments abordés par la communauté internationale. Quant aux facteurs qui poussent les personnes à migrer, il a mentionné les accords bilatéraux qui, selon lui, ne doivent pas être contraires aux accords internationaux.
M. González Morales a relevé que la question de l’exploitation des travailleurs migrants dans de nombreux pays était liée à celle des migrations régulières et irrégulières, ces dernières générant davantage de victimes d’exploitation. C’est pourquoi, a-t-il dit, il faut établir des canaux permettant une migration régulière.
Le Rapporteur spécial a d’autre part mentionné les doublons éventuels dans les mécanismes, jugeant qu’il fallait essayer de les éviter. À ses yeux, a-t-il indiqué aux délégations américaine et russe, les différentes initiatives doivent être complémentaires et ne pas se chevaucher. Parfois, différents mécanismes travaillent sur les mêmes questions mais sur des prismes distincts, a-t-il encore souligné. Quant aux statistiques relatives aux populations de migrants, il a fait état de « l’invisibilité réelle » des migrants. Selon lui, la régularisation des migrants contribuerait à les faire sortir de l’ombre. « Nous serions alors en mesure de les prendre en considération dans les statistiques et de leur donner accès aux services sociaux », a-t-il commenté.
Abordant la lutte contre la stigmatisation des migrants, M. González Morales a répété que les États avaient un rôle important à jouer pour contrer les comportements hostiles mais devaient eux-mêmes s’abstenir de stigmatiser et d’avoir une approche positive pour valoriser les contributions des migrants. À propos des inégalités et de la pauvreté, qui concernent les migrants au premier chef, il a réaffirmé que la communauté internationale, avec l’aide des mécanismes internationaux, se devait de protéger les droits de l’homme des migrants.
Concernant l’accès des migrants à la justice, le Rapporteur spécial a souligné le rôle clef des fonctionnaires de l’administration auxquels les migrants ont accès. C’est d’autant plus important que, si certains problèmes administratifs peuvent facilement être réglés par les ressortissants nationaux, ce n’est pas le cas pour les migrants. M. González Morales a fait observer que, pour ces derniers, le problème se posait notamment quand il s’agit d’obtenir un nouveau statut, d’être régularisé ou de bénéficier d’une représentation légale. Sur ce dernier point, la probabilité pour un migrant d’obtenir un statut de réfugié est multipliée par trois dans certains pays s’il bénéficie des services d’un avocat, a-t-il observé.
M. González Morales a aussi confirmé que la coopération internationale était essentielle pour traiter la question des migrants, « question internationale par nature ». Les mécanismes des Nations Unies ont ici un rôle à jouer, a-t-il ajouté, notant que le futur pacte mondial devrait permettre un nouveau programme international en vue de donner forme au « programme 2035 ». Le Rapporteur spécial a indiqué qu’il aborderait plus en profondeur le pacte mondial dans ses débats thématiques.
Enfin, le Rapporteur spécial a constaté que le nombre des États de transit pays avait évolué de manière significative ces dernières années. Certains États qui n’étaient ni des États d’origine ni des États de destination sont devenus des États de transit, avec les responsabilités et les obligations que cela implique, a-t-il conclu.
M. JOSEPH CANNATACI, Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, a expliqué que les seuls domaines où le droit à la vie privée ne pouvait être absolu étaient la détection, la prévention, l’investigation et les poursuites d’actes criminels ainsi que ce qui touche à la sécurité nationale. Il a également précisé que la surveillance avait été la question centrale qui a abouti à la création de son mandat en 2015.
De fait, le Rapporteur a dit avoir identifié, dans les lacunes laissées par le droit international à l’égard de la surveillance et de la cybercriminalité, de sérieux obstacles à la protection de la vie privée. De fait, M. Cannataci envisage de recommander au Conseil des droits de l’homme l’adoption d’un instrument juridique au sein de l’ONU. D’un côté, cet instrument fournirait aux États Membres un ensemble de principes et dispositions types qui pourraient être intégrés dans les législations nationales pour incarner et mettre en œuvre les principes supérieurs des droits de l’homme, et notamment le droit à la vie privée face à la surveillance, de l’autre côté, il offrirait un certain nombre d’options à prendre en compte pour aider à combler les lacunes du droit international en matière de vie privée et de surveillance dans le cyberespace.
M. Cannataci s’est défendu de sous-estimer les défis d’une telle initiative. Si le besoin d’un tel instrument juridique est clair, sa portée, son contenu et sa forme ne le sont pas, a-t-il reconnu. Pour lui, un tel instrument juridique, s’il était adopté, constituerait le progrès le plus important que les Nations Unies pourraient faire pour aider les États Membres et faire avancer la protection du droit de l’homme le plus fondamental.
Le Rapporteur spécial a ensuite présenté ses activités des derniers 12 mois et a expliqué que la présentation de son premier rapport thématique avait pris du retard (de fait, avant son intervention, le Secrétariat a expliqué à la Troisième Commission qu’il n’était pas encore disponible dans toutes les langues officielles, du fait d’une réception tardive).
Un des principaux défis des sociétés de l’information modernes est de réconcilier les avantages offerts par les nouvelles technologies de l’information et les risques que cela fait peser sur les droits fondamentaux tel que celui à la vie privée, a-t-il expliqué. C’est pourquoi son rapport reconnaît l’information comme un avantage économique pour les sociétés, de la même manière que le travail ou le capital. Le Rapporteur spécial a également précisé que les informations personnelles étaient une composante majeure des économies de l’information, et que leur lien avec le droit à la vie privée invoquait de facto le cadre en lien avec ce droit fondamental.
S’attardant sur le big data, M. Cannataci a rappelé qu’un grand nombre de données étaient collectées auprès d’usagers ordinaires sans leur consentement, qu’elles étaient ensuite vendues et connectées à des données provenant d’autres sources, et ce, afin de produire des bases de données complexes sur la vie des individus.
Autre point abordé par le Rapporteur spécial, l’open data, qui a gagné en popularité ces dernières années, aspire à ce que les secteurs public et privé communiquent leurs données pour encourager la transparence et l’ouverture, particulièrement celles des gouvernements. Or, l’open data a évolué à tel point qu’en 2017, il inclut la communication des données personnelles. Il existe une documentation de plus en plus abondante sur les problèmes que le big data et l’open data peuvent causer en termes d’intrusion injustifiée dans la sphère privée et la dégradation de la protection de la vie privée, a expliqué M. Cannataci.
Enfin, le Rapporteur spécial a insisté sur le fait que les pratiques en évolution des secteurs privé et public ne rendent que plus pertinentes les dispositions réglementaires actuelles. Il a expliqué que son rapport soulignait l’importance d’un contrôle accru des individus sur leurs informations personnelles, de façon à renforcer le niveau de confiance des communautés vis-à-vis des initiatives des gouvernements en matière de données et de s’assurer de la qualité des informations personnelles transmises.
Lors du dialogue avec M. Cannataci, Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, les États-Unis ont dit prendre très au sérieux la question de la surveillance de la vie privée. C’est pourquoi, ils ont revu leur cadre de collecte de données et de surveillance. Les États-Unis espèrent que ces avancées seront prises en compte dans les prochains rapports. Mais ils estiment qu’il n’est pas nécessaire d’envisager un instrument juridiquement contraignant sur la surveillance et la vie privée, car les mécanismes internationaux existants suffisent amplement. En revanche, ils sont préoccupés par les gouvernements qui restreignent et s’en prennent à la vie privée des individus en raison de leurs opinions politiques, de leur religion ou de leur orientation sexuelle.
L’Union européenne, elle non plus, n’est pas convaincue par la proposition du Rapporteur spécial d’élaborer un instrument juridiquement contraignant sur le droit à la vie privé, jugeant en outre qu’il n’aurait pas forcément d’impact sur la collecte des données par les sociétés privées. Mais la délégation est, comme d’autres, préoccupée par l’interférence de gouvernements dans la vie privée des opposants politiques, de membres de la société civile ou de défenseurs de droits de l’homme. Même inquiétude de la part de l’Allemagne, et même position face à l’idée d’un instrument juridiquement contraignant: s’il faut protéger les individus de l’intrusion dans leur vie privée, il faut mettre en œuvre les cadres des droits de l’homme existants.
La Suisse a déclaré que la pratique mondiale tendant à restreindre fortement la vie privée sous prétexte d’accroître la sécurité est inadaptée en plus d’être très souvent contraire aux constitutions des États. Elle pense comme le Rapporteur spécial qu’au lieu de chercher à tout savoir sur chaque citoyen pour constituer des bases de données, la véritable solution reste la surveillance ciblée et le traitement contrôlé des données par les services compétents, dans le respect de l’état de droit. Le Liechtenstein a demandé au Rapporteur spécial de fournir plus d’informations sur les moyens de mieux protéger la vie privée.
L’Afrique du Sud a souhaité savoir comment le droit à la vie privée peut être protégé dans le cadre des nouvelles technologies, alors que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et le Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 ne pouvaient pas les prévoir. L’Afrique du Sud ne partage pas, par ailleurs, certains points de vue exprimés ce jour et estime aussi que le droit à la vie privée doit être protégé en ligne et hors ligne. Dans ce contexte, l’Afrique du Sud est d’avis que les lacunes constatées dans le droit international en matière de droit à la vie privée, de surveillance ou de collecte de données personnelles doivent être complétées par des normes complémentaires. Le Brésil a demandé au Rapporteur spécial d’élaborer davantage sur les lacunes éventuelles dans le droit international que pourrait combler l’instrument juridiquement contraignant qu’il envisage.
L’Iraq a voulu savoir comment combattre les technologies utilisées par les groupes terroristes, notamment sur Internet.
Dans ses réponses, M. Cannataci, Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, a assuré que sa suggestion d’un nouvel instrument juridique n’était encore qu’une orientation. Si le champ d’application est clair, le véhicule ne l’est pas encore, a-t-il expliqué, espérant pouvoir être plus précis à ce sujet d’ici à mars 2018. Des consultations publiques sont en cours avec tous les pays, lesquels sont invités à participer, a-t-il dit.
Le Rapporteur spécial a confirmé que des lois prévoient bien la protection de la vie privée au niveau international. Mais, a-t-il noté, plaquer sur Internet des protections qui existent dans la vie physique n’est pas toujours possible. À ses yeux, les développements technologiques ont donné lieu à des situations où les parties prenantes ont besoin de directives plus détaillées que celles qui existent actuellement. En outre, de nombreux problèmes ne sont, aujourd’hui, pas pris en considération par les législations et les réglementations, comme ceux liés aux compétences, à l’utilisation des données et à l’échelle même de cette problématique, a fait observer M. Cannataci.
M. Cannataci a ainsi expliqué que, parmi les modifications intervenues depuis 1948, figure la capacité technologique à suivre chacun d’entre nous, notamment via nos téléphones portables. Il a également constaté que l’Internet avait largement été utilisé à des fins xénophobes. Par ailleurs, a-t-il confié, à chaque fois que nous faisons des recherches et que nous parlons à des citoyens, nous observons que nombre d’entre eux sont préoccupés par le respect de la vie privée mais aussi par les risques de diffamation. Or, a-t-il poursuivi, il est très coûteux de défendre son droit à la réputation et à la vie privée. De fait, « ce droit devient un droit d’homme ou de femme riche ».
Pour le Rapporteur spécial, de nombreux exemples montrent que le droit à la vie privée est parallèle au droit à la liberté d’expression. Ainsi, dans certains pays, la loi est utilisée comme un prétexte pour poursuivre les journalistes et empêcher leur liberté d’expression. Nous avons besoin de davantage de réglementations détaillées, surtout quand il y a des conflits de compétences, a insisté M. Cannataci, observant que le système juridique actuel n’offrait pas de solution pour les personnes qui se retrouvent victimes de violation du droit à la vie privée sur Internet.
Répondant à l’Union européenne, M. Cannataci a observé que la Convention no 108 du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel faisait apparaître un besoin des États membres. Ces derniers veulent des détails sur les dispositions nécessaires pour protéger la vie privée, a-t-il noté, ajoutant que le projet d’instrument juridique vise en priorité les systèmes de surveillance mis en place par les gouvernements et non pas les entreprises privées.
Au Liechtenstein, le Rapporteur spécial a rappelé que le premier Forum international de contrôle des services de renseignement, qui s’est tenu à Bucarest, en Roumanie, les 11 et 12 octobre 2016, avait été très utile en termes d’échanges d’expériences. Il a indiqué que la prochaine édition se tiendrait à Bruxelles, en Belgique, les 20 et 21 novembre prochains. L’un des principaux éléments constatés à cette occasion est la grande disparité entre les différents régimes de contrôle dans le monde, a-t-il dit.
Abordant la question des données de santé, M. Cannataci a dit avoir soulevé cette question lors de sa visite aux États-Unis et a émis l’espoir que les travaux de l’équipe spéciale sur ce thème se poursuivent. Il a cependant assuré qu’il y aurait un suivi dans le cadre du comité de contrôle et qu’un rapport était susceptible d’être mis en ligne après Pâques de l’an prochain.
À l’Iraq, qui dénonçait l’utilisation d’Internet par des groupes criminels, le Rapporteur spécial a rappelé que les usagers de la toile pouvaient être des criminels et des terroristes comme des citoyens ordinaires. Les outils utilisés à des fins de surveillance le sont pour tous, a-t-il souligné. Dans certains pays, un même téléphone portable peut être piraté par trois différentes agences avec le même logiciel, a-t-il encore relevé, appelant à la plus grande prudence vis-à-vis de ces évolutions technologiques et juridiques. Il faut s’assurer que toutes les sauvegardes nécessaires sont garanties par la loi, a insisté M. Cannataci.
Enfin, en réponse à la Suisse, qui soulevait la question des preuves, le Rapporteur spécial a rappelé que des surveillances ciblées étaient réalisées en cas de preuves concrètes faisant apparaître qu’une personne constitue un danger pour la société. Il a ajouté que son mandat examinait le développement d’un instrument juridique en gardant ce fait à l’esprit. Il a par ailleurs fait état d’un besoin, dans le cadre du droit international, de mesures rapides pour garantir des voies de recours et un dédommagement aux victimes. Soulignant que les procureurs, les forces de police et les services de renseignement utilisent des moyens d’entraide mutuelle, il a constaté qu’il fallait 13 mois en moyenne pour que ces informations soient communiquées d’une juridiction à une autre. Une solution, a-t-il dit en conclusion, serait de créer un mandat d’accès international à ces données.