ECOSOC: États Membres, humanitaires et internautes proposent de changer le statu quo qui prévaut dans l’action humanitaire
Des représentants d’États Membres, d’agences humanitaires et le public des internautes ont plaidé, aujourd’hui, devant le Conseil économique et social (ECOSOC), en faveur d’une action humanitaire différente du statu quo actuel et plaçant véritablement l’homme en son centre.
Ces appels sont intervenus au cours de la deuxième journée du débat annuel de l’ECOSOC consacré aux affaires humanitaires, et marquée par deux tables rondes auxquelles, pour la première fois au sein de cet organe principal, le public des internautes était appelé à participer par le biais de la plate-forme interactive « Pigeonhole live ».
Au cours de la première table ronde, en matinée, et qui avait pour thème « Ne pas se limiter au maintien du statu quo: travailler ensemble en vue de réduire le besoin, les risques et la vulnérabilité », le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Stephen O’Brien, a appelé à maintenir l’élan du Sommet humanitaire mondial, qui a eu lieu à Istanbul au mois de mai dernier, en invitant les agences humanitaires à comprendre que le plus important ce sont les résultats à atteindre, d’où le besoin de coopération entre elles, et non plus de compétition comme cela se voit souvent sur le terrain.
M. O’Brien a en outre appelé à rompre avec la traditionnelle fracture entre volets humanitaire et de développement. Il a relevé que huit agences onusiennes s’étaient engagées dans ce sens, alors que la Banque mondiale vient de mettre sur pied une plate-forme d’assistance à des pays faisant face à des situations d’urgence.
Au cours de la seconde table ronde de haut niveau, sur le thème « Ne laisser personne de côté: lutter contre le déplacement forcé », M. O’Brien a appelé les participants à appuyer la campagne contre la xénophobie lancée par le Secrétaire général et à contrer les discours erronés contre les réfugiés et les migrants.
« La xénophobie est de plus en plus présente et joue un rôle dangereux dans les discours populistes », a renchéri le Haut-Commissaire adjoint du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en charge de la protection, M. Volker Türk.
Les intervenants sont revenus sur la question plébiscitée via « Pigeonhole », à savoir la limite de la souveraineté des États. « La souveraineté doit être exercée au premier chef par les États pour protéger les personnes déplacées sur leur territoire », a précisé le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, M. Chaloka Beyani.
Le débat de l’ECOSOC consacré aux affaires humanitaires prendra fin demain.
DÉBAT CONSACRÉ AUX AFFAIRES HUMANITAIRES
Assistance économique spéciale, aide humanitaire et secours en cas de catastrophe (A/71/82–E/2016/60)
Table ronde de haut niveau A: « Ne pas se limiter au maintien du statu quo: travailler ensemble en vue de réduire le besoin, les risques et la vulnérabilité »
Les échanges, notamment par le biais de la plate-forme interactive « Pigeonhole live », qui ont marqué cette table ronde, ont permis aux intervenants et au public de souligner l’importance d’avoir une action humanitaire différente, et qui tienne véritablement compte de la place centrale des gens, notamment les bénéficiaires.
L’accent a également été mis sur la nécessité de promouvoir un partenariat bénéfique entre les agences humanitaires et les acteurs locaux qui sont les premiers sur le terrain et les mieux à même de comprendre les réalités locales.
En ouverture de cette table ronde, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. STEPHEN O’BRIEN, qui animait le débat, a rappelé qu’au Sommet humanitaire mondial d’Istanbul, la communauté internationale avait fortement soutenu l’idée de changer la manière de mener l’action humanitaire. Il a également noté la nécessité de renforcer, et non plus remplacer la réponse locale et nationale en cas d’urgence humanitaire.
M. O’Brien a en outre appelé à rompre avec la traditionnelle fracture entre volets humanitaire et de développement. Il a relevé que huit agences onusiennes s’étaient engagées dans ce sens, alors que la Banque mondiale vient de mettre sur pied une plate-forme d’assistance à des pays faisant face à des situations d’urgence.
Pour faire changer les choses, il faut aller au-delà du court terme et travailler en synergie pour la réalisation des objectifs de développement durable à l’horizon 2030, a-t-il également plaidé. Ensuite, il a prôné l’établissement de programmes de travail multiannuels, et de se servir des avantages comparatifs des divers acteurs humanitaires, notamment en se demandant qui est le mieux placé pour atteindre les résultats escomptés.
Le Conseiller du Secrétaire général pour le Programme de développement durable à l’horizon 2030, M. DAVID NABARRO, a rappelé que le nouveau Programme de développement entendait ne laisser personne de côté. Il a également indiqué que l’action humanitaire faisait partie des centres d’intérêts du nouveau programme, et il suggéré d’exploiter les connaissances de tous les acteurs dans l’action humanitaire, appelant ainsi à « féminiser l’action humanitaire ».
Mme SMRUTI PATEL, Directrice exécutive par intérim, Network for Empowered Aid Response, a pour sa part estimé que l’un des changements indispensables dans l’action humanitaire serait de consulter désormais, systématiquement, les populations récipiendaires de l’aide humanitaire, en se servant par exemple du relais que représentent les organisations de la société civile. Elle a également plaidé pour que les nombreuses promesses faites au Sommet humanitaire mondial d’Istanbul soient mises en œuvres.
Mme JEMILAH MAHMOOD, Secrétaire générale adjointe chargée des partenariats à la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), a rappelé que la Croix-Rouge, qui a plus d’un siècle, est la plus vieille organisation humanitaire au monde. Elle a fait part de sa surprise de voir l’engouement que suscite l’idée de « travailler avec les acteurs locaux ». « C’est ce que nous faisons depuis toujours avec nos sociétés nationales », a-t-elle fait observer avant de s’insurger contre cette « approche paternaliste » qui fait que les humanitaires considèrent les acteurs locaux comme des « faire-valoir ». Ce sont bien eux qui sont en première ligne de l’action sur le terrain, a-t-elle rappelé, tout en avertissant que la collaboration avec ces partenaires locaux implique une bonne connaissance et le respect des cultures locales.
« Dans de nombreux pays, on parle beaucoup d’action humanitaire en temps de conflit, mais n’oublions pas que presque 25 millions de personnes à travers le monde sont déplacées du fait des catastrophes naturelles », a encore expliqué Mme Mahmood. Elle a également parlé de la « coalition des 1 milliard », lancée en 2013 par la Fédération, afin de réduire radicalement d’ici à 2025 les risques et vulnérabilités au bénéfice d’un milliard d’habitants de la planète et à les rendre plus résilients face aux catastrophes et autres situations de crise.
M. AMIR MAHMOUD ABDULLA, Directeur exécutif adjoint du Programme alimentaire mondial (PAM), a proposé une mobilisation de ressources pluriannuelle si l’on veut agir plus efficacement dans le cadre de l’action humanitaire. Il a appelé à valoriser davantage les contributions des acteurs locaux, saluant ainsi les succès engrangés par les autorités éthiopiennes dans le cadre du soutien aux communautés vulnérables.
Il faut modifier notre façon de travailler en reconnaissant que les acteurs humanitaires ont en fait la même préoccupation que les acteurs du développement, le bien-être de la population, a-t-il expliqué, et en précisant que les premiers agissent dans l’urgence alors que pour les seconds, l’action est plus orientée sur le long terme. Il a ainsi appelé au renforcement de la coopération entre ces divers acteurs, ajoutant que cette coopération dépend aussi des autorités locales.
Mme NAZANIN ASH, Vice-Présidente de la politique publique et du plaidoyer du Comité international de secours, a expliqué que les conflits, comme celui de Syrie, balayaient des décennies de réussite de développement. Elle a par exemple relevé qu’avant la crise syrienne, 1% d’enfants syriens vivaient sous le seuil de pauvreté, alors que ce taux est désormais de 30% du fait de la guerre. Elle a mis en garde contre la tentation de mettre l’accent sur la coopération à tout prix, alors qu’il est fondamental de se focaliser sur les résultats au préalable; des résultats qu’elle veut mesurables, en s’appuyant sur les données démographiques dont l’obtention en temps de conflit n’est pas une sinécure.
Répondant à la question des moyens de financement des acteurs locaux, Mme JEMILAH MAHMOOD, du FICR, a relevé que sa Fédération le faisait déjà, alors que Mme Patel, de Network for Empowered Aid Response, a estimé que c’était une option efficace quand elle est accompagnée d’un bon suivi.
Mme ASH, du Comité international de secours, a ensuite réagi à une question sur les partenariats en soulignant qu’il était tout à fait possible de travailler avec divers acteurs en déterminant les résultats à atteindre et en identifiant les avantages comparatifs de chacun. Elle a aussi prôné des partenariats qui favorisent un soutien en espèce en faveur des réfugiés comme cela a été expérimenté au Liban avec succès.
Le plus important est de placer la population au centre des activités humanitaires, a dit M. ABDULLA, du Programme alimentaire mondial. En réponse à une question du représentant de l’Afrique du Sud sur le suivi des activités des humanitaires, il a estimé qu’il était désormais temps que ces derniers rendent comptent aux populations pour lesquelles ils travaillent.
Le Sommet humanitaire mondial d’Istanbul aura été un catalyseur de changement dans le contexte de l’action humanitaire, a noté le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence. M. O’Brien a appelé à maintenir cet élan en invitant les agences humanitaires à comprendre que le plus important ce sont les résultats à atteindre, d’où le besoin de coopération entre elles, et non plus de compétition.
Table ronde de haut niveau B: « Ne laisser personne de côté: lutter contre le déplacement forcé »
En tant que modérateur du débat, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. STEPHEN O’BRIEN, a rappelé que le nombre de personnes déplacées dans le monde avait atteint le chiffre record de 60 millions, dont plus de 40 millions dans leur propre pays à la suite de conflits armés et d’actes de violence. Il nous faut protéger et assister ces personnes et répondre à leur espoir d’une vie meilleure, c’est exactement ce que signifie l’expression « ne laisser personne de côté », a-t-il dit. S’attaquer au problème du déplacement est un enjeu fondamental de politique et du développement. Le Secrétaire général s’est fixé une cible ambitieuse, à savoir réduire de moitié le nombre des personnes déplacées d’ici à 2030. M. O’Brien a appelé les participants à appuyer la campagne contre la xénophobie lancée par le Secrétaire général et à contrer les discours erronés contre les réfugiés et les migrants.
La Haute-Commissaire aux droits de l’homme auprès de la présidence de la Colombie, Mme PAULA GAVIRIA, a mis en avant la volonté politique de son gouvernement qui s’efforce de mettre définitivement fin à 60 ans de conflit, « l’un des plus longs dans l’histoire de l’humanité », avec les guérilleros des Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC). Plus de 60 communautés ont bénéficié de dédommagements et d’efforts visant à reconstruire le tissu social et économique pour les victimes de déplacements internes forcés. Elle a espéré que l’expérience de la Colombie sera un exemple pour d’autres pays.
Le Costa Rica travaille depuis 25 ans sur la voie du développement durable, de la réduction des risques de catastrophe, de la résilience et de l’inclusion sociale, a expliqué le Président de la Commission nationale sur la réduction des risques et les interventions d’urgence du Costa Rica, M. IVAN BRENES REYES. Il promeut la reprise économique des zones touchées par les catastrophes à travers une approche axée sur les services. À cet égard, « travailler avec les communautés est essentiel », a-t-il ajouté. Cependant, en tant que pays à revenu intermédiaire, le Costa Rica rencontre des obstacles et un manque de visibilité au niveau international, et il n’est pas équipé pour prendre en charge les migrants. C’est la raison pour laquelle il a demandé l’aide de l’Université pour la paix des Nations Unies.
Selon le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, M. CHALOKA BEYANI, les efforts fournis pour attaquer « à bras le corps » la pauvreté, la discrimination, les violences et les conflits armés, et faire respecter le droit international humanitaire ne sont pas suffisamment importants. Il convient de faire preuve de volonté politique au plus haut niveau. Les acteurs humanitaires et dans le domaine du développement doivent unir leurs forces et il faut inclure les personnes déplacées elles-mêmes dans les processus de consultation et faire fond sur les connaissances locales. « On a tendance à parquer les personnes déplacées dans des sites fermés et à considérer qu’il s’agit là de solutions durables, mais ce n’est pas le cas », a insisté M. Beyani, en vantant l’autonomie et la résilience.
Le Haut-Commissaire adjoint des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en charge de la protection, M. VOLKER TÜRK, a dit qu’il fallait reconnaitre la caractéristique internationale du flux de réfugiés et trouver une solution. D’un côté, on voit que la société civile se mobilise dans toutes les régions du monde pour réagir à ces situations où des populations doivent quitter leur foyer de force; de l’autre côté, « la xénophobie est de plus en plus présente et joue un rôle dangereux dans les discours populistes ». Il existe un régime de protection des réfugiés qui a fait ses preuves, a rappelé M. Türk. Selon lui, il faut « revoir à la baisse les critères sur la réunion familiale », sinon les migrants se tourneront vers les trafiquants d’êtres humains.
Il faut permettre aux personnes réfugiées et déplacées de bénéficier de l’éducation dans les situations de crise, ont souligné les représentants du Royaume-Uni et du Portugal, qui accueille des étudiants syriens. Le Sommet humanitaire mondial a débouché sur la création d’un fonds d’aide à l’éducation, s’est félicité M. O’Brien.
M. BEYANI a jugé important que les personnes déplacées soient visibles. « Dans certains États, on donne l’impression que ce n’est pas un problème, alors que le système de protection interne est très faible. » Il a regretté le manque d’initiatives fondées sur des données factuelles. « J’ai vu très peu de réactions de la part des pays qui ont des populations déplacées », a-t-il déploré.
La représentante des États-Unis a encouragé le traitement de ces questions lors la future réunion de haut niveau de l’Assemblée générale sur la gestion des déplacements massifs de réfugiés et de migrants, qui aura lieu le 19 septembre 2016, sous la houlette du Président Obama.
Il faut renforcer les capacités pour prévenir les conflits armés et assurer le respect du droit humanitaire par toutes les parties, a souligné le représentant de la Suisse. Pour sa part, l’Union européenne cherche à améliorer l’efficacité de l’action humanitaire pour mieux répondre aux besoins à long terme des personnes réfugiées et déplacées, a assuré son représentant.
« En tant que fervent défenseur de la sécurité humaine », le représentant du Japon a noté que certains États Membres semblent faire preuve de prudence sur la question des personnes déplacées internes car la question de la souveraineté se pose. Comment les persuader que cette question ne contrevient pas à ce principe?
Le représentant de l’Iraq a reproché à M. Beyani d’avoir publié, il y a quelques années, un rapport critiquant son gouvernement. Les mandats sont indépendants, a répondu M. BEYANI, qui avait souhaité entendre alors l’histoire des déplacés internes, « poussés depuis Bagdad vers le Nord ». Il s’était dit prêt à revenir sur certaines questions en suspens. Il a reconnu que l’Iraq, qui n’a plus accès aux ressources du pétrole, doit être aidé par la communauté internationale.
Les intervenants sont revenus sur la question plébiscitée via « Pigeonhole », à savoir la limite de la souveraineté des États. Pour Mme GAVIRIA, il faut donner davantage de visibilité aux personnes victimes de déplacements et les considérer comme des personnes titulaires de droits. Au Costa Rica, a renchéri M. BRENES REYES, l’approche est axée sur les droits de l’homme.
« La souveraineté doit être exercée au premier chef par les États pour protéger les personnes déplacées sur leur territoire », a précisé le Rapporteur spécial, M. BEYANI. Ils doivent mettre en place un mécanisme de coordination interministériel et nommer un point focal. Il s’agit de « la responsabilité de protéger ». Il faut veiller avant tout à ce que ces personnes survivent et qu’elles aient un abri. « Il est effarant de constater que la souveraineté n’est pas exercée dans des zones où on aimerait vraiment que l’État soit présent », a ajouté dans la foulée le responsable du HCR, M. TÜRK. L’Assemblée générale, a-t-il assuré, aura la possibilité de faire passer un message fort en septembre à travers le pacte mondial pour la protection des réfugiés.
La question des cadres normatifs existants pour les réfugiés et des lacunes existantes ayant également reçu beaucoup d’attention, M. Türk a expliqué que les textes avaient été « rédigés pour s’adapter à des situations telles qu’on les connaît aujourd’hui ». Ce qu’il faut, c’est « veiller à ce que la mise en œuvre soit conforme à l’esprit de la Convention ».
Outre les besoins médicaux urgents, Mme GAVIRIA a souligné l’importance de la question de la santé mentale et du suivi psychologique des personnes déplacées. « Les libérer des traumatismes vécus sera bénéfique pour la société tout entière », a-t-elle dit. Sur un autre thème, M. BRENES REYES a préconisé de renforcer les capacités locales pour réduire les vulnérabilités des personnes qui fuient les catastrophes naturelles, notamment vers les petits pays d’Amérique centrale.
« Les réfugiés ne sont pas un fardeau, il faut leur permettre de contribuer aux pays hôtes », a conclu M. TÜRK, en appelant à conclure de nouveaux partenariats et à utiliser des dispositifs novateurs pour lutter contre les déplacements forcés. « Il ne faut pas devoir choisir entre migrants, réfugiés ou déplacés internes », a résumé à son tour le Rapporteur spécial, M. BEYANI. Tous doivent être traités sur un pied d’égalité. « Que les personnes soient déplacées depuis longtemps ou pas, elles méritent la même attention », a-t-il insisté.
Enfin, a déclaré M. O’BRIEN à la fin de ce débat interactif, il faut redoubler d’efforts pour régler les causes profondes des déplacements et promouvoir un respect scrupuleux du droit international humanitaire. Il a tenu à souligner une fois de plus que « la xénophobie est un cancer qu’il faut éradiquer dans les réflexions et les comportements ».