Le Représentant spécial pour la RDC prévient le Conseil de sécurité que la crise électorale congolaise risque de « basculer » dans une violence grave
« Extrêmement fragile », la situation politique en République démocratique du Congo (RDC) pourrait atteindre très rapidement un « point de bascule dans une violence grave », a prévenu, ce matin, le Représentant spécial du Secrétaire général pour ce pays, M. Maman Sambo Sidikou, devant les membres du Conseil de sécurité.
« Je crois que cet organe devrait rester activement saisi de la situation et chercher à échanger régulièrement avec le Secrétariat de l’ONU et la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) dans les prochains mois, pour tracer, avec le peuple congolais, une voie plus positive pour le pays », a-t-il recommandé.
Venu présenter le dernier rapport* en date du Secrétaire général sur les activités de la MONUSCO –lequel couvre les évènements survenus depuis le 28 juin–, le Représentant spécial a décrit une situation politique en République démocratique du Congo, qui est marquée, a-t-il dit, par un rétrécissement continu de l’espace politique, avec un risque « très réel » de voir la situation se détériorer davantage, malgré des affirmations selon lesquelles les choses iraient dans le « bon sens ».
Les efforts déployés par le Facilitateur de l’Union africaine, M. Edem Kodjo, l’ONU et la communauté internationale à l’appui du dialogue national, n’ont pas été couronnés de succès jusqu’à présent, a reconnu M. Sidikou, qui dirige également la MONUSCO.
En septembre, a-t-il rappelé, M. Kodjo avait présenté aux parties une proposition leur permettant de parvenir à un accord sur la durée d’une transition politique et le rôle du Président sortant au-delà de la période intérimaire; la configuration d’un gouvernement de transition et les portefeuilles clefs; et la date de l’élection présidentielle.
« Cependant, en raison du boycott du dialogue national par la coalition de l’opposition connue sous le nom de Rassemblement et, plus récemment, par l’organisation épiscopale CENCO, un accord n’a pu être conclu », a regretté le Représentant spécial, en qualifiant le dialogue d’être insuffisamment inclusif. Le délégué de la RDC a, pour sa part, rejeté la faute sur le Rassemblement, alors que son gouvernement aurait favorablement répondu à une « série d’exigences » formulées par l’ensemble de l’opposition.
La Commission électorale nationale indépendante (CENI), a indiqué le Chef de la MONUSCO, a annoncé que la tenue des scrutins présidentiels, législatifs et provinciaux « en un seul jour » ne serait « techniquement possible » que le 18 novembre 2018, et l’inscription sur les listes électorales achevée le 31 juillet 2017. Le temps d’y inclure, a précisé le représentant de la RDC, les « nouveaux majeurs » et les « Congolais de l’étranger ».
Cette annonce, a relevé M. Sidikou, a suscité de vives protestations de la part de plusieurs partis politiques de l’opposition, convaincus d’une « instrumentalisation » de la CENI aux fins du maintien au pouvoir du Président Joseph Kabila au-delà de la limite du mandat présidentiel prévue par la Constitution.
Le 4 octobre, le Rassemblement a appelé à la démission du Président Kabila le 19 décembre 2016, en annonçant son intention d’organiser le 19 octobre des manifestations politiques à travers tout le pays. Les précédentes, qui remontent aux 19 et 20 septembre, ont fait au moins 49 morts parmi les civils, dont 38 tués par balle, « d’autres brûlés vifs ou tués à coups de machette », s’est alarmé le Représentant spécial. Plus de 140 autres personnes ont été blessées et 4 policiers tués au cours de ces affrontements, les enquêtes de la MONUSCO révélant l’implication d’acteurs étatiques et non étatiques, mais aussi de la Garde républicaine, qui a procédé à des centaines d’arrestations arbitraires.
Le représentant de la RDC a imputé ces violences aux « sympathisants des organisateurs de la marche », responsables, selon lui, d’« appels au saccage et au pillage des maisons ». Qualifiant la manifestation de « véritable insurrection », il a expliqué que la situation avait finalement été maîtrisée grâce à la police qui a fait usage de « gaz lacrymogène » et « non de balles réelles », comme le mentionne le rapport.
Le Représentant spécial a exhorté le Conseil à parler d’une seule voix pour demander au Rassemblement et autres parties boycottant le dialogue national d’y prendre part, mais aussi au Gouvernement d’envisager des « mesures de confiance directes » avec l’opposition, tout en soulignant qu’aucune impunité ne sera acceptée.
« Si des conseils ou des suggestions sont les bienvenues », en revanche, « aucune invective ni injonction, de quelque nature, n’est « acceptable », a rétorqué le délégué congolais. Le Venezuela a, de son côté, plaidé pour une reprise du « partenariat » entre la RDC et la MONUSCO.
M. Sidikou a par ailleurs fait état d’une situation préoccupante à Kananga, la capitale de la province du Kasaï central, après plusieurs affrontements entre miliciens d’un côté, parmi lesquels des enfants soldats, et les Forces armées et la Police nationales congolaises de l’autre. La MONUSCO, a-t-il assuré, a immédiatement pris des mesures pour atténuer les tensions dans cette région où sa présence était limitée jusqu’alors, mais aussi à Kinshasa, et dans l’est du pays, où un « massacre » a été commis dans la localité de Beni en août. Cependant, a-t-il fait observer, des violences dans le nord de Lubero ont provoqué le déplacement de 100 000 personnes au cours des trois derniers mois.
Dans ce contexte, le Président du Comité du Conseil de sécurité créé en application de la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo, M. Abdelalatif Aboulatta, s’est dit convaincu que les sanctions en vigueur dans le pays demeuraient « essentielles » pour répondre aux défis auxquels il fait face, à savoir la présence de groupes armés, en particulier les Forces démocratiques alliées (ADF), et le pillage de ses ressources naturelles.
Partisan d’une approche « proactive » visant à « dissuader les violences avant qu’elles ne soient perpétrées », M. Sidikou a estimé que le Conseil de sécurité pourrait relayer ce message auprès des pays contributeurs de troupes au moment où il examinerait la question du renforcement du mandat de protection des civils de la Mission. Sur ce dernier point, l’Uruguay a rappelé que son pays fournissait des contingents à la MONUSCO « depuis 16 ans ».
Les organisations régionales –Union africaine, Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC)–, devraient, quant à elles, envisager la nomination d’un « émissaire de haut niveau pour aider à combler le fossé politique », a préconisé le Représentant spécial. Le délégué de la RDC a dit attendre du Conseil de sécurité un « soutien continu » au Facilitateur de l’Union africaine et à « l’accord politique qui sanctionnera l’issue du dialogue ».