Guinée-Bissau: le Représentant spécial souligne la nécessité de mettre fin à la paralysie politique et de fournir au pays un soutien international
Le Représentant spécial du Secrétaire général pour la Guinée-Bissau, M. Modibo Touré, a appelé aujourd’hui, devant le Conseil de sécurité, les dirigeants politiques de ce pays à mettre un terme à la paralysie politique dans laquelle il est plongé depuis la suspension du processus parlementaire.
Dans le même temps, M. Touré, qui est également Chef du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (BINUGBIS), a exhorté la communauté internationale à lui apporter son soutien, en vue, notamment, de faciliter la démobilisation et la réintégration socioéconomique des éléments militaires.
« Le peuple de la Guinée-Bissau compte sur le soutien de cette auguste assemblée et celui de la communauté internationale dans son ensemble », a-t-il affirmé, appuyé par le Président de la formation Guinée-Bissau de la Commission de consolidation de la paix (CCP) et les représentants de la Guinée-Bissau et de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP).
De son côté, le Président du Comité du Conseil de sécurité créé en application de la résolution 2048 (2012) a discuté du dernier rapport* du Secrétaire général sur les progrès accomplis s’agissant de la stabilisation et du retour à l’ordre constitutionnel en Guinée-Bissau, dans lequel ce dernier se dit notamment en faveur du maintien du régime des sanctions qui frappe le pays.
M. Touré, qui présentait le dernier rapport** du Secrétaire général sur l’évolution de la situation en Guinée-Bissau et les activités du BINUGBIS, a tout d’abord indiqué que les consultations se poursuivaient à l’heure actuelle dans le pays en vue de sortir de l’impasse qui prévaut à l’Assemblée nationale populaire.
L’Assemblée n’a pas encore examiné le programme du Gouvernement, alors que celui-ci est en place depuis bientôt trois mois, a-t-il dit. M. Touré a précisé que le processus législatif normal semblait paralysé en raison de la décision du parti majoritaire, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cabo Verde (PAIGC), de suspendre sa participation aux travaux.
Le Représentant spécial a ensuite détaillé les efforts menés pour sortir de l’impasse, avec l’appui de l’ONU, de l’Union africaine, de l’Union européenne et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Depuis le 26 août, les deux partis principaux, le PAIGC et le Parti pour la rénovation sociale (PRS) ont entamé des pourparlers en vue d’aboutir à un consensus devant permettre d’en finir avec l’impasse politique, s’est félicité le Chef du BINUGBIS.
« En l’absence d’un programme portant le sceau d’approbation des élus du peuple et d’un budget national assorti, il sera difficile au Gouvernement de mener les réformes essentielles au retour durable à la stabilité institutionnelle, ainsi que de mettre en œuvre des politiques et stratégies permettant d’impulser une croissance économique inclusive et de s’attaquer aux vrais problèmes de la Guinée-Bissau », a affirmé le Représentant spécial.
M. Touré a souligné « l’engagement collectif » des acteurs nationaux en faveur d’un dialogue et indiqué que l’impasse politique actuelle pouvait être résolue. Les acteurs de la crise doivent honorer leur engagement à consentir aux sacrifices nécessaires afin de mettre un terme à la confrontation parlementaire et remettre la machine gouvernementale en ordre de marche, a-t-il déclaré. Le Représentant spécial a également appelé les dirigeants politiques à se concentrer sur l’intérêt national et le bien-être de la population.
Il a salué la retenue et la neutralité dont les militaires ont fait preuve lors de la crise. « Nombre d’entre eux attendent de recevoir un appui garanti en faveur de leur démobilisation et de leur réintégration socioéconomique », a-t-il affirmé. Il a souligné que la communauté internationale ne pouvait pas échouer sur ce point, estimant que la stabilité de la Guinée-Bissau en dépendait. M. Touré a également souhaité que la réponse à l’impasse actuelle soit l’occasion pour les acteurs politiques de réfléchir aux moyens de mettre un terme au cycle récurrent de paralysie institutionnelle.
« Cela ne pourra être accompli que grâce à un dialogue véritable et inclusif avec l’ensemble des citoyens », a affirmé M. Touré. Il a précisé qu’un tel dialogue avait le potentiel de stabiliser les institutions et d’ouvrir la voie à la restructuration de l’architecture judiciaire, à la réforme du secteur de la défense et de la sécurité et à la lutte contre le trafic de stupéfiants et autres formes de criminalité organisée transnationale.
Enfin, rappelant qu’il n’y a pas de développement sans stabilité, M. Touré a appelé la communauté des donateurs à considérer l’allocation de ressources supplémentaires en faveur des secteurs de la santé et de l’éducation et de programmes d’autonomisation des femmes et des jeunes. Alors que nous continuons à travailler avec le peuple de la Guinée-Bissau pour le retour de la stabilité, nous devons élaborer les programmes qui sont de nature à renforcer durablement la résilience du pays, a conclu le Représentant spécial.
Un appel appuyé par le Président de la formation Guinée-Bissau de la Commission de consolidation de la paix, M. Antonio de Aguiar Patriota, du Brésil, qui a plaidé en faveur « d’efforts collectifs » en vue d’aider les autorités du pays à régler le défi de la gouvernance. « Plus la crise durera, plus les progrès accomplis jusqu’à présent pourront être remis en cause », a-t-il dit, en soulignant le long chemin parcouru par le pays depuis le coup d’état de 2012.
Il s’est ainsi dit en faveur d’un dialogue politique « fructueux et inclusif » qui puisse ouvrir la voie à l’adoption des politiques de long terme dont le pays a besoin, « y compris un processus d’examen constitutionnel ». Le Président a indiqué que la Commission était prête à apporter son appui, en mobilisant par exemple des experts constitutionnels susceptibles de fournir des conseils avisés, dans le respect de la souveraineté nationale. « Il revient au peuple de Guinée-Bissau de faire preuve de sagesse et de créativité afin de rendre son modèle politique et constitutionnel fonctionnel », a-t-il déclaré.
Le Président a également estimé que les partenaires internationaux de la Guinée-Bissau ne pouvaient pas se permettre d’envoyer des « signaux erronés » s’agissant de l’importance de maintenir un environnement stable et sûr dans le pays. « La communauté internationale, y compris ce Conseil, doit résolument encourager les efforts diplomatiques régionaux tels que ceux menés lors du quarante-neuvième rassemblement des Chefs d’État de la CEDEAO à Dakar en juin dernier et envisager de dépêcher plus tôt que prévu la mission de haut niveau composée des Présidents du Sénégal, de la Sierra Leone et de la Guinée », a-t-il affirmé.
Enfin, M. de Aguiar Patriota a assuré que la Commission continuerait de promouvoir auprès de tous les acteurs concernés l’importance d’honorer les engagements pris lors de la table ronde des donateurs de Bruxelles en mars 2015. « Nous savons que la pleine réalisation des engagements pris lors de la table ronde des donateurs de Bruxelles, sur lesquels nous comptons tellement, est encore en suspens, dans l’attente peut-être d’un environnement politique propice dans le pays, mais la population qui souffre ne peut pas attendre », a dit, à ce propos, la représentante de la Guinée-Bissau, Mme Maria Antonieta Pinto Lopes d’Alva.
Elle a en conséquence souligné l’urgente nécessité « d’actions concrètes » de la communauté internationale, avant de se féliciter des différents efforts diplomatiques en cours « qui rappellent aux Bissau-Guinéens que la communauté internationale ne les a pas oubliés ». La représentante s’est en revanche dite préoccupée par le retrait de la Mission de la CEDEAO (ECOMIB) l’année prochaine. « Nous espérons que d’ici là le pays sera en mesure de garantir la paix par lui-même et que l’armée, qui ne joue pour le moment aucun rôle sur la scène politique, observera la même attitude », a-t-elle affirmé.
Pareillement préoccupé par la persistance de l’impasse politique en Guinée-Bissau, M. Julio Freitas, du Timor Leste, qui s’exprimait au nom de la CPLP, a fait part de sa crainte que la situation ne conduise à des tensions sociales. « La CPLP engage donc les parties à s’engager dans un dialogue constructif afin de créer les conditions d’une approbation du programme de gouvernement et du budget », a-t-il demandé.
M. Freitas a estimé que de tels résultats témoigneraient d’un engagement à long terme en faveur du développement du pays et autoriseraient la levée de la suspension actuelle de l’aide internationale. Enfin, il a partagé les inquiétudes de Mme Pinto Lopes d’Alva devant les effets négatifs qu’aurait un retrait de l’ECOMIB avant que la sécurité ne soit stabilisée. « Nous appelons les partenaires internationaux à étudier les modalités d’un appui à la paix et au développement en Guinée-Bissau », a-t-il conclu.
De son côté, le Président du Comité du Conseil de sécurité créé en application de la résolution 2048 (2012), M. Luis Bermudez, de l’Uruguay, a rappelé que ce dernier s’était réuni le 16 août pour discuter du premier rapport précité du Secrétaire général, dans lequel la situation dans le pays est jugée moins prometteuse que l’année précédente du fait de la crise politique prolongée. Cette crise est à l’origine d’une déception et d’un mécontentement profonds tant pour les Bissau-Guinéens que pour les donateurs, qui n’ont pas décaissé les crédits promis, écrit le Secrétaire général.
M. Bermudez a toutefois souligné les facteurs positifs que sont la reconduction du mandat de l’ECOMIB et les perspectives de croissances économiques pour cette année. Le Secrétaire général suggère au Conseil de maintenir les critères actuels d’inscription sur la Liste, de signifier clairement à tous les Bissau-Guinéens que ce régime de sanctions s’applique à tous les fauteurs de troubles, quelle que soit leur affiliation politique ou institutionnelle et d’être prêt, si nécessaire, à renforcer les mesures de sanction et à ajouter d’autres noms à la liste des personnes désignées, a expliqué M. Bermudez.
Le Président du Comité a indiqué que les sanctions avaient dissuadé les militaires de s’ingérer dans les affaires politiques du pays et pourraient avoir ce même effet si la crise actuelle perdurait. Par ailleurs, quatre des six personnes faisant l’objet de sanctions se sont rendues à l’étranger en violations de celles-ci, a précisé M. Bermudez.
Enfin, il a présenté la position des différents États Membres concernant les propositions du Secrétaire général, qui témoignent d’une certaine division.