Le Conseil de sécurité fait le point sur la situation en Guinée-Bissau au lendemain d’une nouvelle crise politique
À la demande du Sénégal, le Conseil de sécurité a examiné la situation en Guinée-Bissau, ce matin, au lendemain d’une nouvelle crise politique consécutive au limogeage, le 12 mai, du Premier Ministre Carlos Correia, puis à la désignation, le 26 mai, de son successeur, M. Baciro Djá.
Le Représentant spécial du Secrétaire général et Chef du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (BINUGBIS), M. Modibo Touré, dont c’était la première présentation au Conseil depuis sa nomination, a estimé que d’intenses consultations et négociations qui ont impliqué le BINUGBIS, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et sa mission dans le pays –l’ECOMIB- ainsi que la société civile et les dignitaires religieux, avaient peut-être permis d’éviter une crise grave. Mais il a averti que subsistaient de nombreuses difficultés.
M. Touré a expliqué que le nouveau Gouvernement, qui a prêté serment le 2 juin, comptait 19 ministres et 12 secrétaires d’État, mais que deux postes essentiels restaient vacants: ceux de l’intérieur et des affaires étrangères. La nomination du nouveau Premier Ministre a créé une crise politique, les membres du précédent cabinet refusant de quitter le palais du Gouvernement au motif que la nomination de M. Djá était contraire à une décision de la Cour constitutionnelle du 8 septembre 2015, laquelle avait alors déjà rejeté une première nomination de M. Djá comme Premier Ministre.
Ce dernier n’appartient pas, en effet, au Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et de Cabo Verde (PAIGC), lequel dispose d’une majorité absolue au Parlement, alors que la Constitution exige que le chef du Gouvernement soit issu du principal parti.
Comme l’a expliqué M. Touré, cette impasse, la quatrième depuis les élections législatives de mai 2014, a failli conduire à une confrontation. Le 3 juin, les forces de sécurité avaient encerclé le palais du Gouvernement après un ultimatum de 48 heures émis par le Procureur général.
D’autres événements sont encore venus alourdir le climat, notamment le décès, le 4 juin, de Carmen Pereira, figure historique du PAIGC et de la lutte de libération nationale et soutien du Gouvernement renvoyé. Après des tensions relatives à l’organisation des obsèques de Carmen Pereira, celles-ci ont finalement pu avoir lieu paisiblement le 8 et, le 9 juin, les derniers ministres limogés ont quitté pacifiquement le palais du Gouvernement.
Le PAIGC a entamé des procédures juridiques pour contester les récentes nominations effectuées par le Président, alors même que le statut de 15 membres du Parlement exclus du PAIGC ajoute à la confusion juridique et institutionnelle. Il a également rappelé la nécessité de venir en aide à la population, certes très résiliente mais dont les conditions de vie sont affectées, que ce soit par les grèves de mars-avril dans les secteurs de l’éducation et de la santé, ou par la suspension actuelle de l’aide internationale, dans un pays où l’aide publique au développement (APD) représente 15% du produit intérieur brut (PIB) et 80% du budget.
M. Touré a également informé le Conseil des nombreuses démarches qu’il avait effectuées depuis sa nomination et dans le cadre de la crise, notamment avec la CEDEAO, afin d’assurer la poursuite de l’engagement de celle-ci. Il s’est donc félicité de la décision prise par la CEDEAO à Dakar, le 4 juin, de prolonger d’un an le mandat de la Mission de la CEDEAO en Guinée-Bissau, étant entendu que la communauté internationale apporterait un soutien approprié.
Le représentant du Sénégal, M. Fodé Seck, s’est félicité des actions préventives et réactives menées par le Conseil de sécurité face aux événements. Il a notamment cité la prolongation d’un an du mandat du BINUGBIS décidée le 26 février dernier par la résolution 2267 (2016). Celle-ci, a-t-il rappelé engage en outre « les dirigeants du pays, notamment le Président, le Premier Ministre, le Président du Parlement et les responsables des partis politiques, à donner suite à l’engagement qu’ils ont pris d’instaurer la stabilité politique en Guinée-Bissau et, ce faisant, d’œuvrer dans l’intérêt du peuple bissau-guinéen ».
Le délégué sénégalais a également rappelé la visite effectuée le 7 mars à Bissau par le Conseil de sécurité afin de réitérer le même message, ainsi que les consultations tenues en mai par le conseil.
Il a ensuite informé le Conseil de sécurité des principales conclusions du sommet de la CEDEAO tenu le 4 juin à Dakar. Outre la prolongation pour un an du mandat de la Mission de la CEDEAO en Guinée-Bissau, les chefs d’État de la sous-région y ont décidé l’envoi à Bissau, à une date qui reste à déterminer, d’une mission présidentielle des chefs d’État du Sénégal, de la Sierra Leone et de la Guinée, qui sera chargée d’échanger avec les différents participants à la crise afin de mieux évaluer les besoins actuels du pays.
Le représentant a par ailleurs remercié tous les partenaires de la Guinée-Bissau, et notamment la formation nationale de la Commission de consolidation de la paix (CCP), qui a publié un communiqué le 9 juin.
À Dakar, la CEDEAO a également salué le professionnalisme de l’armée de Guinée-Bissau, qui est restée à l’écart du conflit. C’est aussi le constat qu’a dressé le Représentant spécial et Chef du Bureau de liaison de l’Union africaine en Guinée-Bissau, M. Ovidio Pequeno, qui s’est toutefois montré prudent.
Certes, « la situation sécuritaire reste calme et les militaires, jusqu’à présent, ne sont pas ingérés dans la vie politique », s’est-il félicité, « mais on se demande combien de temps ils peuvent rester politiquement neutres ». Il a aussi constaté que la réforme des secteurs de la sécurité et de la justice restait au point mort.
Saluant la prolongation de la Mission de la CEDEAO en Guinée-Bissau (ECOMIB), M. Pequeno a exhorté les forces de sécurité de la Guinée-Bissau à coopérer avec elle. Il s’est également félicité du dialogue prévu avec la future mission présidentielle tripartite et a assuré que l’Union africaine était prête à fournir une aide en coopération avec tous les partenaires pour garantir le succès de cette visite.
Estimant que les divisions entre acteurs politiques étaient la cause de la crise politique et institutionnelle, qui doit être résolue de façon globale, le Représentant spécial a aussi exhorté tous les acteurs à faire preuve de retenue et à respecter l’état de droit.
Le représentant de la Guinée-Bissau, M. João Soares Da Gama, a reconnu que son pays faisait de nouveau face à une crise politique et institutionnelle. Après avoir demandé au Représentant spécial de l’Union africaine de demeurer engagé en faveur de la sous-région, il a salué la décision de la CEDEAO d’envoyer une délégation présidentielle à Bissau, la jugeant « essentielle pour démontrer son engagement pour ramener la paix, la sécurité et la stabilité, non seulement en Guinée-Bissau, mais dans la sous-région toute entière ». Il a aussi salué l’engagement du Président du Sénégal, M. Macky Sall.
M. Da Gama a décrit son pays comme « pratiquement paralysé », ajoutant que « les populations souffrent et tout le monde attend avec impatience la décision de la Cour suprême et la visite des trois chefs d’État de la sous-région ».
La crise politique et institutionnelle qui a isolé la Guinée-Bissau depuis un an mérite aujourd’hui d’être résolue avec le concours de tous les principaux acteurs du pays, a-t-il ajouté, avant de faire appel à l’appui concerté de la communauté internationale, qui « peut nous aider à trouver une solution pérenne ».
Il a jugé qu’une réunion du Groupe international de contact pour la Guinée-Bissau serait un pas en avant. Le pays a en effet besoin de retrouver un fonctionnement normal pour concrétiser les résultats encourageants de la table ronde des donateurs tenue en mars dernier à Bruxelles.
Pour le représentant, qui s’est lui aussi félicité que « jusqu’à présent », les forces armées ne soient pas intervenues dans la crise, le pays doit concentrer son énergie sur le développement et la poursuite de la réforme du secteur de la sécurité. Il a appelé les membres du Conseil à « ne pas abandonner la Guinée-Bissau ».
Dernière intervenante de la réunion, la représentante du Timor-Leste, Mme Maria Helena Lopes de Jesus Pires, qui s’exprimait au nom de la Communauté des pays de langue portugaise(CPLP), a déploré l’évolution de la situation politique en Guinée-Bissau depuis la dernière réunion du Conseil et s’est dite vivement préoccupée par l’impasse actuelle.
Elle a néanmoins appuyé les efforts de la CEDEAO et a affirmé que la CPLP continuerait de coopérer avec tous les partenaires dans le pays. Elle a appelé toutes les parties prenantes à poursuivre un dialogue constructif et inclusif, tout en respectant les principes démocratiques et la Constitution.
Enfin, Mme Pires a regretté que l’instabilité dans le pays ait forcé les partenaires internationaux à retarder le versement des contributions annoncées lors de la table ronde de Bruxelles.