Conseil de sécurité: M. Stephen O’Brien lance un nouvel appel aux parties pour obtenir un accès continu, sûr, sans condition et sans entrave à l’aide humanitaire en Syrie
Intervenant par vidéoconférence depuis Vienne, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Stephen O’Brien, a fait le point, ce matin, de la situation humanitaire en Syrie en exprimant sa frustration de voir que ce conflit continue de faire beaucoup de victimes et plonge davantage de personnes dans une situation extrêmement difficile. En soulignant la responsabilité du Conseil de sécurité d’explorer toutes les voies pour trouver une issue à cette situation désespérée, il a insisté sur l’obligation des parties à garantir un accès humanitaire sûr et sans entrave pour atteindre les Syriens assiégés.
« L’impact de cinq longues années de conflit en Syrie défie l’entendement », a dit M. O’Brien en se disant très choqué par le tribut humain et des souffrances entrainés par « ce combat absurde où il n’y a rien à gagner ». Il a ainsi dénoncé les centaines de milliers de morts, les millions de personnes déplacées, les familles déchirées, les villes décimées, la destruction des infrastructures de base, la privation délibérée d’alimentation et de médicaments, la désolation et la famine. « Nous devrions tous avoir honte que cela se passe sous nos yeux », a-t-il lancé.
Malgré le répit lié à la cessation des hostilités, il a constaté une détérioration inquiétante de la situation sur le terrain due aux violences commises à Alep, Homs, Idleb, Lattaquié et dans la zone rurale de Damas. Ce matin même, a-t-il indiqué, les forces gouvernementales syriennes auraient repris les bombardements aériens sur le Gouvernorat de Dara’a, pour la première fois depuis la cessation des hostilités.
M. O’Brien a rappelé au Conseil de sécurité qu’il avait la responsabilité d’explorer toutes les voies possibles pour mettre fin à la violence. Il a lancé un nouvel appel en faveur d’un « accès continu, sûr, sans condition et sans entrave à l’aide humanitaire », avant de demander aux parties au conflit, au Conseil de sécurité et aux coprésidents du Groupe international de soutien pour la Syrie de ne ménager aucun effort pour que la cessation des hostilités soit respectée.
Ce sont les civils qui souffrent le plus des combats, a-t-il rappelé en signalant notamment la recrudescence de tirs aériens dans l’est d’Alep depuis le 22 avril, qui ont fait des dizaines de blessés et de morts. En outre, des infrastructures civiles, comme les écoles et les hôpitaux, ont été endommagées. Pas plus tard qu’hier, l’hôpital Al-Qods a été touché par des tirs qui ont fait au moins 20 morts dont deux médecins, tandis qu’un autre hôpital à l’ouest d’Alep aurait aussi été touché. « C’est horrible de penser que la présence d’un hôpital ou d’un établissement de santé est maintenant perçue par les voisins comme une menace à la sécurité », a-t-il fait observer.
Expliquant la « détérioration catastrophique de la situation », M. O’Brien a dénoncé des frappes aériennes sur des marchés qui font aussi beaucoup de morts parmi les civils, dont de jeunes enfants, comme celle du 19 avril à Marat Al Numan dans le Gouvernorat d’Idlib qui a fait plus de 40 morts et 145 blessés.
Il s’est aussi inquiété de la poursuite des combats entre l’EIIL et les groupes armés non étatiques dans le Gouvernorat au nord d’Alep, ainsi que de l’avancée de l’EIIL à l’est d’Azaz qui menace plusieurs camps où vivent 40 000 personnes déplacées. En outre, plusieurs frappes aériennes ont touché des Casques blancs, la défense civile syrienne, dans la ville d’Atareb, causant la mort de cinq soldats.
Les affrontements du 6 avril entre l’EIIL et le Front el-Nosra dans le camp de réfugiés palestiniens de Yarmouk ont empêché l’assistance d’atteindre cette communauté, les dernières livraisons de l’UNRWA datant du 7 avril, a rappelé le Coordonnateur des secours d’urgence. Il a toutefois souligné le courage du personnel des Nations Unies et des partenaires humanitaires qui continuent à assister la population civile malgré des conditions extrêmement périlleuses. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a ainsi pu aider 3,7 millions de personnes au mois de mars, tandis que l’UNICEF et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont mené une campagne de vaccination contre la polio ciblant 2 millions d’enfants vivant dans des zones difficiles d’accès.
Les convois arrivant de l’étranger atteignent deux fois plus de personnes cette année par rapport à la même période l’an dernier, a assuré M. O’Brien. Une aide alimentaire, des articles médicaux et du matériel éducatif ont été fournis à plus d’un million de personnes rien qu’au mois de mars. Il a mentionné les 21 convois interagences déployés en mars et les 24 opérations déjà menées depuis le début du mois d’avril. Depuis janvier, 778 175 personnes ont été secourues alors qu’elles se trouvent dans des zones difficiles d’accès, comme dans la ville de Rastan qui n’avait pas été secourue depuis avril 2015.
Soulignant les risques auxquels sont exposés les travailleurs humanitaires, il a cité l’attaque du convoi sur la route de Rastan qui a causé la mort d’un civil et blessé le chauffeur. « Je condamne toute attaque contre ce personnel et exhorte les parties à accorder un accès sans entrave et sûr aux travailleurs humanitaires pour qu’ils assistent la population dans le besoin », a-t-il dit.
M. O’Brien a fait état, depuis le 10 avril, de 14 parachutages à haute altitude organisés par le PAM pour combler les besoins de 100 000 personnes coupées de tout par l’EIIL dans la ville de Deir er Zour, en précisant que cette forme d’aide est normalement utilisée en dernier recours. Il a aussi mentionné l’aide fournie sur le terrain par le Croissant-Rouge arabe syrien.
Le Secrétaire général adjoint a ensuite abordé la question des évacuations dans le cadre de l’Accord des quatre villes, en indiquant que 515 personnes avaient été évacuées le 20 avril, dont 80 pour raisons de santé. Il a en même temps demandé de ne pas oublier que deux enfants étaient décédés à Madaya parce que leur évacuation médicale avait été refusée. C’est pourquoi il a lancé un appel aux parties pour qu’elles permettent les évacuations nécessaires en temps opportun, en arguant que cela ne doit jamais être une question politique.
Citant le droit international humanitaire, M. O’Brien a rappelé que les personnes malades ou blessées doivent recevoir des soins médicaux qu’elles nécessitent et que le personnel médical doit être protégé en toutes circonstances. De même, les attaques contre des établissements médicaux sont interdites, a-t-il martelé avant de dénoncer l’utilisation du refus de traitement médical comme arme de guerre en Syrie. Il a en effet indiqué que plusieurs convois d’assistance n’avaient pas pu transporter des articles médicaux, comme des analgésiques, faute d’autorisation. En outre, a-t-il regretté, des trousses obstétriques et autres articles médicaux ont été retirés du convoi de Rastan par les autorités syriennes.
Les parties au conflit n’ont pas respecté le droit international humanitaire, a-t-il dénoncé en se disant particulièrement préoccupé du refus d’accès à Derayya et à Douma, des zones qui ont désespérément besoin d’aide humanitaire. La ville de Derayya, qui a pu être visitée le 16 avril par les Nations Unies pour la première fois depuis 2012, a été détruite à 80-90% et n’a plus d’électricité depuis 2012. Les foyers ne peuvent pas manger plus d’un repas par jour. C’est pourquoi les Nations Unies ont fait une demande spécifique d’accès à cette ville, mais l’autorisation n’a toujours pas été donnée, s’est plaint M. O’Brien en exprimant sa frustration.
S’il a salué la simplification des procédures pour laisser passer les convois, il a regretté cependant le manque de cohérence. Le Gouvernement syrien a répondu aux requêtes dans le délai agréé de sept jours ouvrables pour les demandes d’avril, mais des retards dans la remise des lettres de passage ont été enregistrés et cela a eu pour conséquence de priver les personnes dans le besoin de toute aide humanitaire. Le niveau d’accès actuel fait que les personnes meurent de faim, a-t-il prévenu en pesant ses mots.
M. O’Brien a réitéré son appel aux parties pour qu’elles garantissent un accès sûr et sans entrave à ces personnes. Si la communauté ne réussit pas à préserver l’élan politique, avec la cessation des hostilités et l’accès humanitaire, la situation ne fera que s’aggraver davantage et on en perdra le contrôle. « Je ne sais pas encore pendant combien de mois la population syrienne va continuer à tenir ainsi », a-t-il averti les membres du Conseil.
Le Conseil de sécurité était saisi du dernier rapport* du Secrétaire général sur l’application des résolutions 2139 (2014), 2165 (2014), 2191 (2014) et 2258 (2015) du Conseil.
*S/2016/384