Dix ans de responsabilité de protéger: face à un bilan mitigé, les États Membres examinent les moyens de mieux préserver les civils des pires atrocités
Responsables et experts impliqués dans la mise en œuvre des engagements du Sommet mondial de 2005 ont, aujourd’hui, lors d’une table ronde de l’Assemblée générale, marqué le début de la deuxième décennie du concept de « responsabilité de protéger » en examinant les moyens de mieux préserver les populations des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, du génocide et du nettoyage ethnique.
La protection des civils est sans doute l’un des principaux défis de notre monde actuel et le bilan de ces 10 dernières années est pour le moins « mitigé », a avoué le Président de l’Assemblée générale, M. Mogens Lykketoft. Je suis horrifié, a renchéri le Vice-Secrétaire général, M. Jan Eliason, par le mépris « alarmant » du droit international humanitaire que nous voyons au cours de cette deuxième décennie du XXIe siècle. Personne, a dit avoir constaté le Coprésident de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des États, ne prétend que la responsabilité de protéger a été pleinement mise en œuvre.
Mais personne, a dit M. Gareth Evans, ne veut non plus retourner aux temps anciens où l’ONU était une « zone d’exclusion consensuelle » face aux crimes de masse. Il est « crucial », a-t-il dit, que nous consolidions les acquis car la responsabilité de protéger est « l’alternative à l’indifférence et à la fatalité », a ajouté la Conseillère spéciale du Secrétaire général pour « cette norme émergente », Mme Jennifer Welsh.
Dans un monde où « les acteurs étatiques et non étatiques violent délibérément et en toute impunité les règles les plus fondamentales du droit international », l’ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Mme Navi Pillay, a estimé que la clef de la responsabilité de protéger réside dans la prévention. En la matière, a plaidé un Professeur de la « Columbia University », M. Edward Luck, l’Assemblée générale peut faire beaucoup pour renforcer les capacités des gouvernements, de la société civile et du secteur privé. Pourquoi, s’est-il d’ailleurs demandé, l’Assemblée n’a jamais réussi à adopter une résolution de fond sur la responsabilité de protéger. Très franchement, s’est-il impatienté, quel aspect du concept doit-on encore éclairer?
La définition et l’acceptation par les États de la « responsabilité de protéger » au Sommet mondial de 2005* a représenté une importante étape de l’engagement de la communauté internationale à mettre fin aux formes les plus horribles de la violence et de la persécution.
Les États Membres ont affirmé leur responsabilité première de protéger leurs propres populations du génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du nettoyage ethnique et ont accepté une responsabilité collective pour s’aider mutuellement dans cet engagement.
Ils se sont également déclarés prêts à prendre des mesures en temps opportun et décisif, conformément à la Charte des Nations Unies et en coopération avec les organisations régionales compétentes, lorsque les autorités nationales ne parviennent pas, manifestement, à protéger leurs populations de ces quatre crimes et violations.
Des progrès significatifs ont été réalisés au cours de la dernière décennie dans l’élaboration de cet engagement. Le Secrétaire général a élaboré un cadre sur la base de trois piliers qui se renforcent mutuellement.
Les piliers de la « responsabilité de protéger » formulés dans le rapport** de 2009 sont les suivants: « il incombe au premier chef à l’État de protéger les populations »; « il incombe à la communauté internationale d’encourager et d’aider les États à s’acquitter de cette responsabilité; « il incombe à la communauté internationale de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres de protéger les populations contre ces crimes ».
Depuis 2009, l’Assemblée générale a adopté une résolution, tenu un débat formel et convoqué six dialogues informels. De son côté, le Conseil de sécurité a adopté plus de 30 résolutions et déclarations présidentielles qui font référence explicitement à la « responsabilité de protéger », sans compter la réunion de la formule Arria. Le Conseil des droits de l’homme a, lui, inclus le principe dans 14 résolutions.
Les participants à la table ronde, intitulée « De l’engagement à la mise en œuvre: 10 années de responsabilité de protéger », et animée par le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide, M. Adama Dieng, se sont penchés sur les progrès réalisés à ce jour et les moyens d’accélérer la mise en œuvre de cette « norme émergente », comptabilisant les défis actuels et nouveaux.
* A/RES/60/1, par. 138 à 140
** A/63/677
Déclarations liminaires
Depuis la création de l’ONU, il y a 70 ans, notre plus grand échec a peut-être été celui de n’avoir pas su protéger les civils des atrocités, a déclaré le Président de l’Assemblée générale. M. MOGENS LYKKETOFT s’est donc réjoui que l’on célèbre aujourd’hui le dixième anniversaire du moment où les dirigeants du monde ont dit « ça suffit », le moment où ils ont reconnu leur responsabilité individuelle et partagée de protéger les civils du génocide, des crimes de guerres, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. La protection des civils, a estimé le Président de l’Assemblée générale, est sans doute l’un des principaux défis du monde actuel et le bilan de ces 10 dernières années est pour le moins « mitigé ».
Les atrocités caractérisent toujours notre monde mais dans le même temps, certaines ont pu être évitées. Le Secrétaire général a mis en place un cadre pour la mise en œuvre de cet « engagement solennel » et l’a appuyé sur trois piliers qui se renforcent mutuellement dont le premier concerne la responsabilité de chaque État de protéger les populations contre les crimes énoncés et les incitations à les commettre. Si nous avons déjà une « boîte à outils » à l’efficacité avérée, il nous faut maintenant, a estimé le Président, mieux comprendre les mesures qui se révèleront les plus efficaces. Les deuxième et troisième piliers stipulent qu’il incombe à la communauté internationale d’encourager et d’aider les États à s’acquitter de leur responsabilité; et de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres de protéger les populations. Si un État n’assure manifestement pas la protection de ses populations, la communauté internationale doit être prête à mener une action collective, conformément à la Charte des Nations Unies.
Ces piliers ne sont pas des concepts abstraits, a insisté le Président de l’Assemblée générale. L’expérience a montré qu’une réponse décisive et prise à temps est essentielle à la protection des civils. Le choix n’est pas entre l’inaction et la force car les armes ne peuvent faire une réelle différence. Dans la « boîte à outils », a décrit le Président de l’Assemblée générale, il y a la médiation, la diplomatie préventive, les missions d’établissements des faits, les envoyés et les rapporteurs spéciaux, la saisine de la Cour pénale internationale, les sanctions ciblées et les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil des droits de l’homme. Nous devons affiner ces outils et mieux comprendre leur impact.
Maintenant que nous entamons une nouvelle décennie de la responsabilité de protéger, que nous voyons les défis que le prochain Secrétaire général de l’ONU devra relever, que nous percevons l’ambition « incroyable » du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et que nous nous engageons dans des processus d’examen de l’architecture de la paix et de la sécurité à l’ONU, nous devons, a conclu le Président de l’Assemblée générale, nous poser les bonnes questions et nous demander ce que chacun de nous, individuellement ou collectivement, fera pour corriger les faiblesses « fondamentales » de l’action internationale qui n’a pu empêcher les génocides, les crimes de guerre, les nettoyages ethniques et les crimes contre l’humanité, ces 10 dernières années.
Je suis horrifié par le mépris « alarmant » des droits de l’homme et du droit international humanitaire que nous voyons au cours de cette deuxième décennie du XXIe siècle, a avoué M. JAN ELIASSON, Vice-Secrétaire général de l’ONU, en voulant « parler franchement ». « L’impunité est partout et la redevabilité est nulle part. » Aujourd’hui, il nous faut donc opérer un changement « fondamental » dans la manière dont nous appréhendons la responsabilité de protéger pour respecter l’engagement de 2005, a dit le Vice-Secrétaire général de l’ONU qui a tout de même relevé certains progrès et cité le Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger, la Commission régionale de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, le Réseau latino-américain sur la prévention du génocide et des crimes de masse et l’Action mondiale contre les crimes de masse, lesquels travaillent à une meilleure compréhension des facteurs de risques et des sources de résilience, au niveau des pays.
Les situations en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Kenya sont à ranger du côté des succès mais la situation en Syrie, a avoué le Vice-Secrétaire général, est « un échec catastrophique » et celle du Soudan du Sud « profondément troublante ». M. Eliason a donc énoncé trois priorités et d’abord celle visant à faire mieux dans la prévention. Au sein de l’ONU, a-t-il estimé, l’initiative « les droits de l’homme avant tout » est une étape importante mais il faut encore que les alertes et les avertissements atterrissent sur « une terre fertile ». En deuxième lieu, le Vice-Secrétaire général a demandé que les réponses aux crimes contre l’humanité soient plus rapides et plus décisives et enfin, il a estimé qu’il faut faire plus s’agissant de la consolidation de la paix, « financièrement et politiquement ».
Le Secrétaire général de l’ONU, a rappelé son bras droit, a appelé à « une culture du courage » pour protéger les droits de l’homme et le droit international humanitaire de tout autre intérêt. Nous devons travailler ensemble pour protéger les civils des crimes graves, c’est une obligation envers l’humanité et envers les peuples que nous servons, a conclu le Vice-Secrétaire général.
Le concept de responsabilité de protéger a été élaboré « par des pragmatiques, pas par des puristes », a d’emblée déclaré M. GARETH EVANS, Coprésident de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des États. Le but n’était pas de créer de nouvelles règles juridiques internationales mais de faire mieux, beaucoup mieux que dans les années 90, les décennies et les siècles précédents. Le but était de créer un monde où le génocide et les crimes de guerre et contre l’humanité étaient au moins considérés comme « l’affaire de tous et non le problème de personne ». Évidemment, a reconnu M. Evans, au regard de la « catastrophe » en Syrie, il est facile de jouer du cynisme mais le monde a avancé sur les « quatre grandes choses » qu’il voulait voir dans la responsabilité de protéger: une force normative capable de dégager un vrai consensus entre le nord et le sud; un catalyseur de changements institutionnels; un cadre pour une action préventive; et un cadre pour une action réactive en cas d’échec de la prévention.
M. Evans est tout de même revenu à la situation en Syrie où, selon lui, la violence du régime aurait pu être arrêtée. Mais, a-t-il expliqué, mus par le sentiment que les puissances occidentales étaient allées trop loin en Libye, en transformant un mandat de protection des civils en mandat de changement de régime, un certain nombre de membres du Conseil de sécurité sont, à leur tour, allés trop loin mais dans le sens opposé. Sans majorité pour ne fut-ce que condamner la violence du régime contre des civils non armés, la situation s’est détériorée rapidement et est devenue celle que l’on voit aujourd’hui. Le consensus n’est pas impossible mais il prendra du temps, a prédit M. Evans. Il a soutenu, comme l’initiative la plus constructive, la proposition du Brésil sur « la responsabilité tout en protégeant » consistant à que tous les membres du Conseil acceptent le contrôle étroit de tout mandat prévoyant un recours à la force. M. Evans a aussi appuyé le Code de conduite du Groupe ACT -Accountability, Coherence and Transparency- et l’initiative franco-mexicaine sur l’exercice limité du droit de veto en cas de crimes de masse.
Personne ne prétend, a-t-il conclu, que la responsabilité de protéger a pleinement été mise en œuvre. Mais personne ne veut non plus retourner aux temps anciens quand l’ONU toute entière était une « zone d’exclusion consensuelle » face aux crimes de masse. Il est « crucial » que nous consolidions ce que nous avons construit et que nous ne laissions pas la responsabilité de protéger s’éloigner au risque de faire de la Charte une farce et de trahir notre humanité commune.
Ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Mme NAVI PILLAY, a tenu à souligner qu’en tant que telle la responsabilité de protéger n’est pas un nouveau concept qui impliquerait un quelconque changement juridique. Non, elle s’inscrit dans l’ordre juridique existant à l’échelle internationale. Dans un monde où « les acteurs étatiques et non étatiques violent délibérément et en toute impunité les règles les plus fondamentales du droit internationale », l’ancienne Haut-Commissaire a estimé que la clef de la responsabilité de protéger réside dans la prévention. C’est là que la communauté internationale doit se montrer la plus efficace, a-t-elle insisté. Les crimes graves ont toujours des signes avant-coureurs et ils sont commis parce que personne n’a rien fait contre la persécution des minorités, les discours de haine, la discrimination, la violence sexuelle ou la détérioration rapide de la situation économique. Mme Pillay s’est souvenue de son expérience de juge au Tribunal pénal international pour le Rwanda où un témoin a parlé du discours de haine parsemés comme des petites gouttes de pétrole qui ont fini par embraser tout le pays.
Le moment est donc venu d’assumer les responsabilités liées aux trois piliers de l’ONU à savoir la paix et la sécurité, le développement et les droits de l’homme. En la matière, le Programme de développement durable à l’horizon 2030 offre l’occasion d’aller vraiment de l’avant, a estimé l’ancienne Haut-Commissaire. Les droits de l’homme, a-t-elle dit, nous alertent sur les conflits en gestion mais ils nous offrent aussi la solution pour protéger les civils. Le lien intrinsèque, a-t-elle expliqué, entre les droits de l’homme et la responsabilité de protéger est une voie royale pour le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme que peuvent alerter le Haut-Commissaire aux droits de l’homme et le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide.
New York et Genève sont les sièges de l’ONU, a conclu l’ancienne Haut-Commissaire pour regretter qu’ils continuent de travailler en parallèle: New York, sur la paix et la sécurité, et Genève, sur les droits de l’homme. Or l’institutionnalisation de la responsabilité de protéger exige que l’on abatte ce mur, a-t-elle prévenu.
M. EDWARD LUCK, Spécialiste du règlement des conflits et Professeur de relations internationales à la « Columbia University », a tenu à rappeler quelques principes de base du Document de 2005 et d’abord que « toutes les populations » doivent être protégées. Dans un monde caractérisé par des politiques sectaires et divisionnistes, il faut rappeler aux gouvernements que leur responsabilité de protéger s’étend à tous ceux qui sont sur leur territoire, quel que soit leur statut, leur nationalité, leur appartenance politique ou leur ethnie. Dans le même esprit, les groupes armés doivent être tenus aux mêmes principes dans tous les territoires qu’ils contrôlent. Les leaders, étatiques ou non étatiques, doivent rendre compte de leurs actes.
Le Professeur a aussi dénoncé ceux qui prétendent ignorer que le Document de 2005 parle aussi des incitations à commettre les quatre crimes graves alors qu’il s’agit là de la base même d’une bonne stratégie d’alerte rapide. Pour vaincre l’extrémisme violent, il faut peaufiner notre message à ceux qui seront le plus tentés d’y répondre. La victoire contre cette forme d’extrémisme exige l’attachement des droits de l’homme consacrés par la Charte et pas le détachement.
Il faut aussi arrêter de se bercer de l’illusion que lorsque le Document de 2005 parle des responsabilités de la communauté internationale, il parle de tout le monde sauf de soi. La responsabilité collective dépend de la responsabilité individuelle. Chacun doit faire sa part et avec la montée de l’extrémisme violent, tout le monde est vulnérable. On ne peut plus, comme il y a 10 ans, dire, en regardant ailleurs, que c’est un problème africaine ou que la responsabilité de protéger est un bon concept qui ne s’appliquerait pas chez soi.
Si nous voulons nous montrer sérieux sur l’alerte rapide, l’évaluation et la prévention, a poursuivi l’orateur, nous devons écouter plus attentivement la société civile et les groupes vulnérables locaux. Les acteurs sous-régionaux et régionaux doivent être plus que des partenaires silencieux. Notre stratégie doit se fonder sur une réaction rapide, souple et adaptée à chaque circonstance. Aucune option ne doit être écartée quand des milliers de vie sont en danger. Dans de nombreuses situations, l’engagement en vertu des Chapitres VI et VII de la Charte n’a pas nécessité l’accord préalable du Conseil de sécurité, a dit M. Luck pour illustrer ses propos.
Il a aussi estimé que l’Assemblée générale peut faire beaucoup pour renforcer les capacités des gouvernements, de la société civile et du secteur privé en matière de prévention. Comme le meilleur, le signe annonciateur d’un crime de masse est le crime précédent, il faut consacrer plus d’énergie et plus de ressources à « la Responsabilité après la protection » en rendant les institutions, les législations et les valeurs capables de décourager tout nouveau cycle de violence.
Enfin, l’orateur a proposé que, sur une base régulière, l’on rédige des rapports et organise des dialogues sur cette « norme émergente ». Pourquoi, s’est–il demandé, après sept rapports et dialogues interactifs et après huit années de mise en œuvre, l’Assemblée générale n’a jamais réussi à adopter une résolution de fond sur la responsabilité de protéger et à s’entendre sur le financement du Bureau de la Conseillère spéciale et de son travail « essentiel ». Très franchement, s’est impatienté M. Luck, quel aspect du concept doit-on encore éclairer?
Dix ans après l’adoption du concept, a déclaré Mme JENNIFER WELSH, Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la responsabilité de protéger, il faut en effet faire son évaluation, non seulement de sa mise en œuvre mais aussi de la manière dont il a modifié les attentes. Le principe de la responsabilité de protéger en est encore à ses premiers pas sur un chemin tortueux. Un regard sur l’état du monde pourrait en effet pointer sur l’échec du concept mais ce serait là, a estimé la Conseillère spéciale, condamner le principe au lieu de jeter le blâme sur ceux qui sont censés l’appliquer. Comme tout principe politique, la responsabilité de protéger ne peut obliger les États à agir ni dicter des mesures spécifiques à la communauté internationale. Mais elle peut créer une pression politique sur des situations impliquant des crimes graves et augmenter le coût politique de l’inaction. Elle peut aussi clarifier les obligations juridiques existantes et offrir aux États un cadre politique pratique pour la mise en œuvre des mesures de prévention et de réaction. Vue sous ce prisme, la responsabilité de protéger a eu un impact important, a constaté la Conseillère spéciale. Le concept a en effet contribué à créer une catégorie d’actes qui, par nature, sont devenues des sources de « préoccupations internationales » en fixant « un plancher de décence » en-dessous duquel, selon les États, aucune population ne doit tomber. Cela a changé et élevé les attentes sur ce qui doit être fait et a galvanisé les efforts pour prévenir la spirale des violences systématiques et généralisées.
En conséquence, évaluer le succès de la responsabilité de protéger en se fondant sur le nombre de fois où une action militaire a été déclenchée équivaut à demander à la fois trop et trop peu. Il y a, s’est expliquée la Conseillère spéciale, beaucoup d’autres outils qui peuvent être actionnés face aux crimes de masse. Pour évaluer la manière dont la communauté internationale a réagi jusqu’ici et comment elle devrait réagir à l’avenir, il faut analyser les moyens militaires et les conditions de leur efficacité. En outre, comme toute question touchant le recours à des mesures coercitives, la mise en œuvre de la responsabilité de protéger est profondément influencée par la dynamique et la structure unique du Conseil de sécurité.
La responsabilité de protéger met les États aux défis de prendre des mesures concrètes au niveau national. Sur le plan international, elle les met au défi d’évaluer honnêtement les obstacles à l’action collective. Mais il faut faire plus qu’identifier ces obstacles et travailler sans relâche pour minimiser les facteurs de l’inaction, en changeant les méthodes de travail, en améliorant l’outil diplomatique, en se dotant d’un leadership bien ciblé et en offrant l’appui financier qu’il faut aux mécanismes qui ont marché et qui peuvent marcher. La responsabilité de protéger est « l’alternative à l’indifférence et à la fatalité », a conclu la Conseillère spéciale en paraphrasant le Secrétaire général.
Dialogue
D’emblée, le représentant du Soudan a reproché au Coprésident de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté des États d’avoir manqué de respect à l’égard de son pays. Il a demandé un véritable dialogue et pas une opposition de monologues. Un appel à la sérénité et à la prudence a été lancé par son homologue du Mexique pour renforcer le système et mobiliser les efforts.
Synthétisant les principales préoccupations des délégations, le représentant du Rwanda, qui s’exprimait au nom du Groupe des Amis de la responsabilité de protéger, lequel ressemble une cinquantaine de membres, a demandé comment l’ONU et ses États Membres pouvaient accroître l’appui et la volonté politique de mettre en œuvre la responsabilité de protéger, armer de façon concrète les populations contre les crimes de masse. Le délégué a évoqué la situation dramatique au Burundi, en sa capacité nationale. Son homologue de l’Union européenne a en effet rappelé que l’examen en cours de l’architecture de la paix et de la sécurité de l’ONU a reconnu la nécessité d’inclure la responsabilité de protéger dans les autres processus de l’Organisation.
Sans oublier, a dit le délégué de la Fédération de Russie, qu’il y a cinq ans, avaient commencé les bombardements de la Libye, au nom du soi-disant principe de la responsabilité de protéger, mais qui ont plongé le pays dans le chaos. Les représentants de Cuba et de la Chine ont d’ailleurs voulu que l’on ne réinterprète pas la Charte des Nations Unies, dénonçant, à leur tour, le fait que la responsabilité de protéger soit parfois utilisée pour servir l’ingérence dans les affaires intérieures des pays et en modifier l’ordre intérieur. Cette responsabilité, a argué le représentant chinois, n’est pas une norme du droit international. L’Assemblée générale doit en poursuivre l’examen en tenant compte de l’ensemble des points de vue exprimés par les États Membres pour aboutir à un consensus.
L’intervention en Libye est une question morale à régler, a surenchéri le représentant homologue du Brésil, qui a regretté que le cas de la Palestine n’eût pas été évoqué dans ce dialogue. On ne peut, a dit le représentant de la République-Unie de Tanzanie, que dénoncer l’hypocrisie quand on voit les obstacles politiques qui ont empêché le règlement de certaines crises. La Vice-Ministre des affaires étrangères du Kirghizistan a d’ailleurs demandé que son pays soit retiré de la liste de ceux qui ont bénéficié d’un engagement international pour atténuer le risque des quatre crimes énoncés dans la responsabilité de protéger.
Certains États, comme l’Arménie, ont insisté sur la culture de la prévention au sein de la communauté internationale. Le Ghana a souhaité que soient renforcées les capacités nationales et élargi le Réseau mondial des coordonnateurs pour les questions relatives à la responsabilité de protéger. L’ONG « International Coalition for the Responsability to Protect » a encouragé les gouvernements et les organisations internationales à coopérer davantage avec la société civile, soulignant que les acteurs de la société civile étaient souvent les premiers à témoigner des atrocités. Il est vrai qu’il faut améliorer les systèmes d’alerte précoce, a reconnu le Royaume-Uni. La Roumanie a quant à elle plaidé pour un renforcement de la coopération entre New York et Genève, en particulier entre le Conseil de sécurité et le Conseil des droits de l’homme.
À propos du Conseil de sécurité, la Slovénie a appuyé l’initiative franco-mexicaine de suspendre le recours au droit de veto dans les cas de crimes de masse. Le Royaume-Uni a d’ailleurs souligné qu’il n’avait plus utilisé son droit de veto depuis 1989. Les efforts du Ghana, mais aussi de l’Australie, du Botswana, du Brésil, du Danemark, du Guatemala, de la République de Corée et de la Slovénie, pour présenter à l’Assemblée générale un projet de résolution sur l’inscription de la responsabilité de protéger à l’ordre du jour ont été salués par plusieurs délégations, dont celle de la Suisse.
Cette dernière et celle des Philippines ont toutes deux rappelé que leur pays avait coorganisé à Manille la deuxième réunion internationale de l’Action mondiale contre les crimes de masse, laquelle a rassemblé 52 pays afin de réfléchir à des initiatives concrètes pour renforcer les architectures nationales de prévention des atrocités.
Cet après-midi, la représentante du Nicaragua a déploré le fait qu’il n’y ait jamais eu de vrai dialogue sur la responsabilité de protéger. Son pays, a-t-elle dit, ne pourra pas accepter un texte sur lequel il n’y a pas eu d’accord. Il convient de rétablir la confiance des États dans les documents élaborés par le Secrétariat de l’ONU, d’une part, et dans les mécanismes d’alerte précoce, d’autre part, a plaidé le représentant du Bélarus. Une discussion sur la confiance permettrait d’aller de l’avant et de passer des paroles aux actes.
L’ONU doit faire preuve d’honnêteté, a renchéri son homologue de la Syrie, et éviter les deux poids, deux mesures, la sélectivité et l’ingérence. Son silence face à l’occupation syrienne montre bien le problème, a-t-il constaté, demandant à l’Organisation d’obliger les pays qui attisent le conflit en Syrie de cesser leurs agissements. Le concept de responsabilité de protéger peut en effet être aisément manipulé pour des raisons politiques, a renchéri le représentant de la République islamique d’Iran. Il a pris l’exemple du génocide au Rwanda, en 1994, lorsque certains membres permanents du Conseil de sécurité refusaient d’utiliser le terme même de « génocide ».
La responsabilité juridique de protéger doit se fonder sur le consensus le plus large possible, a ajouté la représentante de la Turquie qui a estimé qu’il doit aussi s’appliquer aux populations qui fuient les crimes et les crises. Oui mais qui doit faire respecter ce concept au nom de la communauté internationale? s’est demandé le représentant de l’Inde, jugeant que le Conseil de sécurité n’est pas « le seul organe habilité ». À ce propos, son homologue de l’Argentine a tenu à souligner que le recours à la force doit rester un dernier recours, lorsque tous les moyens de prévention ont été épuisés et dans le respect des buts et principes de la Charte. Se concentrer sur le recours à la force, même en tant qu’ultime recours, ne fait que limiter la réflexion qu’il faut sur la prévention, a mis en garde le représentant du Venezuela qui a estimé que l’on oppose un principe, celui de la non-intervention, à un autre, celui de la protection des droits de l’homme.
Les représentants de la Syrie, du Soudan et de Cuba ont exprimé leur vif mécontentement face à la manière dont le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide a mené les discussions et traité, selon eux, certains États. Il nous a manqué de respect, ont-ils tranché.