Le Chef des affaires humanitaires invoque l’image du petit Aylan Kurdi sur une plage de Turquie pour exiger du Conseil la fin du « cauchemar » syrien
Devant le Conseil de sécurité et le représentant de la République arabe syrienne, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires a déclaré, ce matin: « L’image d’Aylan Kurdi, le petit garçon de 3 ans gisant sans vie sur une plage de Turquie, résume à elle seule le désespoir profond d’un peuple syrien trop longtemps exposé à l’horreur d’un conflit brutal et sauvage ».
J’appelle, une nouvelle fois, le Conseil de sécurité à oublier ses divergences et à travailler ensemble pour mettre fin à « ce cauchemar » car il ne peut échapper à sa responsabilité d’aider les Syriens à réaliser un avenir de paix. Le représentant syrien a assuré que son gouvernement était ouvert à un accord politique avec l’opposition nationale, « mais pas avec les terroristes », a-t-il précisé en demandant d’appeler ceux-ci par leur nom.
Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, qui est aussi Coordonnateur des secours d’urgence, présentait le dernier rapport du Secrétaire général. Il a dénoncé les obstacles « injustifiables » érigés par les parties à l’acheminement de l’aide humanitaire et le sous-financement de cette aide qui nuit à une population assiégée.
Dans sa déclaration, M. Stephen O’Brien a tenu à rappeler les paroles du père du petit Aylan: « J’ai essayé de rattraper mes enfants et ma femme mais en vain. Ils sont morts l’un après l’autre ». Trop de familles syriennes ont eu à prononcer ces mots au cours de ces dernières années, a souligné le Secrétaire général adjoint, car ce sont les civils qui continuent à payer le prix fort.
Comme l’ont montré les réfugiés syriens qui cherchent désespérément asile en Europe, les effets de la crise syrienne ne sont plus nationaux ou régionaux mais bien mondiaux. Le conflit a provoqué l’un des plus grands exodes depuis la Deuxième Guerre mondiale et il est de la responsabilité de la communauté internationale de soutenir les pays voisins qui portent le fardeau le plus lourd. Mais, a prévenu le Secrétaire général adjoint, il faut aussi faire plus pour traiter des causes qui forcent des gens à fuir de chez eux et à chercher asile ailleurs. Cela veut dire, trouver un règlement politique qui mette fin à la crise, a-t-il tranché.
M. O’Brien a profondément regretté d’informer le Conseil que 18 mois après l’adoption de la résolution 2139 de février 2014, ses fortes exigences restent lettre morte et les souffrances humaines s’aggravent. La violence se poursuit, ainsi que les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Les attaques aveugles continuent de semer morts et destructions. Les allégations sur l’utilisation d’armes chimiques continuent de pleuvoir, a insisté le Secrétaire général adjoint, en invoquant le mandat du Mécanisme conjoint de l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et de l’ONU, créé par la résolution 2235 (2015).
M. O’Brien s’est inquiété de la fréquence « alarmante » des attaques visant délibérément les civils. Celles des groupes armés non étatiques ont entrainé des coupures d’eau et d’électricité dans plusieurs villes, au cours des dernières semaines voire des mois. Les attaques délibérées qui se poursuivent contre les hôpitaux et les écoles sont des « crimes de guerre », a souligné le Secrétaire général adjoint. Aujourd’hui, la Syrie est « l’un des endroits les plus dangereux au monde pour les enfants ». Le Coordonnateur des secours d’urgence a exprimé de vives inquiétudes quant au sort des enfants vivant dans les zones contrôlées par l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) qui subissent un endoctrinement. Le conflit ne détruit pas seulement le présent mais aussi l’avenir: le grand nombre des enfants non scolarisés pourraient se multiplier très vite.
Malgré ce contexte d’insécurité, l’ONU et ses ONG partenaires continuent à fournir une assistance vitale à des millions de personnes, a poursuivi M. O’Brien en indiquant que, le mois dernier, cette aide avait touché 42 millions de personnes. Mais, il s’est plaint des difficultés pour acheminer l’aide dans les zones difficiles d’accès. Le Programme alimentaire mondial (PAM), par exemple, n’a pas pu atteindre un million de personnes dans les zones rurales de Damas, Homs et Hama, tandis que 750 000 personnes vivant dans les zones contrôlées par l’EIIL n’ont rien reçu à cause de l’insécurité.
Outre cette insécurité, les parties continuent d’imposer des restrictions. Quelque 422 000 personnes vivent sous un siège « intolérable ». On attend toujours du Gouvernement syrien qu’il approuve 46 demandes de convois interagences qui pourraient apporter une assistance à 1,2 million de personnes, sans compter que les convois approuvés pour d’autres zones se heurtent au refus des groupes armés non étatiques.
Le Secrétaire général adjoint s’est cependant réjoui que 109 membres du personnel de l’ONU aient obtenu leur visa, le mois même au cours duquel ils ont déposé leur demande. J’espère que cette tendance se poursuivra non seulement pour les visas mais aussi pour les autres obstacles administratifs, a commenté M. O’Brien.
Il s’est à nouveau inquiété de l’insuffisance des fonds pour des opérations humanitaires qui nécessitent quelque 738 millions de dollars jusqu’à la fin de l’année. Il a demandé aux donateurs d’envisager des engagements supplémentaires étant donné le niveau des besoins.
« Les mots nous manquent pour décrire le mépris total de la vie et de la dignité humaines qui est devenu la marque de fabrique de cette crise », s’est alarmé le Secrétaire général adjoint. Les membres du Conseil de sécurité et les pays qui ont de l’influence « peuvent et doivent » faire plus et exiger que la violence aveugle cesse, que les sièges soient levés, que les infrastructures civiles soient respectées et que l’aide humanitaire vitale atteigne toutes les zones du pays. Mais par-dessus tout, le Conseil de sécurité doit oublier ses divergences et travailler ensemble pour mettre fin au « cauchemar » du peuple syrien. Le Conseil, a insisté le Secrétaire général adjoint, ne saurait échapper à sa responsabilité d’aider les Syriens à réaliser un avenir de paix.
M. Bashar Ja’afari, représentant de la Syrie, a reconnu l’importance de traiter les causes politiques du conflit. Il a voulu tout d’abord rappeler les résolutions du Conseil de sécurité qui interdisent l’aide et le financement du terrorisme et qui appellent les États Membres à ne pas utiliser le terrorisme pour faire pression sur d’autres États Membres. Or, a-t-il regretté, ces textes ne sont pas appliqués en pratique. Il a illustré ses propos en invoquant l’existence dans le nord de son pays, de groupes terroristes armés financés par la Turquie et le Qatar. Ces groupes, qui se vantent d’appartenir à « l’Armée de la Conquête », tirent chaque jour des milliers d’obus sur nos forces à Alep, faisant de nombreux morts et blessés.
Le représentant a aussi mentionné la présence, dans le sud du pays, d’une autre armée terroriste qui, elle, est financée par l’Arabie saoudite et la Jordanie, pourtant membre du Conseil de sécurité et « pays frère ». Il a également parlé de l’armée terroriste qui œuvre dans les banlieues de Damas et de Douma, « l’Armée de l’Islam », financée elle aussi par l’Arabie saoudite.
« En l’espace d’une minute, je vous ai présenté le tableau et cité trois armées terroristes », a fait remarquer le représentant, en s’étonnant que le Conseil de sécurité les classe dans la catégorie des « groupes armés non étatiques » et non dans celle des « groupes terroristes ». Il a aussi dénoncé ce qu’on appelle à tort « sanctions économiques » imposées au Gouvernement syrien, qui ont pour conséquence de paralyser l’économie et de détruire les infrastructures et l’emploi. Il s’est inquiété de l’immense flux de terroristes provenant de l’étranger, ainsi que du trafic de pétrole et de biens culturels. Les antiquités syriennes sont vendues aux enchères à Londres, s’est-il énervé. La photo du petit Aylan a en fait rendu service à la Syrie puisqu’elle a montré la souffrance du peuple syrien, a-t-il dit.
M. Ja’afari a rappelé les lettres que sa délégation a envoyées au Président du Conseil de sécurité, dénombrant notamment les victimes à Alep et à Damas après les pilonnages menés par des armées terroristes qui, a-t-il répété, sont financées par la Turquie, le Qatar, l’Arabie saoudite et la Jordanie. Il a encore insisté sur l’importance qu’il y a à appeler les terroristes par leur nom, avant de réclamer l’aide de la communauté internationale pour confronter cette menace qui, a-t-il prévenu, commence à atteindre vos pays. Il faut une coalition internationale contre le terrorisme et il faut aborder la crise syrienne, en mettant de côté les réflexes interventionnistes et en évitant de faire de cette agonie « un commerce ».
Avant la levée de la séance, le représentant de la Jordanie a indiqué que sa délégation répondrait par écrit à l’intervention de son homologue syrien.