Le nouveau Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, M. Stephen O’Brien, décrit une situation humanitaire très grave en Syrie
Le nouveau Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires, M. Stephen O’Brien, a alerté les membres du Conseil de sécurité, ce matin, sur l’aggravation de la crise humanitaire en République arabe syrienne où 12,2 millions de Syriens attendent désespérément l’aide humanitaire. Il a rappelé que le conflit a déjà coûté la vie à 220 000 personnes. Le Secrétaire général adjoint, qui se rendra à Damas le mois prochain, a exprimé son indignation devant cette situation qui pèse lourdement sur la « conscience humanitaire du monde ».
M. O’Brien a regretté qu’au cours de sa première intervention devant le Conseil depuis son entrée en fonctions, il ne soit pas en mesure de faire état de progrès. Au contraire, a-t-il dit, il est amené à faire le bilan d’un nouveau mois de « tristes statistiques » qui illustrent les horreurs d’un « conflit brutal » et les « immenses souffrances de civils assiégés », en particulier les femmes, les enfants, les personnes âgées et celles qui vivent avec un handicap. Les rapports successifs du Secrétaire général, a-t-il constaté, décrivent les graves violations du droit international humanitaire et l’incapacité, ou l’absence de volonté, des parties de respecter leurs obligations juridiques fondamentales.
Selon les termes du Secrétaire général dans son dernier rapport* en date, « cinq ans après le début du conflit, il ne reste guère de mots pour décrire les souffrances endurées par les Syriens ». Ces dernières semaines, la violence a connu une escalade supplémentaire, a indiqué M. O’Brien en dénonçant les attaques aveugles et disproportionnées commises par toutes les parties, y compris l’utilisation de barils explosifs dans des zones habitées, qui font un très grand nombre de morts et de blessés parmi la population civile. Ces attaques frappent même des quartiers résidentiels, des marchés, des écoles, des hôpitaux et des lieux de culte, a-t-il ajouté.
Détaillant les attaques commises au mois de juin, il a indiqué que des missiles lancés sur le marché central d’Al Janudiya, à l’ouest de la ville d’Idlib, avaient causé la mort de 60 personnes et blessé plus d’une centaine d’autres. Ce même mois, 9 civils ont été tués par des tirs de mortiers lancés par un groupe armé non étatique dans une zone commerciale de Damas, tandis que l’explosion d’une voiture piégée avait tué 14 personnes dans la zone rurale de Damas. En outre, 14 attaques, dont 12 aériennes, ont été lancées contre des centres médicaux pour le seul mois de juin.
Le niveau de destructions et le nombre de morts sont sans précédent, a déploré le Secrétaire général adjoint en s’inquiétant aussi du sort des 15 000 civils pris entre deux feux dans deux villages, Kefraya et Fouah, situés à proximité de la ville d’Idlib, que les forces non étatiques ont menacé de reprendre aux forces gouvernementales.
Les combats intenses dans le pays ont également entraîné une recrudescence des déplacements de la population, a signalé M. O’Brien qui a indiqué cependant qu’il ne disposait pas de tous les chiffres exacts concernant ces civils. Plus de 10 000 personnes ont fui la partie sud de la ville d’Al-Hasakech à la suite des avancées de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) le mois dernier. Dans le Gouvernorat d’Ar-Raqqa, plus de 70 000 personnes ont fui du fait de l’escalade des combats entre l’EIIL et des groupes armés non étatiques, tandis que 40 000 personnes ont fui la ville de Dar’a après une offensive de ces groupes. Au total, depuis le début de 2015, plus d’un million de personnes ont dû quitter leur foyer, s’ajoutant ainsi aux 7,6 millions de personnes déplacées recensées à la fin de 2014.
L’autre « record tragique », a souligné M. O’Brien, c’est le nombre de réfugiés enregistrés qui a atteint, au début de ce mois, 4 millions. C’est la plus grande population de réfugiés qu’un seul conflit a provoqué depuis plus d’un quart de siècle, a-t-il précisé. M. O’Brien a saisi cette occasion pour remercier les pays voisins qui accueillent cette population et pour appeler la communauté internationale à déployer davantage d’efforts pour soutenir ces pays et assurer l’accueil de ces réfugiés dans d’autres régions.
Le Secrétaire général adjoint s’est également plaint des entraves causées par les parties à la fourniture des services essentiels à la population civile, en signalant notamment des coupures d’eau par des groupes armés non étatiques qui affectent 1,7 million de personnes à Alep. L’accès à l’eau a été réduit de moitié dans le pays depuis le début du conflit, ce qui a causé de nombreuses maladies comme la diarrhée aigüe, l’hépatite A et la typhoïde.
Plus généralement, le conflit en Syrie détruit progressivement le tissu social et économique du pays, en anéantissant les progrès réalisés en matière de développement au cours de plusieurs générations. Désormais, 80% des personnes vivent dans la pauvreté, la population souffre d’insécurité alimentaire et de la dégradation des infrastructures vitales, tandis que les réseaux familiaux et communautaires sont détruits.
M. O’Brien s’est inquiété particulièrement du sort des jeunes qui vivent depuis trop longtemps dans un climat de peur et de violence. Un enfant né en 2011 qui entre à l’école cette année n’aura connu que la guerre, ce qui est de mauvais augure pour l’avenir, a-t-il prévenu.
Malgré cet environnement difficile, M. O’Brien a salué les mesures prises par l’ONU et les organisations non gouvernementales opérant en Syrie qui continuent à aider des millions de personnes. Au cours des premiers mois de 2015, elles ont ainsi fourni une aide alimentaire à 5,8 millions de personnes chaque mois, ainsi qu’une aide médicale, de l’eau et des articles de première nécessité à de nombreuses personnes. Il a cependant regretté le manque d’accès à certaines populations et il a rappelé que le plan de réponse pour la Syrie n’était, à ce jour, financé qu’à 27%. Il est urgent que les donateurs et autres pays augmentent leur aide, a-t-il dit.
Le Secrétaire général adjoint a ensuite donné des informations sur les obstacles délibérés à la fourniture de l’aide, en signalant que 77 travailleurs humanitaires avaient été tués depuis le début du conflit, et que 32 membres du personnel des Nations Unies sont toujours détenus ou portés disparus. Il a indiqué que 4,6 millions de personnes, soit près d’un quart de la population syrienne, vivent dans des zones très difficiles d’accès pour le personnel humanitaire et que 422 000 d’entre elles se trouvent dans des zones assiégées par les parties et, de ce fait, ne peuvent recevoir d’aide.
En juin, les agences humanitaires n’ont pu fournir l’aide que grâce au pont aérien mis en place par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), a-t-il indiqué. Il a aussi précisé que les organisations des Nations Unies et leurs partenaires avaient fourni du matériel médical à plus de 4 millions de personnes en juin. Il a cependant dénoncé la décision des autorités syriennes de confisquer le matériel médical et chirurgical destiné à la population civile.
S’il a constaté quelques progrès avec l’approbation, en juin dernier, de nouveaux convois par le Gouvernement syrien, M. O’Brien s’est toutefois dit très préoccupé par le fait que 45 demandes d’autorisations de convoi restent en suspens. Il a donc demandé au Gouvernement syrien de délivrer ces autorisations le plus rapidement possible, en lui rappelant son obligation à ce titre en vertu du droit international humanitaire.
En concluant son exposé, M. O’Brien a émis l’espoir que sa visite sur le terrain, le mois prochain, serait l’occasion d’engager des discussions constructives avec le Gouvernement syrien pour régler les difficultés importantes qui entravent les opérations humanitaires. Il a aussi attiré l’attention du Conseil sur la nécessité urgente de trouver une solution politique à ce conflit. « J’exhorte le Conseil de sécurité à examiner les options dont il dispose à travers les yeux des Syriens, les yeux d’un peuple assiégé qui souffre depuis trop longtemps », a-t-il lancé.