Conseil de sécurité: « le temps est compté et le nombre de victimes en Syrie ne cesse d’augmenter », s’indigne la Coordonnatrice des secours d’urgence, Mme Valerie Amos
Le temps est compté et le nombre de victimes ne cesse d’augmenter en Syrie, s’est indignée la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et Coordonnatrice des secours d’urgence de l’ONU, Mme Valerie Amos, cet après-midi, devant les membres du Conseil de sécurité.
En février dernier, l’ONU n’a pu livrer l’aide humanitaire à aucune des zones assiégées, a-t-elle rappelé, en faisant remarquer que le nombre de personnes se trouvant dans ces zones est passé aujourd’hui à 440 000, dont 185 500 à cause des agissements des forces gouvernementales. Ces dernières avaient pourtant assuré qu’elles protégeaient leur propre peuple.
Elle a aussi relevé que plus d’un an après l’adoption de la résolution 2139 (2014) du Conseil de sécurité, qui appelait à une action de toutes les parties au conflit pour mettre fin aux attaques contre les civils et faciliter l’accès humanitaire, la situation sur le terrain s’est considérablement aggravée.
Réagissant à ces propos, le représentant de la République arabe syrienne, M. Bashar Ja’afari, a jugé nécessaire d’apporter une assistance humanitaire dans son pays en vue d’alléger les souffrances dans les zones touchées. Il ne faut pas se contenter de faire des déclarations, mais de prendre aussi des mesures, a-t-il insisté.
Face à cette situation humanitaire catastrophique, Mme Amos a souligné que les parties au conflit, y compris le Gouvernement syrien qui a une responsabilité spéciale en tant que État Membre de l’ONU, ne peuvent agir dans l’impunité. En ce qui concerne les entraves à l’accès aux populations, les auteurs doivent pouvoir répondre des conséquences de leurs actes, a-t-elle estimé, en invitant ainsi les membres du Conseil de sécurité à envisager des mesures en cas de violation de la résolution 2139 (2014). De même, elle a souhaité que les parties au conflit soient tenues responsables d’attaques contre des sites hospitaliers ou celles visant le personnel médical.
Le représentant syrien a déclaré que son gouvernement est pleinement conscient de la nécessité de fournir l’assistance humanitaire. Toutefois, il a souligné que les paroles doivent être suivies d’actes sérieux et responsables et que tout cela doit être discuté de façon globale.
La première étape est d’établir les véritables causes de la crise humanitaire, notamment le terrorisme, a-t-il souligné. Des tentatives, notamment de certains États Membres, de dissocier la situation humanitaire du terrorisme, visent surtout, a-t-il dit, à les exonérer de leurs responsabilités. Le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie ont dépensé des milliards de dollars pour financer le terrorisme, ce qui, selon lui, est l’« apogée de l’hypocrisie ». En outre, il a déclaré que le coût du personnel international et des salaires élevés dont il bénéficie se fait généralement au détriment de ceux qui devraient recevoir l’aide, appelant ainsi à une enquête sur la question.
La Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires a aussi fait part de ses craintes de voir le nombre de personnes vivant dans des zones difficiles d’accès, évalué à 4,8 millions, augmenter avec l’intensification des violences. Elle a déploré le fait que l’accès aux populations dans le besoin soit de plus en plus difficile à cause de l’insécurité, tout en notant que les parties au conflit entravent délibérément la délivrance de l’aide. Elle a ainsi indiqué que dans les régions sous contrôle de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), certains bureaux humanitaires ont dû fermer, obligeant ainsi le Programme alimentaire mondiale à stopper la distribution de vivres aux quelque 700 000 habitants des régions d’Alep, de Hasakeh, de Deir ez-Zor et de Raqqa.
L’espérance de vie en Syrie a baissé de 20 ans depuis le début du conflit, a fait observer Mme Amos, en ajoutant que le taux de chômage y est de 58%, une augmentation de 10 points en comparaison aux chiffres de 2010. Près des deux tiers des Syriens, a-t-elle précisé, vivent aujourd’hui dans l’extrême pauvreté.
Elle a par ailleurs souligné que « l’incapacité du Conseil de sécurité, et des pays ayant une influence sur les parties en Syrie, de pouvoir s’entendre sur les termes d’une solution politique en Syrie, voudrait dire que les conséquences humanitaires de la crise seront toujours plus difficiles pour les Syriens ». Les civils continuent de supporter le poids de ce conflit, a-t-elle dit, en citant les bombardements aériens aveugles, y compris l’utilisation de barils d’explosifs, les voitures piégées, les attaques au mortier, les tirs de roquettes et l’utilisation d’autres explosifs dans des zones densément peuplées.
Les combats s’intensifient à travers le pays et la violence qui augmente dans la ville d’Idlib ces derniers jours est particulièrement inquiétante et pourrait conduire à davantage de déplacements forcés de centaines de milliers de populations, a-t-elle prévenu. « Je suis très préoccupée par la situation des civils qui risquent d’être pris au piège dans la ville si les combats s’intensifient », a déclaré Mme Amos, ajoutant que les populations devraient bénéficier d’un passage sûr si la situation l’exigeait.
Les enfants sont les plus affectés par le conflit, a-t-elle fait remarquer, en précisant que près de 5,6 millions d’entre eux qui sont dans le besoin et plus de 2 millions de ces enfants ne vont pas à l’école. Elle a déploré le fait que les services de base soient délibérément attaqués, en citant par exemple le cas de 450 000 personnes de la ville de Dar’a qui ont été privées d’eau pendant deux semaines en février. Elle a aussi relevé que des observations satellitaires menées par des ONG ont permis de montrer que la fourniture d’électricité avait baissé de 83% dans le pays au cours de ces quatre dernières années, avec une situation encore plus grave dans la région d’Alep.
Le Gouvernement syrien continue de faire usage d’obstacles administratifs qui entravent la fourniture de l’aide, a regretté Mme Amos, en ajoutant que les autorités avaient insisté afin que les Nations Unies partagent les listes de bénéficiaires de l’aide. Elle a aussi évoqué des cas où les forces armées gouvernementales ont pris des matériels sanitaires des stocks onusiens.
Mme Amos a assuré que l’ONU et ses partenaires continuaient de faire tout leur possible pour fournir une aide aux personnes dans le besoin. « La conférence des donateurs du 31 mars au Koweït, a-t-elle espéré, est une occasion de rassembler une partie des ressources nécessaires pour maintenir notre travail salvateur. » Elle a conclu en invitant la communauté internationale à faire preuve de plus de détermination afin de trouver une solution politique très attendue au conflit syrien.
Le délégué syrien, attirant l’attention sur ce qu’il qualifie de lacunes ou erreurs dans le rapport du Secrétaire général, a mis l’accent, à son tour, sur l’indispensable appui à une solution politique par le biais d’un dialogue mené par les Syriens. « Il ne s’agit pas seulement de 440 000 Syriens assiégés dans le pays, comme l’indique Mme Amos dans son exposé, mais de 23 millions, soit la totalité de la population syrienne », a tenu à préciser M. Ja’afari.
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT
Rapport du Secrétaire général sur l’application des résolutions 2139 (2014), 2165 (2014) et 2191 (2014) du Conseil de sécurité (S/2015/206)
Dans ce rapport, établi pour la période allant du 1er décembre 2014 au 28 février 2015, le Secrétaire général rend compte de l’évolution de la situation en Syrie. Il note que l’utilisation d’engins explosifs improvisés et de véhicules piégés s’est poursuivie. La conduite des hostilités par l’ensemble des belligérants reste caractérisée par un mépris généralisé du droit international humanitaire et des règles relatives à la protection des civils, précise-t-il.
Le Secrétaire général indique en outre qu’une étude d’images satellites réalisée par le Programme pour les applications satellites opérationnelles (UNOSAT) de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR), diffusée en décembre 2014, montre les destructions subies par des sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial ainsi que sur la liste indicative du patrimoine mondial, notamment que 24 sites ont été détruits, 99 gravement endommagés et 143 légèrement endommagés ou peut-être endommagés.
Le rapport rappelle qu’environ 12,2 millions de Syriens ont besoin d’une assistance humanitaire dans le pays, et que près de 7,6 millions sont déplacés à l’intérieur du pays, tandis que plus de 3,9 millions ont fui dans les pays voisins et en Afrique du Nord.
En dépit d’importantes livraisons aux personnes dans le besoin, indique le rapport, le libre accès et l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire restent extrêmement difficiles et devient, dans certains cas, de plus en plus problématique en raison de la violence et de l’insécurité, du déplacement des lignes de front, de l’ingérence délibérée des parties au conflit, y compris le blocage des opérations par l’EIIL, et les procédures administratives qui nuisent à l’efficacité de la fourniture de l’aide, souligne le rapport.
Le Secrétaire général précise que sur les 4,8 millions de personnes se trouvant dans des zones difficiles d’accès, près de 212 000 continuent d’être assiégées en Syrie, dont 185 500 par les forces gouvernementales dans la Ghouta orientale, à Daraya et à Yarmouk, et 26 500 par des groupes armés non étatiques à Noubl et à Zahra. Au cours de la période considérée, les parties ont continué de limiter l’accès aux zones assiégées et à d’autres régions du pays.
Trente-cinq membres du personnel des Nations Unies, dont 31 de l’UNRWA, sont toujours détenus ou portés disparus, précise le Secrétaire général, en ajoutant que le nombre total des agents humanitaires tués depuis mars 2011 s’élève à 72, à savoir 17 membres du personnel des Nations Unies, 42 membres du personnel et volontaires du Croissant-Rouge arabe syrien, 7 volontaires et membres du personnel palestiniens de la Société du Croissant-Rouge, et 6 membres du personnel d’organisations non gouvernementales internationales. Trois de ces 72 agents humanitaires ont été tués depuis le 1er décembre.
Le Secrétaire général indique par ailleurs que le peuple syrien se sent de plus en plus abandonné par le monde alors que le conflit qui déchire le pays entre dans sa cinquième année. Aujourd’hui, plus de 220 000 syriens ont été tués et près de la moitié des hommes, des femmes et des enfants ont été contraints de fuir leurs foyers.
En dépit des appels lancés par le Conseil de sécurité pour mettre fin au conflit, les événements et les attentats qui devraient choquer la conscience collective et nous inciter à agir sont devenus monnaie courante, souvent sans faire l’objet du moindre commentaire et sans que l’on n’y prête attention. Des engins explosifs continuent d’être employés dans des zones peuplées, faisant de nombreux morts et blessés parmi la population. Les destructions et les dégâts causés aux habitations et aux infrastructures civiles essentielles dont dépendent les Syriens, sont également très préoccupants.
« Nous devons trouver des moyens de désamorcer le conflit et de mettre fin à la violence, plaide le Secrétaire général ». Une solution politique doit être trouvée, ajoute-t-il, en appelant encore une fois toutes les parties au conflit et la communauté internationale à prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin. En République arabe syrienne, précise-t-il, le fait que les auteurs de violations n’aient pas à rendre compte a entraîné une hausse du nombre d’allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et autres violations des droits de l’homme. C’est pourquoi, nous avons pour obligation envers le peuple syrien d’aider à garantir que les crimes graves commis au cours des quatre dernières années, ne restent pas impunis, conclut le Secrétaire général.