Soudan du Sud: le Chef des opérations de maintien de la paix prie le Conseil de sécurité de demander aux parties de cesser immédiatement les combats
Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, M. Hervé Ladsous, a exhorté le Conseil de sécurité, cet après-midi, à publier une déclaration présidentielle pour demander aux parties au Soudan du Sud de cesser immédiatement toutes les opérations militaires et de faire les compromis nécessaires pour parvenir à un accord de paix global.
Présentant au Conseil le nouveau rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud*, publié le 17 février dernier, M. Ladsous a jugé la situation sécuritaire dans ce pays « très inquiétante ». Il a fait le point sur les derniers développements opérationnels survenus depuis lors.
Le Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme de l’ONU, M. Ivan Šimonović, qui s’est rendu sur le terrain il y a deux semaines, a également informé le Conseil des violations du droit humanitaire et des droits de l’homme commises par les deux parties.
De nombreuses violations de l’Accord de cessation des hostilités signé le 23 janvier 2014 sont rapportées et confirmées, a dit M. Ladsous, ainsi que de nombreux affrontements entre le Gouvernement et les forces d’opposition dans les États de l’Unité et du Haut-Nil.
« Les affrontements dans ces États indiquent clairement que les gisements pétroliers qui y sont localisés restent des cibles privilégiées pour les forces de l’opposition armée », a souligné le Secrétaire général adjoint.
De plus, les deux camps continuent à mobiliser et engager de nouvelles recrues en préparation à de nouveaux affrontements, « alors que l’avancée dans la saison sèche ouvre de nouveaux axes de communication et le déplacement de troupes et d’équipements ».
Le 15 février, a notamment rapporté M. Ladsous, la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) a été informée que des hommes armés, « appartenant probablement à une milice Shiluk alliée au Gouvernement », auraient recruté de force au moins 89 enfants issus de camps de déplacés du comté de Malakal, dans l’État du Haut-Nil. Des témoins oculaires ont signalé à l’UNICEF que des hommes armés ont encerclé la zone et recherchaient dans chaque maison les garçons âgés de plus de 12 ans.
De plus, « il y a de grands risques que le conflit se propage dans les mois qui viennent aux comtés de Pibor et Akobo, dans l’État du Jonglei », a averti M. Ladsous. La tension monte également dans la région de l’Équatoria, en raison de l’entrée massive de nomades Dinka lourdement armés.
D’après lui, « cet environnement volatile sur le plan de la sécurité illustre le manque continu de volonté politique des parties ». Le Gouvernement et l’opposition ne semblent pas prendre au sérieux les négociations politiques et vouloir faire les compromis nécessaires.
Il a expliqué que les pourparlers de paix d’Addis-Abeba ont achoppé sur trois points: le partage du pouvoir, les arrangements sécuritaires et les réformes constitutionnelles.
Quant aux faits survenus récemment sur le plan politique, M. Ladsous a indiqué que le 13 février, le Gouvernement a annoncé qu’il entendait reporter les élections générales de deux ans et étendre les mandats du Président et de l’Assemblée nationale jusqu’au 9 juillet 2017. Il a craint que ce calendrier ne soit « une raison de plus pour retarder la conclusion des compromis nécessaires à un accord de paix ».
Il s’est dit également préoccupé par « le rétrécissement visible de l’espace politique et des libertés ».
La situation humanitaire risque de se détériorer dans les mois qui viennent, a prévenu ensuite M. Ladsous. La MINUSS accueille aujourd’hui plus de 110 000 personnes déplacées dans huit sites de protection des civils. Ce sont 1,5 million de personnes qui sont déplacées à l’intérieur du Soudan et près de 500 000 en dehors du pays. Environ 2,5 millions de personnes font déjà face à une grave insécurité alimentaire.
La MINUSS continue de mettre en œuvre sa stratégie de protection des civils, a-t-il précisé. Elle met l’accent sur la protection physique des communautés locales menacées de violence en effectuant notamment des patrouilles aériennes à travers tout le pays.
La MINUSS cherche à établir des bases opérationnelles temporaires à Bentiu, Malakal et Bor, avec l’accord des autorités locales à cette fin. Elle a préparé des plans d’urgence avec des forces de réaction rapide si la situation devait s’aggraver. Sur les 5 500 hommes qui doivent être encore déployés, 3 468 sont arrivés et l’effectif autorisé devrait être au complet en avril prochain.
M. Ladsous a conclu qu’il fallait renforcer les efforts de médiation. De plus, a-t-il insisté en visant les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, « la responsabilité est indispensable pour la paix et la réconciliation à long terme ». À ce sujet, il a été rejoint par M. Šimonović, lequel a demandé de briser le cycle de l’impunité.
À Juba, a indiqué à son tour M. Šimonović, « j’ai rencontré des personnes dont les familles avaient été exécutées, principalement à cause de leur appartenance ethnique, ainsi que des femmes et des filles réduites à l’esclavage sexuel après la mort de leurs maris ».
En outre, des femmes lui ont dit qu’elles étaient parfois victimes de harcèlement et violées lorsqu’elles sortent des sites de protection de l’ONU dans la journée pour chercher du bois et aller au marché. Il a aussi fait part des pillages, meurtres et violences sexuelles qui se répandent à cause des conflits locaux.
Pour que la paix soit durable, il faut que le processus de paix et les futurs accords politiques incluent des représentants de tous les groupes ethniques, des femmes, des personnes âgées, des dirigeants religieux, des jeunes et d’autres acteurs de la société civile, a prévenu le Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme.
M. Šimonović a également alerté le Conseil de sécurité des effets du conflit sur la situation sociale et économique. Il s’est désolé du fait que des millions de dollars aient alimenté la corruption et les combats entre des groupes de vétérans armés, au lieu d’être utilisés au profit du développement social. Des millions ont aussi été bloqués dans les pays voisins à cause de la suspension du commerce international.
En outre, la communauté internationale a investi davantage dans les secours d’urgence au lieu du renforcement des capacités et du développement. L’analphabétisme et les taux de mortalité infantile et maternelle figurent parmi les plus élevés au monde, dans un pays pétrolier qui était autrefois riche, a-t-il signalé.
Soulignant ensuite l’importance de la reddition de comptes, M. Šimonović a salué la création, à l’initiative de l’Union africaine, d’une commission d’enquête sur les violations des droits de l’homme commises au Soudan du Sud après les violences de décembre 2013. Le Président Salva Kiir lui a aussi assuré que les résultats des enquêtes nationales sur ces violations seraient bientôt publiés, mais toutefois pas avant la mise en place d’un accord de paix.
Il s’est félicité des « termes de responsabilité » inclus dans les accords récemment signés à Arusha et à Addis-Abeba, qui prévoient la création d’une cour pénale hybride et d’un processus de justice transitionnelle. Il a cependant estimé qu’il fallait encore améliorer les systèmes de sécurité et de justice, sachant par exemple qu’il n’y a que 200 juges dans tout le pays et que 70% des agents de police sont illettrés.
M. Šimonović a également recommandé au Conseil de sécurité d’encourager les mesures de confiance entre les parties, notamment dans les domaines suivants: coopération dans la recherche de personnes disparues, aide à la réunification des familles, libération des personnes détenues à cause du conflit.
Enfin, à l’instar de M. Ladsous, il a dénoncé les restrictions imposées à la liberté d’expression et à la liberté de la presse. Récemment, la radio de l’ONU elle-même, Radio Miraya, s’est vue menacée d’être fermée, a-t-il déploré.
Après ces exposés, le représentant du Soudan du Sud, M. Francis Deng, a avoué éprouver « des sentiments mitigés ».
D’un côté, il s’est dit reconnaissant de la contribution critique de la MINUSS, mais, de l’autre, il a jugé « très troublant » le tableau que le rapport dresse de son pays, « un défi à sa dignité, à son indépendance et à sa souveraineté ».
Même si les informations concernant les violences et les violations des droits de l’homme au Soudan du Sud sont « pénibles », il a souhaité ne pas se présenter comme étant « sur la défensive ». « Que pouvons-nous faire ensemble pour faire face à cette crise nationale », a-t-il au contraire voulu demander.
Le représentant a regretté que le rapport donne « l’impression que l’ensemble du pays est en proie aux troubles », alors qu’il jouit d’une paix et d’une harmonie relatives selon lui. Il donne également « l’impression que la communauté internationale, par l’intermédiaire de la MUNUSS, gère la situation au Soudan du Sud et que le Gouvernement ne s’acquitte pas de ses responsabilité ».
M. Deng a reproché à la communauté internationale de se soucier plus des peuples du Soudan du Sud que de ses dirigeants élus.
Il a en outre regretté que le rapport « ne mentionne pas l’interdépendance entre les conflits au sein du Soudan et au Soudan du Sud. « À moins de traiter ces conflits internes, les deux pays ne connaîtront pas la paix intérieure ni la paix entre eux », a-t-il mis en garde.
En conclusion, il a demandé à l’ONU d’œuvrer en collaboration avec le Gouvernement actuel pour trouver des solutions et d’inscrire la crise dans un contexte régional.
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Rapport du Secrétaire général sur le Soudan du Sud (S/2015/118)
Le Secrétaire général, dans ce rapport, fait le point sur l’évolution de la situation au Soudan du Sud pendant la période allant du 18 novembre 2014 au 10 février 2015.
Chaque jour, constate le Secrétaire général, les combats rendent encore un peu plus insupportables les conditions de vie de la population du Soudan du Sud. Il demande de nouveau aux deux parties de cesser immédiatement les violences et de mettre pleinement en œuvre l’Accord de cessation des hostilités. Il demande également au Président Salva Kiir et à l’ancien Vice-Président Riek Machar de ne pas laisser passer une nouvelle chance d’instaurer la paix au Soudan du Sud.
Le Secrétaire général demande instamment aux parties au conflit, en particulier au Gouvernement, auquel incombe la responsabilité principale de la protection des civils, d’instaurer un climat de sécurité pour les civils et de créer des conditions propices au retour librement consenti des déplacés.
Le Secrétaire général constate que, plus d’un an après le début du conflit au Soudan du Sud, et malgré les efforts et les demandes de la communauté internationale, le Gouvernement et le Mouvement/Armée populaire de libération du Soudan dans l’opposition (M/APLS) continuent de se livrer à des combats sur le terrain et n’avancent guère vers un règlement politique de la crise.
D’après lui, l’évolution de la situation sur le terrain est de plus en plus inquiétante, les deux parties au conflit n’ayant de toute évidence pas abandonné l’option militaire. Chacune d’elles s’efforce d’asseoir et de renforcer sa position à la table des négociations, ce qui risque d’intensifier le conflit, en particulier à proximité des champs de pétrole, et de l’étendre, notamment vers le Grand Bahr el-Ghazal et les Équatorias, qui n’ont pas été directement touchés par la crise.
En outre, poursuit M. Ban, les répercussions du conflit sur l’économie affaiblissent considérablement le tissu social du Soudan du Sud. En outre, on ne peut ignorer la participation croissante des acteurs régionaux et le risque d’une propagation du conflit au-delà des frontières.
L’initiative visant à rassembler les factions belligérantes et à les amener à faire de l’instauration de la paix un objectif commun, lancée par la Chine à Khartoum le 12 janvier, s’est avérée encourageante. L’accord de réunification de l’APLS, que les trois factions ont signé à Arusha (République-Unie de Tanzanie) le 21 janvier 2015, constitue également un pas dans la bonne direction. Le Secrétaire général avait l’espoir que ces initiatives créeraient l’élan et l’espace politique nécessaires pour que les dirigeants du Soudan du Sud concluent un accord de paix lors du Sommet de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), qui devait se tenir en marge du Sommet de l’Union africaine.
Ceux-ci ont malheureusement raté une nouvelle occasion de faire la paix, regrette le Secrétaire général. Le 1er février, ils ont cependant reconnu publiquement qu’ils étaient d’accord sur certains points concernant la mise en place d’un gouvernement provisoire d’union nationale et fait part de leur volonté de régler toutes les questions en suspens, notamment le partage du pouvoir, au plus tard le 5 mars, et de lancer une phase transitoire de gouvernance d’ici au 9 juillet, ce qui laisse espérer qu’on parviendra enfin à régler le conflit.
C’est aux responsables sud soudanais qu’il appartient au premier chef de régler le conflit, rappelle M. Ban. Il demande instamment aux parties de ne ménager aucun effort et de faire les compromis nécessaires pour conclure un accord de paix qui s’attaque aux causes profondes de la crise. La communauté internationale doit également réfléchir sérieusement aux responsabilités qui sont les siennes.
Le moment est venu pour elle de parler d’une seule voix et de faire bien comprendre aux dirigeants du Soudan du Sud qu’ils ne peuvent plus laisser leurs ambitions personnelles prendre le pas sur l’avenir du pays et que ceux qui s’obstinent à compromettre l’effort de paix devront en assumer les conséquences.
Le 25 novembre dernier, le Conseil de sécurité a prorogé le mandat de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) jusqu’au 30 mai 2015. Le Secrétaire général exhorte les pays fournisseurs de contingents à envoyer rapidement les renforts et le matériel militaire dont la MINUSS a encore besoin pour s’acquitter efficacement de son mandat.
Pour instaurer durablement la paix au Soudan du Sud, il est essentiel que ceux qui ont commis des violations des droits de l’homme pendant le conflit soient amenés à répondre de leurs actes. Cependant, rares sont les mesures qui ont été prises en ce sens jusqu’à présent. Le Secrétaire général prie donc instamment le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine à examiner de toute urgence le rapport de la Commission d’enquête de l’Union africaine sur le Soudan du Sud et les recommandations qui y sont formulées.
M. Ban se dit de plus en plus troublé par les difficultés d’accès que les acteurs humanitaires et le personnel de maintien de la paix continuent de rencontrer, ainsi que par l’insécurité et la violence, notamment les actes de harcèlement, les menaces, les agressions physiques, les arrestations, les placements en détention et les enlèvements, auxquelles ils doivent faire face dans l’exercice de leurs fonctions.
Il est préoccupé, en particulier, par l’enlèvement et la disparition d’un vacataire de la MINUSS et d’un fonctionnaire d’un organisme des Nations Unies, ainsi que par le maintien en détention arbitraire de trois agents de la MINUSS recrutés sur le plan national. Il demande au Gouvernement de faire en sorte qu’ils soient immédiatement libérés et qu’il ne leur soit fait aucun mal.
En novembre et décembre, la MINUSS a vu ses activités compromises par les restrictions supplémentaires imposées par le Gouvernement sur l’importation et la circulation de matériel essentiel appartenant aux pays qui lui fournissent des contingents. Le Secrétaire général rappelle aux parties que les obstacles dressés contre les activités du personnel de la MINUSS et du personnel humanitaire empêchent la Mission de s’acquitter efficacement de son mandat et de mener à bien ses opérations vitales de protection et d’aide humanitaire.
Il lance à nouveau un appel aux deux parties pour qu’elles garantissent la liberté de mouvement du personnel de la MINUSS et des acteurs humanitaires ainsi que le libre accès de l’aide humanitaire, et suppriment toutes les restrictions qui entravent la capacité de ceux-ci à remplir leur mission.