La Troisième Commission achève ses travaux sur une division autour de la question des défenseurs des droits de l’homme
La reconnaissance du rôle des défenseurs des droits de l’homme et de la nécessité de les protéger a profondément divisé, aujourd’hui, la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, qui, au dernier jour des travaux de la soixante-dixième session, s’est prononcée sur un projet de résolution sur ce sujet.
La Commission qui, la veille, avait « pris note » du rapport annuel du Conseil des droits de l’homme, a consacré sa dernière séance au projet de résolution dont l’intitulé final tel qu’amendé est « Promotion de la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger* les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus: défenseurs des droits de l’homme ».
Elle avait devant elle pas moins de 39 projets d’amendements, la plupart étant soumis par la Chine, la République islamique d’Iran et la Sierra Leone. Ce dernier pays, qui préside le Groupe des États d’Afrique, a ensuite retiré tous les projets d’amendements au nom de tous leurs auteurs.
La Norvège, principal auteur, a signalé qu’il est réaffirmé, dans le texte, adopté uniquement dans sa version en langue anglais, l’importance de la Déclaration du 9 décembre 1998** sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.
Par ce texte, l’Assemblée générale soulignerait que « le droit qu’a chacun de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sans craindre ni risquer de représailles, est essentiel à l’édification et à la préservation de sociétés viables, ouvertes et démocratiques ».
Elle exhorterait, entre autres, les États à reconnaître le « rôle important et légitime » d’individus, de groupes et d’organes de la société, y compris les défenseurs des droits de l’homme, dans la promotion des droits de l’homme, de la démocratie et de l’état de droit, au moyen de déclarations publiques, de politiques ou de lois qui seront les éléments déterminants pour ce qui est d’assurer leur reconnaissance et leur protection.
De la même façon, l’Assemblée exhorterait les acteurs non étatiques à respecter et promouvoir les droits de l'homme et les libertés fondamentales de tous et à s’abstenir d’empêcher les défenseurs des droits de l’homme; notamment lorsqu’il s’agit de femmes, d’agir librement et en toute sécurité.
La Chine et la Fédération de Russie ont notamment fait valoir qu’il n’existait pas une définition internationalement reconnue de l’expression « défenseurs des droits de l’homme », et qu’il fallait se garder de créer des droits pour des catégories « spéciales » d’individus.
En revanche, inquiète des risques « croissants et sérieux » encourus par les défenseurs, l’Union européenne a insisté sur le fait que ces personnes, leurs familles et tous ceux qui y sont associés « perdent leur emploi, font l’objet de dénigrement, de harcèlement, de stigmatisations, de violences physiques, d’arrestations, de torture et sont même tués quotidiennement ».
De leur côté, les États-Unis ont fortement plaidé contre l’impunité et invoqué tant la Déclaration que les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme énoncés dans le cadre de la mise en œuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies.
Le Nigéria, pour sa part, n’a pas mâché ses mots, affirmant: « Une résolution qui s’efforce d’écarter les gouvernements et empiète sur les prérogatives des États ne peut pas être adoptée par consensus ». La Nouvelle-Zélande, au nom de plusieurs pays, a regretté que le consensus ait « volé en éclats ».
Lors de sa vingt-quatrième session, en septembre 2013, et dans la foulée de la résolution de l’Assemblée générale A/RES/65/281 (2011), le Conseil des droits de l’homme avait adopté, aussi à l’issue d’un vote, la résolution 24/24 sur la coopération avec l’Organisation des Nations Unies, ses représentants et ses mécanismes dans le domaine des droits de l’homme.
Il y était demandé au Secrétaire général, de désigner, au sein des structures existantes et pour l’ensemble du système, un point focal principal dont la mission sera de mobiliser toutes les parties prenantes, en particulier les États Membres, afin d’encourager la prévention des actes de représailles et d’intimidation auxquels expose cette coopération.
Dans ce contexte, à l’occasion du dialogue avec le Rapporteur spécial sur les droits des défenseurs des droits de l’homme, M. Michel Forst, au cours de la présente session de la Commission, de nombreuses délégations avaient dit leur impatience de voir ce point focal nommé.
Des délégations avaient aussi vivement critiqué l’adoption des Principes directeurs relatifs à la lutte contre l’intimidation ou les représailles « Principes directeurs de San José », adopté en juin dernier à San José, Costa Rica, lors de la vingt-septième réunion annuelle des présidents des organes conventionnels.
La Troisième Commission a en outre adopté le programme de travail provisoire pour sa soixante-douzième session, au titre de la revitalisation des travaux de l’Assemblée générale, à la suite de quoi, comme c’est devenu la coutume, les représentants du Royaume-Uni et de l’Égypte ont lu des poèmes résumant les travaux de la session.
DÉCISIONS SUR DES PROJETS DE RÉSOLUTION
Promotion et protection des droits de l’homme
Décision sur un projet de résolution et amendements relatifs
Par un projet de résolution sur la reconnaissance du rôle des défenseurs des droits de l’homme et de la nécessité de les protéger, (A/C.3/70/L.46/Rev.1), adopté par 117 voix pour, 14 contre et 40 abstentions tel qu’oralement révisé par la Norvège, l’Assemblée générale engagerait tous les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect des droits et la sécurité des défenseurs des droits de l’homme qui exercent leurs droits à la liberté d’opinion et d’expression et à leur droit de réunion et d’association pacifiques, indispensables à la promotion et à la protection des droits de l’homme.
Présentation
Pour la Norvège, la situation des défenseurs des droits de l’homme est source de préoccupation constante et accrue, d’où l’urgence que la communauté internationale appuie clairement ces personnes. Les politiques gouvernementales et dispositions juridiques ne doivent pas entraver la jouissance des droits de l’homme. Un environnement sûr et propice aux défenseurs est la responsabilité première des États.
Le délégué norvégien a ensuite fait lecture de projets d’amendements oraux en langue anglaise figurant dans les documents A/C.3/70/69 à A/C.3/70/L.107, notamment au paragraphe 6 du préambule concernant la traduction de la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, dans toutes les langues pour la rendre plus accessible à tous. Le représentant a salué les discussions fructueuses ayant abouti à cette nouvelle mouture.
Coauteur principal, la Sierra Leone, en sa qualité de présidente du Groupe des États d’Afrique, a retiré ses projets d’amendements A/C.3/70/69 à A/C.3/70/L.107.
Déclarations générales avant le vote
La Nouvelle-Zélande, au nom également de l’Autriche, du Canada, de l’Islande, du Liechtenstein et de la Suisse, a déclaré que la contribution des défenseurs des droits de l’homme était vitale pour la paix, la sécurité et le développement durable. Vingt ans après l’adoption de la Déclaration, la situation des défenseurs est très préoccupante. Elle a regretté qu’en dépit du temps dévolu aux négociations, 39 projets d’amendements aient été soumis. « Le consensus a volé en éclats », a-t-elle insisté, tout en saluant l’inclusion de certains éléments avec une condamnation sans équivoque des actes d’intimidation et de représailles, d’arrestation ou de détention.
Le Chili a reconnu que le texte englobait des questions critiques exigeant une action urgente de l’Assemblée générale. Il a insisté sur le devoir des États de créer un environnement propice au travail des défenseurs des droits de l’homme. Il a dénoncé les représailles, surtout à l’encontre des défenseurs les plus vulnérables comme les femmes et les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). L’indifférence des médias parfois est tout aussi condamnable, a-t-il estimé, saluant l’inclusion dans le texte d’une mention de la nécessité pour les États d’éliminer tous les obstacles juridiques au travail et à la protection des défenseurs.
La Norvège a défendu le droit de chacun de ne subir aucune forme d’intimidation et de représailles. Il ne s’agit pas de créer de nouveaux droits ou privilèges pour les défenseurs des droits de l’homme qui, vu les pressions et risques dont ils sont l’objet, doivent être protégés. Elle a prévenu qu’une abstention lors du vote serait considérée comme un non-appui aux défenseurs.
En tant que coauteur, le Guatemala a aussi mis en exergue les risques spécifiques et élevés encourus par les défenseurs et a encouragé tous les États Membres à voter en faveur du texte pour envoyer un message clair selon lequel des personnes peuvent exercer leurs activités sans être intimidées ni réprimées.
La Chine a rappelé son attachement à la protection des droits de l’homme. Elle a cependant noté que l’expression « défenseurs des droits de l’homme » n’était pas définie dans le contexte intergouvernemental. Certains pays cherchent à avoir une définition à part pour ces personnes.
Œuvrer pour la paix sociale est du principal ressort des États, a encore affirmé le représentant. Le délégué a fustigé le fait que « certains pays occidentaux » aient fait la chasse à leurs ressortissants défenseurs des droits de l’homme, à tel point que ceux-ci ont été forcés de demander l’asile dans d’autres pays. Or, ces mêmes pays occidentaux, a-t-il poursuivi, se servent du prétexte des « défenseurs des droits de l’homme » pour s’immiscer dans les affaires internes de nations en développement et perturber leur stabilité sociale.
Il s’est enfin déclaré préoccupé par le risque à voir l’adoption d’un tel projet de résolution, dans sa mouture actuelle, accentuer l’approche du deux poids, deux mesures, ce qui fait que la Chine n’a d’autre choix que de voter contre.
La Fédération de Russie, qui s’est opposée au texte, a regretté que les amendements proposés avec pour objectif de rendre le texte « plus pondéré et équilibré » n’aient pas été pris en compte par les auteurs. Elle a jugé inacceptable le manque de transparence dans les discussions. Le travail sur le texte a été compliqué par le fait que, dans le droit international, il n’existe pas de catégorie appelée « défenseurs des droits de l’homme ». Les auteurs créent des divisions dans la société avec des catégories « qui soit disant nécessiteraient une protection supplémentaire », affaiblissant par là-même le système international des droits de l’homme.
Pour le Nigéria, « les gouvernements doivent être considérés comme la première ligne de défense des droits de l’homme ». Il faut faire attention à ne pas créer de situation artificielle entre la société civile et les gouvernements. À ses yeux, cette résolution n’est pas nécessaire. « Une résolution qui s’efforce d’écarter les gouvernements et empiète sur les prérogatives des États ne peut pas être adoptée par consensus ».
Explications de vote après le vote
L’Inde s’est félicitée de l’adoption du texte. Toutefois, d’après elle, il n’est pas nécessaire de créer un régime national législatif supplémentaire pour protéger les défenseurs des droits de l’homme.
Le Soudan, appréciant les efforts déployés avec les amendements pour rendre le texte plus équilibré, a été obligé de voter contre le projet.
Le Viet Nam, préoccupé par l’inclusion d’un certain nombre de concepts peu clairs qui peuvent être mal interprétés, s’est abstenu.
Déclarations à l’issue du vote
L’Union européenne, par la voix du Luxembourg, a déclaré que ses États membres attachaient une haute priorité à la question des défenseurs des droits de l’homme et a regretté que, partout dans le monde, ces personnes se heurtent à des risques sérieux et croissants. Les défenseurs des droits de l’homme, leurs familles et tous ceux qui y sont associés perdent leur emploi, font l’objet de dénigrement, de harcèlement, de stigmatisations, de violences physiques, d’arrestations, de torture et sont même tués quotidiennement.
« Nous ne cherchons pas des droits supplémentaires ou spéciaux pour les défenseurs des droits de l’homme, mais les défenseurs ne doivent pas être astreints à des responsabilités plus que les autres citoyens. »
Il est de la responsabilité première des États de protéger tous les droits de l’homme et libertés fondamentales, a dit la déléguée. Il est ainsi clairement de l’obligation des États, au regard du droit international relatif aux droits de l’homme, de protéger les défenseurs des droits de l’homme des violations et des abus.
La déléguée a exhorté tous les États à créer et maintenir, dans la législation et en pratique, un climat sûr et ouvert aux défenseurs. Elle a déploré le fait que certaines législations nationales soient incompatibles avec le droit international relatif aux droits de l’homme. « Cela est inacceptable », a-t-elle affirmé, ajoutant qu’il faut que les défenseurs des droits de l’homme puissent agir librement, avoir accès aux financements et aux ressources afin de mener à bien « leur tâche importante et légitime ».
Les États-Unis ont soutenu les défenseurs des droits de l’homme à travers le monde et ont loué leur courage, car souvent, ils mettent leur vie en péril, ainsi que celle des membres de leur famille. La représentante a fortement appuyé le combat contre l’impunité et considéré que l’ONU devait agir dans ce contexte. S’agissant de la définition des défenseurs des droits de l’homme, elle a invoqué le paragraphe 21 du dispositif du projet de résolution et l’article 17 de la Déclaration.
Décision orale
Au terme de l’examen de toutes les questions relatives à la promotion et la protection des droits de l’homme, par une décision orale, la Commission a pris note de tous les documents soumis au titre de ce point, notamment les rapports des titulaires de mandats du Conseil des droits de l’homme et des organes conventionnels.