Assemblée générale: le Tribunal pénal international pour le Rwanda présente son tout dernier rapport avant la fermeture de ses portes à la fin de l’année
C’est non sans émotion que le Président du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), M. Vagn Joensen, a présenté aujourd’hui à l’Assemblée générale le tout dernier rapport annuel de son instance qui doit achever ses travaux à la fin de décembre et « passer le flambeau » au « Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles des deux Tribunaux ». Les rapports du Mécanisme et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) ont été présentés par leur Président, M. Theodor Meron. Les représentants de la Croatie, du Rwanda et de la Serbie ont apporté leurs commentaires.
Au 1er janvier 2016, le TPIR sera dans sa phase de liquidation et aura totalement terminé toutes ses activités, a annoncé son Président, M. Vagn Joensen. Les chambres d’appel ont terminé leur travail sauf dans l’affaire de « Butare » et le bureau du Procureur a transféré au Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles des deux Tribunaux les documents nécessaires à la recherche des trois derniers fugitifs.
Depuis sa création, le Tribunal a jugé 93 accusés et 2 décennies plus tard, s’est dit convaincu le juge Joensen, il a permis de restaurer la confiance entre le peuple rwandais et l’ONU et a aidé le pays à se remettre sur pied. Mais, a prévenu le Président, il y a encore beaucoup à faire pour atteindre notre objectif de mettre fin à l’impunité.
Les juridictions internationales dont le TPIR, le TPIY et la Cour pénale internationale (CPI) n’ont cessé d’être critiquées, a reconnu le Président du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie et du Mécanisme international. Certaines de ces critiques, a estimé M. Theodor Meron, peuvent s’expliquer comme la conséquence inévitable du fait que ces Tribunaux ont été appelés à juger des affaires d’une ampleur « extraordinaire » sans se soucier de savoir si les sentences auront une incidence sur tel ou tel projet politique ou seront acceptées par l’opinion publique.
Certaines critiques, comme celles contre la lenteur des procédures judiciaires et le coût important des procès, peuvent parfois se justifier. Mais, a-t-il dit, nous ne devons pas pour autant oublier comment les pionniers de l’ère des Tribunaux pénaux internationaux modernes ont, malgré toutes les faiblesses qu’on leur reconnaît, transformé notre compréhension des crimes graves et nos réponses. Grâce au corpus considérable de jugements et de décisions qu’ils ont produit sur des questions de fond et de procédure, les Tribunaux ont joué un rôle de premier plan en faisant connaître et appliquer plus largement le droit international coutumier.
M. Theodor Meron a annoncé que son Tribunal terminera ses activités dans deux ans et que le transfert des fonctions au Mécanisme sera terminé dans les temps, en 2017. Il a d’ailleurs indiqué qu’il a présidé le premier procès en appel tenu devant le Mécanisme international, dans l’affaire Augustin Ngirabatwe c. Le Procureur. Le Mécanisme, a-t-il souligné, se concentre sur trois autres défis qu’il devra relever au cours de l’année à venir: la construction de ses nouveaux locaux à Arusha, l’arrestation des trois derniers fugitifs du TPIR et la réinstallation des personnes qui ont été acquittées ou libérées par le TPIR mais qui n’ont pas pu retourner dans leur pays ou craignent d’y retourner.
Toutes les délégations ont appelé à la coopération des États pour apporter une solution à ces problèmes. Le représentant de la Serbie en a soulevé un autre, celui de l’exécution des peines. Il a rappelé que son pays demande en vain depuis 2009 à signer un accord avec le TPIY pour s’ajouter à la liste des pays où les peines peuvent être purgées. Le représentant s’est en effet dit inquiet du sort des Serbes détenus à des milliers de kilomètres de chez eux, « doublement isolés, et de la société et des autres prisonniers ». En règle générale, il s’est déclaré « mécontent » de la manière dont est poursuivi l’objectif de la lutte contre l’impunité pour les crimes de guerre commis en 1994 dans sa région. Il a dénoncé la condamnation presque automatique des Serbes, reprochant à la Croatie de nier la compétence des organes judiciaires serbes pour les crimes de guerre commis dans le territoire d’un autre pays. « N’est-ce pas là une tentative d’assurer l’impunité à ses citoyens? »
La compétence de la Serbie n’est ni universelle, puisqu’elle ne s’applique qu’à un nombre limité d’États voisins, ni conforme au principe de subsidiarité puisqu’elle ignore les principes mêmes de l’application de la compétence universelle, a taclé le représentant de la Croatie qui a aussi rejeté les plaintes de son homologue serbe sur le sort réservé à Vojislav Šešelj, leader de l’opposition qui, attendant son jugement depuis 12 ans, a passé 11 ans et 8 mois en prison, avant de bénéficier d’une liberté provisoire pour des raisons de santé. Mais de retour à Belgrade, a dénoncé le représentant croate, l’ancien détenu a repris ses « discours incendiaires » et ses « provocations scandaleuses », n’hésitant pas à apparaître dans une émission de téléréalité. « Cela défie l’entendement juridique et moral » et « c’est purement et simplement inacceptable et insultant », s’est emporté le délégué de la Croatie.
Son homologue du Rwanda a aussi exprimé sa profonde déception après que la justice française a prononcé un non-lieu dans l’affaire du prêtre Wenceslas Munyieshyaka, l’une des deux affaires transmises par le TPIR à la France. Une nouvelle fois, il a demandé que les archives du Tribunal transférées actuellement au Mécanisme international, viennent au Rwanda et y demeurent car elles font « partie intégrante » de l’histoire du pays. S’agissant du Mécanisme, il a déclaré: « nous regrettons que neuf fugitifs dont Félicien Kabuga soient toujours en fuite et réitérons nos appels aux États Membres de l’ONU, notamment à ceux de notre région, pour qu’ils arrêtent tous ces génocidaires ».
RAPPORTS DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA (A/70/218), DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE (A/70/226) ET DU MÉCANISME INTERNATIONAL APPELÉ À EXERCER LES FONCTIONS RÉSIDUELLES DES DEUX TRIBUNAUX (A/70/225)
Déclarations
Le juge VAGN JOENSEN, Président du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a présenté le vingtième et dernier rapport annuel du TPIR puisque le Tribunal doit achever ses travaux à la fin de ce mois de décembre et « passer le flambeau » au Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, a-t-il rappelé.
Le rapport couvre la période courant du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015, durant laquelle les Chambres d’appel ont été en mesure de terminer leur travail sauf dans un cas, l’affaire dite de « Butare », qui devrait être jugée au mois de décembre. Le Tribunal sera donc en mesure de fermer formellement ses portes le 31 décembre 2015, a-t-il souligné. Il n’aura plus qu’une petite équipe pour finaliser les choses dans le courant du premier trimestre 2016. Le juge a fait état de « progrès significatifs » dans le transfert des responsabilités du TPIR au Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI).
Depuis sa création, le Tribunal a jugé 93 accusés et, depuis janvier 2013, tout se passe dans les Chambres d’appel. Pendant cette dernière période, ces dernières ont rendu trois jugements concernant quatre personnes dans les affaires Karemera & Ngirumpatse; Nizeyimana et Nzabonimana. Un total de 55 affaires a terminé en appel.
L’affaire Butare a généré davantage de motions que prévu avec six recours de la défense et un du Procureur qui ont été réglés avant les audiences. Depuis le mois d’avril, les Chambres d’appel ont tenu des délibérations « intenses » et les jugements seront rendus avant le 31 décembre, a assuré le Président.
Quatre affaires ont été transférées aux juridictions nationales, deux au Rwanda et deux en France, et il reviendra au Mécanisme de surveiller l’avancée des travaux et de leur apporter son aide.
Le juge Joensen a rendu hommage au personnel qui a su parfois « sacrifier des projets de carrière plus lucratifs » pour se consacrer au TPIR et appelé le système des Nations Unies et les États Membres à examiner les candidatures qu’ils pourront déposer.
Malgré les défis en matière de recrutement, a-t-il poursuivi, le TPIR a fait des progrès substantiels d’archivage pour faire en sorte que les archives du Tribunal soient facilement accessibles à la postérité. Au 1er octobre, le Mécanisme a reçu 75% des archives du TPIR et les autres seront transférés avant l’achèvement des travaux au premier trimestre 2016. Le Tribunal a également travaillé au compte-rendu audiovisuel des travaux « pour que les événements du Rwanda ne soient jamais oubliés » et puissent servir à la création éventuelle de tribunaux futurs et renforcer les tribunaux nationaux. « Les archives des deux dernières décennies fournissent un compte-rendu du génocide et racontent l’histoire du tribunal », a-t-il insisté.
S’agissant du bureau du Procureur, il s’est concentré sur les derniers recours et a fourni son aide dans d’autres procès. Le bureau a également assuré le transfert au Mécanisme des documents nécessaires à la recherche des trois derniers fugitifs et entrepris d’écrire un manuel des bonnes pratiques et de tirer les enseignements du TPIR.
Le juge a de nouveau attiré l’attention des États Membres sur la nécessité d’aider à relocaliser les personnes condamnées qui ont purgé leur peine et se trouvent parfois depuis 10 ans à Arusha. Hormis la Belgique, dans le cas d’une famille réunie en septembre dernier, « malheureusement » aucune solution n’a pu être trouvée pour les autres, a-t-il déploré. Le Tribunal va continuer « jusqu’à la fin » d’aider le Mécanisme sur ce point mais réitère ses appels à l’aide.
En novembre 1994, a-t-il souligné, le Conseil de sécurité a chargé le TPIR d’apporter la paix et la réconciliation dans la région des Grands Lacs après le génocide et les atrocités commises au Rwanda. Deux décennies plus tard, le juge Joensen se dit « convaincu » que ce Tribunal a permis de restaurer la confiance entre le peuple rwandais et l’ONU et a contribué au pays à se remettre sur pied.
Mais pour veiller à ce que l’action du Tribunal ne soit pas oubliée et que ce combat contre l’impunité se poursuive, le TPIR a mis en ligne un film retraçant ses travaux qui a déjà reçu 125 000 visiteurs. Les poursuites judiciaires seules ne peuvent maintenir la paix, mais pour que les communautés touchées comprennent elles aussi les enseignements tirés de cette lutte contre l’impunité, le TPIR continuera de mettre en œuvre des programmes d’information et d’éducation comme le Centre d’information Umusanza créé à Kigali et dans 10 provinces du Rwanda.
Le Tribunal continuera aussi de partager ses bonnes pratiques au Rwanda et dans toute l’Afrique et a déjà publié un manuel sur la traque et l’arrestation des fugitifs ainsi qu’un guide intitulé « Poursuivre les atrocités de masse », une compilation des enseignements tirés et des bonnes pratiques.
Au 1er janvier 2016, a conclu le juge, le Tribunal sera dans sa phase de liquidation et aura pleinement conduit ses activités résiduelles. Le juge a appelé la communauté internationale à lui fournir tout l’appui nécessaire pour ce faire et a exprimé sa « reconnaissance » aux gouvernements qui ont appuyé l’action du TPIR. « Mais il y a encore beaucoup à faire pour atteindre notre objectif de mettre fin à l’impunité », a-t-il estimé.
Le juge THEODOR MERON, Président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et du Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, a indiqué qu’il a présidé le premier procès en appel tenu devant le Mécanisme, dans l’affaire Augustin Ngirabatwe c. Le Procureur. L’arrêt a été rendu sans retard malgré la complexité de l’affaire, un calendrier ambitieux et le fait que tous les juges travaillaient à sa rédaction sans percevoir de rémunération supplémentaire et en continuant d’assumer leurs responsabilités judiciaires au TPIR ou au TPIY. Le Président a indiqué compte tenu de l’expérience acquise dans cette affaire et dans d’autres travaux judiciaires complexes dont le Mécanisme est déjà chargé, il sera possible de réitérer ce succès dans d’autres procès en première instance et en appel, en réduisant considérablement les coûts et en raccourcissant la durée des procès à des procédures plus efficaces.
Rappelant, à son tour, que le Mécanisme aura repris d’ici à la fin de l’année toutes les fonctions du TPIR, le juge s’est aussi réjoui des progrès dans le transfert des fonctions du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, un processus qui sera terminé au moment de la fermeture de l’instance en 2017.
Le Mécanisme se concentre sur trois autres défis qu’il devra relever au cours de l’année à venir et le premier défi concerne la construction de ses nouveaux locaux à Arusha. Le deuxième défi concerne l’arrestation des derniers fugitifs du TPIR. Le TPIY a créé un précédent important en traduisant en justice toutes les personnes qu’il a mises en accusation et il faut qu’il en soit de même pour le TPIR. Le troisième défi touche à la réinstallation des personnes qui ont été acquittées ou libérées par le TPIR mais qui n’ont pas pu retourner dans leur pays ou craignent d’y retourner. Un plan stratégique a été adopté pour orienter les mesures et réduire les coûts. La réinstallation est un défi majeur pour la justice internationale, a insisté le Président en réclamant l’implication des États.
M. Meron a aussi indiqué que le Mécanisme travaille aux meilleures pratiques dans un grand nombre de domaines dont un code judiciaire énonçant les obligations éthiques et les normes rigoureuses auxquelles sont tenus les juges. Il a également annoncé l’obtention d’un financement externe qui permettra d’offrir une formation et un appui aux étudiants en droit et aux juges tanzaniens.
S’agissant du TPIY, le Président a déclaré que le Tribunal ne cesse de faire d’importants progrès dans l’achèvement des derniers procès en première instance et en appel. Cette année, deux arrêts majeurs ont été déjà rendus: l’un dans l’affaire Le Procureur c. Popovic et consorts, concernant six appelant, et l’autre dans l’affaire complexe, Le Procureur c. Tolimir. Un arrêt, dans l’affaire Le Procureur c. Stanisic et Simatovic, devrait également être rendu avant la fin de l’année. Seuls quatre procès en première instance et deux en appel seront en cours au début de l’année 2016: deux en première instance s’achèveront au premier semestre, un autre procès en première instance et un en appel seront terminés dans le courant de l’année 2016 et les deux dernières affaires seront closes avant la fin de l’année 2017. Il est donc prévu que le TPIY termine ses activités plus ou moins en l’espace de deux ans.
M. Meron a averti qu’à l’heure où le Tribunal achève ses derniers procès, les effectifs se réduisent rapidement. Le Tribunal s’est engagé à terminer ses travaux dans les plus brefs délais et aussi efficacement que possible mais il est évident que le moral des fonctionnaires est au plus bas car ils savent que leurs postes seront peut-être bientôt supprimés et qu’ils devront rechercher d’autres débouchés. La recherche légitime de la sécurité de l’emploi a déjà mené au départ de membres importants des équipes de rédaction. Ces départs, qui ont déjà causé des retards dans l’achèvement des affaires, font naître le risque très réel que la fin des travaux du Tribunal soit aussi repoussée, a averti le Président qui a annoncé avoir pris toutes les mesures possibles pour remédier à ce problème: dérogations aux règles qui peuvent faire obstacle à un recrutement optimal et au maintien en poste des fonctionnaires, et instructions au Greffier d’attribuer toutes les ressources nécessaires pour compléter les équipes et de faciliter les promotions susceptibles d’éviter le départ des fonctionnaires. Le Président a indiqué que le Greffier a accepté de satisfaire toutes les demandes de ressources adressées par les Présidents de Chambre. « Cette approche permettra de réduire considérablement le risque de retard dans la fin des procès en première instance et en appel », a-t-il rassuré.
Le Président a reconnu que les juridictions internationales dont le TPIY, le TPIR et la Cour pénale internationale (CPI) n’ont cessé d’être critiquées. Certaines de ces critiques peuvent s’expliquer comme la conséquence inévitable du fait que ces tribunaux sont appelés à juger des affaires d’une ampleur « extraordinaire » sans se soucier de savoir si les peines auront une incidence sur tel ou tel projet politique ou seront acceptées par l’opinion publique. Certaines critiques, comme celles contre la lenteur des procédures judiciaires et le coût important des procès, peuvent parfois se justifier. Mais le Mécanisme est un exemple fort et probant d’une gestion fondée sur les meilleures pratiques, sachant préserver et développer les atouts indéniables des Tribunaux pénaux internationaux actuels tout en réduisant les coûts et en augmentant l’efficacité.
Même si le Mécanisme s’efforce de rechercher d’autres solutions pour améliorer le travail et la productivité, « nous ne devons pas pour autant oublier comment les pionniers de l’ère des Tribunaux pénaux internationaux modernes ont, malgré toutes les faiblesses qu’on leur reconnaît, transformé notre compréhension des crimes graves et nos réponses ». Le TPIY et le TPIR sont des exemples à suivre car ils montrent l’engagement de la communauté internationale à mettre un terme à l’impunité et à promouvoir l’état de droit. Grâce au corpus considérable de jugements et de décisions qu’ils ont produit sur des questions de fond et de procédure, les Tribunaux ont joué un rôle de premier plan en faisant connaître et appliquer plus largement le droit international coutumier, y compris en matière de violences sexuelles, de protection applicable lors des conflits armés non internationaux et de jurisprudence relative au génocide et aux crimes contre l’humanité.
Par ailleurs, a poursuivi le Président, en traduisant en justice toutes les personnes qu’il a mises en accusation, le TPIY a porté comme jamais un coup à l’impunité et a ainsi adressé un avertissement clair à tous ceux qui espéraient échapper aux conséquences de leurs actes. En suscitant de plus vastes efforts de justice, à l’échelle tant nationale qu’internationale, les Tribunaux ont modifié à jamais la réponse de la communauté internationale aux conflits futurs, comme aux conflits passés ou présents, et ont renforcé la protection offerte aux populations les plus vulnérables dans les situations de conflit.
M. GILLES MARHIC, Union européenne, a rappelé aux États leur responsabilité de coopérer avec les Tribunaux et le Mécanisme, s’agissant en particulier de l’arrestation des fugitifs. Malgré les appels incessants, a-t-il insisté, le TPIR est toujours à la recherche de neuf accusés, notamment six dont les affaires ont été renvoyées au Rwanda. La non-arrestation de ces fugitifs est une source de grande préoccupation, a-t-il poursuivi, en se félicitant des projets initiés par le bureau du Procureur du Mécanisme avec les autorités rwandaises pour faciliter la traque et l’arrestation de ces personnes. Il a salué l’appui d’Interpol et de certains États Membres dont les États-Unis. Les États doivent aussi, a poursuivi le représentant, coopérer à la réinstallation des personnes acquittées et libérées.
S’agissant du TPIY, il a averti les États de la région que la pleine coopération avec le Tribunal demeure une condition essentielle du processus d’association et de stabilisation mais aussi de l’adhésion à l’Union européenne. D’ailleurs dans ce processus d’association, l’Union européenne ne cesse de souligner l’importance qu’il y a à ce que les pays s’approprient les procédures judiciaires relatives aux crimes de guerre, conformément à la nécessaire lutte contre l’impunité. L’appui budgétaire direct de l’Union européenne aux poursuites judiciaires, mis en place en 2013 dans certains pays des Balkans de l’ouest, complète les efforts visant à renforcer les capacités nationales dans le traitement des affaires liées au crime de guerre. En la matière, le représentant a appelé à la coopération régionale, notant que les bureaux du procureur n’ont pas vraiment adopté et mis en œuvre des approches stratégiques pour les enquêtes et la poursuite des criminels de guerre, dont la hiérarchisation des affaires les plus complexes.
S’exprimant au nom de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, M. GILES NORMAN (Canada) a réaffirmé son appui vigoureux aux Tribunaux, soulignant que depuis leur création, ils avaient enrichi la pratique du droit pénal international, donné plus d’ampleur et de profondeur à la jurisprudence pénale internationale et permis de faire reculer l’impunité. À propos du TPIY, le représentant s’est félicité qu’il n’y ait « plus de personnes en fuite », mais a regretté que « l’attrition » et « le départ de personnel chevronné » retardent les quatre derniers procès en cours. Il a appelé les États Membres à examiner « des solutions novatrices pour résoudre cette difficulté », invitant le TPIY à « poursuivre ses efforts pour s’assurer que les procédures judiciaires progressent de façon efficace ».
Abordant ensuite la question du TPIR, le représentant a souligné que neuf personnes étaient toujours en fuite. Citant l’exemple des succès du TPIY, il a rappelé l’importance de la coopération entre les États Membres et le Procureur pour mettre fin à l’impunité et déferrer ces neufs personnes à la justice internationale. Le représentant a poursuivi en réitérant son appui à la création du Mécanisme international, soulignant son rôle « essentiel pour assurer la primauté du droit et l’application concrète de la justice internationale ». En conclusion, il a salué les efforts déployés pour assurer une transition harmonieuse entre les deux Tribunaux et le Mécanisme.
Après s’être félicitée des activités des trois instances, Mme MAY-ELIN STENER (Norvège) a souligné que comme le TPIY et le TPIR, le Mécanisme international dépend de la coopération des gouvernements pour arrêter trois fugitifs sur les neuf que le TPIR recherche toujours. En tant qu’État Membre, nous avons l’obligation de coopérer sans condition et de répondre aux demandes d’assistance et aux ordres du Mécanisme. La représentante a encouragé les États à intensifier leurs efforts en la matière.
M. GABRIEL O. ZABALZA (Guatemala) a souligné que les succès des Tribunaux pénaux internationaux constituaient un succès pour toute la communauté internationale et les Nations Unies. Mais il s’est inquiété du sort des personnes libérées qui vivent toujours à Arusha dans des sites sécurisés. Le Conseil de sécurité doit aider à résoudre cette question car « c’est une question de crédibilité », a-t-il prévenu. Il a appelé les États Membres à maintenir leur appui au TPIR et surtout à lui assurer des ressources afin qu’il puisse terminer son travail dans les délais, alors que le manque de personnel a entravé ses tâches ces dernières années.
Mme CASSANDRA Q. BUTTS (États-Unis) a déclaré qu’alors que le TPIR est sur le point de fermer, il convient de s’assurer de la pérennisation de ses travaux. Pour la représentante, le Tribunal est fin prêt pour une transition sans heurt vers le Mécanisme international. La représentante s’est aussi félicitée du travail du TPIY et a estimé qu’en créant un édifice pénal de responsabilité pour les crimes de guerre, les Tribunaux ont contribué à poser les fondations du droit international de demain.
M. SAŠA OBRADOVIĆ, Représentant spécial du Gouvernement de Serbie, s’est dit, une nouvelle fois, gravement préoccupé par l’incapacité du TPIY à déterminer la date du prononcé des arrêts dans l’affaire Šešelj. Le représentant a expliqué que Vojislav Šešelj est un citoyen serbe, leader d’un parti d’opposition de droite aux ramifications nationales et régionales. Accusé de graves allégations de crimes contre l’humanité pour son rôle présumé dans les événements du début du conflit armé dans l’ex-Yougoslavie, il n’a jamais été condamné. Attendant depuis 12 ans la fin des procédures en première instance, il a passé 11 ans et 8 mois dans le centre de détention des Nations Unies. Même la Chambre de première instance s’est dite préoccupée par cette « très longue détention provisoire devenant au fil dans ans, de moins en moins compatible avec la présomption d’innocence et les garanties d’un procès équitable ». Par l’arrêt du 6 novembre 2014, rendu pour des raisons humanitaires, l’accusé a bénéficié d’une liberté provisoire et a été transféré en Serbie où il reçoit un traitement. Son affaire est un exemple de l’échec du système judiciaire international à réaliser ses ambitions les plus élevées, a tranché le représentant.
Rappelant le devoir commun de tous les pays de la région d’enquêter et de poursuivre les responsables des crimes les plus graves, y compris ceux commis à Srebrenica, Sarajevo, Vukovar, Knin, Kosovo et Methohija ou partout ailleurs dans l’ex-Yougoslavie, le représentant a exprimé son mécontentement face à la manière dont cet objectif est poursuivi. Au niveau international, a-t-il accusé, la majorité des affaires dans lesquelles les victimes étaient des groupes ou des individus serbes, les accusés ont été acquittés. En Croatie, une seule personne a été condamnée pour des crimes de guerre commis lors de l’opération militaire croate dénommée « Storm » en 1995. La Croatie continue de nier la compétence des organes judiciaires serbes pour les crimes de guerre commis dans le territoire d’un autre pays. « N’est-ce pas là une tentative d’assurer l’impunité à ses citoyens? » La même approche sélective est encore plus visible en Bosnie-Herzégovine où l’échec à poursuivre les Albanais du Kosovo pour crime de guerre a été clairement reconnu, comme en atteste la création d’un nouveau mécanisme judiciaire international.
Une autre question ouverte pour la Serbie est le statut humanitaire des Serbes condamnés par le TPIY qui purgent leurs peines dans différents pays sous des régimes différents. On voit aujourd’hui, a dit avoir constaté le représentant, que les personnes condamnées, et bien souvent les politiciens, les généraux et autres responsables, n’ont pas reçu le traitement spécial réservé à leur rang. Beaucoup d’entre eux purgent leurs peines à des milliers de kilomètres de leur pays, ne comprenant ni la langue ou ni la culture du milieu carcéral et ne recevant que peu de visites de leur famille. Ils sont donc doublement isolés de la société et des autres prisonniers. Ils protestent même souvent contre les soins qu’ils reçoivent parce qu’ils ne comprennent les protocoles du pays où ils sont et n’ont accès à aucune aide juridique. C’est la raison pour laquelle, la Serbie a demandé en 2009 à signer un accord sur l’exécution des peines avec le TPIY pour s’ajouter à la liste des pays où les peines peuvent être purgées. Mais la Serbie n’a jamais été sollicitée par les Nations Unies alors qu’elle a signé un accord similaire avec la Cour pénale internationale (CPI). L’absence de réponse à cette demande a eu un impact négatif sur le sentiment général de la société serbe à l’égard du TPIY, de son travail et de son héritage, a prévenu le représentant.
M. TUVAKO MANONGI (République-Unie de Tanzanie), dont le pays accueille depuis 20 ans le TPIR à Arusha, s’est inquiété des dernières tâches importantes à conduire avant la fermeture du Tribunal. En particulier, il a évoqué le sort des personnes libérées ou acquittées par le Tribunal « qui méritent légitimement d’être réinstallées ». Mais le fait qu’il ne reste que sept affaires en cours –quatre procès et trois appels– témoigne de la détermination du Tribunal à compléter son mandat. En tant que pays hôte, la Tanzanie salue l’héritage du Tribunal pour le droit pénal international dans la région et au-delà. Le Tribunal a enrichi la jurisprudence et la pratique du droit à travers son travail considérable qui sert aussi la recherche et l’enseignement du droit pénal et de la justice internationale dans le monde.
M. JAVIER GOROSTEGUI (Chili) a estimé que ces deux Tribunaux sont déjà considérés comme des modèles pour la lutte contre l’impunité. Il a réitéré les appels à la solidarité internationale en faveur des 11 anciens prisonniers relâchés par le TPIR et qui se trouvent toujours à Arusha, dans des maisons sécurisées mais aussi pour permettre l’arrestation des fugitifs recherchés pour crimes de guerre au Rwanda. Le représentant a aussi appelé la communauté internationale à garantir les ressources nécessaires jusqu’à la fin du travail conduit par le TPIR.
M. VLADIMIR DROBNJAK (Croatie) a indiqué que son pays attache beaucoup d’importance à ce que les procès encore en cours devant le TPIY concernant les cas Karadzić, Mladić, Šešelj et Hadzić soient menés à leur terme et a encouragé le Tribunal de « faire le maximum » en ce sens. Les deux Tribunaux internationaux ont constitué un épisode majeur pour le droit pénal international et contre l’impunité. Les voix des victimes ont pu être entendues et des normes ont été établies pour la prospérité. Les Tribunaux ont aussi permis d’ouvrir la voie à la Cour pénale internationale que la Croatie soutient.
Le représentant s’est en revanche insurgé devant la remise en liberté provisoire de Vojislav Šešelj, condamné pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité et relâché provisoirement pour des raisons humanitaires. De retour à Belgrade, a-t-il dénoncé, l’ancien détenu a repris ses « discours incendiaires » et ses « provocations scandaleuses ». Le fait que ce condamné pour crime de guerre soit apparu récemment dans une émission de téléréalité « défie l’entendement juridique et moral », s’est emporté le représentant. Je l’ai dit au Conseil de sécurité et je le redis ici: « c’est purement et simplement inacceptable et insultant ».
Un État qui se targue de la compétence universelle pour les crimes graves doit aussi, a souligné le représentant, respecter le principe de subsidiarité et l’appliquer de bonne foi. Il a donc encouragé la Serbie à introduire dans sa législation sur la compétence universelle les principes reconnus car en l’état, cette législation n’est ni universelle, puisqu’elle ne s’applique qu’à un nombre limité d’États voisins, ni conforme au principe de subsidiarité puisqu’elle ignore les principes fondamentaux de l’application de la compétence universelle. Ces défauts juridiques entravent non seulement la coopération régionale voulue mais également, au bout du compte, son objectif principal à savoir la lutte efficace contre l’impunité. Un État peut montrer son engagement à mettre fin à l’impunité de plusieurs manières et dans ce cas, en appliquant le principe de la personnalité active puisque la plupart des accusés sont des Serbes, sinon, les mécanismes d’aide mutuelle entre États suffisent largement, a tranché le représentant.
Le travail du TPIY n’est pas fini, a conclu le représentant. Certains des principaux responsables de crimes de guerre attendent l’énoncé de leur peine, a-t-il rappelé, en soulignant « un retard de justice est un déni de justice ».
Si M. MAXIM V. MUSIKHIN (Fédération de Russie) a salué les rapports présentés par les Présidents des Tribunaux et du Mécanisme, il a noté que les Tribunaux n’avaient jamais été en mesure de terminer leurs travaux dans les délais fixés par la résolution 1966 (2010) du Conseil de sécurité. Le représentant a demandé au TPIY de redoubler d’efforts pour réduire la durée de ses travaux. Prenant note du fait que certains accusés avaient des graves problèmes de santé, il a appelé le Tribunal à prendre en compte l’aspect humanitaire du problème. Il a estimé que le Conseil de sécurité devrait évaluer les progrès enregistrés par les Tribunaux et s’agissant du Mécanisme qu’il a accueilli avec un « optimisme prudent », il a espéré qu’il se montrera efficace et a souligné la nature limitée de son mandat.
M. MABONEZA SANA (Rwanda) a estimé que les deux Tribunaux avaient joué un rôle très important: le TPIR a établi que le génocide avait été commis contre les Tutsis en tant que groupe et que les crimes sexuels et viols étaient aussi des crimes de génocide commis afin de détruire l’autre groupe. Mais, a-t-il poursuivi, alors que nous attendons l’achèvement de l’affaire de Butare, qui s’est prolongée de façon « inutile », certaines personnes n’ont toujours pas été arrêtées, qui étaient pourtant celles qui avaient orchestré le génocide. « Nous regrettons que neuf fugitifs dont Félicien Kabuga soient toujours en fuite et réitérons nos appels aux États Membres de l’ONU, notamment à ceux de notre région, pour qu’ils arrêtent tous ces génocidaires. »
S’agissant du suivi des autres affaires, le représentant a regretté que le rapport du TPIR et les présentations orales ne donnent « pas assez de détails ». Il s’est dit « très préoccupé par les retards dans les enquêtes » et a exprimé sa profonde déception après que la justice française a prononcé un non-lieu dans l’affaire du prêtre Wenceslas Munyieshyaka, l’une des deux affaires transmises par le TPIR à la France. Enfin, le représentant a demandé que les archives du Tribunal soient transférées au Rwanda et y demeurent, car elles « font partie intégrante de l’histoire » du pays et sont essentielles à la préservation de la mémoire du génocide, essentielles pour éviter aux générations futures un génocide et d’autres crimes.