En cours au Siège de l'ONU

Soixante-neuvième session,
matin & après-midi
AG/11613

De nombreux États s’inquiètent devant l’Assemblée générale de la montée de l’antisémitisme dans le monde

« En luttant contre l’antisémitisme, nous faisons valoir notre humanité commune », déclare le Secrétaire général, M. Ban Ki-moon

À quelques jours du soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, l’Assemblée générale a tenu, aujourd’hui, une réunion informelle sur la montée de l’antisémitisme dans le monde au cours de laquelle plusieurs délégations ont observé, à l’instar du Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, qu’en luttant contre ce fléau, « nous faisons valoir notre humanité commune ».

« Chaque fois que l’on s’attaque à un juif pour ce qu’il est, c’est nous tous, la communauté des Nations, qui sommes attaqués dans les principes mêmes qui fondent les Nations Unies », a ainsi déclaré le Secrétaire d’État aux affaires européennes de la France, M. Harlem Désir.

Cette réunion, dont l’un des discours d’ouverture fut prononcé par l’écrivain et philosophe Bernard-Henri Lévy, faisait suite à une demande formée par 37 États Membres, dont les États-Unis, le Canada, l’Australie et l’ensemble des pays membres de l’Union européenne, en octobre 2014, soit bien avant la tragédie qui a endeuillé la France, notamment l’attaque terroriste du 9 janvier dernier, qui avait pris pour cible un supermarché casher à Paris.

Dans un message vidéo, le Secrétaire général a affirmé que l’antisémitisme était une des plus anciennes formes de préjugés qu’a connus l’humanité.  Il a rappelé que l’une des missions prioritaires des Nations Unies était de prévenir les horreurs comme celles dont ont été victimes les juifs dans le passé. 

« Nous nous devons de nous élever contre l’antisémitisme », a-t-il dit, en ajoutant que « nos efforts pour construire un monde de compréhension mutuelle sont mis à rude épreuve aujourd’hui par la montée des extrémismes et des actes de barbarie ». 

« Nous devons mettre fin au cercle vicieux de diabolisation et nous opposer à ceux qui cherchent à nous diviser », a déclaré M. Ban.  De même, a-t-il ajouté, « nous devons également éviter un autre piège impliquant le conflit du Moyen-Orient ». 

Ainsi, « les griefs concernant les actions israéliennes ne doivent jamais être utilisés comme une excuse pour attaquer les juifs », tandis que « les critiques des actions israéliennes ne devraient pas être sommairement rejetées comme étant une forme d’antisémitisme ».  De telles attitudes, a-t-il dit, contribuent à « supprimer le dialogue » et à « entraver la recherche de la paix ».

Le Président de la soixante-neuvième session de l’Assemblée générale, M. Sam Kutesa, dans un message lu par le Vice-Président, M. Alvaro Mendonça e Moura, a souligné que l’antisémitisme et d’autres formes de discrimination avaient persisté en dépit d’une série d’instruments internationaux élaborés sur l’engagement du monde à faire respecter les principes fondamentaux des droits de l’homme. 

« Les événements récents et la violence basés sur la race, l’origine ethnique ou les croyances religieuses ont démontré que toutes les parties prenantes doivent être impliquées activement dans la lutte contre les préjugés, tout en favorisant le dialogue et le respect mutuel et l’éducation. »

« Des opportunités existent pour renforcer les efforts visant à prévenir les incidents liés à la haine », a déclaré M. Kutesa, en citant la commémoration internationale des victimes de l’Holocauste, la semaine prochaine, et un débat thématique de haut niveau de l’Assemblée générale, le 6 avril, sur la promotion de la tolérance et de la réconciliation.

Ensuite, précédant une soixantaine de délégations, dont certaines conduites par des ministres, qui se sont exprimées à la tribune, le philosophe français Bernard-Henri Lévy a analysé les différentes composantes du « nouvel antisémitisme ».  Il s’explique, selon lui, par le « délire antisioniste » de ceux qui s’opposaient au rétablissement des juifs dans leur patrie historique, la négation de l’Holocauste et l’utilisation de la mémoire perçue par les juifs de leur souffrance qui étoufferait la mémoire d’autres peuples martyrs.

Le philosophe a ainsi appelé à réhabiliter Israël, rendant ainsi hommage à son caractère « d’authentique, solide et vaillante démocratie ».

« Il y a quelques mois, à Bruxelles, a-t-il rappelé, le cri « mort aux juifs ! » avait été lancé.  « En Europe et ailleurs, a-t-il ajouté, blâmer les juifs redevient un cri de ralliement d’un nouvel ordre des assassins. »  L’Organisation des Nations Unies a été mise en place pour combattre ce fléau  et « à cette Assemblée fut donnée la tâche sacrée de prévenir le réveil de ces terribles esprits », lesquels pourtant, a-t-il regretté, sont « de retour ». 

Pour l’auteur de « La Barbarie à visage humain », « il n’est pas vrai que les racines de l’antisémitisme se trouvent dans le monde arabe ».  « Dans mon pays, il y a une double source à ce phénomène dont il faut tenir compte.  Les âmes perdues de l’islamisme radical qui sont devenues l’opium le plus toxique, envahissant les territoires perdus de notre République, mais aussi ce vieux monstre qui depuis l’affaire Dreyfus et Vichy n’a dormi que d’un œil, et qui n’est pas incompatible avec le fléau du jihadisme. » 

« Dans les capitales européennes où la destruction des juifs fut presque totale, l’antisémitisme est florissant », a indiqué M. Lévy, qui a fait observer qu’il était également présent dans les pays où les juifs n’avaient jamais vécu.

« Un monde où les juifs seraient devenus des boucs émissaires de toutes les craintes des peuples serait un monde dans lequel la liberté ne pourrait pas respirer facilement et où l’esclave serait plus encore esclave », a déclaré le philosophe français, qui a conclu: « Nous devons avoir la volonté de ne rien oublier, de ne rien oublier des tourments du peuple juif ». 

Pour M. Désir, qui fut le président-fondateur de l’association antiraciste SOS Racisme, « face à ce mal qui resurgit notre responsabilité nous devons dénoncer, nous devons nommer avec la plus grande clarté, mais surtout nous devons agir avec la plus grande fermeté, partout à travers le monde lorsque ressurgit l’antisémitisme ».

Le Secrétaire d’État français des affaires européennes a réitéré à la tribune de l’Assemblée générale la phrase prononcée par le Premier Ministre français, M. Manuel Valls, à l’Assemblée nationale, au lendemain des attaques terroristes qui ont frappé Paris, dont celle contre un supermarché casher, le 9 janvier: « Sans les juifs de France, la France ne serait plus la France ». 

« Celui qui s’attaque à un juif en France parce qu’il est juif s’attaque à la France, à ses valeurs, à la République, à son intégrité », a précisé M. Désir, qui a ajouté: « Sans les juifs d’Europe, l’Europe ne serait plus l’Europe ».

« Notre responsabilité aujourd’hui, c’est que chaque pays et toute la communauté internationale se mobilise », a dit M. Désir.  « Combattre l’antisémitisme c’est combattre la haine, l’ignorance et l’impunité. »

Le Secrétaire d’État français aux affaires européennes et son homologue allemand, M. Michael Roth, se sont tous deux félicités de leur présence commune aujourd’hui, laquelle, ont-ils dit, adresse un « message fort » pour la défense de valeurs communes en ce 22 janvier qui marque également la journée d’amitié franco-allemande.

M. Roth a aussi fait observer que l’antisémitisme gagnait du terrain de façon « vociférante et agressive ».  « L’antisémitisme est une menace non seulement pour les communautés juives mais aussi pour l’ensemble de la société », a-t-il dit, en assurant que son pays luttait et lutterait toujours contre toutes les formes d’antisémitisme.  « Il est vital de mettre en œuvre une politique de tolérance zéro contre l’antisémitisme et toute discrimination contre les minorités », a déclaré le Secrétaire d’État allemand aux affaires européennes. 

Le Ministre de la sécurité publique et de la protection civile du Canada, M. Steven Blaney, a, quant à lui, expliqué qu’au cours de ces dernières années, « l’antisémitisme, qui se manifeste habituellement par diverses formes de préjugés, de discrimination, et même de violence physique contre les juifs en tant que groupe ethnique, religieux ou racial, avait « subi une mutation dans une grande partie du monde, y compris dans les pays occidentaux ». 

« Pour créer un faux vernis de légitimité, les tenants de ce nouvel antisémitisme se braquent sur Israël en tant qu’État et évacuent toute dimension d’identité religieuse ou raciale », a-t-il estimé.

La représentante des États-Unis, Mme Samantha Power, a entamé son intervention en rappelant, elle aussi, l’attaque du 9 janvier contre un supermarché casher à Paris, le jour du shabbat.  « C’est une erreur de croire qu’il s’agit d’un problème européen.  Il s’agit d’un problème mondial, a-t-elle dit.

« Il y a des communautés ou des pays entiers où il est impossible de se rendre dans une synagogue ou dans une école juive », a affirmé Mme Power, en notant que dans le Nord de l’Afrique ou au Moyen-Orient, « le déni de l’Holocauste reste monnaie courante ».  « Lorsque des juifs se voient refuser leurs droits, d’autres minorités subissent très vite le même sort. »

C’est pourquoi, la représentante des États-Unis a exhorté toutes les délégations, à leur retour dans leurs capitales, de prendre des mesures vigoureuses pour lutter contre ce fléau et non pas de se contenter de prononcer de belles paroles.

Mme Power a enfin cité l’exemple de Lassana Bathily, le jeune Malien musulman qui, à Paris, avait aidé la police au péril de sa vie à sauver les otages du supermarché casher.  « L’enseignement que l’on peut tirer de cet acte de courage est que les attaques contre des juifs sont des attaques contre nous tous. » 

Le représentant de l’Arabie saoudite, M. Abdallah Al-Mouallimi, a pour sa part souligné que l’Organisation de la coopération islamique (OCI), au nom de laquelle il s’exprimait, condamnait fermement toute discrimination, y compris fondée sur la religion ou les croyances religieuses, et tous les actes qui conduisent à la haine, comme l’antisémitisme et l’islamophobie. 

Condamnant toutes les attaques terroristes, y compris celles au Pakistan et au Nigéria, il a déclaré que l’islam ne pouvait justifier ces crimes.  « L’augmentation des crimes de haine dans le monde entier est une préoccupation et la communauté mondiale doit contrer les doctrines extrémistes qui ont alimenté ces actes », a-t-il ajouté. 

Pour lui, l’occupation et la colonisation israéliennes ont également « nourri l’antisémitisme, de même que les politiques qui protègent les puissants ».  Pour sa part, « l’Organisation de la coopération islamique se bat contre le racisme et la haine, y compris avec l’Initiative de paix arabe, qui vise à trouver un accord entre Israël et la Palestine ».

L’Ambassadeur Ron Prosor, d’Israël, a rappelé que pendant la Shoah, six millions de juifs, soit un tiers de la communauté juive dans le monde, avaient été décimés.  « Le monde avait promis ‘ Plus jamais ’, mais nous sommes à nouveau confrontés à cette tragédie. » 

« Soixante-dix ans après la fin de l’Holocauste, des juifs européens vivent à nouveau dans la peur », a-t-il dit, en relatant l’attaque du supermarché casher à Paris, ainsi que les assassinats d’un rabbin et de trois enfants devant une école juive à Toulouse, l’attentat-suicide qui a tué sept touristes israéliens dans un bus à Burgas, en Bulgarie, et la tuerie du Musée juif de Bruxelles, en Belgique.  

L’antisémitisme, a-t-il assuré, se trouve jusque « dans les couloirs de l’ONU, où un certain nombre de délégués utilisent l’Assemblée générale pour exprimer leurs sentiments antisémites ».  Il a ainsi fait observer que l’été dernier, lors du conflit à Gaza, une poignée de délégations, à cette tribune, avaient accusé Israël de se comporter comme les nazis et de créer un Holocauste ».

« La lutte contre l’antisémitisme doit être une priorité pour toutes les nations car la haine qui commence avec les juifs ne s’arrête pas avec les juifs », a poursuivi M. Prosor, pour qui « l’Histoire nous a prouvé et nous prouve encore que lorsque la nation des juifs n’est pas en sécurité, la société tout entière est menacée ».

« L’Europe est en train d’être testée », a estimé le représentant israélien.  « Si les gouvernements des pays d’Europe réussissent à défendre leurs communautés juives, ils réussiront à défendre la liberté et la démocratie. »

Le délégué de l’Union européenne, M. Thomas Mayr-Harting, a souligné qu’en novembre 2013, un sondage effectué par l’Agence européenne des droits fondamentaux portant sur huit États membres de l’Union européenne dans lesquels vivent 90% de la population juive européenne avait révélé une tendance inquiétante, une crainte grandissante face à l’antisémitisme sur Internet et de la victimisation.  Pas moins de 76% des personnes interrogées estimaient que l’antisémitisme avait progressé au cours des cinq précédentes années dans leurs pays respectifs.

L’Union européenne, a-t-il assuré, continuera de s’engager avec tous ses partenaires pour lutter contre toutes les formes de racisme et de xénophobie, y compris l’antisémitisme. 

Par ailleurs, une table ronde a eu lieu dans la salle du Conseil de Tutelle autour de M. Theodore E. Deutch, membre de Chambre des représentants des États-Unis; M. Irwin Cotler, député à la Chambre des communes du Canada; M. Wade Henderson, Président et Directeur exécutif de la Leadership Conference on Civil and Human Rights et de la Leadership Conference Education Fund G; Mme Elisa Massimino, Présidente et Directrice exécutive de Human Rights First; et de M. Robert S. Wistrich, Directeur du Centre international Vidal Sassoon pour l’étude de l’antisémitisme, de l’Université hébraïque de Jérusalem.

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