En cours au Siège de l'ONU

7337e séance – matin
CS/11696

Darfour: la Procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda, déplore l’inaction du Conseil de sécurité depuis 10 ans

Le Conseil de sécurité a entendu, ce matin, un exposé de la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) sur les activités de la Cour liées à la situation au Darfour.  Mme Fatou Bensouda, qui présentait le vingtième rapport de la CPI sur la question, conformément à la résolution 1593 (2005) du Conseil, s’est dite découragée par l’inaction du Conseil de sécurité et l’absence de coopération des États Membres de l’ONU avec la Cour.

Comme elle l’a rappelé avec gravité, les mandats délivrés par la CPI, il y a près de 10 ans, n’ont toujours pas été exécutés, si bien que cinq individus, inculpés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et l’un d’eux de crime de génocide, échappent encore à la justice internationale.  « Certains inculpés continuent de commettre des atrocités contre des civils innocents au Darfour », a même souligné Mme Bensouda.   

La situation au Darfour ne cesse de se dégrader, a-t-elle regretté, en soulignant que la brutalité des crimes commis était d’une plus grande violence et que les femmes et les enfants en étaient les principales victimes.  Mme Bensouda a mis brusquement le Conseil de sécurité face à ses responsabilités.  « Compte tenu de la passivité du Conseil de sécurité et des manques de ressources dont dispose mon Bureau pour mener à bien ses investigations, je n’ai plus d’autre choix que de mettre entre parenthèses mes activités d’enquête au Darfour.  Si le Conseil de sécurité ne propose pas une approche spécifique, la CPI n’aura plus rien de significatif à lui présenter », a-t-elle averti.

« Cela fait presque 10 ans que mon Bureau fait rapport au Conseil et jamais une recommandation stratégique ne lui a été fournie en retour.  Aucune discussion n’a été assortie de solutions concrètes pour régler la question du Darfour », a lancé avec force Mme Bensouda, en prévenant que cette impasse laissait toute latitude aux criminels pour commettre leurs méfaits en toute impunité.  Sur ce dernier point, elle s’est dite indignée par la poursuite d’exactions par les Forces d’action rapide commandées par l’ex-milicien janjaouite Mohamed Hamdan.  S’agissant des allégations de viols de masse qui auraient été perpétrés le 31 octobre dernier dans la localité de Tabit, au Nord-Darfour, la Procureure de la CPI a exhorté le Conseil à condamner fermement le comportement du Gouvernement soudanais.  « Il refuse l’accès de la mission d’enquête de la MINUAD dans cette localité et empêche ainsi la conduite d’une enquête sérieuse sur ces crimes », a-t-elle affirmé.

Pour ce qui est du sort du Président soudanais Omar Al-Bachir, qui est visé par deux mandats de la CPI, la Procureure de la CPI a rappelé que ses voyages et son statut de fugitif « de fait » étaient des questions dont le Conseil doit se saisir.  « J’appelle tous les États et ce Conseil à trouver les moyens d’empêcher que le Président du Soudan et d’autres individus visés par des mandats de la Cour ne puissent se rendre dans tel ou tel pays », a-t-elle instamment demandé.  Le Gouvernement du Soudan, en tant qu’État souverain, a la responsabilité première d’appliquer pleinement les mandats de la Cour, a tenu à rappeler la Procureure.

Les membres du Conseil ont pris note de la gravité des propos de Mme Bensouda.  Le représentant de la France, pays qui est partie au Statut de Rome de la CPI, a ainsi partagé ses préoccupations et reconnu avec elle que la situation actuelle d’impunité ne faisait qu’encourager la poursuite des exactions.

M. Tanguy Stehelin, comme son homologue du Royaume-Uni, a rappelé les solutions qui se trouvaient actuellement sur la table, à savoir la conclusion d’un accord de paix entre Khartoum et les groupes rebelles au Darfour, l’exercice de son mandat par l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD), un accès humanitaire complet aux civils et déplacés, la poursuite des auteurs de crimes graves et la limitation des contacts avec les personnes visées par un mandat d’arrêt.

Les membres du Conseil qui ne sont pas parties au Statut de Rome ont fait entendre des voix divergentes.

Les États-Unis, par exemple, ont fustigé l’absence de coopération du Gouvernement du Soudan avec le Bureau du Procureur de la CPI pour l’aider à enquêter sur les atrocités commises au Darfour et déploré les nombreuses violations « flagrantes », par Khartoum, de la résolution 1593 (2005). 

La Chine et la Fédération de Russie ont, quant à elles, souligné la nature complexe de la crise et demandé à la communauté internationale de soutenir les initiatives de paix en cours, en particulier le processus initié par le Document de Doha.  Ce dernier doit être inclusif.  Le Conseil de sécurité doit, pour sa part, faire pression pour que tous les groupes rebelles impliqués y participent, ont insisté plusieurs intervenants au cours du débat.

Les États africains ont pris la parole pour rappeler que, par le biais de l’Union africaine, ils avaient demandé, dès 2007, le report des poursuites de la CPI contre le Président Al-Bachir.  C’était pour donner toutes ses chances à la paix, a ainsi expliqué le représentant du Rwanda, M. Emmanuel Nibishaka.

Le représentant du Tchad a, de son côté, demandé à la communauté internationale de soutenir les activités de médiation du Groupe de haut niveau de l’Union africaine sur le Darfour dirigé par l’ex-Président sud-africain, M. Thabo Mbeki, et réaffirmé que « la guerre au Darfour doit être réglée dans le contexte global de la situation au Soudan et en prenant en compte la totalité des accords en vigueur ».  Concernant les allégations de viols à Tabit, M. Mahamat Zene Cherif a considéré qu’en l’absence de confirmation par des sources indépendantes et compte tenu du fait que le Gouvernement soudanais réfute toute implication, « seules des enquêtes impartiales approfondies pourraient clarifier la situation ».

Le représentant de la Fédération de Russie, M. Evgeny Zagaynov, n’a pas hésité à qualifier les informations relayées par « Radio Dabanga » au sujet des viols présumés de Tabit de « tentative visant à raviver les tensions et les hostilités dans la région ». 

Dans son rapport, la Cour pénale internationale émet la crainte que même si la MINUAD était en mesure d’investiguer sérieusement et de manière indépendante, le climat d’intimidation créé par les Forces armées nationales soudanaises et les menaces de représailles contre les témoins risquent d’empêcher que toute la lumière soit faite sur ces crimes. 

RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD

Déclarations

Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a de nouveau déploré qu’aucun des cinq individus suspectés de crimes graves commis au Darfour n’avaient encore été présentés devant la justice internationale.  Certains continuent même de perpétrer des atrocités contre des civils innocents, a-t-elle souligné. 

Mme Bensouda a confié qu’il devenait de plus en plus difficile de faire régulièrement rapport au Conseil de sécurité « pour répéter à ses membres les mêmes choses »: « la situation au Darfour continue de se dégrader, la brutalité des crimes commis est de plus en plus prononcée, les femmes et les enfants sont les principales victimes des attaques ciblant les civils innocents », s’est ainsi indignée la Procureure de la CPI.  Elle a notamment pointé du doigt les exactions commises par les Forces d’action rapide commandée par l’ex-milicien janjaouite Mohamed Hamdan. 

Déplorant l’inaction du Conseil suite aux appels répétés par son Bureau, Mme Bensouda s’est demandée combien faudrait-il de femmes violées pour que le Conseil prenne enfin la mesure de leur détresse.  « Cela fait presque 10 ans que mon Bureau fait rapport au Conseil et jamais une recommandation stratégique ne lui a été fournie en retour. »  « Aucune discussion n’a été assortie de solutions concrètes pour régler la question du Darfour », a lancé Mme Fatou Bensouda.  Pour elle, l’impasse qui prévaut depuis bientôt une décennie laisse toute latitude aux auteurs de crimes pour commettre en toute impunité leurs actes brutaux. 

La Procureure de la CPI a ensuite été claire: compte tenu de la passivité du Conseil et des manques de ressources de son Bureau pour mener à bien ses investigations, elle n’a plus d’autre choix que de mettre entre parenthèses ses activités d’enquêtes sur le Darfour.  Elle a enfoncé le clou en avertissant que si la situation devait perdurer en l’état, que « si le Conseil ne change pas d’attitude et ne propose pas une approche spécifique », la CPI n’aura plus rien de significatif à lui présenter. 

Elle a par ailleurs exhorté le Conseil de se pencher sans délai sur les récentes allégations de viols de masse dans la localité de Tabit, au Nord-Darfour.  Le Conseil doit condamner fermement le comportement du Gouvernement soudanais qui refuse l’accès à cette localité et empêche ainsi la conduite d’une enquête sérieuse sur ces crimes, a-t-elle insisté. 

Le Secrétaire général et le Conseil de sécurité, a souhaité Mme Bensouda, devraient entendre son appel pour prendre sans attendre des mesures assurant la mise en œuvre des recommandations contenues dans son rapport. 

Concernant le Président soudanais Omar Al-Bachir, contre lequel un mandat de la CPI a été délivré, la Procureure de la CPI a rappelé que la question de ses voyages et de son statut de fugitif de fait étaient autant de questions dont le Conseil doit se saisir.  « J’appelle tous les États et ce Conseil à trouver les moyens d’empêcher M. Al-Bachir et d’autres individus contre lesquels des mandats de la Cour ont été délivrés de se rendre dans tel ou tel pays. »  Le Gouvernement du Soudan, en tant qu’État souverain, a la responsabilité première d’appliquer pleinement les mandats de la Cour, a réitéré la Procureure de la Cour pénale internationale, avant de conclure.   

M. KAYODE LARO (Nigéria) s’est félicité de l’intervention rapide du Secrétaire général pour demander une enquête sur les allégations portées contre l’équipe de la MINUAD dans le cadre de la vérification des incidents signalés à Tabit.  Il a également condamné tout acte de violence qui prendrait pour cible des civils.  Alors qu’elles se comptent désormais par millions, le représentant s’est déclaré préoccupé par les difficultés qui se posent aux mouvements des personnes déplacées au Darfour.

M. MICHAEL BLISS (Australie) a déploré les crimes graves définis par le Statut de Rome qui continuent d’être commis au Darfour et s’est dit très préoccupé par les conséquences sur les populations civiles, les Casques bleus et les travailleurs humanitaires.  Il a rappelé que, le 19 novembre, le Conseil de sécurité avait exprimé sa préoccupation face aux informations faisant état du viol de centaines de femmes à Tabit les 30 et 31 octobre et qu’il avait demandé au Gouvernement soudanais d’enquêter.  Il a jugé inquiétant le fait que le Procureur général soudanais sur les crimes au Darfour reconnaisse, dans son rapport, que l’enquête conduite n’a duré que quatre heures, de même que les affirmations du même rapport selon lesquelles « aucun crime de ce type n’aurait pu être commis sans que les hommes ne puissent réagir ». 

Le représentant a demandé au Soudan de veiller à ce que ses enquêtes soient conformes aux normes internationales.  Il a également demandé au Soudan de coopérer avec la MINUAD pour permettre une enquête indépendante et approfondie, en autorisant un accès sans entrave aux lieux où ces crimes auraient été commis.  S’il est important que le Conseil continue de soutenir les efforts de réconciliation politiques au Soudan, la violence actuelle est une indication des défis à relever et donc de l’importance de tenir responsables les auteurs de ces actes.  Sans justice, il sera difficile de parvenir à une paix durable et complète au Darfour, a soutenu M. Bliss.

Cette séance d’information du Conseil pour entendre le rapporteur du Procureur de la CPI est la vingtième qui soit consacrée au Soudan, a rappelé M. Bliss.  Il a fait observer que le message du Procureur de la CPI avait toujours été le même: la CPI ne peut mettre en œuvre son mandat que lui a confié le Conseil de sécurité –si les suspects au Darfour ne sont pas arrêtés et transférés à La Haye.  L’Australie est très préoccupée par le fait que ni le Soudan, ni aucun autre État en position de le faire, n’a encore pris de mesures dignes de ce nom pour arrêter quatre personnes faisant l’objet de mandats d’arrêt de la CPI. 

Le représentant a pris note de l’intention du Bureau du Procureur de demander à la Chambre de jugement de constater une nouvelle fois le manque de coopération dans le cas du Soudan et il a rappelé que la résolution 1593 (2005) oblige tous les États Membres à coopérer avec la Cour et que le Conseil avait demandé aux organisations internationales et régionales concernées de coopérer pleinement avec lui.  Les immunités d’État ne s’appliquent pas dans les circonstances actuelles, a fait remarquer M. Bliss, qui a également rappelé les directives du Secrétaire général concernant le refus de tout contact avec des personnes soumises à un mandat d’arrêt.

Pour l’Australie, il est clair que le Conseil a échoué à protéger les victimes du Darfour.  Toutefois, a ajouté son représentant, il n’est pas trop tard pour agir.  M. Bliss a appelé les comités des sanctions à tenir compte des mandats d’arrêt de la CPI pour donner un peu plus de cohérence entre les listes de sanctions et les poursuites de la CPI.  Il a également demandé la mise en place d’un groupe d’experts juristes pour étudier les moyens de renforcer la coopération entre la CPI et le Conseil.  Le plus urgent reste toutefois de répondre aux huit lettres adressées par la CPI au Conseil concernant le manque de coopération face à la situation au Darfour.  Le fait que le Conseil ait complètement ignoré ces huit lettres donne une indication de l’engagement du Conseil à mettre fin à l’impunité face aux crimes graves commis au Darfour, a déclaré le représentant.  Concluant son intervention, il a réitéré que la lutte contre l’impunité était essentielle pour renforcer la paix et la sécurité internationales.

M. EVGENY T. ZAGAYNOV (Fédération de Russie) a reconnu que la situation militaire et politique au Darfour restait complexe.  L’intensification des violences intercommunautaires est, selon lui, à mettre sur le compte des déplacements massifs de populations.  Le représentant a au contraire salué les efforts déployés par le Gouvernement soudanais pour faciliter la réconciliation des tribus rivales et polarisées par la question de l’accès aux ressources.  Il s’est prononcé en faveur d’une participation sans retard des rebelles au processus de paix, sur la base du Document de Doha agréé par les parties.  Malheureusement, a-t-il dit, les efforts déployés pour ramener les mouvements dissidents à la table des négociations se sont pour le moment avérés infructueux. 

S’agissant des incidents signalés à Tabit, le représentant a rappelé que la MINUAD avait diligenté une enquête en plus de celle ouverte par les autorités soudanaises.  « Dans ce contexte, il est illogique d’accorder le moindre crédit à Radio Dabanga, qui a affirmé que des viols massifs avaient été perpétrés dans ce village par les forces gouvernementales », a tranché le représentant, estimant qu’il s’agissait d’une tentative de « raviver les tensions et les hostilités ». 

Pour sa délégation, la CPI doit faire preuve d’« objectivité » dans l’accomplissement de son mandat et ses activités ne doivent pas se faire au détriment des autres efforts en cours pour résoudre les problèmes avec lesquels le Darfour est aux prises.

M. MAHMOUD HMOUD (Jordanie) a réitéré son appui sans faille à la CPI et au Statut de Rome, qui représentent selon lui des outils pour mettre fin à l’impunité dans les cas de crimes graves.  Le Darfour, a-t-il rappelé, a été la première situation renvoyée par le Conseil de sécurité devant la CPI, ouvrant ainsi la voie à une « vision nouvelle de la lutte contre l’impunité ». 

Pour sa délégation, toutefois, le Conseil doit coopérer avec la Cour en vue de lui permettre d’exécuter son mandat sans toutefois empiéter sur ses prérogatives.  Aussi a-t-elle demandé la coopération de tous les États membres pour permettre à la Cour de remédier aux lacunes pointées du doigt par la Procureure dans le rapport.  M. Hmoud s’est ému des crimes contre les civils listés dans le rapport de Mme Bensouda, sans parler des attaques dont sont victimes Casques bleus et travailleurs humanitaires.  La Jordanie a ensuite réitéré la nécessité de continuer à collecter des éléments de preuve suite aux crimes commis au Darfour.

Mme HELEN MULVEIN (Royaume-Uni) a regretté que la situation au Darfour ne se soit pas améliorée, avec la recrudescence des bombardements aériens et des attaques terrestres contre des civils.  « Plus de 430 000 personnes ont été déplacées entre janvier et novembre 2014 », a-t-elle constaté.  Elle s’est dite également préoccupée par le fait que les dernières négociations n’aient toujours pas permis de déboucher sur un consensus entre les parties. 

Soulignant la nécessité pour la MINUAD d’enquêter et de faire rapport sur tous les incidents qui lui sont signalés, la représentante l’a encouragée à veiller à ce que toutes les informations soient partagées avec l’ensemble des parties prenantes.  « Il faut que toute la lumière soit faite sur les allégations de viols massifs portées contre les forces gouvernementales dans le village de Dabit », a déclaré Mme Mulvein.

Elle a en outre demandé à Khartoum d’abroger la loi sur la sécurité nationale pour s’assurer que les « forces d’appui rapide » répondent aux normes internationales des droits de l’homme.  Alors que nous approchons du dixième anniversaire de la résolution 1593 (2005), la délégation a rappelé les obligations qui incombent au Soudan en termes de coopération, ce qu’il s’est bien gardé de faire jusqu’à présent selon elle, notamment dans l’exécution des mandats d’arrêt délivrés par la Cour. 

Lorsque les États échouent à s’acquitter de telles obligations, le Conseil de sécurité doit agir, a estimé le Royaume-Uni, qui a regretté l’absence d’accord entre ses membres quant à la suite à donner à la demande de coopération réitérée par le Président de la CPI au Conseil.  Elle a donc demandé à celui-ci de se montrer uni et de commencer par répondre à cette lettre.

Mme SYLVIE LUCAS (Luxembourg) a déclaré que bien que l’année prochaine marquera le dixième anniversaire de la saisine de la Cour pénale internationale, « il n’y a pas matière à célébrer », car les mandats d’arrêt contre cinq individus inculpés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et, pour l’un d’eux, de génocide, n’ont toujours pas été exécutés.  Soulignant qu’il incombe au Gouvernement du Soudan de se conformer à la résolution 1593 (2005), elle a regretté que celui-ci « continue de s’y refuser ».  Il est inacceptable qu’il omette de prendre des mesures pour lutter de façon efficace contre l’impunité au niveau national et que le Président Omar Al-Bachir continue d’effectuer des voyages dans la région, a déclaré Mme Lucas.  Elle a cependant émis l’espoir que le Conseil « saura répondre aux communications formelles » que la Cour lui a adressées pour signaler ces cas de non-coopération.  Le suivi effectif des cas qu’il a déférés à la Cour, a-t-elle estimé, est une question de crédibilité et d’efficacité.

Au Darfour, la représentante du Luxembourg a noté que la situation sécuritaire et humanitaire s’était considérablement dégradée en 2014.  Le règlement de cette crise, a-t-elle dit, passe par une solution politique.  À cet égard, le dialogue national annoncé par le Président soudanais « présente une opportunité pour autant que les conditions propices à un dialogue inclusif soient créées », a-t-elle ajouté, avant de faire remarquer que cela n’est « guère le cas ».  Parmi les crimes perpétrés au Darfour, cité dans le rapport de Mme Bensouda, et susceptibles de tomber sous l’application du Statut de Rome, elle a cité les bombardements aériens, les attaques contre les populations civiles, les acteurs humanitaires et les Casques bleus, ainsi que les violences sexuelles visant les femmes et les filles. 

La représentante s’est dite préoccupée par le rôle des Forces d’appui rapide, qui commettent des exactions en toute impunité, et dans les rangs desquels la présence d’enfants a été signalée.  Elle a encouragé le Bureau du Procureur de la CPI à réunir des renseignements sur les allégations de crimes et d’envisager la mise en place de nouvelles enquêtes sur la situation au Darfour.  Mme Lucas a également déploré que l’Opération hybride Union africaine/Nations Unies au Darfour (MINUAD) n’ait toujours pas obtenu l’accès libre et sans entrave au village de Thabit, au Nord-Darfour, qui aurait permis à la Mission de vérifier les allégations faisant état de viols commis contre près de 200 femmes et filles les 30 et 31 octobre derniers, et a appelé à une enquête approfondie et impartiale afin d’établir les responsabilités.  Avant de conclure, elle a pris note des conclusions de l’équipe d’enquête interne s’agissant des allégations de manipulation de l’information contenue dans les rapports de la MINUAD et a mis l’accent sur le fait qu’il est essentiel que le Conseil de sécurité et la Cour disposent de l’information la plus complète et la plus fiable possible sur les violences commises au Darfour. 

M. CAI WEIMING (Chine) a plaidé en faveur de la mise en œuvre des accords existants entre le Gouvernement du Soudan et les groupes rebelles concernés.  Il a ajouté que les efforts doivent viser le rapprochement des positions afin de trouver une solution politique globale au Darfour.  Concernant les allégations de viols de masse à Tabit, au Nord-Darfour, il a assuré que la Chine avait pris note des rapports de la CPI et du rapport d’enquête de la MINUAD sur le sujet.  Il incombe en premier lieu à la Mission de trouver un terrain d’entente avec le Gouvernement soudanais autour de cet incident, a-t-il rappelé.

M. EMMANUEL NIBISHAKA (Rwanda) a rappelé que, depuis février 2009, les États africains avaient demandé que les poursuites contre le Président Al-Bachir soient reportées conformément à l’article 16 du Statut de Rome, « afin de donner une chance à la paix ».  Il a ensuite noté que le Conseil avait déjà discuté de l’incident de Tabit.  Après avoir souligné que depuis décembre 2007, plus de 60 Casques bleus avaient été tués, le représentant a appelé le Gouvernement soudanais à enquêter sur ces attaques pour que leurs auteurs répondent de leurs actes.  La communauté internationale doit adopter une démarche équilibrée pour mieux traiter de la question complexe du Darfour et le Conseil de sécurité doit faire pression pour que tous les groupes rebelles rejoignent le processus de paix prévu par le Document de Doha, a-t-il déclaré. 

Mme MARÍA CRISTINA PERCEVAL (Argentine) a énuméré, à son tour, les nombreuses violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire au Darfour, et a renvoyé à la résolution 2138 (2014) du Conseil de sécurité.  Elle a exhorté le Gouvernement soudanais à coopérer avec la CPI et à veiller au bon déroulement des enquêtes.  Elle a aussi regretté profondément que certains États, notamment non parties au Statut de Rome, refusent de coopérer avec la Cour.  La lutte contre l’impunité, a-t-elle rappelé, ne se limite pas uniquement aux États parties.  Mme Perceval s’est aussi dite alarmée par le manque de suivi par le Conseil des huit situations déférées à ce jour à la Cour et par le fait que les membres du Conseil n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le mécanisme de suivi.

La représentante de l’Argentine a également souligné les directives du Secrétaire général en ce qui concerne les rapports entre fonctionnaires des Nations Unies et personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître devant la CPI.  Elle a demandé au Secrétaire général d’assurer leur « application stricte », afin de prévenir que la crédibilité des Nations Unies n’en soit affectée.  Elle a également recommandé un suivi approfondi des conclusions de l’enquête sur la MINUAD, notamment par le Comité des opérations de maintien de la paix.  Mme Perceval a fait observer que l’Argentine intervient pour la dernière fois en tant que membre du Conseil à l’occasion de la présentation du rapport du Procureur de la CPI.  Cette institution avait été mise en place pour empêcher que des crimes graves ne restent impunis, a rappelé la représentante.  Elle a terminé par un vibrant hommage à Mme Fatou Bensouda, « une fille courageuse de l’Afrique » mais également de l’humanité tout entière, pour son travail inlassable en faveur de l’objectif commun de la lutte contre l’impunité.    

M. DAVID PRESSMAN (États-Unis) a regretté l’absence de coopération du Gouvernement du Soudan avec le Bureau du Procureur de la CPI pour l’aider à enquêter sur les atrocités commises au Darfour.  Les crimes graves identifiés depuis 10 ans par la Cour pénale internationale continuent d’être commis en toute impunité, notamment par les Forces d’appui rapide, qui usent des mêmes tactiques que les Janjaouites, a-t-il accusé.  La violation de la résolution 1593 est si flagrante que la lettre demandant au Soudan de coopérer pour l’arrestation d’un des accusés de haut rang avait été retournée à la Cour sans même avoir été ouverte, s’est indigné M. Pressman.  Le représentant des États-Unis s’est également ému des enquêtes de la MINUAD menées en présence de soldats et de policiers soudanais, alors que la Mission est seule habilitée à opérer dans ses zones de déploiement, « sans la moindre obstruction de la part des autorités locales et nationales ». 

Par ailleurs, M. Pressman a fait remarquer qu’environ un tiers des incidents qui font l’objet d’allégations n’auraient pas été signalés, avant de dénoncer l’« autocensure » que semble s’imposer la MINUAD en raison des intimidations dont elle ferait l’objet.  Cette situation doit faire l’objet de conclusions immédiates pour remédier aux problèmes d’objectivité et d’exhaustivité dans ses mécanismes de rapport, a tranché le délégué.  « Si des enquêtes risquent d’être mises en veille, il est temps pour nous de nous réveiller », a lancé M. Pressman en conclusion.

Mme NIDA JAKUBONE (Lituanie) a rappelé qu’il y a 10 ans que le Conseil de sécurité avait référé la situation au Darfour à la Cour pénale internationale et que la population du Darfour continuait de souffrir depuis lors.  Elle a affirmé que près de 360 000 personnes avaient été récemment déplacées et que quatre Casques bleus avaient péri en septembre et en octobre, portant le nombre de soldats de la paix tués au Darfour à 61.  Elle a appelé le Soudan à prendre les mesures nécessaires pour protéger le personnel de maintien de la paix et pour assurer sa liberté de mouvement.

La représentante a regretté que le procès d’Abdallah Banda n’ait pas pu commencer le mois dernier comme prévu du fait du manque de coopération de ce dernier ainsi que du Gouvernement du Soudan.  Elle s’est dite préoccupée par les allégations de viols de masse commis à Tabit fin octobre et a demandé une enquête complète et impartiale.  Le Gouvernement du Soudan doit permettre à la MINUAD d’accéder librement aux sites concernés et de remplir pleinement son mandat en matière d’enquête.

La représentante a condamné le climat d’impunité dont bénéficient des auteurs d’exactions contre les populations civiles au Darfour.  Malgré les demandes répétées du Conseil de sécurité au Soudan pour qu’il poursuive les auteurs de ces crimes, les progrès restent limités, a constaté la représentante, qui a également noté le manque de coopération d’autres États de la région.

La déléguée a par ailleurs salué l’examen qui a suivi les allégations selon lesquelles la MINUAD minimisait dans ses rapports les exactions commises.  Elle s’est félicitée des efforts du Département des opérations de maintien de la paix pour renforcer et unifier les procédures de collecte d’informations et a jugé essentiel que la situation au Darfour soit rapportée de manière exacte et en temps utile.  Ceci est essentiel non seulement pour la protection des civils mais aussi pour la mise en œuvre du mandat du Procureur de la CPI, notamment en ce qui concerne le suivi de ce qui pourrait constituer des crimes contre l’humanité aux termes du Statut de Rome, a conclu la représentante.

M. JOON OH (République de Corée) a salué les efforts menés de longue date par le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) pour faire avancer les enquêtes au Darfour.  Il a toutefois reconnu que les espoirs de voir la justice rendue ne s’étaient pas concrétisés en raison de l’absence de coopération et de la dégradation de la sécurité au Darfour.  C’est pourquoi il est important de remédier aux raisons sous-jacentes à l’absence de coopération et de faire progresser la mise en œuvre du processus de paix, a-t-il souligné.  Concernant les allégations de viols de masse dont il est fait mention dans le rapport de la MNUAD, le représentant a demandé au Gouvernement soudanais d’autoriser un accès sans entrave de la Mission à la localité de Thabit et, de manière générale, à l’ensemble du territoire du Darfour aux fins de lutte contre l’impunité.   

M. CRISTIÁN BARROS MELET (Chili) a regretté qu’au cours de l’année écoulée, plus de 431 000 personnes aient été déplacées à l’intérieur du Soudan, s’ajoutant ainsi aux plus de 2 millions de personnes déplacées depuis le début du conflit.  Il a demandé à la CPI à continuer de faire le suivi des crimes présumés commis au Darfour, sous tous les aspects décrits dans le rapport dont le Conseil est saisi, et s’est dit particulièrement préoccupé de l’impunité des violences sexuelles.  Dans ce contexte, il a réitéré son appel au Gouvernement soudanais pour qu’il s’acquitte de manière diligente des enquêtes relatives à toutes les plaintes, et pour qu’il garantisse la liberté de mouvement de la MINUAD, de sorte que de telles plaintes puissent être dûment traitées.  S’agissant des allégations de manipulation d’information sur le Darfour, il a également appelé de ses vœux une mise en œuvre des mesures recommandées par l’équipe d’enquête interne, et la non-récurrence de tels incidents.

Le représentant du Chili a aussi plaidé en faveur d’un « suivi responsable » des affaires déférées à la Cour, et d’une meilleure coopération entre le Conseil et la CPI, notamment en répondant aux huit communications transmises par la CPI sur la non-coopération.  En conclusion, il a lancé un appel aux États parties au Statut de Rome, et à ceux qui ne le sont pas, pour coopérer avec la CPI concernant la situation au Soudan.    

      M. TANGUY STEHELIN (France) a déclaré que la France partageait les points de préoccupation exprimés par le Procureur de la CPI concernant les bombardements aériens, les attaques contre les populations civiles, la poursuite des heurts entre tribus, la poursuite des viols et autres violences sexuelles par les forces gouvernementales et les menaces contre les opposants politiques et les personnels humanitaires et des ONG, les déplacements forcés et les nombreux obstacles opposés à l’aide humanitaire.  Il a rappelé que les mandats d’arrêt délivrés par la CPI depuis près de 10 ans n’avaient toujours pas été exécutés, en estimant que cette impunité ne faisait qu’encourager la poursuite des exactions.

Les réponses à cette situation sont connues de longue date du Conseil, a fait observer le représentant. Il faut trouver et mettre en œuvre une solution politique qui engage le Gouvernement du Soudan et les groupes rebelles, protéger efficacement les civils et permettre à la MINUAD de remplir pleinement son mandat, assurer un accès humanitaire sans entrave aux populations civiles et personnes déplacées et poursuivre les auteurs des crimes.  Il faut aussi limiter les contacts avec les personnes visées par un mandat d’arrêt de la Cour à ceux qui sont jugés « essentiels », conformément à la politique du Secrétaire général.  La France appelle l’ONU dans son ensemble à poursuivre la mise en œuvre de ces directives.

M. Stehelin a estimé que le Conseil de sécurité devait continuer de se mobiliser sur deux fronts.  Il faut d’abord conduire les parties à cesser toutes les violences contre les civils, ce qui implique que tous les membres du Conseil acceptent de partager le constat du rapport du Procureur sur la dégradation de ladite situation.  Cela implique aussi que la MINUAD remplisse pleinement son mandat et de manière plus efficace.  À cet égard, la France considère que la mise en œuvre de la revue stratégique, endossée en avril par le Conseil, qui fait de la protection l’un des points de concentration de l’action de la Mission, doit se poursuivre.  Par ailleurs, le Conseil doit rendre effective la coopération avec la CPI et veiller à ce que les mandats d’arrêt soient exécutés, condition nécessaire pour que la Cour puisse remplir son mandat, a souligné le représentant de la France.  Il appartient au Conseil de répondre aux cas de non-coopération que lui signale la Cour, tout comme il appartient à l’Assemblée des États parties au Statut de Rome et aux organisations internationales de rester mobilisés sur ces cas de non-coopération, a-t-il conclu.

M. MAHAMAT ZENE CHERIF (Tchad), tout en se félicitant de la diminution des bombardements aériens, s’est dit préoccupé par l’intensité des combats au Darfour et l’augmentation signalée par la CPI de crimes sexuels.  Les forces gouvernementales et les milices sont présumées responsables de 300 des 340 crimes sexuels mentionnés dans son rapport par la CPI, a-t-il dit.  Concernant les allégations de viols à Tabit, au Nord-Darfour, en l’absence de confirmation par des sources indépendantes et compte tenu du fait que le Gouvernement réfute toute implication, « nous pensons que seules des enquêtes impartiales approfondies pourront clarifier la situation ».  Le représentant a par ailleurs exhorté le Gouvernement du Soudan à privilégier la recherche d’une solution politique globale à la crise au Darfour. 

Constatant ensuite que le personnel humanitaire continue d’être la cible d’attaques et que la vie quotidienne des civils du Darfour s’est aggravée depuis le précédent rapport de la CPI, le représentant a souligné que ces souffrances cesseraient quand il sera mis un terme à la guerre.  Il a ainsi demandé à la communauté internationale de soutenir les activités de médiation du Groupe de haut niveau de l’Union africaine sur le Darfour dirigé par l’ancien Président sud-africain, M. Thabo Mbeki.  Le Conseil de sécurité doit, pour sa part, faire pression pour que toutes les parties au conflit participent au processus de paix initié par le Document de Doha.  Le représentant a réaffirmé que la guerre au Darfour doit être réglée dans le contexte global de la situation au Soudan et en prenant en compte la totalité des accords en vigueur.

 

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