Libye: « l’insécurité dans le pays ralentit les enquêtes de la Cour pénale internationale », déplore Mme Fatou Bensouda devant le Conseil de sécurité
Elle demande de nouveau à la Libye de remettre Saïf Al-Islam Qadhafi à la Cour
La faible capacité d’action du Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale et la violence dans le pays constituent les principaux obstacles aux travaux de la Cour sur la Libye. C’est en substance ce qu’a déploré, ce matin, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Mme Fatou Bensouda, devant le Conseil de sécurité.
Six mois après la présentation de son dernier rapport au Conseil, la Procureure a brossé un tableau sombre de la situation, en soulignant que l’instabilité et la violence en Libye freinaient les enquêtes et rendaient plus difficile la coopération entre les autorités nationales et la Cour.
« La situation actuelle dans le pays est marquée par une augmentation du nombre d’assassinats à Benghazi, de menaces contre les médias, les défenseurs des droits de l’homme ainsi que contre les procureurs, les juges et les avocats », a-t-elle indiqué. Déplorant que les appels du Conseil de sécurité en faveur du dialogue politique n’aient pas été entendus, elle a demandé à la communauté internationale de se montrer proactive, tout en explorant les solutions pour rétablir l’ordre et renforcer la reddition des comptes en Libye. La Procureure a recommandé la création d’un groupe de contact international sur les questions de justice qui fournirait un soutien juridique et matériel aux autorités du pays. Celles-ci, a-t-elle insisté, doivent intensifier leur coopération avec l’ONU, par le biais de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), et avec la Cour.
« Les contacts avec les dirigeants libyens sont limités à des échanges avec le Point focal du Gouvernement », a constaté Mme Bensouda, tout en rendant hommage aux enquêteurs libyens qui effectuent, a-t-elle salué, un travail admirable dans des conditions difficiles. Elle a attiré l’attention sur le manque de ressources du Bureau du Procureur de la CPI qui limite les possibilités d’enquêter efficacement sur les allégations de crimes perpétrés par les insurgés. Interpellant les membres du Conseil, elle a estimé qu’un tel déficit de performances de la Cour risquait, « par ricochet », de saper la crédibilité du Conseil de sécurité. « Le Conseil doit prendre en considération cet état de fait et agir de toute urgence pour relancer les enquêtes en Libye », a-t-elle insisté.
Concernant les affaires dont la CPI est saisie, la Procureure a souligné que le refus du Gouvernement libyen de remettre à la Cour Saïf Al-Islam Qadhafi était une source permanente d’inquiétude pour son Bureau. Dans son rapport, il est spécifié que, le 21 mai 2014, la Chambre d’appel avait confirmé la décision du 31 mai 2013 par laquelle la Chambre préliminaire I avait rejeté le recours de la Libye concernant la recevabilité de l’affaire. « Le 11 juillet 2014, la Chambre préliminaire a rendu une décision rappelant à la Libye qu’elle était tenue de remettre immédiatement Saïf Al-Islam Qadhafi », le fils de l’ancien dictateur libyen, précise encore le document.
Invité à faire entendre la voix de son pays, le représentant libyen, M. Ibrahim Dabbashi, a assuré le Conseil et la Cour de la détermination des autorités nationales de « réaliser la justice et de lutter contre l’impunité » en Libye.
Répondant à Mme Bensouda, il a reconnu l’importance d’une étroite coopération entre la justice libyenne et la CPI, en notant néanmoins qu’elle était conditionnée par le rétablissement de la sécurité sur l’ensemble du territoire. « Cette condition n’est pas remplie », a-t-il déclaré avant de fustiger les assauts des groupes armés et ceux qui les soutiennent. Il s’agit, a-t-il dénoncé, d’une « bande de criminels » qui transforme la jeunesse en « chair à canon », avec pour seul objectif de faire échouer la transition en faveur de laquelle la Libye reste engagée. C’est pourquoi il a demandé à la communauté internationale les moyens dont la Libye a besoin pour franchir cette étape vers la stabilité.
S’agissant de l’affaire Qadhafi, M. Dabbashi a expliqué que l’insécurité ambiante avait poussé le tribunal compétent à reporter l’audience « jusqu’à ce que les circonstances soient plus favorables ». Il a toutefois espéré que la CPI reconnaîtrait la compétence de la Libye pour juger le fils de l’ancien dictateur libyen, comme elle l’a fait en ce qui concerne l’affaire Al-Senoussi.
À l’instar du représentant de la France, M. Philippe Bertoux, les autres membres du Conseil ont encouragé le Gouvernement libyen à participer activement au Protocole d’entente sur le partage des tâches entre la Cour et les autorités libyennes relatif aux autres exactions que celles mentionnées dans la résolution 1970 (2011).
Sur ce dernier point, le représentant de la Fédération de Russie, M. Vitaly Churkin, s’est étonné de l’absence d’informations concernant les nombreux morts civils causés par les bombardements menés sous commandement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et autorisés par le Conseil de sécurité. « Pourquoi le Bureau du Procureur s’interdit-il l’examen de cette question? » a-t-il demandé, en appelant la Cour à enquêter sur « tous les cas d’usage disproportionné de la force contre des civils en Libye ».
De son côté, la représentante des États-Unis, Mme Ann Elizabeth Jones, a souligné que l’administration de la justice en Libye était essentielle pour que le processus politique puisse progresser rapidement. « Ce processus, a-t-elle insisté, doit se poursuivre en dépit des conditions difficiles. » Elle a invité les pays voisins de la Libye à coopérer de manière constructive avec la CPI et rappelé que « les parties doivent placer l’avenir de la Libye au-dessus de la poursuite des intérêts particuliers ».
En écho aux propos de Mme Bensouda, les délégations ont par ailleurs dénoncé la pratique de la torture et les cas de décès en détention dans des prisons contrôlées par les brigades armées en Libye. Elles ont en outre appelé à ce que toute la lumière soit faite sur les crimes qui auraient été commis à Misrata et à Tawergha pendant le conflit de 2011. Elles ont regretté, à ce propos, les retards dans le retour des Tawerghas dans leurs villages.
LA SITUATION EN LIBYE
Déclarations
Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a souligné que depuis son dernier exposé devant le Conseil de sécurité en mai dernier, la situation dans le pays s’était détériorée, en précisant que la Libye était aujourd’hui dirigée par deux gouvernements rivaux et en quête de légitimité. Elle a ajouté que cette situation est marquée par un nombre croissant d’assassinats à Benghazi, de menaces contre les médias, les défenseurs des droits de l’homme, les femmes en particulier, ainsi que contre les procureurs, les juges et les avocats. Il est clair, a-t-elle indiqué, que ces crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis en Libye. Déplorant que les appels du Conseil de sécurité en faveur du dialogue politique, de la paix et de la stabilité n’aient pas été entendus, elle a estimé que la communauté internationale devrait répondre de manière plus proactive, tout en explorant les solutions pour rétablir l’ordre et renforcer la reddition de comptes en Libye.
Mme Bensouda a appelé à nouveau les partenaires du Gouvernement de la Libye à apporter toute l’assistance requise pour que soit rétablie la sécurité à travers le pays et pour que les auteurs de crimes internationaux soient traduits en justice. À cette fin, elle a recommandé la création d’un groupe de contact international sur les questions de justice qui fournirait un soutien juridique et matériel aux autorités du pays. Les États partenaires doivent insister sur la coopération entre les autorités et la CPI. « Je peux déjà assurer le Gouvernement libyen qu’il n’est pas seul face aux défis à relever », a-t-elle dit.
L’instabilité en Libye affecte sérieusement la conduite des enquêtes de la Cour, a déclaré Mme Bensouda, qui a fait observer que l’insécurité pesait sur la capacité d’exécuter efficacement le mandat du Bureau du Procureur dans le pays. Elle a exhorté les autorités libyennes à intensifier leur coopération avec l’ONU et la Cour, en faisant remarquer que les contacts établis avec les dirigeants libyens étaient limités à des échanges avec le Point focal du Gouvernement. L’amélioration de la coopération entre son Bureau et les autorités libyennes est essentielle au succès des procédures en cours.
Après avoir rendu hommage aux enquêteurs libyens, qui effectuent un travail admirable dans des conditions difficiles, Mme Bensouda a attiré l’attention sur le manque de ressources du Bureau de la CPI qui, par exemple, limite de manière considérable les possibilités d’enquêter efficacement sur les allégations de crimes perpétrés par les forces rebelles. Pour elle, ce déficit de performances de la Cour risque, par ricochet, de saper la crédibilité du Conseil de sécurité. Le Conseil doit prendre en considération cet état de fait et agir de toute urgence pour revitaliser la conduite des enquêtes en Libye, a-t-elle lancé.
Abordant ensuite les affaires dont la CPI est saisie, la Procureure a souligné que le refus du Gouvernement libyen de remettre à la Cour Saïf Al-Islam Qadhafi était une source permanente d’inquiétude pour son Bureau. La Libye doit remplir ses obligations à l’égard du Conseil et de la CPI, a-t-elle déclaré avant de se pencher sur le cas d’Abdullah Al-Senoussi. « Nous suivons de près son procès, grâce à des contacts réguliers avec les autorités nationales et des observateurs indépendants », a-t-elle assuré. Le degré actuel de violence, les menaces dont les juges, les procureurs et les avocats font l’objet n’augurent pas d’un procès juste respectant tous les droits de la personne, a-t-elle souligné. Par ailleurs, Mme Bensouda s’est dite préoccupée par le nombre très élevé de personnes incarcérées, faisant observer que certaines avaient été torturées ou exécutées pendant leur détention. Le Gouvernement de la Libye, a-t-elle rappelé, doit garantir la régularité des procédures et le respect des droits des personnes. Avant de conclure, elle a plaidé pour un retour des personnes déplacées de Tawergha et a estimé que pour que les résolutions 1970 et 2174 puissent être pleinement appliquées, les efforts des parties prenantes devaient être davantage coordonnés. Ainsi, le peuple libyen pourra reprendre espoir et voir ses légitimes aspirations à la paix et à la stabilité se réaliser, a-t-elle dit.
Mme MARÍA CRISTINA PERCEVAL (Argentine) a reconnu le rôle déterminant que joue la CPI pour faire face aux crimes graves, en jugeant inacceptable que l’oubli et l’impunité puissent se substituer à la « culture du souvenir ». La Libye se heurte aujourd’hui à bien des difficultés pour restaurer l’état de droit sur l’ensemble du territoire, a-t-elle reconnu. Depuis 2013, le dialogue entre la CPI et les autorités libyennes se poursuit en vertu d’un Protocole d’accord, a noté la représentante, tout en estimant que les autorités libyennes doivent coopérer davantage, notamment en remettant M. Saïf Al-Islam Qadhafi à la Cour. Elle s’est par ailleurs inquiétée des crimes graves commis en Libye, des arrestations arbitraires, des tensions qui émaillent le climat politique et du déplacement de 30 000 Tawerghas. En outre, les procureurs et les avocats ont été l’objet de menaces graves, a précisé la déléguée, qui a estimé que les autorités libyennes devraient engager des enquêtes sur ces incidents.
Les coupes budgétaires, a regretté Mme Perceval, ont un impact évident sur le bon déroulement des poursuites engagées par la Cour. Elle a estimé que les frais liés au transfèrement ne doivent pas être assumés par les Nations Unies dans leur ensemble, mais seulement par les États parties au Statut de Rome. La lutte contre l’impunité n’est pas l’objectif des seuls États parties, a-t-elle rappelé, en demandant que les ressources nécessaires soient mises à la disposition de la Cour pour qu’elle s’acquitte de son mandat. Enfin, la représentante de l’Argentine a appuyé la création, proposée par la Procureure de la CPI, d’un groupe de contact.
M. OLIVIER MAES (Luxembourg) a, lui aussi, souligné les défis considérables auxquels est confrontée actuellement la Libye, tout en reconnaissant les efforts déployés par les autorités à Tripoli pour mettre en œuvre le Protocole d’accord avec la CPI. Il s’est dit préoccupé par le manque de moyens dont dispose la Cour pour mener ses enquêtes et réunir des éléments de preuve. En outre, la Libye doit remettre M. Qadhafi, a-t-il rappelé. Sa délégation, a ajouté M. Maes, regrette la lenteur des progrès accomplis dans la libération des détenus contre lesquels il n’existe pas de preuves. Il faudrait renvoyer devant les tribunaux nationaux ceux sur lesquels pèsent des chefs d’inculpation, comme le veut la loi sur la justice transitionnelle. « Nous exhortons aussi le Gouvernement libyen à régler le problème des 30 000 Tawerghas déplacés », a ajouté le représentant du Luxembourg, qui a estimé qu’il incombe aux autorités libyennes de rétablir l’état de droit sur l’ensemble du territoire national.
De son côté, la communauté internationale doit continuer d’aider la Libye dans cette phase cruciale de sa transition, a-t-il souligné, avant d’appuyer l’idée de former un groupe de contact international sur les questions de justice pour fournir aux Libyens une assistance juridique en ce domaine. En conclusion, le représentant a réaffirmé son soutien à l’idée de mettre en place un mécanisme qui témoigne de l’engagement efficace du Conseil vis-à-vis des situations qu’il défère à la CPI.
M. VITALY CHURKIN (Fédération de Russie) a estimé qu’il était essentiel que la CPI puisse enquêter sur les agissements des forces rebelles et autres insurgés en Libye. « Or, dans le rapport de la Procureure, aucune mesure concrète ou orientation en ce sens n’y est présentée », a-t-il constaté. Le représentant s’est également étonné de l’absence d’informations concernant les nombreux morts civils causés par les bombardements menés sous commandement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et autorisés par la résolution 1973 du Conseil de sécurité. « Pourquoi la Procureure s’interdit-elle l’examen de cette question? » a-t-il demandé, en appelant, avant de conclure, le Bureau du Procureur de la Cour à engager une enquête sur tous les cas d’usage disproportionné de la force contre des civils en Libye.
M. PHILIPPE BERTOUX (France) a déclaré que la Libye vivait une transition « avec ses difficultés et ses incertitudes ». Malgré le legs catastrophique du « kadhafisme », les Libyens doivent faire preuve de détermination et continuer de se rassembler autour d’un projet politique. Le Conseil de sécurité s’est mobilisé pour les aider et le Secrétaire général a nommé M. Bernardino León comme son Représentant spécial pour la Libye, a rappelé M. Bertoux, qui s’est dit préoccupé par les conséquences de la décision que de la Cour suprême libyenne qui, le 6 novembre, a invalidé le résultat des élections du 25 juin dernier. La France considère comme indispensable qu’un dialogue politique inclusif soit engagé sans délai car la solution à la crise libyenne ne peut être que politique. Il est urgent de parvenir à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale qui puisse retourner rapidement à Tripoli, a ajouté le représentant, qui s’est dit prêt à utiliser les sanctions individuelles prévues par la résolution 2174 (2014) afin de viser ceux qui font obstacle à la transition politique. C’est dans cette ligne que s’inscrit la désignation en cours d’Ansar al-Charia comme organisation terroriste car il faut désolidariser les islamistes modérés, qui ont leur place dans le jeu politique, des terroristes, a ajouté M. Bertoux.
La coopération de la Libye avec la Cour pénale internationale est déterminante pour clore l’ère de l’impunité, a déclaré le représentant. Rappelant que la Libye avait demandé à juger elle-même tant M. Saïf Al-Islam Qadhafi que M. Abdallah Al-Senoussi, il a constaté que la CPI, seule compétente, avait statué et s’était déclarée compétente pour juger le premier tandis qu’elle faisait droit à la demande de la Libye concernant le second. La Libye dit se conformer à la décision de la CPI, en application de la résolution 1970 du Conseil de sécurité, a déclaré M. Bertoux, qui a rappelé qu’il n’y avait pas compétition entre la CPI et les cours nationales, mais complémentarité de la CPI.
Le représentant a rappelé que la Libye était confrontée à des défis « immenses ». Il faut faire la lumière sur les allégations de crime, comme ceux commis à Misrata et Tawergha en 2011 ou ceux qui auraient été commis en 2012 à Banoi Walid, a-t-il dit. La France est profondément préoccupée par la pratique de la torture et les décès dans les centres de détention contrôlés par les brigades armées dans le pays.
La résolution 1970 est un exemple de la capacité d’unité et d’action rapide du Conseil de sécurité, a souligné le représentant de la France, avant de rappeler que la CPI avait été au cœur du processus visant à isoler les criminels. Il reste aujourd’hui à assurer le suivi de ces démarches, a estimé M. Bertoux. La lutte contre l’impunité nécessite à la fois une pleine coopération de la Libye avec la CPI, une amélioration de la situation sécuritaire et une pleine prise en compte des activités du Procureur par le Secrétariat et la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), a-t-il dit avant de conclure.
M. KAYODE LARO (Nigéria) a rappelé que les États devraient coopérer comme il se doit avec la Cour. « Cette dernière, avec le Gouvernement libyen, doivent mieux répartir leurs tâches pour déterminer leur compétence respective sur certaines affaires », a-t-il ajouté, en exhortant les autorités nationales à remettre Saïf Al-Islam Qadhafi à la CPI et à transmettre à celle-ci les documents saisis après la chute du dictateur libyen. S’agissant du manque de ressources signalé par Mme Bensouda, le représentant a prévenu que « si cette situation perdurait, cela pourrait entamer sérieusement la capacité d’action de la Cour et sa crédibilité ». « Le Bureau du Procureur de la CPI doit être en mesure d’enquêter sur toutes les allégations de crime. » « Le Bureau du Procureur de la CPI, le Gouvernement libyen et la MANUL doivent coopérer de manière plus étroite et efficace pour mettre fin à l’impunité en Libye », a-t-il conclu.
M. GOMBO TCHOULI (Tchad) a regretté le climat d’insécurité et de tensions politiques qui règne actuellement en Libye. Il a exprimé sa préoccupation, lui aussi, devant le déplacement des communautés Tawerghas de la ville du même nom, « sans perspective d’amélioration ». Il a également regretté que, sur le plan judiciaire, aucun jugement concernant M. Saïf Al-Islam Qadhafi n’ait été rendu jusqu’à présent, « une absence de justice qui continue d’encourager une culture d’impunité dans le pays ». Tout en affirmant vouloir transférer ce prisonnier, la Libye invoque des raisons sécuritaires pour ne pas le faire. « Nous l’encourageons donc à persévérer et à coopérer avec la CPI, ainsi qu’à permettre à la défense de rendre visite à M. Qadhafi », a préconisé le représentant. Pour sa délégation, il est regrettable de constater que le manque de moyens dont dispose la CPI entame sa capacité à mener ses enquêtes, notamment à l’étranger. Avant de conclure, il a demandé aux Libyens de tout mettre en œuvre pour libérer les prisonniers politiques ou pour les juger et de soutenir la proposition de Mme Fatou Bensouda de créer un groupe international de contact sur les questions de la justice.
Mme RAIMONDA MURMOKAITĖ (Lituanie) a souligné le rôle de la Cour pénale internationale en tant que partenaire des autorités libyennes dans la lutte contre l’impunité. Évoquant la décision de la Chambre d’appel de la Cour du 21 mai dernier, la représentante a rappelé que la Libye avait désormais l’obligation de remettre Saïf Al-Islam Qadhafi à la CPI. Concernant Abdallah Al-Senoussi, que la Cour a décidé de ne pas poursuivre afin que la juridiction pénale libyenne puisse juger cette affaire, la représentante s’est félicitée des mesures prises par le Gouvernement libyen pour engager des poursuites. Elle a souhaité que les procédures puissent se poursuivre, malgré la détérioration de la situation dans le pays.
La Lituanie reste préoccupée par les nombreuses violations des droits de l’homme et la criminalité en Libye, en particulier la détention de très nombreuses personnes par des groupes armés, loin du contrôle de l’État. La remise des détenus aux autorités de l’État est une condition préalable à l’établissement de l’état de droit dans le pays, a rappelé Mme Murmokaitė. Elle s’est ensuite inquiétée en particulier du sort des personnes déplacées de Tawergha, demandant que les auteurs des exactions commises en 2011 contre cette population composée de descendants d’esclaves d’origine sub-saharienne soient poursuivis et que les personnes déplacées puissent retourner dans leur foyer.
Le Conseil de sécurité doit continuer de suivre les événements en Libye et les éventuels obstacles au travail de la Cour à laquelle il a déféré la situation concernant la Libye. Les autorités libyennes doivent enquêter sur l’ensemble des crimes contre l’humanité et des violations graves des droits de l’homme commis dans le pays, a-t-elle insisté. Pour sa part, la communauté internationale doit apporter son assistance aux autorités libyennes pour leur permettre de renforcer l’état de droit et les institutions judiciaires. Mme Murmokaitė a conclu en réaffirmant le plein soutien de son pays à la CPI et au Bureau du Procureur.
Mme PAIK JI-AH (République de Corée) a souhaité que la mise en œuvre du mémorandum d’accord entre la Libye et la CPI permette à la justice d’être rendue dans ce pays. Toutefois, les attentes placées dans ce processus sont remises en question par l’insécurité et l’instabilité actuelles, créant un cercle vicieux ou l’impunité en l’absence d’état de droit. La République de Corée a estimé en conclusion qu’un suivi effectif des renvois d’affaires par le Conseil devant la Cour serait de nature à aider à ce que justice soit faite, notamment en Libye.
Mme HELEN MULVEIN (Royaume-Uni) a indiqué que son pays examinait les conséquences de l’inconstitutionnalité du Gouvernement libyen. « Il est impératif que tous les acteurs œuvrent en faveur d’une solution politique aux problèmes auxquels sont confrontés les libyens ». « Il s’agit de la seule voie vers la stabilité et la prospérité du pays », a-t-elle estimé. La représentante a demandé aux partenaires internationaux de la Libye d’appuyer les efforts des autorités pour rétablir la sécurité et faire progresser l’état de droit. « Tous les acteurs doivent s’abstenir de crimes violant les droits de l’homme et tombant sous la juridiction de la Cour », a-t-elle encore déclaré.
« Le Bureau du Procureur de la CPI peut établir la preuve de sa compétence pour tous les crimes de guerre perpétrés dans le pays », a par ailleurs rappelé la représentante, qui a souligné l’importance pour le Gouvernement libyen de travailler en coopération avec la Cour, notamment en appliquant le Protocole d’entente sur le partage des tâches. Enfin, elle a exhorté la Libye à remettre « immédiatement » Saïf Al-Islam Qadhafi à la Cour, conformément à la décision de la Chambre préliminaire I du 31 mai 2013.
M. CAI WEIMING (Chine) a réaffirmé que la position de la Chine à l’égard de la Cour pénale internationale restait inchangée.
Mme DINA KAWAR (Jordanie) a exprimé l’appui continu de son pays à la CPI, en soulignant que le succès de la Cour dépendait avant tout d’une coopération constructive de la part des autorités libyennes, notamment pour que le Bureau du Procureur puisse mener ses enquêtes et que M. Saïf Al-Islam Qadhafi soit extradé. Les autorités libyennes doivent établir un dialogue constructif avec la Cour, a-t-elle estimé. En outre, les institutions politiques légitimes du pays doivent être respectées et leur autorité sur l’ensemble du territoire rétablie.
À l’instar d’autres membres du Conseil, M. OLIVIER NDUHUNGIREHE (Rwanda) s’est déclaré préoccupé par la détérioration de la situation politique en Libye, où des crimes graves continuent d’être perpétrés depuis février 2014, comme l’a rappelé la Procureure de la CPI. Le représentant s’est aussi déclaré alarmé par les tentatives d’intimidation de juges et d’avocats, qui affectent l’efficacité du système judiciaire du pays. Le Gouvernement libyen doit faire sa part pour que soient jugés les prisonniers politiques, a-t-il estimé.
« Si l’insécurité est réelle, a-t-il fait remarquer, elle ne saurait justifier que justice ne soit pas rendue. » La loi transitionnelle exige en effet que tous les prisonniers actuellement détenus soient inculpés et jugés et si aucun chef d’inculpation n’est retenu contre eux, ils doivent être libérés. Le délégué du Rwanda a soutenu, à son tour, la création d’un groupe de contact pour fournir un appui technique à la justice libyenne, lequel sera très utile pour l’examen de l’affaire Al-Senoussi.
Mme ANN ELIZABETH JONES (États-Unis) a condamné l’augmentation, au cours de ces derniers mois, du nombre d’assassinats politiques et de graves actes d’intimidation visant de nombreux responsables politiques, des journalistes et des avocats. « Cette violence a entraîné la fermeture de la cour de justice », a-t-elle regretté. La représentante a salué, à son tour, la pertinence du Protocole d’entente sur le partage des tâches entre la Cour et les autorités libyennes et a demandé aux autorités libyennes de le respecter pleinement. « Nous encourageons la Libye à poursuivre les auteurs de tous les crimes les plus graves perpétrés dans le pays. »
« Toutes les parties doivent faire en sorte que les responsables de l’ancien régime visés par la justice répondent aux allégations qui les concernent, dans le respect du droit international », a ajouté la représentante américaine. L’administration de la justice en Libye est essentielle pour que le processus politique puisse progresser rapidement. « Ce processus doit se poursuivre en dépit des conditions difficiles », a-t-elle souligné, en invitant les pays voisins de la Libye à coopérer de manière constructive avec la Cour. Les parties doivent placer l’avenir de la Libye au-dessus de la poursuite des intérêts particuliers, a-t-elle rappelé avant de conclure.
M. CARLOS OLGUÍN CIGARROA (Chili) a affirmé que « ceux qui coopèrent avec la CPI et la communauté internationale renforcent automatiquement leur légitimité et leur crédibilité ». « Les élus libyens doivent, par conséquent, remettre sans tarder Saïf Al-Islam Qadhafi à la Cour », a-t-il insisté. Le représentant a par ailleurs noté que la détention de milliers de personnes, le nombre croissant d’assassinats extrajudiciaires et les déplacements forcés des Tawerghas créent un environnement qui fait obstacle aux activités du Bureau du Procureur de la Cour.
« La CPI doit disposer des moyens permettant de mieux répondre aux défis auxquels elle est confrontée depuis 2011, dans des circonstances particulièrement difficiles », a-t-il insisté, en rappelant que « la reddition de comptes doit être une réalité en Libye ». Le représentant du Chili a en outre demandé au Gouvernement libyen d’aller de l’avant et de préciser au Conseil de sécurité sa stratégie nationale à la fois pour lutter contre les problèmes soulevés par la Procureure et pour améliorer la sécurité dans le pays.
M. GARY QUILIAN (Australie) a déclaré que les exposés semestriels de la Procureure de la Cour pénale internationale devant le Conseil de sécurité étaient essentiels pour l’informer des développements des procédures en cours. Il s’est dit très préoccupé par la détérioration de la situation en Libye, en ajoutant qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise actuelle. Toutes les parties doivent s’engager en faveur d’un cessez-le-feu sans condition et reprendre le dialogue politique, a estimé le représentant.
Les troubles actuels dans le pays rendent difficile la recherche de la justice, mais c’est en même temps ce qui souligne l’importance de l’état de droit, a-t-il fait remarquer. C’est pourquoi sa délégation demande à la Libye de faire tout son possible pour s’acquitter de ses obligations et, en particulier, pour coopérer avec la Cour pénale internationale. L’Australie, pour sa part, travaillera avec d’autres États pour s’assurer que la CPI dispose de toutes les ressources nécessaires pour faire son travail en Libye. Elle appelle aussi tous les États, et notamment les pays voisins de la Libye, à refuser d’offrir un sanctuaire à ceux qui sont accusés de crimes graves pendant les violences de 2011, et à coopérer avec la Cour.
Le représentant a cependant fait remarquer que la Cour ne peut pas tout faire seule. L’Australie, a-t-il assuré, appuie l’appel de la Procureure pour que la Libye partage avec la Cour sa stratégie d’enquêtes et de poursuites des crimes graves. Le pays démontrera ainsi que la justice reste une de ses principales priorités, a fait observer M. Quinlan. Il faudrait en premier lieu remettre Saïf Al-Islam Qadhafi à la Cour. La Libye, qui a respecté le Statut de Rome quand elle avait contesté la compétence de la CPI, doit maintenant respecter sa décision.
La communauté internationale a aussi un rôle à jouer, a déclaré M. Quinlan, qui s’est dit intéressé par la suggestion de la Procureure de créer un groupe de contact sur les questions de justice. Le Conseil de sécurité a un rôle à jouer. Ce rôle n’a pas pris fin avec l’adoption de la résolution déférant la situation en Libye à la CPI, a rappelé le représentant. Le Conseil de sécurité, qui continue à examiner la situation en Libye, ne doit pas perdre de vue l’importance de la lutte contre l’impunité en Libye et le rôle qu’il doit jouer à cet égard.
M. IBRAHIM O. DABBASHI (Libye) a rappelé la détermination de l’ensemble des gouvernements successifs de son pays à réaliser la justice et à lutter contre l’impunité. Il ne fait aucun doute que la coopération entre la justice libyenne et la CPI est importante, mais elle est, a-t-il dit, étroitement liée au rétablissement de la sécurité et de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire. Pour lui, cette condition n’est pas remplie à l’heure actuelle en Libye, qui subit les assauts de groupes armés. Leurs chefs et soutiens, « qu’il s’agisse d’intrigants politiques ou de ceux qui se drapent dans les oripeaux de la religion », poussent des jeunes à mourir dans une lutte sans merci contre les institutions légitimes de la Libye, a accusé M. Dabbashi. Il s’agit, a-t-il dénoncé, d’une « bande de criminels» qui transforment la jeunesse en « chair à canon », avec pour seul objectif de faire échouer la transition en faveur de laquelle la Libye reste engagée. Il a émis l’espoir que les autorités libyennes bénéficieront de la part de la communauté internationale des moyens dont elle a besoin pour mener à bien cette transition.
« Les circonstances que j’ai décrites ont donc paralysé la situation dans le pays », a justifié le représentant. Pour le citoyen ordinaire, il n’y a aujourd’hui plus de recours pour déposer une plainte, en particulier dans les zones qui échappent au contrôle des autorités à Tripoli. S’agissant de l’affaire Qadhafi, la délégation a expliqué que l’insécurité avait poussé le tribunal compétent à reporter l’audience pour connaître de la plainte « jusqu’à ce que les circonstances soient plus favorables ». M. Dabbashi a toutefois espéré que la CPI reconnaîtrait la compétence de la Libye pour juger le fils de l’ancien dictateur libyen, comme elle l’a fait pour ce qui concerne l’affaire Al-Senoussi. En conclusion, il a assuré que le Parlement et le Gouvernement libyens restaient déterminés à remplir leurs obligations, en luttant contre l’impunité et en jugeant les responsables de crimes et de violations des droits de l’homme depuis février 2011, et à indemniser les victimes et à faciliter le retour des personnes déplacées.