En cours au Siège de l'ONU

7199e séance – matin
CS/11441

Alarmée par la détérioration de la situation au Darfour, la Procureure de la CPI demande au Conseil de sécurité d’agir rapidement pour mettre fin à l’impunité

« Combien de temps encore la légalité et l’établissement des responsabilités seront sacrifiés sur l’autel de l’opportunisme politique?  Quels seuils de souffrance les victimes du Darfour doivent endurer pour que le Conseil de sécurité agisse de manière décisive dans cette région? »  Ce sont les questions que la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a posées, ce matin, aux membres du Conseil, en présentant une situation qui, depuis six mois, se détériore de plus en plus dans la région soudanaise du Darfour.

Mme Fatou Bensouda a rappelé que cet exposé était le dix-neuvième que son Bureau présentait devant le Conseil de sécurité et qu’en mars 2015, la date de renvoi par le Conseil de sécurité de la situation au Darfour devant la Cour marquera son dixième anniversaire. Un cap qui n’incite guère à se réjouir, a fait observer Mme Bensouda, en dénonçant des « crimes systématiques et généralisés » commis en toute impunité et en regrettant que les mandats d’arrêt émis par la Cour à l’encontre des responsables politiques et militaires soudanais n’aient toujours pas été exécutés.

En vérité, a tranché la Procureure, aucun progrès judiciaire ne sera possible en l’absence d’arrestations: « les suspects sont toujours en liberté et aucune mesure significative n’a été prise pour les appréhender ni les faire traduire en justice », une responsabilité, a-t-elle rappelé, qui incombe aux États, « et non pas à la Cour ».

« Nous sommes aujourd’hui au même stade où nous en étions en 2007, lorsque des mandats d’arrêt avaient été émis contre MM. Ahmad Harun et Ali Kushayb.  Même avec les trois autres mandats d’arrêt, dont deux émis à l’encontre du Président Omar Al-Bashir en 2009 et 2010, et un à l’encontre de M. Abdelraheem Hussein en 2012, la situation n’a pas changé, a constaté Mme Bensouda, en se disant déçue que le Chef de l’État soudanais ait pu se rendre à l’étranger à plusieurs reprises, y compris sur le territoire d’États parties au Statut de Rome, « sans la moindre inquiétude ».

« L’inaction du Conseil de sécurité remet en cause sa crédibilité, même en tant qu’instrument de la paix et de la sécurité internationales », a-t-elle prévenu.  Cette mise en garde a été reprise à leur compte par plusieurs membres, dont le Luxembourg, pour qui il est « inacceptable » que depuis 2004, « aucune des demandes contenues dans les 55 résolutions pertinentes du Conseil de sécurité n’ait été mise en œuvre par le Gouvernement du Soudan ».

La Procureure a par ailleurs alerté le Conseil de sécurité de la détérioration de la situation sécuritaire sur le terrain, en insistant sur l’intensification des violences –notamment depuis février 2014–, le nombre croissant de personnes déplacées et l’obstruction « délibérée » à l’aide humanitaire.  Frappes aériennes et attaques armées se succèdent contre des populations civiles, a-t-elle lancé, en accusant tout particulièrement la Force de soutien rapide, une unité spéciale de l’armée soudanaise placée « sous l’autorité de M. Mohamed Hamdan ».  Des viols en réunion et des brutalités policières ont également été au nombre des violations perpétrées au cours de ces derniers mois, a-t-elle précisé.

Pour la France, le Gouvernement soudanais, alors qu’il se dit prêt à lancer un processus global de dialogue national et de révision constitutionnelle, « a vidé de tout sens ces annonces en multipliant les signaux négatifs: arrestation d’opposants, bombardements de cibles civiles et condamnation à mort de Meriam Ibrahim pour apostasie ».

Les représentants de la Chine et de la Fédération de Russie n’ont pas été de cet avis.  Le premier a assuré que les autorités à Khartoum avaient fait des efforts pour encourager le dialogue et promouvoir le processus politique et la réconciliation nationale.  Le second s’est dit convaincu que le Soudan était engagé à trouver une solution « politique et militaire » aux affrontements auxquels se livrent des tribus rivales du Darfour autour de la question épineuse de l’accès aux ressources naturelles.

Mme Bensouda est par ailleurs revenue sur les allégations récentes de « manipulation d’informations par l’Opération hybride Nations Unies-Union africaine au Darfour (MINUAD) visant à dissimuler intentionnellement des crimes commis contre des civils et des soldats chargés du maintien de la paix », en particulier par les forces du Gouvernement soudanais.

Les délégations du Rwanda, du Luxembourg, de l’Australie, du Royaume-Uni ou encore de la Jordanie se sont émues de ces accusations, qui « écornent la crédibilité de la MINUAD ».  Celle de la France a demandé au Secrétariat de l’ONU, à la suite de la Procureure, de faire toute la lumière sur cette situation et d’agir en conséquence si elles venaient à être prouvées.

De même, pour le Bureau du Procureur, la mise en œuvre de la « politique de contacts non essentiels » en ce qui concerne la situation au Darfour doit faire l’objet d’une attention renforcée au sein du système des Nations Unies.  Les contacts établis avec des représentants de l’ONU et autres acteurs par les suspects visés par les mandats d’arrêt de la CPI, a prévenu Mme Bensouda, peuvent donner à ces derniers l’occasion de « légitimer leurs propres actions ».

Comptant jouer pleinement son rôle de « facilitateur dans le règlement de la crise au Darfour », le Tchad a affirmé, par la voix de son représentant, qu’il devait pouvoir continuer à dialoguer avec toutes les parties soudanaises.

« Ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement ‘spectaculaire’ dans la manière pour ce Conseil d’aborder la question de l’arrestation des suspects », a assuré la Procureure au terme de son intervention.  Elle a donc demandé aux membres du Conseil, ainsi qu’à tous les autres États, de réfléchir aux moyens de « soutenir ceux parmi eux qui pourraient ne pas résister à l’annonce de visites d’Omar Al-Bashir et d’autres individus » visés par les mandats d’arrêt de la Cour sur leur territoire.

RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD

Déclarations

Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a rappelé que cet exposé était le dix-neuvième que son Bureau faisait devant le Conseil de sécurité et qu’en mars 2015, la date du renvoi de la situation au Darfour par le Conseil devant la Cour marquera son dixième anniversaire.  « Aucun de ces jalons n’est source de réjouissances », a-t-elle déclaré.  Dix ans après, des crimes systématiques et généralisés continuent d’être commis dans une impunité totale au Darfour, a déploré Mme Bensouda.  « C’est un euphémisme de dire que nous avons déçu les victimes du Darfour. »  Avons-nous réussi à nous montrer à la hauteur des attentes des victimes du Darfour?  Malheureusement, la réponse intellectuelle la plus honnête à cette question est un « non » retentissant, a tranché la Procureure.

Si la CPI a contribué de manière significative à la prise de conscience des crimes massifs et systématiques commis au Darfour, l’avancée la plus significative pour mettre fin à l’impunité reste encore à accomplir.  En vérité, le processus judiciaire ne peut progresser en l’absence d’arrestations, a expliqué Mme Bensouda, qui a rappelé que les suspects étaient toujours en fuite et qu’aucune mesure significative n’avait été prise pour les appréhender ni les faire traduire en justice.  « Pour être clair, la Cour n’a aucune autorité pour procéder aux arrestations, c’est une responsabilité qui incombe aux États ».  « Combien de temps encore la légalité et l’établissement des responsabilités seront sacrifiés sur l’autel de l’opportunisme politique?  Quels seuils de souffrance les victimes du Darfour doivent endurer pour que ce Conseil agisse de manière décisive dans cette région? » a demandé la Procureure.

« Nous sommes aujourd’hui au même stade où nous en étions en 2007, lorsque des mandats d’arrêt avaient été émis contre MM. Ahmad Harun et Ali Kushayb. »  Même avec les 3 autres mandats d’arrêt, dont 2 à l’encontre du Président Omar Al-Bashir en 2009 et 2010, et un à l’encontre de M. Abdelraheem Hussein en 2012, la situation n’a pas changé, a constaté Mme Bensouda.  L’inaction du Conseil remet en cause sa crédibilité, même en tant qu’instrument de la paix et de la sécurité internationales, a-t-elle mis en garde.

Par ailleurs, La Procureure s’est dite préoccupée par les allégations récentes de manipulation d’informations par l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD)visant à dissimuler intentionnellement des crimes commis contre des civils et des soldats chargés du maintien de la paix, en particulier par les forces du Gouvernement soudanais.  Si la responsabilité de ces manipulations n’incombe peut-être qu’à une poignée d’individus, elle écorne la crédibilité même de la Mission dans son ensemble et prive les avocats de la paix et de la justice au Darfour d’un outil essentiel pour évaluer une situation en perpétuelle évolution sur le terrain, a-t-elle fait remarquer.  Mme Bensouda a souhaité que le Conseil et les Nations Unies dans leur ensemble prennent les mesures nécessaires pour faire toute la lumière sur ces allégations et agissent en conséquence si elles venaient à être prouvées. 

Par ailleurs, le Bureau du Procureur a affirmé que la mise en œuvre de la politique de contacts non essentiels en ce qui concerne la situation au Darfour devait faire l’objet d’une attention renforcée au sein du système des Nations Unies.  En effet, a prévenu Mme Bensouda, les contacts établis par des représentants de l’ONU avec des suspects visés par les mandats d’arrêt de la CPI peuvent donner à ces derniers l’occasion de légitimer leurs propres actions.  Elle a également déploré les déplacements du Président Omar Al-Bashir à l’étranger, y compris dans des pays parties au Statut de Rome et tenus à ce titre de s’acquitter de leur obligation d’arrêter les suspects visés par les mandats d’arrêt et de les transférer à la Cour. 

Mme Bensouda s’est dite aussi inquiète devant l’intensification des violences au Darfour au cours de la période considérée, le nombre toujours plus grand de personnes qui continuent d’être déplacées et l’obstruction délibérée de l’aide humanitaire.  Les bombardements aériens et attaques armées contre des populations civiles par des milices janjaouites et, en particulier, par la Force de soutien rapide, sous la conduite de M. Mohamed Hamdan, sont tout aussi inquiétants.  La Procureure a fait état d’un schéma d’attaques aveugles et disproportionnées commises à partir de la fin février, ce qui coïncide avec le déploiement de cette unité de l’armée soudanaise au Darfour.  « Lors de 12 des 17 attaques présumées, des villages ont été incendiés.  Dans la plupart des cas, la présence de rebelles dans les zones attaquées n’a pas été signalée alors que dans d’autres, les informations disponibles sont ambiguës.  Toutes les attaques ont été menées dans des zones situées au Darfour-Sud et au Darfour-Nord », a-t-elle dit.

La période à l’examen a également été marquée par la multiplication des viols en réunion de femmes et de filles, a encore déploré la Procureure, qui a également signalé les attaques contre des étudiants, la société civile et des dirigeants locaux.  Mme Bensouda a cité en particulier l’attaque du 21 janvier dernier à Zalingei, au Darfour-Centre, au cours de laquelle les forces de sécurité auraient battu des étudiants qui protestaient contre la taxe imposée aux résidents pour financer les opérations militaires et l’attaque lancée le 3 avril à l’Université de Nyala (Darfour-Sud), qui a vu une centaine d’étudiants battus, dont sept d’entre eux arrêtés.

« Ce dont nous avons besoin, c’est d’un changement spectaculaire dans la manière pour ce Conseil d’approcher la question de l’arrestation des suspects », a assuré la Procureure.  Elle a demandé, en conclusion, à tous les États et au Conseil de sécurité de réfléchir aux moyens de « de soutenir ceux parmi eux qui pourraient être les plus vulnérables à l’annonce de visites d’Omar Al-Bashir et aux autres individus » visés par les mandats d’arrêt de la Cour.

Mme PAIK JI-AH (République de Corée) a rappelé que la situation au Darfour avait été la première affaire déférée par le Conseil de sécurité à la Cour pénale internationale.  Tout en notant les difficultés qui persistent, elle s’est félicitée de la coopération étroite qui existe entre les deux organes.  Sa délégation, a-t-elle poursuivi, regrette l’absence de coopération de la part du Gouvernement soudanais et d’autres États.  Le Conseil de sécurité n’a pas réussi à parvenir à un consensus pour réagir à cette situation.  La représentante a souhaité que le Conseil de sécurité et la CPI redoublent d’efforts afin de mieux coopérer et communiquer entre eux.  Leurs travaux doivent être complémentaires, a-t-elle ajouté.  La détérioration de la situation en matière de sécurité a contribué à l’impunité dans le pays, a-t-elle déploré.  Il est urgent de mettre fin à ce cercle vicieux de la violence, a-t-elle lancé.  Cette situation, a-t-elle prévenu, est le test ultime de notre capacité à faire régner la paix et la sécurité internationales.

M. CAI WEIMING (Chine) a noté que le Gouvernement soudanais avait déployé de nouveaux efforts pour encourager le dialogue et promouvoir, ainsi, le processus politique et la réconciliation nationale.  Le Gouvernement soudanais a pris des mesures positives pour améliorer l’accès humanitaire, a-t-il aussi remarqué.  Le représentant s’est cependant dit préoccupé par les violences dont sont victimes les civils au Darfour et du nombre important de personnes déplacées.  Il a encouragé la coopération entre les Nations Unies et le Gouvernement soudanais, en assurant que la Chine soutenait le rôle de la MINUAD en vue d’instaurer la paix et la stabilité au Darfour.  La situation dans cette région est très compliquée, a-t-il fait remarquer.  Le représentant de la Chine a mis l’accent sur l’importance du processus politique qui, a-t-il rappelé, reste la seule voie à un règlement global de la question.  La Chine réitère, a-t-il dit, sa position à l’égard du Darfour.

Mme SYLVIE LUCAS (Luxembourg) a déclaré qu’il était inacceptable que depuis 2004, aucune des demandes contenues dans les 55 résolutions du Conseil de sécurité sur le Soudan n’avait pas été mise en œuvre par le Gouvernement du Soudan, y compris la résolution 1593.  Elle s’est dite aussi préoccupée par les cas de non-coopération de ce pays avec la Cour, tout en regrettant que le Président du Soudan, M. Omar Al-Bashir, continue d’effectuer des voyages dans la région, y compris dans des États parties au Statut de Rome. 

Depuis la dernière réunion avec le Procureur en décembre, a-t-elle ajouté, la situation humanitaire au Darfour s’est profondément dégradée.  Ce qui est particulièrement inquiétant, a-t-elle noté, ce sont les graves exactions commises contre les populations civiles, en particulier les violences sexuelles contre les femmes et les violences contre les enfants.  Mme Lucas a ainsi évoqué les graves menaces qui pèsent sur les acteurs humanitaires et du personnel de la MINUAD pour dénoncer le fait qu’aucune des enquêtes menées par la justice soudanaise sur des attaques contre les Casques bleus n’a pas abouti à la moindre accusation.

En outre, elle a demandé à tous les États Membres des Nations Unies, qu’ils soient parties ou non au Statut de Rome, et à toutes les organisations régionales et internationales de coopérer pleinement avec la CPI.  Le Conseil de sécurité doit aussi assurer le suivi effectif des cas qu’il a déférés à la CPI.  « Nous espérons vivement que les efforts en cours afin que le Conseil réponde aux huit communications formelles que la Cour lui a adressées pour signaler des cas de non-coopération porteront bientôt leurs fruits », a dit la représentante.

Avant de conclure, la représentante du Luxembourg a estimé que si le Conseil de sécurité devait faire preuve de cohérence, les États Membres et le Secrétariat de l’ONU devraient, pour leur part, en faire autant, en particulier en ce qui concerne l’élimination des contacts non essentiels avec les personnes inculpées.  Les directives du Secrétaire général en ce qui concerne les contacts entre les fonctionnaires des Nations Unies et les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître délivrés par la Cour doivent être strictement respectées.  Elle a aussi soutenu la proposition de Mme Bensouda pour que le Secrétaire général diligente une enquête approfondie, indépendante et publique sur les allégations de manipulation de l’information contenue dans les rapports de la MINUAD, à la suite des révélations faites par une ancienne porte-parole de la Mission. 

Mme FERNANDA MILLICAY (Argentine) a déploré la poursuite des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire au Darfour, en particulier contre les femmes et les enfants.  La représentante a salué les efforts déployés par le Bureau du Procureur pour documenter les crimes qui continuent d’être perpétrés dans cette région soudanaise, qu’il s’agisse des bombardements, d’attaques contre des populations civiles ou contre des membres du personnel de la MINUAD et des travailleurs humanitaires, ou encore les obstacles à l’acheminement de l’aide humanitaire.  Les mandats d’arrêt délivrés depuis 2007 ne sont toujours pas exécutés, a-t-elle fait observer, avant d’inviter tous les États Membres de respecter le Statut de Rome de la CPI et de coopérer avec cette juridiction pour prévenir toute forme d’impunité à l’avenir.

M. KAYODE LARO (Nigéria) a noté les préoccupations exprimées par la Procureure au sujet de la manipulation d’informations concernant des crimes qui, semble-t-il, auraient été commis par des Casques bleus.  Il est crucial que la MINUAD communique la vérité sur ce qui se passe sur le terrain, a-t-il rappelé, en expliquant les répercussions de ces problèmes sur la crédibilité de l’Organisation elle-même.  Le déplacement de plus de 200 000 personnes depuis le début de l’année montre l’ampleur du problème, a-t-il souligné, avant de déplorer les restrictions imposées aux activités des organisations humanitaires.  Le Bureau du Procureur suit de près certaines tendances qui pourraient constituer des crimes en vertu du Statut de Rome, a-t-il aussi noté.  Avant de conclure, il a déploré l’attaque récente contre des Casques bleus qui avait causé la mort de l’un d’entre eux et blessé trois autres. 

M. EDUARDO GÁLVEZ (Chili) s’est déclaré favorable à la mise en place d’un mécanisme de suivi efficace des crimes qui continuent d’être commis au Darfour.  Il a regretté le manque de coopération du Soudan, mais aussi d’autres États, en leur demandant de respecter le Statut de Rome.  En 2014, a fait observer le représentant, le nombre de personnes déplacées au Darfour, soit plus de deux millions, a dépassé celui de 2011 et 2012.  Rappelant que le Conseil de sécurité avait examiné la situation humanitaire au Darfour à maintes reprises, il a estimé que les résolutions pertinentes du Conseil doivent maintenant être mises en œuvre.  Le délégué a encouragé, avant de conclure, le Bureau du Procureur à continuer de recueillir les éléments de preuve concernant les allégations d’enlèvements et d’attaques perpétrées au Darfour.

M. OLIVIER NDUHUNGIREHE (Rwanda) a indiqué que la position de son pays n’avait guère changé depuis le renvoi de cette affaire devant la CPI il y a neuf ans.  Les États africains, a-t-il rappelé, avaient demandé que le renvoi de M. Al-Bashir se fasse conformément aux règles du Statut de Rome.  Il a assuré que tous les États africains qui avaient reçu le Président Al-Bashir avaient respecté les décisions de l’Union africaine.  « Nous pensons qu’une démarche concertée entre l’Union africaine, les Nations Unies et le Gouvernement du Soudan est la meilleure façon de garantir la responsabilisation », a-t-il dit.  S’agissant des conditions de sécurité au Darfour, il s’est dit préoccupé par la violence qui se poursuit et le fait que des civils soient utilisés comme boucliers humains.  Le représentant a rappelé qu’un Casque bleu rwandais avait été tué récemment.  Le représentant s’est inquiété, par ailleurs, des allégations de manipulations et de crimes qui auraient été commis contre des civils et des Casques bleus.  Il a demandé que les auteurs de crimes au Darfour, y compris contre les Casques bleus, rendent des comptes.  Des mesures concrètes doivent aussi être prises pour s’attaquer aux causes de la violence au Darfour.  Seul un dialogue permettra de sortir de la crise au Darfour, a-t-il estimé.

M. DAINIUS BAUBLYS AITĖ (Lituanie) a noté la détérioration de la situation au Darfour depuis six mois.  Les affrontements entre le Gouvernement soudanais et les rebelles se poursuivent.  Près de 250 000 personnes avaient été déplacées, notamment à cause des attaques contre des villages et des camps pour les personnes déplacées, qui sont gérés par le Gouvernement du Soudan et ses forces d’intervention rapide.  Il a aussi évoqué les entraves contre l’acheminement de l’aide humanitaire.

La Lituanie a condamné les violences sexuelles que continuent de subir les femmes et a appelé à des mesures de représailles contre leurs auteurs.  Les auteurs de ces actes devraient être tenus pour responsables, a-t-elle insisté.  Le Gouvernement du Soudan devrait faire plus pour mettre fin aux attaques contre la population civile, combattre l’impunité, assurer la responsabilité et garantir la justice pour les victimes.  La justice doit être la pierre angulaire d’un accord de paix durable au Darfour. 

Le représentant a appelé le Gouvernement du Soudan à coopérer avec la CPI, notamment pour exécuter les mandats d’arrêt délivrés par la Cour.  Il a également appelé les États parties au Statut de Rome, ainsi que les organisations régionales et internationales, à coopérer avec la CPI.  Il a ensuite proposé d’inscrire les individus visés par les mandats d’arrêt sur la liste du Comité des sanctions concernant le Soudan.  Le Conseil de sécurité pourrait renforcer sa coopération avec la Cour en assurant un suivi des affaires qu’il lui a déférées et en répondant à la correspondance sur la non-coopération de certains États que la Cour lui a adressée.

M. ALEXIS LAMEK (France) a regretté que la communauté internationale n’ait pas réussi à assurer sa responsabilité de protéger les civils au Darfour, en estimant que « c’est tout un peuple dont on poursuit la destruction ».  La seule évolution, a-t-il noté, est qu’on a changé le nom des milices janjaouites: elles s’appellent désormais Forces d’appui rapide.  Mais les crimes sont les mêmes, le modus operandi reste celui des périodes les plus sombres de ce conflit, a-t-il expliqué.  Pour la France, le Gouvernement soudanais, alors qu’il se dit prêt à lancer un processus global de dialogue national et de révision constitutionnelle, « a vidé de tout sens ces annonces en multipliant les signaux négatifs: arrestation d’opposants, bombardements de cibles civiles et condamnation à mort de Meriam Ibrahim pour apostasie ».  Notant que l’on reproche à la Mission de s’autocensurer, de minimiser la responsabilité des autorités soudanaises dans les attaques, de ne pas rendre pleinement compte des crimes dont elle est témoin, il a demandé au Secrétariat de remédier à cette situation.

Rappelant que la politique de contacts essentiels avec les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI avait été galvaudée dans le cas du Darfour, M. Lamek a estimé que la Mission ne devrait pas, à elle seule, porter la responsabilité de l’échec car elle n’est pas une mission d’imposition de la paix.  Il faudrait, a-t-il recommandé, que le Conseil aille au-delà de l’examen stratégique de la MINUAD et relance le volet de lutte contre l’impunité.  « Nous ne pouvons pas continuer de discuter sur le rôle de ce Conseil dans la lutte contre les violences sexuelles, et nous borner, comme nous le faisons actuellement, à demander à la MINUAD et aux agences de mener des activités de formation sur la manière pour les victimes de remplir les formulaires pour présenter une plainte », a lancé le représentant de la France.  Le représentant de la France a déploré qu’aucun chef de milice n’ait été inquiété.  Il a regretté les divisions sur l’opportunité d’arrêter le Président Omar Al-Bashir et l’accueil que lui ont réservé certains États parties au Statut de Rome, contrairement aux exigences de la résolution 1593 et du Statut de Rome.  Le Secrétariat et les institutions du système des Nations Unies doivent mieux échanger avec la Cour et d’être plus cohérents dans les données qui sont diffusées et dans les activités menées.  Le Conseil de sécurité doit, pour sa part, mesurer l’effet négatif de son incapacité à mettre en œuvre la résolution 1593.

Mme PHLIPPA KING (Australie) a déclaré que l’exposé de la Procureure, Mme Fatou Bensouda, offrait une occasion remarquable pour réaffirmer le rôle vital de la Cour pénale internationale et du Conseil de sécurité qui doivent agir pour que la paix et la justice soient rétablies pour la population de la région.  Le rapport qu’elle a présenté fait état d’une situation extrêmement troublante au Darfour et de l’impunité qu’elle engendre.  Ce rapport souligne ce que les membres du Conseil avaient tenté d’inclure dans leur réponse, cette année, en adoptant les résolutions 2138 et 2148, a-t-elle rappelé.  Mme King a dénoncé les attaques aériennes qui, s’ajoutant à l’augmentation des attaques perpétrées par le groupe paramilitaire Forces d’appui rapide contre des civils, notamment les villages incendiés, ont forcé le déplacement de centaines de milliers de personnes du Darfour, dont beaucoup de femmes et d’enfants.  Comme l’indique Mme Bensouda, le Gouvernement du Soudan aurait intégré ce groupe aux Forces armées soudanaises.

La représentante de l’Australie a rendu hommage aux efforts du Bureau du Procureur de continuer à suivre la situation au Darfour, en soulignant qu’il était essentiel pour les futurs processus de reddition de comptes et pour la conduite de délibérations étayées par des informations solides communiquées depuis le terrain, notamment par l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD).  À cet égard, la déléguée australienne a appuyé l’appel lancé par Mme Bensouda pour engager une enquête indépendante approfondie et transparente sur les allégations faisant état d’informations non communiquées sur des crimes commis à l’encontre des civils et des Casques bleus.

L’Australie se félicite des préparatifs en vue du procès de M. Abdullah Banda et attend la décision de la Cour sur une nouvelle date du début du procès.  Elle appelle aussi les autorités soudanaises à coopérer avec la Cour et à tout faire pour arrêter et lui remettre le Président Al-Bashir, Abdel Muhammad Hussein, Ahmad Harun et Ali Kushayb, conformément aux obligations du Soudan en vertu de la résolution 1593, a déclaré sa représentante.  Mme King s’est dite déçue par le fait que certains États parties au Statut de Rome continuent d’inviter le Président Al-Bashir à se rendre sur leur territoire, ignorant ainsi leur obligation de procéder à son arrestation et de le livrer à la Cour.  À cet égard, elle a salué l’appel de la Procureure afin que ces États parties fournissent l’appui nécessaire à cet effet.  Le Conseil de sécurité devrait, pour sa part, répondre, aux huit lettres que lui a adressées la Cour pénale internationale sur la non-coopération de ces États parties.

M. PAUL MCKELL (Royaume-Uni) a déclaré que le rapport que vient de  présenter la Procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda, faisait état d’une situation catastrophique au Darfour, où les personnes déplacées et les violations des droits de l’homme sont plus que jamais nombreuses.  Il s’est dit préoccupé par les attaques lancées par la Force de soutien rapide, qui relève de l’autorité du Gouvernement soudanais.  Après avoir salué les travaux de la CPI au cours de la période à l’examen, le représentant a rappelé que les États parties au Statut de Rome à s’acquitter pleinement de leurs obligations.  Le Royaume-Uni est préoccupé par les allégations selon lesquelles certains crimes n’auraient pas été suffisamment documentés par la MINUAD et signalés au Conseil de sécurité, a-t-il dit, avant de souhaiter que le Secrétariat prenne les dispositions qui s’imposent pour remédier à une telle situation.

M. GOMBO TCHOULI (Tchad) s’est dit préoccupé de la situation en matière de sécurité qui prévaut actuellement au Darfour, à cause principalement des activités des milices.  Il a demandé à ce qu’il soit mis fin aux destructions de villages, viols, rapts et aux attaques contre la MINUAD.  Ce conflit ne peut être résolu par la voie militaire, a-t-il rappelé.  Il a également déploré la détérioration de la situation humanitaire.  Le représentant tchadien a demandé au Gouvernement soudanais d’engager des poursuites pénales contre les auteurs présumés des crimes commis afin de mettre fin à l’impunité.  « Il a lancé un appel au Gouvernement soudanais par rapport aux problèmes d'insécurité et d'accès limitant la conduite des enquêtes de la CPI évoqués dans le rapport à faire preuve de flexibilité et de coopération ».

Le représentant a souhaité que le Conseil de sécurité élargisse le cadre de réflexion sur les moyens d’aider la CPI à accomplir sa mission, en mettant l’accent sur le dialogue et la sensibilisation.  Le Conseil ne doit pas être utilisé pour faire pression mais, au contraire, pour accélérer l’examen des affaires.  Le Tchad, pays voisin du Soudan, a pleinement coopéré avec la Cour, a-t-il assuré.  Par ailleurs, le représentant a rappelé que près de 300 000 réfugiés soudanais se trouvaient dans la zone frontalière du Tchad avec le Darfour.  Le Tchad joue le rôle de facilitateur dans le règlement de la crise au Darfour et c’est pourquoi, il doit continuer à établir des contacts avec toutes les parties soudanaises, a-t-il fait remarquer.  Tout en assurant que le Tchad mettrait tout en œuvre pour respecter le Statut de Rome, il a fait appel à la compréhension de la Cour concernant le non-respect de certaines règles sur les conditions de sécurité.

M. PETER LORD (États-Unis) a regretté que les violations se poursuivent au Darfour pendant que les responsables à l’encontre desquels des mandats d’arrêt avaient été émis sont toujours en liberté.  En outre, les violences ont maintenant largement dépassé les frontières de l’État du Darfour, les attaques ayant provoqué le déplacement de 100 000 personnes de plus.  « À ce jour, aucune arrestation, ni aucun procès n’a eu lieu, mais, au contraire, des responsables politiques et militaires soudanais visés par les mandats d’arrêt de la CPI continuent d’assumer leurs fonctions en toute impunité », a déploré le délégué américain.  Le Gouvernement soudanais n’est pas le seul à ne pas se montrer à la hauteur de ses responsabilités, a-t-il fait remarquer, en pointant également du doigt d’autres États Membres qui n’ont pas respecté leurs obligations juridiques.  Ainsi, le Président du Soudan, Omar Al-Bashir, a pu se rendre librement dans six pays différents au cours de la période considérée, a relevé le représentant.

M. EIHAB OMAISH(Jordanie) a souligné l’importance de la coopération des États avec la CPI.  Le Conseil de sécurité est l’entité qui a renvoyé l’affaire du Soudan devant la Cour, a-t-il rappelé.  Compte tenu de la recrudescence de la violence, il a souligné la nécessité pour tous les pays de coopérer avec le Bureau du Procureur de la CPI.  Le représentant a aussi appuyé les recommandations formulées dans le rapport présenté par Mme Fatou Bensouda, en appuyant la proposition visant à enquêter sur les allégations de manipulation des informations concernant des crimes commis au Darfour.

M. EVGENY ZAGAYNOV (Fédération de Russie) s’est dit préoccupé par le déplacement de plus de 100 000 personnes supplémentaires au Darfour et la flambée de violences intertribales autour de la question de l’accès aux ressources.  Sa délégation se félicite des efforts déployés par le Gouvernement soudanais pour trouver une solution politique et militaire à ces affrontements.  « Nous sommes convaincus, a-t-il dit, que les rebelles du Darfour doivent maintenant retourner à la table de négociations sans conditions préalables. »  Le représentant a par ailleurs proposé des sanctions supplémentaires contre les rebelles qui se sont rendus coupables de crimes au Darfour. 

Se disant préoccupé par les informations concernant les violences ininterrompues dans cet État, le représentant a appelé la CPI à évaluer de manière « objective » la situation.  Son travail ne doit pas aller à l’encontre des efforts déployés pour permettre la réconciliation, à laquelle œuvre le Gouvernement soudanais.  Un équilibre délicat doit donc être trouvé entre justice et réconciliation, a expliqué le délégué.  S’agissant des appels lancés au Conseil de sécurité à entreprendre des actions de suivi des situations qu’il a renvoyées devant la CPI, il a rappelé que ni le Statut de Rome, ni les accords entre la CPI et les États parties n’en prévoyaient.  « Pour la Fédération de Russie, le Conseil de sécurité n’est pas habilité à résoudre les problèmes de fonctionnement du Statut de Rome », a-t-il soutenu avant de conclure. 

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