La Procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda, exhorte le Conseil à sortir de l’inaction pour que soit mis fin à l’impunité au Darfour
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Conseil de sécurité
7080e séance – après-midi
LA PROCUREURE DE LA CPI, MME FATOU BENSOUDA, EXHORTE LE CONSEIL À SORTIR
DE L’INACTION POUR QUE SOIT MIS FIN À L’IMPUNITÉ AU DARFOUR
Six mois après son dernier exposé sur la situation au Darfour, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a de nouveau, cet après-midi, déploré « l’inaction du Conseil et l’absence totale de coopération du Gouvernement du Soudan avec la Cour ».
Brossant un tableau particulièrement alarmant de la situation -caractérisée par les déplacements forcés de près d’un demi-million de personnes en 2013, les violences sexuelles, les assassinats de travailleurs humanitaires et les attaques contre l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD)- Mme Fatou Bensouda a exprimé « la frustration et le désespoir » de son Bureau.
« Depuis 2004, le Conseil de sécurité a adopté 52 résolutions sur la situation au Soudan. » « Le refus du Gouvernement soudanais de coopérer avec la CPI s’ajoute à celui de mettre en œuvre ces décisions », a-t-elle fait remarquer, avant de dire: « En l’absence d’une action plus ferme du Conseil, la situation dans le pays ne pourra pas s’améliorer ». Tant que les auteurs présumés des crimes les plus graves contre la population civile n’auront pas été arrêtés et traduits en justice, ils continueront d’agir de la sorte, a-t-elle prévenu. C’est pourquoi, elle a exhorté le Gouvernement du Soudan et les États Membres à coopérer avec la Cour.
Invoquant à cet égard la résolution 1593 (2005), elle a rappelé qu’il incombait à la communauté internationale « et, en particulier, au Conseil de sécurité » d’exercer les pressions nécessaires sur le Soudan pour que les mandats émis par la Cour en 2007 contre Ahmad Harun, Ali Kushayb, Omar Al-Bashir et Raheem Hussein soient exécutés. « Le silence du Conseil et son inaction renforcent la détermination du Soudan à ignorer ses décisions », a averti Mme Bensouda, qui a rappelé que le bon fonctionnement de la CPI, qui ne dispose pas d’un mécanisme d’application, dépendait de la coopération des États. « Sans cette coopération, la Cour ne peut pas remplir son mandat et contribuer à la lutte contre l’impunité », a-t-elle insisté.
Répondant à la Procureure de la CPI, le représentant du Soudan a précisé que sa participation à cette réunion du Conseil ne signifiait pas que son pays reconnaissait la compétence de la Cour. Critiquant ensuite le « ton dogmatique » employé par Mme Bensouda, il lui a reproché de tout ignorer des évolutions positives au Darfour. « L’Union africaine a perdu toute confiance envers la CPI », a-t-il lancé, avant de mettre en garde contre les tentatives de politisation de la justice internationale. L’Afrique, a-t-il déclaré, demande la reconnaissance du droit de ses citoyens à régler « eux-mêmes » les affaires concernant leurs dirigeants.
Le représentant du Soudan a ainsi tenu à défendre les mesures prises par son gouvernement dans le cadre du Document de Doha, en citant les travaux du Tribunal spécial pour le Darfour, le lancement de procédures contre les auteurs de violations des droits de l’homme et la communication d’informations sur les auteurs d’attaques contre le personnel de la MINUAD. Ceci, a-t-il clamé, témoigne de la détermination et de la compétence du système judiciaire soudanais.
À tour de rôle, les membres permanents du Conseil de sécurité ont réagi vivement à ces propos. Précisant que son pays n’était pas Partie au Statut de Rome, le représentant des États-Unis a tenu à rappeler qu’il incombait à tous les États d’empêcher les déplacements illégaux ou d’inviter des personnes visées par un mandat d’arrêt de la CPI. « Au titre de la résolution 1593, le Gouvernement soudanais a l’obligation d’enquêter -comme il s’y est d’ailleurs engagé- sur les assassinats de travailleurs humanitaires et les attaques contre la MINUAD. « Le tribunal spécial qu’il a créé n’a encore produit aucun résultat », a aussi constaté le représentant des États-Unis, qui a qualifié d’« impératif moral » la réédition de la justice pour toutes les victimes des atrocités commises au Darfour.
Se voulant constructif, le représentant de la France, qui est Partie au Statut de Rome, a proposé des pistes d’action. Il a ainsi estimé que les prochaines résolutions sur le Darfour pourraient refléter les préoccupations de la Procureure sur les bombardements aériens, le désarmement des milices, les violences sexuelles ou encore la coopération avec la Cour. Le représentant, convaincu que la situation au Darfour ne pouvait être traitée isolément, a également déclaré que seule une réforme nationale permettra d’apporter des réponses durables et d’inciter les rebelles à une vraie négociation. C’est pourquoi, a-t-il dit, le Conseil devrait suivre l’Union africaine et s’engager dans une réflexion plus nationale du problème soudanais.
Les trois pays africains membres du Conseil, qui ne sont pas parties au Statut de Rome, ont fait entendre leur voix. Ainsi, le Rwanda a soutenu « que les pays qui ont accueilli le Président du Soudan l’ont fait, conformément aux positions exprimées par l’Union africaine ». De son côté, le Togo a exhorté le Bureau de la Procureure à faire avancer les enquêtes concernant le meurtre des soldats de l’Union africaine en 2007. « La décision de la CPI de lancer un mandat d’arrêt contre le Président soudanais n’avait pas recueilli l’assentiment de l’ensemble de la communauté internationale », a fait remarquer, quant à lui, le représentant du Maroc qui a ajouté que les procédures ouvertes par la Cour ne devraient pas porter atteinte à la stabilité des pays.
Enfin, l’Argentine et le Guatemala ont interpellé la Procureure en rappelant instamment l’objectif commun, qui est de lutter contre l’impunité en évitant de politiser les situations. La représentante de l’Argentine a en outre insisté sur la nécessité pour le Conseil d’envisager la création d’un mécanisme qui permettrait de traiter les renvois de situations dont il est saisi à la CPI. « Ces renvois, pour l’heure, n’entraînent aucune réaction », a-t-elle constaté.
RAPPORTS DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SUR LE SOUDAN ET LE SOUDAN DU SUD
Déclarations
Mme FATOU BENSOUDA, Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré d’emblée que la situation au Darfour continuait de représenter une menace à la paix et à la sécurité internationales. « J’exprime de nouveau devant vous la frustration et le désespoir de mon Bureau face à l’inaction de votre Conseil concernant cette situation. » En outre, la situation à Abyei et le long de la frontière entre les deux Soudan, a-t-elle ajouté, s’est détériorée au cours des six derniers mois. Après avoir souligné que la crise du Darfour avait coûté, à elle seule, en 10 ans, plus 10 milliards de dollars et entraîné la mort de 47 travailleurs humanitaires, Mme Bensouda a rappelé que « les attaques contre le personnel des opérations de maintien de la paix constituaient des crimes en vertu du Statut de Rome ». Elle a déploré le manque d'efforts entrepris par le Gouvernement du Soudan pour identifier les coupables de ces attaques, en dépit des demandes répétées des Nations Unies et de l’Union africaine. Mme Bensouda a encouragé l’ONU et l’Union africaine à partager les informations recueillies dans le cadre de leurs propres investigations avec mon Bureau. Poursuivant, la Procureure a indiqué, qu’en 2013, 460 000 personnes avaient été déplacées, le nombre de personnes tuées, enlevées ayant continué d’augmenter.
« Depuis 2004, le Conseil de sécurité a adopté 52 résolutions sur la situation au Soudan. » « Le refus du Gouvernement soudanais de coopérer avec la CPI s’ajoute à celui de mettre en œuvre ces décisions », a-t-elle martelé. Jugeant que sans une action plus ferme du Conseil, la situation dans le pays ne pourra pas s’arranger, elle a déclaré que les auteurs présumés des crimes les plus graves contre la population civile continueront de commettre leurs méfaits « tant qu’ils n’auront pas été arrêtés et traduits en justice ». « Le temps est venu pour le Conseil et les États parties au Statut de Rome d’examiner des stratégies sérieuses afin de mettre hors d’état de nuire les auteurs présumés de ces crimes. » « Il s’agit là du seul moyen de mettre fin aux souffrances des victimes du Darfour. » Mme Bensouda a qualifié de camouflet au Conseil et aux États parties le fait qu’au cours de ces derniers mois MM. Omar Al-Bashir et Raheem Hussein aient pu voyager, « sans crainte d’être arrêtés », dans différents pays. « La résolution 1593 a-t-elle encore un sens? » s’est-elle interrogée, avant d’ajouter que les exposés mêmes de la CPI au Conseil n’avaient aucune raison d’être si aucune action concrète n’est prise par le Conseil pour mettre fin à cette paralysie.
La Procureure de la CPI a ensuite adressé un message aux fugitifs: « Vous n’avez rien à craindre de la Cour si vous êtes innocents », a-t-elle ainsi déclaré, en précisant que tout individu déféré devant la CPI se voyait offrir une assistance juridique et les autres garanties stipulées par le Statut de Rome. Pour Mme Bensouda, « la communauté internationale et le Conseil de sécurité en particulier doivent exercer les pressions nécessaires sur le Gouvernement du Soudan afin que les mandats délivrés par la CPI en 2007 contre Ahmad Harun, Ali Kushayb, Omar Al-Bashir et Raheem Hussein puissent être exécutés. « Mon Bureau, compte tenu de ces mandats, ne peut que conserver les preuves dont il dispose et garder le contact avec les témoins », a-t-elle indiqué. Mme Bensouda a par ailleurs énuméré les crimes qui continuent d’être commis au Darfour, en citant notamment les déplacements forcés, les bombardements aériens affectant les civils, l’accès humanitaire constamment entravé, les attaques prenant pour cibles le personnel humanitaire et celui de l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour (MINUAD) et les violences sexuelles. « Le silence du Conseil et son inaction renforcent la détermination du Soudan à ignorer le Conseil », a relevé Mme Bensouda, qui a rappelé avec insistance que les activités de la CPI, qui ne dispose pas d’un mécanisme d’application, reposent sur la coopération des États. « Sans cette coopération, la Cour ne peut pas remplir son mandat et contribuer ainsi à la lutte contre l’impunité », a-t-elle conclu.
M. DAFFA-ALLA ELHAG ALI OSMAN(Soudan) a tenu tout d’abord à préciser que sa participation à cette réunion du Conseil de sécurité ne voulait pas dire que le Soudan reconnaissait la compétence de la Cour pénale internationale. Son pays, a-t-il ajouté, n’est pas partie au Statut de Rome. Il a ensuite critiqué le ton dogmatique de l’exposé de la Procureure de la CPI, « comme si cette dernière donnait des ordres aux membres du Conseil de sécurité ». Il lui a également reproché le fait qu’elle ne cite pas les sources à la base des allégations contenues dans son exposé. La Procureure de la CPI ignore toutes les évolutions positives au Darfour, a-t-il affirmé.
Le délégué du Soudan a rappelé que l’Union africaine avait perdu toute confiance envers la CPI, avant de mettre en garde contre les tentatives de politisation de la justice internationale. L’Afrique demande la reconnaissance du droit des citoyens africains de régler eux-mêmes les affaires qui concernent les dirigeants de leurs pays, a-t-il affirmé.
Le délégué a ensuite souligné les mesures qui ont été prises pour promouvoir la réconciliation au Darfour, dans le cadre du Document de Doha. Il a, en particulier, mentionné les travaux du Tribunal spécial pour le Darfour, le lancement de procédures contre les auteurs de violations des droits de l’homme et la fourniture d’informations sur les auteurs d’attaques contre le personnel de la MINUAD. Ceci, a-t-il conclu, témoigne de la volonté et de la compétence du système judiciaire soudanais.
M. MASOOD KHAN (Pakistan) a rappelé que son pays n’était pas partie au Statut de Rome. Le Pakistan, a-t-il ajouté, est en faveur d’un règlement pacifique de la situation au Soudan. Le représentant a donc appelé le Gouvernement du Soudan à mener des enquêtes approfondies sur les violations des droits de l’homme, avant de noter les mesures prises pour promouvoir la réconciliation. Puis, il a plaidé pour une interaction entre le Conseil et la CPI qui respecte l’indépendance de cette dernière. Le délégué a ensuite souligné la nécessité d’adopter une approche multidimensionnelle au Darfour, qui s’appuie notamment sur la promotion de la réconciliation et la restauration de la sécurité. Les promesses formulées lors de la Conférence des donateurs à Doha doivent se concrétiser au plus vite, a-t-il insisté. Le délégué du Pakistan a enfin invité le Conseil à accroître la pression sur les groupes armés qui n’ont pas encore rejoint le processus de paix.
M. AGSHIN MEHDIYEV (Azerbaïdjan) a rappelé que le Document de Doha constituait la base du règlement de la situation au Darfour, avant de noter que des mesures importantes avaient été prises pour promouvoir la réconciliation. Il a ensuite indiqué que la situation sécuritaire restait volatile et souhaité que les violations des droits de l’homme qui sont commises fassent l’objet d’enquêtes approfondies. Puis, le délégué a demandé que des pressions plus fermes soient exercées contre les groupes armés qui refusent de rejoindre le processus de paix, y compris au moyen de sanctions ciblées. M. Mehdiyev a également déploré que la présence internationale au Darfour, en particulier le personnel des Nations Unies, continue de faire l’objet d’attaques et demandé que leurs auteurs soient traduits en justice. Avant de conclure, il a de nouveau souligné qu’il était nécessaire pour la communauté internationale d’appuyer la pleine mise en œuvre du Document de Doha.
M. YONG ZHAO (Chine) a déclaré que la question du Darfour était particulièrement complexe. Il a estimé que seul l’achèvement du processus politique permettrait d’instaurer une paix durable et de jeter les bases de l’état de droit au Soudan. Le Gouvernement soudanais, a-t-il estimé, joue un rôle essentiel dans ce processus politique ainsi que dans la mise en œuvre du Document de Doha, auquel les rebelles doivent participer. La communauté internationale doit appuyer activement le Gouvernement soudanais. « La CPI doit jouer un rôle constructif aux côtés de la communauté internationale et des organisations régionales pertinentes, la Ligue des États arabes et l’Union africaine notamment », a conclu le représentant de la Chine.
M. PAUL MCKELL (Royaume-Uni) a reconnu que la situation au Darfour restait très préoccupante, marquée par 500 000 personnes déplacées au cours de la période de janvier à novembre de cette année et par de nouvelles attaques visant les travailleurs humanitaires et la MINUAD. « Ces attaques sont inacceptables, a-t-il déclaré, en demandant à toutes les parties de permettre à la Mission de circuler sans entrave. Le représentant britannique a déploré le fait que le Gouvernement du Soudan refuse toujours de coopérer avec la CPI, comme l’y oblige la résolution 1593 ». Il a exhorté le Gouvernement soudanais et tous les États, qu’ils soient parties ou non au Statut de Rome, d’honorer leurs obligations afin que les mandats d’arrêt délivrés par la CPI en 2007 contre Ahmad Harun, Ali Kushayb, Omar Al-Bashir et Raheem Hussein puissent être exécutés. Il faudrait faire davantage pour lutter efficacement contre les violences sexuelles et remplacer la culture d’impunité par une culture d’imputabilité, a déclaré le représentant.
M. EVGENY T. ZAGAYNOV (Fédération de Russie) a souhaité que la Cour pénale internationale procède à un examen approfondi des faits qui justifient les procédures qu’elle a engagées. La manière dont elle conduira ses enquêtes sur les crimes graves commis au Darfour contribuera de manière décisive à la réputation de la CPI, a-t-il dit. Appuyant les efforts déployés par la Cour, il a indiqué que la CPI avait jusqu’à présent abouti à des résultats probants au Darfour. Le délégué a ensuite rappelé qu’il était important pour les États concernés de s’acquitter de leur obligation de coopération avec la Cour, tout en demandant qu’il soit dûment pris en compte de la question de l’immunité des chefs d’État et de gouvernement. En conclusion, le représentant de la Fédération de Russie a estimé que les travaux de la CPI devraient s’intégrer de manière harmonieuse dans les efforts de consolidation de la paix au Darfour, au lendemain du conflit.
Mme SYLVIE LUCAS (Luxembourg) a noté avec un profond regret que les mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre de quatre individus inculpés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, pour l’un d’eux, de génocide n’avaient pas été exécutés. Elle s’est dite préoccupée par la liste des cas de non-coopération du Gouvernement du Soudan avec la Cour établie par la Procureure, Mme Fatou Bensouda, et, en particulier, le fait que le Président Al-Bashir et son Ministre de la défense, qui font tous les deux l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI, aient pu voyager dans plusieurs pays de la région.
La représentante a rappelé l’aggravation de l’insécurité et de la situation humanitaire au Darfour durant le semestre écoulé, en faisant état de 460 000 personnes déplacées entre janvier et novembre 2013, soit deux fois plus que durant les deux années précédentes. Elle a également fait état d’attaques contre les civils, de violences sexuelles, d’attaques fréquentes contre les travailleurs humanitaires et les Casques bleus, et de refus répétés d’accorder l’accès humanitaire. Tous ces crimes menacent le processus de paix, déjà fragile, qui est basé sur le Document de Doha pour la paix au Darfour, a déclaré Mme Lucas. Elle a fermement condamné les attaques contre la MINUAD, avant d’encourager le Bureau de la Procureure à continuer de suivre de près la situation et à faire progresser les enquêtes relatives aux crimes commis.
Il est inacceptable que le Gouvernement soudanais refuse de coopérer avec la CPI alors qu’en même temps, il ne prend pas les mesures qui s’imposent au niveau national pour lutter contre l’impunité, a martelé Mme Lucas, qui a demandé à tous les États Membres, qu’ils soient parties ou non au Statut de Rome, de coopérer pleinement avec la CPI, comme l’exige la résolution 1593. Elle a aussi demandé au Conseil d’assurer le suivi effectif des cas déférés à la CPI, en ajoutant qu’il ne saurait se soustraire à la responsabilité inhérente aux affaires qu’il a lui-même déférées devant la Cour. Mme Lucas a souhaité un renforcement de la coopération entre le Conseil de sécurité et la Cour pénale internationale, deux institutions qu’elle a jugées complémentaires.
Le Conseil de sécurité, a-t-elle suggéré, devrait réfléchir à ce qu’il peut faire de plus pour aider la CPI, notamment pour l’examen des affaires qu’il lui a confiées. Elle a proposé d’inscrire les individus faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI sur la liste du Comité des sanctions créé par la résolution 1591. Elle a aussi suggéré que le Conseil réponde aux courriers que lui adresse la CPI sur les cas de non-coopération. Rappelant que le bon fonctionnement de la Cour dépendait de la coopération des États, Mme Lucas a fait observer que le silence du Conseil n’était pas fait pour encourager un changement d’attitude de la part du Soudan.
M. GERT ROSENTHAL (Guatemala) a souligné les tensions qui continuent d’opposer forces armées soudanaises et groupes rebelles. Les violences entre les différentes communautés au Darfour, a-t-il noté, ont augmenté. Le Guatemala, qui est Partie au Statut de Rome, est convaincu, a-t-il dit, qu’il ne peut y avoir de paix sans justice. M. Rosenthal a déploré que les mandats d’arrêt délivrés contre les quatre personnes mentionnées dans le rapport de la Procureure n’aient pas encore été exécutés, tout en reconnaissant que ces procédures sont « extrêmement sensibles ». Le représentant a ensuite exhorté les États à coopérer avec la Cour pour la bonne exécution de ces mandats. Le Conseil et le CPI doivent coopérer dans le respect de leurs mandats, a-t-il rappelé avant de conclure.
M. MICHAEL BLISS (Australie) s’est dit profondément préoccupé par la situation au Darfour qui, a-t-il noté, ne s’est manifestement pas améliorée durant les six derniers mois. La violence s’y poursuit et des crimes tels que des attaques contre les civils, des violences sexuelles, des déplacements forcés et des attaques contre les travailleurs humanitaires continuent d’y être commis, a-t-il précisé. L’Australie est également très préoccupée par le fait que le Soudan n’assurer pas la protection de la population civile et ne coopère pas pleinement avec la MINUAD et le Représentant spécial du Secrétaire général.
Si l’Australie se félicite de la préparation du procès d’Abdallah Banda, elle constate que le Bureau de la Procureure n’a pas été en mesure d’obtenir l’arrestation ou la reddition du Président Al-Bashir, du Ministre de la défense Hussein, du Gouverneur du Kordofan méridional Ahmad Harun, ni d’Ali Kushayb. Elle regrette en outre que le Président du Soudan et son Ministre de la défense aient pu voyager hors du pays, y compris dans certains États qui sont parties au Statut de Rome.
Pendant huit ans, le Soudan a ignoré les obligations qui lui incombent en vertu de la résolution 1593, et le Conseil de sécurité est resté pratiquement silencieux devant un tel comportement, a déclaré M. Bliss, qui en a conclu que ce silence du Conseil avait contribué à la volonté du Soudan de continuer à l’ignorer. Cette inaction est en contradiction flagrante avec la reconnaissance par ce même Conseil de l’importance des processus de responsabilisation, comme le souligne la déclaration présidentielle du 6 août 2013, a poursuivi le représentant. Il est grand temps, a-t-il dit, que le Conseil prenne des mesures pour appuyer l’action de la CPI au Darfour. En l’occurrence, a rappelé M. Bliss, la CPI ne peut exercer sa compétence sur la situation au Darfour qu’en étant saisie par le Conseil de sécurité.
Le représentant a rappelé que l’Australie avait déjà suggéré que le Comité des sanctions du Conseil chargé du Soudan étudie davantage comment prendre des mesures susceptibles d’aider la CPI à faire exécuter ses mandats d’arrêt. Mais nous pouvons faire plus encore, a ajouté M. Bliss, qui a proposé qu’un « forum d’experts juridiques » du Conseil discute des questions relatives à la CPI avec pour objectif d’accroître la coopération du Conseil avec la Cour. Le représentant australien a également fait remarquer que des États avaient exprimé des positions divergentes, au cours de ces derniers mois, sur le rôle de la CPI dans certains contextes particuliers. La souplesse manifestée par l’Assemblée des États parties au Statut de Rome en novembre dernier avait démontré qu’il était possible de trouver des solutions à des préoccupations légitimes, a-t-il estimé. Les États parties au Statut de Rome doivent, cependant, s’acquitter pleinement de leurs obligations, y compris dans leurs relations avec la Cour, a-t-il souligné en conclusion.
Mme MARÍA CRISTINA PERCEVAL (Argentine) a rappelé qu’en février dernier, le Conseil de sécurité avait souligné que le Darfour traversait une crise humanitaire urgente, et, qu’en juillet, ses membres avaient demandé que les résolutions sur le Soudan soient mises pleinement en application afin de mettre fin à l’impunité. « Justice doit être rendue aux victimes du Darfour », a-t-elle ajouté. La représentante a par ailleurs noté que la Procureure de la CPI devrait être objective et impartiale, et ne pas provoquer de conflits afin d’obtenir de toutes les parties concernées leur pleine coopération. « L’objectif est de lutter contre l’impunité en évitant de politiser la situation », a-t-elle également souligné. Mme Perceval a ensuite insisté sur la nécessité pour le Conseil de se pencher sérieusement sur l’élaboration d’un mécanisme qui permettrait de traiter les renvois à la CPI. « Ces renvois, pour l’heure, n’entraînent aucune réaction », a-t-elle constaté. Avant de conclure, elle a exhorté les parties au conflit à mettre en œuvre le Document de Doha qui, a-t-elle rappelé, demeure la base pour un accord de paix globale et durable au Darfour.
Mme PAIK JI-AH (République de Corée) a déploré que les retards dans l’administration de la justice en ce qui concerne la situation au Darfour « continuent à coûter la vie à des innocents ». Elle a salué les efforts du Bureau de la Procureure de la CPI pour permettre l’exécution rapide des mandats d’arrêt en suspens. « Tous les États concernés doivent coopérer avec la CPI, à commencer par le Soudan. » « Nous sommes profondément préoccupés par les informations fournies par Mme Bensouda selon lesquelles le Gouvernement soudanais permettrait aux milices de piller en toute impunité. » La représentante de la République de Corée a affirmé que tous les crimes graves perpétrés au Darfour devraient faire l’objet d’enquêtes complètes et que leurs auteurs devraient être traduits en justice. Le Soudan, en vertu de la résolution 1593, a l’obligation de coopérer avec la CPI et d’appliquer toutes les résolutions du Conseil le concernant, a-t-elle rappelé à son tour.
M. ABDERRAZZAK LAASSEL (Maroc) s’est dit très préoccupé par l’augmentation du nombre de personnes déplacées au Darfour et la recrudescence des attaques contre la MINUAD. Les auteurs de ces attaques, a-t-il déclaré, doivent être traduits en justice sans plus tarder. Le délégué du Maroc a ensuite plaidé pour un règlement politique de la situation au Darfour. Son pays, a-t-il assuré, réaffirme le respect de la souveraineté et de l’intégralité territoriale du Soudan. Le représentant a exhorté la communauté internationale à renforcer son soutien au Document de Doha, qui demeure, a-t-il dit, le seul cadre d’un règlement de la situation au Darfour. Le représentant du Maroc a souhaité que l’amélioration des relations avec le Soudan du Sud se traduise de manière tangible sur le terrain. La décision de la CPI de lancer un mandat d’arrêt contre le Président soudanais n’avait pas recueilli l’assentiment de l’ensemble de la communauté internationale, a-t-il rappelé, en soulignant que les procédures ouvertes par la Cour ne devraient pas viser à porter atteinte à la stabilité des pays.
M. LAWRENCE MANZI (Rwanda) a souligné le rôle important que joue le Conseil de sécurité pour trouver une solution à la situation au Darfour et l’a invité à ne pas laisser passer les possibilités qui pourraient se présenter. Soulignant que la pleine mise en œuvre du Document de Doha était indispensable, il a regretté que trois groupes armés ne l’aient pas encore signé. Il a invité les pays qui ont de l’influence à exercer des pressions accrues sur ces groupes. Il a également souhaité que les promesses formulées lors de la Conférence des donateurs de Doha soient honorées.
En ce qui concerne les mandats d’arrêt délivrés contre quatre hauts responsables soudanais, le délégué du Rwanda s’est rallié à la position de l’Union africaine, selon laquelle la quête de la justice ne doit pas contrecarrer les efforts de stabilisation. Les pays qui ont accueilli le Président du Soudan ont agi, conformément aux positions adoptées par l’Union africaine, a-t-il rappelé avant de conclure.
M. KODJO MENAN (Togo) a souhaité qu’en ce qui concerne les activités judiciaires de la CPI, en particulier dansl’affaire Banda, que « des progrès soient réalisés pour faciliter la coopération entre la Procureure et des États avec la défense, afin d’alléger les conséquences des problèmes d’ordre sécuritaire qu’éprouve la défense à accéder aux preuves nécessaires pour la tenue de l’audience sur le fond ». Il a dit craindre que la poursuite d’une telle situation risquait de donner lieu à de nouveaux reports de la date de l’ouverture du procès fixée au 5 mai 2014, au détriment du droit de l’accusé à être jugé sans retard excessif ainsi qu’aux attentes des victimes à une justice rapide. S’agissant de la coopération entre les Nations Unies, le Conseil de sécurité et les États avec la CPI, le représentant a déploré le manque de suivi du Conseil des affaires qu’il a pourtant déférées. Le Conseil devrait améliorer sa coopération et sa communication avec la Cour, en répondant, ou du moins en accusant réception des notifications qu’elle lui adresse.
Pour ce qui est des enquêtes en cours, le représentant du Togo a réitéré son appel à la cessation des affrontements intercommunautaires et des violences ainsi que des violations et abus des droits de l’homme et du droit humanitaire qui persistent, impliquant des milices, en dépit des nombreux appels à y mettre fin. Il a, en outre, encouragé le Bureau de la Procureure à continuer la surveillance et à faire progresser les enquêtes concernant les crimes qui continuent d’être commis. À ce sujet, il s’est dit préoccupé par les bombardements aériens et les attaques terrestres sans discernement contre les populations civiles, y compris des femmes et des enfants, même dans des camps de personnes déplacées. Le représentant du Togo a exprimé son inquiétude au sujet des attaques et enlèvements des travailleurs humanitaires et des membres des forces de maintien de la paix, attaques qui ont coûté la vie à des valeureux soldats de maintien de la paix de la MINUAD. Il a exhorté le Bureau de la Procureure à faire avancer les enquêtes concernant le meurtre des soldats de l’Union africaine en 2007 et toutes les attaques qui ont suivi, pour en élucider les circonstances et identifier les autres, afin qu’ils puissent répondre de leurs actes.
M. JEFFREY DELAURENTIS (États-Unis) a déclaré que la justice devrait être la pierre angulaire des efforts visant à instaurer une paix durable au Soudan. Il a profondément regretté qu’au Darfour « l’impunité persiste et continue d’aller de pair avec la poursuite de la violence et de l’insécurité ». Le représentant a également déploré que les populations du Darfour soient « les victimes innocentes du mépris du Gouvernement du Soudan envers le Conseil de sécurité et la CPI ». « Le Gouvernement soudanais a la responsabilité d’exécuter les mandats d’arrêt délivrés par la Cour, d’autant plus qu’il ne propose aucune mesure de justice nationale digne de ce nom. » Exhortant ensuite la communauté internationale à rester unie face aux actes de mépris du Gouvernement du Soudan, M. DeLaurentis a rappelé l’obligation incombant à tous les États d’empêcher les déplacements illégaux ou d’inviter des personnes visées par un mandat d’arrêt de la CPI.
Concernant les allégations de violences sexuelles au Darfour, le représentant des États-Unis a fait part de son indignation: « Ces crimes heurtent la conscience universelle et il faut y mettre fin sans délais », a-t-il dit. M. DeLaurentis a par ailleurs rappelé que le Gouvernement soudanais avait l’obligation d’enquêter -« comme il s’y est d’ailleurs engagé »- sur les « assassinats » de travailleurs humanitaires et des membres du personnel de la MINUAD. « Le tribunal spécial qu’il a créé n’a produit à ce jour aucun résultat », a constaté le représentant des États-Unis. M. DeLaurentis a conclu en qualifiant d’impératif moral la réédition de la justice pour toutes les victimes des atrocités commises au Darfour.
M. GÉRARD ARAUD (France) a estimé qu’au Darfour, la CPI fait son travail. L’ouverture prévue le 5 mai 2014 du procès d’Abdallah Banda représente, a-t-il estimé, une échéance importante, en précisant qu’il s’agissait là du premier procès public qui permettra d’évoquer concrètement les crimes massifs commis au Darfour. En revanche, a regretté le représentant, l’impunité persiste au Darfour. Les plus vulnérables demeurent les premières victimes, notamment les femmes, dont certaines sont encore attaquées et violées alors qu’elles accomplissent des tâches quotidiennes comme la recherche d’eau ou de bois. Au même moment, a rappelé M. Araud, quatre hauts responsables inculpés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, pour l’un d’eux, de génocide, continuent de se soustraire à l’action de la CPI. Trois de ces personnes exercent toujours des fonctions clefs auxquelles ils sont en mesure d’ordonner de nouvelles exactions, tandis que les milices qu’ils ont utilisées dans le passé n’ont pas encore été désarmées. Le représentant a également opposé l’engagement de la Libye avec la CPI à l’absence de mesure pour juger les auteurs de crime au Soudan, malgré la multiplication de juridictions nationales dites spéciales pour ce faire.
Face à cette situation, M. Araud a estimé qu’il existait des pistes d’action pour le Conseil. Il a souhaité que les prochaines résolutions du Conseil sur le Darfour reflètent les préoccupations de la Procureure sur les bombardements aériens, le désarmement des milices, les violences sexuelles ou encore la coopération avec la Cour, avant de rappeler que la résolution 1593 oblige le Soudan à coopérer. Le Conseil pourrait aussi soutenir le processus de paix au Soudan, actuellement bloqué, a suggéré M. Araud, qui a estimé que le problème au Darfour ne pouvait être traité isolément. Pour le représentant, seule une réforme nationale permettra d’apporter des réponses durables et d’inciter les rebelles à une vraie négociation. C’est pourquoi le Conseil devrait suivre l’Union africaine et s’engager dans une réflexion plus nationale du problème soudanais.
Reprenant la parole, la Procureure de la CPI a fait remarquer que seuls les juges de la CPI étaient en mesure de se prononcer sur les capacités du système judiciaire soudanais et non pas les membres du Conseil de sécurité. Le Soudan a fait part de sa volonté de ne pas se conformer aux décisions de la Cour, a-t-elle affirmé, en soulignant que la nature des crimes commis au Darfour avait été rendue publique depuis bien longtemps. Le refus du Soudan d’exécuter les mandats délivrés contre Ahmad Harun, Ali Kushayb, Omar Al-Bashir et Raheem Hussein constitue un défi tant à la Cour qu’au Conseil de sécurité, a-t-elle soutenu.
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