Le Conseil de sécurité ne réussit pas à reporter pour un an, à la demande des pays africains, les procédures de la CPI contre le Président et le Vice-Président du Kenya
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Conseil de sécurité
7060e séance – matin
LE CONSEIL DE SÉCURITÉ NE RÉUSSIT PAS À REPORTER POUR UN AN, À LA DEMANDE DES PAYS AFRICAINS,
LES PROCÉDURES DE LA CPI CONTRE LE PRÉSIDENT ET LE VICE-PRÉSIDENT DU KENYA
Le Conseil de sécurité n’a pas réussi, ce matin, à approuver la requête de pays africains demandant à la Cour pénale internationale (CPI) de surseoir, pendant un an, à l’enquête et aux poursuites visant le Président du Kenya, M. Uhuru Kenyatta, et son Vice-Président, M. William Ruto. Les deux dirigeants kényans sont accusés par la Cour d’incitation à la violence après les élections de 2007 dans leur pays.
Le texte présenté par le Maroc, le Rwanda et le Togo invoquait l’article 16 du Statut de Rome de la Cour, qui stipule qu’« aucune enquête, ni aucune poursuite ne peut être engagée, ni menée pendant les 12 mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ».
Sept membres du Conseil se sont prononcés en faveur du projet de résolution et huit autres se sont abstenus. Comme le souligne l’Article 27, alinéa 3 de la Charte des Nations Unies, la décision du Conseil sur une question de fond exige le vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents pour qu’elle soit adoptée.
Les pays, ayant appuyé le projet de résolution, ont réagi vivement au refus du Conseil de sécurité de laisser MM. Kenyatta et Ruto, « qui, ont-ils rappelé, ont été démocratiquement élus », exercer pleinement leurs responsabilités. Le Kenya, sous leur direction, joue un rôle clef dans la lutte contre le terrorisme, ont-ils soutenu, en soulignant, à l’instar de la Fédération de Russie, que l’acceptation de la demande présentée par les pays africains ne pouvait être interprétée comme une violation du Statut de Rome. « Elle visait simplement à appliquer l’article 16 de ce Statut », a déclaré l’Ambassadeur Vitaly Churkin, de la Fédération de Russie. La Chine, l’autre membre permanent du Conseil à avoir appuyé le projet de résolution, a affirmé que les organisations internationales devraient respecter le principe de complémentarité pour permettre aux juridictions nationales d’exercer leur compétence sur les crimes graves quand celles-ci sont capables de le faire, ainsi que les besoins spécifiques des pays. « La demande adressée par les pays africains au Conseil de sécurité était raisonnable », a estimé l’Ambassadeur Liu Jieyi.
Les membres du Conseil, qui se sont abstenus, ont expliqué leur vote en rappelant que la demande africaine devrait être traitée dans le cadre de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome. En effet, pour la France, le Royaume-Uni et les États-Unis notamment, la poursuite des procès à la Cour contre le Président et le Vice-Président du Kenya ne constitue pas en soi une menace à la paix et à la sécurité internationales. Les représentants de ces pays ont ainsi estimé que la prochaine réunion de l’Assemblée, qui aura lieu le 20 novembre prochain, devrait être l’occasion pour examiner les préoccupations des pays africains concernant la situation au Kenya.
« La demande d’un report pour 12 mois, ni plus ni moins, ne constituait pas une pression politique », a précisé le représentant du Kenya, M. Macharia Kamau, en assurant que « l’Afrique voulait simplement que la règle de droit s’applique ». « Le Statut de Rome appartient également aux pays africains! » s’est-il exclamé, en regrettant qu’avec le refus d’un tel report, « la peur et la défiance » aient aujourd’hui prévalu.
Comme le Kenya, le Togo, le Rwanda et l’Éthiopie se sont dits convaincus que le rejet de la demande de report sapait la confiance « nécessaire pour bâtir un monde de paix » entre le Conseil de sécurité et l’Afrique.
Dans une réponse indirecte à la France, le Rwanda a soutenu que « le Conseil de sécurité était, en effet, le lieu approprié pour discuter de la demande africaine ». Exprimant sa profonde déception devant le refus du Conseil de sécurité d’accepter une requête « en faveur de la paix et de la sécurité internationales », l’Ambassadeur Eugène-Richard Gasana, du Rwanda, a qualifié le rejet du projet de résolution d’échec et de « honte qui figurera dans les pages de l’histoire ». « L’article 16 du Statut de Rome a-t-il été établi seulement pour que les grandes puissances puissent se protéger? » a-t-il demandé. Le Maroc, le Togo et le Rwanda, qui ne sont pas parties au Statut de Rome, ne pourront pas participer aux délibérations de l’Assemblée des États parties, a-t-il fait remarquer.
« L’Union africaine n’est pas une organisation centrée sur les États qui les encourage à invoquer la souveraineté nationale comme bouclier pour bénéficier de l’impunité », a renchéri le représentant de l’Éthiopie, dont le pays préside actuellement le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Le représentant éthiopien a jugé que le rejet du projet de résolution reflétait la difficulté de certains membres du Conseil de sécurité à concevoir une Afrique capable d’assumer pleinement la mise en œuvre de ses politiques et stratégies en matière de paix et de sécurité. « Cela n’est en aucun cas un gage d’optimisme pour l’avenir », a constaté M. Tekeda Alemu. Fustigeant un Conseil « incapable de prendre au sérieux la volonté de l’Afrique de s’approprier son présent et son avenir », il a estimé que ses membres auraient pu, « au minimum », accorder le bénéfice du doute aux chefs d’État et de gouvernement africains, « dont certains sont des pays fondateurs de la Cour pénale internationale ».
Le représentant du Guatemala, qui s’est dit très déçu d’assister « à une autre division du Conseil de sécurité », a résumé le sentiment général en déclarant: « Aujourd’hui, il n’y a que des perdants: l’Union africaine, qui a l’impression que sa demande a été rejetée, la CPI, qui aspire à l’universalité, et le Conseil de sécurité, qui affiche au monde ses divisions », a déclaré M. Gert Rosenthal.
PAIX ET SÉCURITÉ EN AFRIQUE
Lettres identiques datées du 21 octobre 2013, adressées au Secrétaire général et au Président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent du Kenya auprès de l’Organisation des Nations Unies (S/2013/624)
Explications de vote
M. GERT ROSENTHAL (Guatemala) a indiqué que son pays avait préféré s’abstenir. Le texte ne plaide pas pour l’interaction constructive entre la Cour pénale internationale (CPI) et le Conseil de sécurité, ces deux organes multilatéraux, l’un juridique et l’autre politique, qui exigent que les auteurs de crimes de masse soient tenus responsables. Or, ce texte a créé une méfiance entre les deux instances. En le présentant, ses auteurs savaient qu’il ne serait pas adopté, ce qui est contraire à la vocation du Conseil, qui s’efforce d’agir par consensus. Le représentant s’est dit déçu d’assister à une autre division du Conseil de sécurité. Aujourd’hui, il n’y a que des perdants: l’Union africaine, qui a l’impression que sa demande a été rejetée, la Cour pénale internationale, qui aspire à l’universalité et le Conseil, qui affiche ses divisions devant le monde.
Mme SYLVIE LUCAS (Luxembourg) a déclaré que son pays n’avait pas soutenu le projet de résolution, en précisant que le recours à l’article 16 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale n’est pas nécessaire. D’autres moyens existent pour répondre aux préoccupations du Kenya et de l’Union africaine, a-t-elle rappelé. Mme Lucas a expliqué que le premier moyen disponible était celui de la coopération avec la Cour, le second étant celui de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome. L’article 16 n’est en l’occurrence pas applicable, car il confère au Conseil le pouvoir de demander à la CPI de surseoir à enquêter ou à poursuivre pendant 12 mois, par le biais d’une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. « Cette référence signifie que le Conseil de sécurité doit constater l’existence d’une menace contre la paix du fait même des procès en cours à la CPI », a-t-elle noté.
Mme MARIA CRISTINA PERCEVAL(Argentine) a indiqué que son pays s’était abstenu et rappelé que les résolutions du Conseil de sécurité devaient être respectées par tous les pays. Elle a souligné que les préoccupations des États qui ont adhéré au Statut de Rome étaient légitimes. Elle a invité tous les États qui ne l’ont pas encore fait à ratifier le Statut de Rome. La représentante a ensuite salué la coopération du Kenya avec la Cour pénale internationale, avant d’expliquer que l’Argentine donnait la priorité au dialogue et à la justice, en rappelant que nombre de ses concitoyens sont « des enfants et petits-enfants des mères de la Place de Mai ». « Les victimes des violences postélectorales en 2007 et en 2008 au Kenya ont droit à la justice, à la réparation et à la garantie que cette tragédie ne se reproduira plus », a-t-elle estimé avant de conclure.
M. ABDERRAZZAK LAASSEL (Maroc) a rappelé les efforts du Kenya pour la protection des droits de l’homme et la réconciliation nationale, avant de souligner l’élection démocratique de M. Uhuru Kenyatta. Le Maroc, qui a voté en faveur du projet de résolution, partage les préoccupations exprimées par la délégation ministérielle de l’Union africaine devant le Conseil de sécurité, le 30 octobre dernier. « Le terrorisme pose un défi énorme pour le Kenya et les pays de la région, comme l’a montré l’attaque du centre commercial Westgate à Nairobi », a-t-il souligné. Sa délégation regrette que les membres du Conseil ne soient pas arrivés aujourd’hui à une position unifiée.
M. VITALY CHURKIN (Fédération de Russie) a estimé que les pays africains avaient présenté par le biais d’un projet de résolution des arguments de poids, « que nous avons soutenus ». « Aujourd’hui, le Kenya a l’un des plus importants contingents militaires en Somalie pour lutter contre le terrorisme et il est lui-même touché directement par ce fléau. » « Le Président et le Vice-Président kényans doivent être dans leur pays pour faire face aux défis qui se posent à la sécurité internationale et régionale », a ajouté M. Churkin. Le représentant russe a estimé que la requête africaine ne devait pas être interprétée comme étant une demande de violation du Statut de Rome, en précisant qu’« il s’agissait simplement d’appliquer l’article 16 du Statut de Rome ». Il a souligné que si le projet de résolution avait été adopté, cela aurait contribué au renforcement, dans les pays africains, de l’autorité du système de justice pénale internationale. Avant de conclure, il a souhaité que soient résolus les problèmes d’interprétation du Statut.
M. MARK LYALL GRANT (Royaume-Uni) a dit comprendre la demande de l’Union africaine qui vise à ce que les dirigeants kényans, élus démocratiquement, puissent s’acquitter de leurs obligations institutionnelles. « L’instance la plus appropriée pour traiter de cette demande est l’Assemblée des États parties au Statut de Rome, a-t-il rappelé. L’Assemblée des États parties tiendra, dans cinq jours, une réunion pour examiner les préoccupations de l’Union africaine », a-t-il indiqué. Le représentant britannique a expliqué que son pays s’était abstenu sur le projet de résolution, car les procédures judiciaires à l’encontre des dirigeants kényans de la CPI ne posent pas de menace à la paix et à la sécurité internationales.
M. GÉRARD ARAUD (France) a regretté le vote d’aujourd’hui dont « l’issue était connue de tous ». « Une majorité des membres du Conseil a considéré que la demande de report des procédures n’était pas nécessaire », a-t-il indiqué, avant de rappeler la série de décisions prises par la Cour pour que les poursuites ouvertes contre le Président et le Vice-Président du Kenya ne les empêchent pas d’assumer leurs fonctions. M. Araud a ensuite déploré que le « choix de la précipitation » ait prévalu aujourd’hui. Ce choix, a-t-il fait remarquer, est porteur d’un risque « d’une confrontation artificielle entre le Conseil et l’Union africaine, dont la coopération est cruciale pour faire face aux défis du continent africain ». « L’abstention de la France montre que nous voulons poursuivre le dialogue au-delà de cet épisode douloureux », a-t-il dit, avant d’assurer que son pays était l’ami du Kenya et qu’il reconnaissait son rôle crucial dans le maintien de la sécurité régionale, en particulier en Somalie. Des propositions sont sur la table de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome qui tiendra, dans les prochains jours, une session pour examiner cette demande, a-t-il indiqué.
M. MASOOD KHAN (Pakistan), rappelant que son pays n’était pas partie au Statut de Rome, a souligné que les procédures ouvertes par la CPI étaient de nature à empêcher les Président et Vice-Président du Kenya d’assumer leurs tâches relatives à la paix et la sécurité régionales. Le projet de résolution dont le Conseil de sécurité a été saisi s’appuie sur une logique juridique indiscutable. Il a indiqué que l’appui de l’Union africaine fourni au Conseil de sécurité était crucial pour les nombreuses questions africaines inscrites à l’ordre du jour de ce dernier. « Le Kenya joue un rôle de premier plan dans la lutte contre la menace terroriste, en particulier en Somalie », a-t-il dit, en expliquant que les poursuites engagées par la CPI étaient en contradiction avec les aspirations exprimées de manière démocratique par le peuple kenyan. Enfin, il a souligné l’importance du principe de complémentarité et réaffirmé la primauté des juridictions nationales. Le délégué a aussi espéré que le rejet du projet de résolution n’entravera pas la coopération entre l’Union africaine et le Conseil, laquelle est dans l’intérêt de tous.
Mme SAMANTHA POWER (États-Unis) a déclaré que son pays s’était abstenu car « nous sommes d’avis que la demande de l’Union africaine doit être traitée dans le cadre de la Cour pénale internationale et de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome ». « Nous devons appuyer la reddition de comptes de ceux responsables de crimes de masse », a-t-elle rappelé. Les États-Unis, a-t-elle cependant assuré, sont conscients de l’importance que représente la lutte contre le terrorisme pour le Kenya « pays ami depuis plus d’un demi-siècle », et pour l’Union africaine. « C’est pourquoi, nous encourageons le Kenya à coopérer avec la CPI, qui doit s’employer à aménager ses procédures pour que les accusés puissent se défendre tout en occupant leurs fonctions », a-t-elle dit. La réunion de l’Assemblée des États parties de la CPI, le 20 novembre prochain, sera l’occasion de discuter de ces questions, a indiqué Mme Power.
M. AGSHIN MEHDIYEV (Azerbaïdjan) a indiqué que son pays avait voté en faveur du projet de résolution, le Kenya étant un pays qui joue un rôle clef dans le maintien de la sécurité régionale et la lutte contre le terrorisme. Il a estimé que la demande de suspension de la procédure de la CPI, présentée par l’Union africaine, était légitime et ne devrait pas être interprétée comme une mesure visant à encourager l’impunité.
M. GARY QUINLAN (Australie) a indiqué que son pays, qui s’est abstenu lors de l’adoption du projet de résolution invoquant l’application de l’article 16 du Statut de Rome, regrettait le vote d’aujourd’hui. Sa délégation reconnaît les défis sécuritaires, auxquels le Président et le Vice-Président du Kenya étaient confrontés dans leur pays, a-t-il dit, en soulignant que la coopération avec la Cour pénale internationale revêtait également une grande importance. Le report de procédures entamées par la Cour ne peut être accordé qu’en raison de circonstances exceptionnelles, a rappelé le représentant de l’Australie. Il a fait remarquer qu’il existait d’autres options que la soumission de ce projet de résolution aux membres du Conseil. Il a ainsi précisé que des propositions étaient sur la table de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome dont les travaux auront lieu dans quelques jours. « Le but que nous partageons tous est de mettre un terme à l’impunité », a-t-il soutenu, avant de plaider pour le renforcement d’une coopération « cruciale » entre l’Union africaine et le Conseil de sécurité.
M. JOON OH (République de Corée) a reconnu les défis sécuritaires auxquels fait face le Kenya. Les préoccupations exprimées par le Kenya concernant les procédures ouvertes par la CPI sont légitimes, a-t-il estimé. Le Conseil n’est pas l’instance appropriée pour examiner cette question, laquelle est déjà inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome », a-t-il fait remarquer. Le délégué a indiqué, avant de conclure, que son pays s’était abstenu aujourd’hui afin de ne pas établir un précédent, qui n’aurait été dans l’intérêt de personne.
M. KODJO MENAN (Togo) a indiqué que son pays avait voté en faveur du projet de résolution. Le Conseil de sécurité aurait pu accorder le bénéfice du doute à l’Afrique, a-t-il dit, en notant que la relation de confiance entre l’Union africaine et le Conseil de sécurité devrait être renforcée, dans l’intérêt de la paix et la sécurité en Afrique.
M. EUGÈNE RICHARD GASANA (Rwanda) s’est déclaré convaincu que le Conseil de sécurité était l’instance appropriée pour examiner la demande de l’Union africaine concernant l’application de l’article 16 du Statut de Rome. « L’Afrique ne veut pas d’une confrontation », a-t-il dit. Le terrorisme est la plus grande menace à la paix et à la sécurité internationales, a-t-il souligné en précisant que le Kenya faisait partie des pays qui sont en première ligne dans la lutte contre ce fléau. Le sang africain coule à cause des attaques terroristes que les dirigeants kényans s’efforcent sans relâche d’empêcher, a ajouté le représentant. Il a exprimé sa vive déception devant le refus du Conseil de sécurité d’accepter la demande de l’Union africaine, « en faveur de la paix et de la sécurité internationales ». Il a qualifié le rejet de la résolution d’échec et de honte, « une honte qui figurera dans les pages de l’histoire ». « Le Conseil de sécurité n’est pas à la hauteur dans cette affaire, il ne prend pas au sérieux les demandes de nos dirigeants. » « Je demande que tous les membres du Conseil se rappellent dans quel contexte l’article 16 du Statut de Rome avait été proposé il y a plus de 10 ans. »
Cette disposition avait été proposée par des puissances occidentales présentes ici pour défendre leurs seuls intérêts, a-t-il dit. L’article 16 avait-il été inclus dans le Statut de Rome uniquement pour assurer des garanties aux « grandes puissances? » s’est-il interrogé. « Tandis que la Cour pénale internationale souhaite enfin se montrer souple après cinq ans de procédures contre les dirigeants africains, des délégations déclarent aujourd’hui que le Conseil de sécurité n’est pas l’instance appropriée pour trouver une solution à cette question », a-t-il déclaré avec surprise. « Soixante-dix pour cent des questions dont il est saisi concernent l’Afrique! » s’est-il exclamé. « Nous ne souhaitons aucune confrontation », a-t-il assuré, en rappelant que le Kenya est partie à la CPI. L’Assemblée des États parties, vers laquelle des membres du Conseil nous demandent de nous retourner, ne permettra pas au Maroc, au Togo et au Rwanda de participer à ses travaux dans la mesure où ces trois pays ne sont pas parties au Statut de Rome, a-t-il fait remarquer.
M. LIU JIEYI (Chine) a regretté que le Conseil de sécurité n’ait pas adopté le projet de résolution, que son pays appuyait. « Le Kenya joue un rôle de premier plan dans la lutte contre le terrorisme », a-t-il assuré, avant d’ajouter que la demande de report des procédures de la CPI exprimait les préoccupations de tous les pays africains. Il a affirmé que les organisations internationales devraient respecter le principe de complémentarité, ainsi que les besoins spécifiques des pays. « La demande adressée par les pays africains au Conseil était raisonnable », a-t-il dit, en ajoutant que le Président et le Vice-Président du Kenya avaient été élus démocratiquement.
M. MACHARIA KAMAU (Kenya) a indiqué que l’Afrique était venue aujourd’hui en pensant que le Conseil de sécurité était le maître de son mandat et que l’article 16 du Statut de Rome était une disposition applicable. « L’Afrique a appris que les morts lors de l’attaque du centre commercial de Westgate, à Nairobi, reconnue par le Conseil de sécurité comme constituant une menace à la paix et à la sécurité internationales, comptaient peu lorsqu’il s’agit d’invoquer l’article 16 du Statut de Rome », a-t-il noté.
« La demande d’un report pour 12 mois, ni plus ni moins, ne constituait pas une pression politique, comme cela a été dit, mais bel et bien le droit applicable. L’Afrique voulait simplement que la règle de droit s’applique », a continué M. Kamau, en affirmant que le Statut de Rome appartenait également aux pays africains. Il a ensuite regretté, qu’avec le refus d’un tel report, « la peur et la défiance » aient aujourd’hui prévalu. « L’Afrique est déçue », a-t-il déclaré, avant de balayer la « peur paranoïaque » que suscite l’idée de recourir, de manière abusive, dans le futur, à l’article 16 du Statut de Rome. Le vote d’aujourd’hui, a-t-il dit, ne contribue en rien à nourrir la confiance vis-à-vis du Conseil. Il a déploré que, pour certains membres du Conseil, la peur d’établir un précédent et les arguties juridiques soient plus importantes que la nécessité de promouvoir la paix et la sécurité.
« Le Conseil de sécurité n’est pas l’enceinte appropriée pour répondre à de complexes défis sécuritaires et politiques internationaux », a soutenu M. Kamau. L’Afrique ne peut recourir qu’à la « famille africaine » pour résoudre ses problèmes, a-t-il ajouté. Notant que certains membres du Conseil étaient prisonniers du passé, il a souligné leur manque de confiance envers des solutions africaines. L’engagement des pays africains, a-t-il fait remarquer, est souvent accueilli avec « suspicion, impatience et même irritation ». « Chaque fois, les spectres de l’impunité et de la dictature sont brandis, ce qui est injuste, triste et tragique », a-t-il constaté. « Pour l’Afrique, le Statut de Rome est vicié et clairement inapplicable au sein de ce Conseil », a-t-il déploré. Le délégué du Kenya a conclu que le Conseil, en réfutant le choix d’une « solution à l’amiable », avait causé un dommage irréparable au Statut de Rome.
M. TEKEDA ALEMU (Éthiopie), dont le pays préside actuellement le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, a déclaré que le Conseil de sécurité avait démontré son incapacité à prendre au sérieux la volonté de l’Afrique de s’approprier son présent et son avenir. « Au minimum, les membres du Conseil de sécurité auraient pu accorder le bénéfice du doute aux chefs d’État et de gouvernements africains, dont certains, a-t-il rappelé, sont des pays fondateurs de la Cour pénale internationale ». « Le Conseil n’a pas saisi l’opportunité de renforcer sa relation de confiance avec l’Afrique ». « Pour nos pays, en particulier les États voisins du Kenya, il ne fait aucun doute que la situation dans ce pays mérite des réponses favorables du Conseil à nos demandes. » Le représentant a poursuivi en déplorant le manque de confiance du Conseil de sécurité dans la capacité de l’Afrique à trouver le bon équilibre entre sécurité et justice. « L’Union africaine n’est pas une organisation centrée sur les États qui les encourage à invoquer la souveraineté nationale comme bouclier pour bénéficier de l’impunité. » « Elle n’est peut-être pas en mesure de répondre seule aux défis en matière de sécurité qui se posent au continent. »
« C’est pourquoi nous sommes reconnaissants envers tous ceux qui nous aident à relever ces défis, y compris les membres du Conseil de sécurité qui ont répondu défavorablement à notre demande de déferrement. » « Ces derniers ont eu tort, ils ont offensé l’Afrique, une Afrique qui met en pratique ses engagements de lutter contre l’impunité et de respecter le constitutionalisme », a-t-il déclaré. M. Alemu a ensuite attiré l’attention sur le paradoxe voulant que le Conseil de sécurité refuse de faire pleinement confiance aux dirigeants africains alors que la coopération internationale est plus nécessaire que jamais pour bâtir un monde de paix. « C’est grâce à nos partenariats que des progrès ont été réalisés en Somalie, au Soudan du Sud et au Mali, et l’Afrique a bénéficié de l’appui international. Mais l’appui, aussi important soit-il, ne doit pas conduire à la perte d’appropriation. » Le représentant a ainsi jugé que le rejet du projet de résolution reflétait la difficulté de certains membres du Conseil de sécurité de concevoir une Afrique exerçant souverainement ses politiques et stratégies de paix et de sécurité. « Cela n’est en aucun cas un gage d’optimisme pour l’avenir », a-t-il constaté.
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