Conférence de presse de Ben Emmerson, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste
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CONFÉRENCE DE PRESSE DE BEN EMMERSON, RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LA PROMOTION ET LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME
ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES DANS LA LUTTE ANTITERRORISTE
« Afin que l’utilisation des drones fasse l’objet d’une transparence accrue, les États doivent se mettre d’accord sur les règles d’engagement de ces armes, lesquelles, il faut le rappeler, ne sont pas illégales », a déclaré Ben Emmerson, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, lors d’une conférence de presse cet après-midi au Siège des Nations Unies à New York, en présence de Christof Heyns, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
Les deux hommes, qui ont consacré une large partie de leurs interventions aux programmes de drones des États-Unis d’Amérique, et qui, plus tôt dans la journée, ont participé, dans le cadre de la Troisième Commission, au premier débat au niveau international sur l’utilisation de ces armes, ont rappelé qu’il n’était pas nécessaire d’élaborer un nouvel instrument international en la matière mais, bel et bien, « de dégager un consensus concernant l’interprétation des règles existantes ».
« Lorsque l’on a affaire à des situations qui ne sont pas des conflits armés internationaux, la question cruciale qui se pose aux États est de savoir quelles sont les limitations géographiques, s’il doit y en avoir, dans l’application du droit international des conflits armés », a affirmé M. Emmerson, soulignant que la technologie des drones avait été développée spécifiquement « pour un usage dans les conflits asymétriques impliquant des groupes armés non étatiques ».
« L’application des dispositions du droit international qui réglementent le recours à la force au moyen de drones est loin de faire l’unanimité », a-t-il indiqué, citant notamment la doctrine américaine élaborée dans les années 2000, qui voit dans la lutte internationale contre le terrorisme un conflit armé justifiant que soit dressée une liste d’individus considérés comme des cibles militaires légitimes. « En dehors des situations de conflit armé, le droit international interdit en effet presque toutes les opérations de contreterrorisme, qui ont pour objectif, unique ou principal, d’infliger une souffrance létale. »
« Nous assistons à la contestation de cette doctrine américaine, laquelle a reçu l’imprimatur de la Cour suprême des États-Unis, par d’autres États, ce qui souligne la nécessité de discussions approfondies entre États concernant les drones », a poursuivi M. Emmerson, qui a relevé par ailleurs la prise de conscience internationale en ce qui concerne les défis posés par l’utilisation de ces armes, notamment les pertes civiles qu’elles peuvent provoquer.
« Les drones offrent aux États un avantage stratégique en réduisant fortement le délai entre le repérage de la cible potentielle, parfois éloignée, et le déploiement de la force meurtrière », a affirmé, pour sa part, M. Heyns, rappelant que le nombre de victimes civiles pouvait être diminué du fait de la latitude accrue dans la décision de déclenchement d’un tir. Il a aussi indiqué que la prolifération des drones pourrait accroître le niveau de tolérance des sociétés face au déploiement de la force meurtrière, avec pour tentation d’assouplir les normes juridiques concernées.
« Le manque de transparence constitue le plus grand obstacle à l’évaluation de l’impact des frappes de drones sur les civils, ce qui rend difficile l’évaluation objective des allégations de frappes ciblées », a souligné M. Emmerson, qui a longuement détaillé les défis posés par le programme de tirs de drones américains au Pakistan, à la lumière de la publication cette semaine d’un rapport critique d’Amnesty international sur le sujet, que le Rapporteur spécial a mentionné.
« Alors que les États-Unis ont reconnu avoir procédé à des tirs de drones au Yémen et en Somalie, le programme au Pakistan est, lui, resté classé secret défense. Il devrait néanmoins connaître une transparence accrue, depuis que le Président Obama a annoncé en mai dernier que ce programme relèverait désormais du Ministère de la défense américain et non plus de la CIA », a-t-il précisé, alors que pour M. Heyns, ce transfert n’est pas « forcément le gage d’une transparence absolue ». M. Emmerson a néanmoins tenu à rappeler que les informations sur les tirs de drone en Afghanistan ayant provoqué des pertes civiles avaient été rendues publiques par les autorités américaines.
M. Emmerson a également expliqué qu’à son avis, les tirs de drones constituaient une violation de la souveraineté pakistanaise, puisque la procédure parlementaire d’autorisation de tels tirs qui avait été mise en place n’a pas été respectée. Il a souligné le manque de transparence « complet » du programme américain de tirs de drones au Pakistan entre 2005 et 2011, qui ont correspondu au nombre le plus élevé de victimes civiles. Il a estimé à « entre 400 et 700 » le nombre de victimes civiles, entre 2001 et aujourd’hui, provoquées par des tirs de drones américains au Pakistan, alors que 60 victimes civiles environ seraient à déplorer au Yémen.
Interrogé sur les réparations que pourraient obtenir les familles des victimes civiles, comme cela est le cas en Afghanistan et, de manière moins systématique au Yémen, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a indiqué que le secret qui entoure encore le programme américain au Pakistan constituait la principale entrave au versement de telles indemnisations. « Il est clair que chaque fois qu’il y a un cas de violation du droit international, il y a obligation d’indemniser », a conclu M. Heyns.
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