En prévision de la réunion de haut niveau prévue en septembre sur la question, l’Assemblée générale organise un débat thématique sur l’état de droit
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Assemblée générale
Soixante-cinquième session
Débat thématique interactif
Matin & après-midi
EN PRÉVISION DE LA RÉUNION DE HAUT NIVEAU PRÉVUE EN SEPTEMBRE SUR LA QUESTION,
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORGANISE UN DÉBAT THÉMATIQUE SUR L’ÉTAT DE DROIT
Alors que le monde arabe et la Côte d’Ivoire sont secoués par des crises politiques et sociales de grande ampleur, l’Assemblée générale a organisé aujourd’hui un débat informel sur le thème de l’état de droit, en vue de la réunion de haut niveau qui sera consacrée à ce sujet en septembre prochain, lors de la soixante-sixième session de l’Assemblée générale.
Le Président de la soixante-cinquième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, M. Joseph Deiss, a déclaré que le débat d’aujourd’hui se tenait dans un contexte où l’aspiration des peuples à la liberté et à la justice se faisait plus forte que jamais, tandis que le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, a, pour sa part, estimé qu’il suffisait de lire les grands titres de la presse pour comprendre son importance. De retour d’un déplacement au Moyen-Orient, le Ministre des affaires étrangères de l’Autriche, M. Michael Spindelegger, a confirmé les attentes des peuples et les appels lancés par les populations en faveur de la liberté et de la dignité.
« Les changements importants que l’on observe à l’heure actuelle ne se limitent pas à une seule zone géographique ou à un groupe de nations », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, en soulignant que le principe pour lequel se battent les manifestants est universel.
M. Ban a identifié quatre défis à relever par la communauté internationale et par chaque nation: le manque de capacités civiles; l’inadéquation entre les ressources financières allouées au renforcement de l’état de droit et les besoins réels; la fragmentation de la communauté des acteurs pertinents et la nécessité de surmonter les obstacles politiques.
Il est donc temps, a-t-il ajouté, de réfléchir de façon créative au développement d’un forum mondial pour la conduite d’un dialogue. « Les Nations Unies en représentent le lieu naturel », a-t-il ajouté. La Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Mme Asha-Rose Migiro, a également souligné que l’ONU était devenue au fil des années « une instance unique pour trouver des solutions communes à des problèmes communs ayant trait aux liens entre état de droit et développement ».
Commentant le récent autodafé du Coran en Floride et les tristes évènements qui l’ont suivi, le Secrétaire général a indiqué que le respect de l’état de droit impliquait le respect des droits de l’homme et la tolérance des différences humaines, surtout lorsqu’elles sont liées à des choses aussi fondamentales que les différences de culture et de religion.
« Quand des gens détruisent sciemment le Livre saint d’une religion, ils exercent sans doute leur liberté d’expression, mais ils permettent aussi aux voix de la haine et de l’intolérance de se faire entendre », a-t-il dit. Le Secrétaire général a condamné de tels actes, soulignant que l’état de droit était fondé sur le respect et la compréhension mutuelle, et il a aussi condamné ceux qui répondent aux discours de la haine par la violence.
L’Assemblée générale a organisé dans le cadre de ce débat deux tables rondes thématiques. Présidée par le Représentant permanent de la Jordanie auprès des Nations Unies, le Prince Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, la première a mis l’accent sur le rôle central joué par l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit. Faisant le point sur la relation entre état de droit et développement, la seconde table ronde a été modérée par le Vice-Ministre des relations extérieures, chargé des affaires multilatérales et des droits de l’homme du Mexique, M. Juan Manuel Gómez-Robledo.
S’exprimant au nom du Mouvement des non-alignés, le représentant de la République islamique d’Iran s’est interrogé ce matin sur les raisons qui ont justifié la tenue d’un tel débat thématique informel par l’Assemblée générale, dans la mesure où la résolution adoptée le 6 décembre dernier ne prévoyait pas de préparatifs pour la réunion de haut niveau prévue à l’ouverture de la 66ème session de l’Assemblée.
Le Président de l’Assemblée générale a répondu qu’il avait informé tous les États Membres, les missions d’observation et tous les groupes accrédités auprès de l’Organisation de cette réunion, et que les discussions d’aujourd’hui ne préjugeaient en rien du contenu de la réunion de haut niveau de septembre prochain.
Dans ses remarques de clôture, la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Mme Asha-Rose Migiro, a souligné la qualité qu’ont eue les échanges qui se sont tenus « sur cette question importante de la primauté du droit dans les défis mondiaux que nous devons relever ». « Vous l’avez dit, pour prévenir les conflits qui pèsent sur la stabilité régionale, la protection juridique de tous aide à régler les différends par des moyens légaux en évitant la violence », a-t-elle ajouté.
DÉBAT THÉMATIQUE INTERACTIF SUR LE THÈME « L’ÉTAT DE DROIT ET LES DÉFIS MONDIAUX »
Déclarations liminaires
M. JOSEPH DEISS, Président de la soixante-cinquième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, a déclaré que ce débat se tenait dans un contexte où l’aspiration des peuples à la liberté et à la justice se faisait plus forte que jamais. En 2005, lors du Sommet mondial, les chefs d’État ont réaffirmé leur engagement en faveur de l’état de droit, qui constitue un principe de gouvernance au cœur de la mission des Nations Unies, a-t-il rappelé. C’est un but en soi, mais aussi un moyen essentiel de garantir le développement futur des nations qui sortent d’un conflit. « Notre débat d’aujourd’hui se veut une contribution à la préparation de la réunion de haut niveau que l’l’Assemblée générale tiendra lors de sa soixante-sixième session », a indiqué le Président Joseph Deiss, qui a cependant précisé qu’un débat thématique informel ne saurait préjuger de la teneur d’une réunion de haut niveau. « Nous devons nous concentrer ce matin sur la manière dont l’état de droit peut constituer un facteur de consolidation de la paix dans les situations postconflit », a souligné M. Deiss. La deuxième table ronde soulignera le rôle de l’état de droit pour attirer l’investissement direct étranger et dans le développement social et économique, a-t-il précisé, avant de se dire confiant quant à la qualité et à la diversité des intervenants, qui est de nature à aboutir à une discussion riche et stimulante.
M. BAN KI-MOON, Secrétaire général des Nations Unies, a déclaré qu’il suffisait de lire les grands titres dans les médias pour comprendre l’importance du débat thématique tenu aujourd’hui par l’Assemblée. À travers le monde arabe, des peuples qui ont vu depuis longtemps leurs droits fondamentaux et leurs libertés ignorés demandent la justice, la dignité et l’état de droit, a-t-il affirmé. De même, en Afrique, en Asie et en Europe, sont entendus les appels à la bonne gouvernance, à la transparence et aux protections contre la corruption; à des systèmes juridiques efficaces et dignes de confiance; et à la responsabilité pour les crimes et les violations des droits de l’homme. M. Ban a expliqué que les récents changements importants que l’on observe ne se limitaient pas à une seule zone géographique ou à un groupe de nations. Le principe pour lequel se battent les manifestants est universel: c’est la foi dans la suprématie d’un gouvernement basé sur des lois, et nom sur des hommes, a-t-il dit.
Selon le Secrétaire général, ce principe fondamental est essentiel pour l’ordre international moderne et représente le meilleur espoir pour parvenir à édifier des sociétés pacifiques et prospères. M. Ban a indiqué que le débat plénier d’aujourd’hui était le premier de l’Assemblée générale sur l’état de droit depuis le Sommet mondial de 2005. L’Organisation a fait beaucoup depuis, a-t-il dit.
Il a ainsi noté qu’une attention plus grande avait été accordée à la justice transitionnelle. De même, grâce au travail de la Cour pénale internationale (CPI) et de tribunaux similaires, les crimes contre l’humanité et les violations à grande échelle des droits de l’homme ne demeurent plus impunis. « Nous entrons dans une nouvelle ère de responsabilités », a déclaré Ban Ki-moon, précisant que le renvoi par le Conseil de sécurité de la situation en Libye devant la CPI en était l’illustration. En outre, le Conseil de sécurité renforce la question de l’état de droit dans les mandats des missions de maintien et de consolidation de la paix, a indiqué M. Ban.
Le Secrétaire général a également souligné que l’assistance de l’ONU en matière d’état de droit atteignait plus de 125 pays dans toutes les régions du monde. M. Ban a identifié quatre défis à relever. La capacité civile n’est plus ce qu’elle était, a-t-il dit. En outre, les ressources financières allouées au renforcement de l’état de droit ne correspondent pas aux discours soulignant son importance. La communauté des acteurs pertinents reste fragmentée, a-t-il poursuivi, mettant enfin l’accent sur la nécessité de reconnaître la nature politique de ces travaux et de surmonter les obstacles politiques.
Il est temps, a déclaré le Secrétaire général, de réfléchir de façon créative au développement d’un forum mondial pour le dialogue. Les Nations Unies en représentent le lieu naturel, a-t-il ajouté.
Par ailleurs, le Secrétaire général a commenté le récent autodafé du Coran en Floride. Le respect de l’état de droit implique le respect des droits de l’homme et la tolérance des différences humaines, surtout lorsqu’elles sont liées à des choses aussi fondamentales que les différences de culture et de religion, a estimé M. Ban. Quand des gens détruisent sciemment le Livre saint d’une religion, ils exercent sans doute leur liberté d’expression, mais ils permettent aussi aux voix de la haine et de l’intolérance de se faire entendre, a-t-il dit. Le Secrétaire général a condamné de tels actes, soulignant que l’état de droit était fondé sur le respect et la compréhension mutuelle, et non sur la diabolisation de l’autre. Ceux qui répondent à ces discours de la haine par la violence doivent également être condamnés, a-t-il ajouté, précisant que l’assassinat de personnes innocentes ne pouvait en aucune façon être justifié, quelle que soit la provocation.
Mme CHRISTIANA TAH, Ministre de la justice et Procureure générale de la République du Liberia, a déclaré qu’après la signature de l’Accord de paix global de 2003, son pays avait tiré les leçons de 14 ans de guerre civile, une guerre due en partie à l’absence d’état de droit. Quand le présent Gouvernement libérien a pris ses fonctions en 2005, il a clairement mis en évidence les faiblesses de l’état de droit dans sa Stratégie de réduction de la pauvreté. Guidé par ce document, sur lequel les partenaires internationaux ont aligné leur aide, le Libéria a accompli de réels progrès dans le rétablissement de l’état de droit dans l’ensemble du pays, qu’il s’agisse de l’harmonisation des réformes du secteur de la sécurité et des initiatives en faveur de l’état de droit, ou de la mise en place de nouvelles institutions, telles que la Commission de la réforme juridique, la Commission anticorruption et la Commission nationale indépendante sur les droits de l’homme. La Ministre a également fait état de l’amélioration de la représentation des femmes au sein de l’appareil judiciaire et des agences de sécurité gouvernementale et de lutte contre les violences dirigées contre les femmes. Mme Tah a indiqué que son gouvernement avait par ailleurs mis l’accent sur l’accès des populations à la justice dans les zones rurales.
Il reste cependant beaucoup à accomplir, a-t-elle souligné. Ainsi, elle a jugé qu’il fallait mettre en place une approche holistique et intégrée pour garantir le succès de l’état de droit. La Ministre a expliqué qu’il fallait privilégier la coordination des donateurs dans les situations de consolidation de la paix, maintenir un financement constant pour toutes les activités liées à la justice et à la sécurité, et fournir les services de base dont la population a besoin. Mme Tah a également préconisé des partenariats forts, que ce soit aux niveaux régional ou international, et ce afin d’améliorer la résilience des pays aux chocs externes. Pour sa part, le Libéria est à la croisée des chemins, a noté la Ministre, qui a expliqué que son pays luttait avec les nombreux problèmes posés par la situation en Côte d’Ivoire, mais aussi par les préparatifs des élections prévues cette année, qui constituent un test important pour les institutions libériennes de justice et de sécurité. C’est pourquoi elle s’est félicitée de l’existence de deux nouveaux mécanismes de coordination et de financement que sont le Fonds d’affectation pour la justice et la sécurité et la Commission de consolidation de la paix.
M. MICHAEL SPINDELEGGER, Ministre des affaires étrangères de l’Autriche, a rappelé que le débat d’aujourd’hui se déroulait à un moment essentiel. Il a ainsi fait état des événements récents survenus en Tunisie et en Égypte. Il a expliqué qu’il revenait d’un voyage au Moyen-Orient où il avait pu être le témoin « des appels des populations en faveur de la liberté et de la dignité »; la dignité issue de la participation politique, du respect des droits de l’homme, de l’accès à la justice, de l’égalité devant la loi et la responsabilité. Il est essentiel, a-t-il estimé, que les dirigeants agissent de manière responsable, entendent les voix de leurs peuples et assurent leur leadership en mettant en œuvre les réformes nécessaires. Néanmoins, a-t-il ajouté, de telles réformes ne peuvent êtres effectuées en une nuit, et de nombreux pays ont besoin de l’assistance de la communauté internationale.
Le Ministre autrichien a regretté qu’alors que plusieurs pays ont œuvré à une transition pacifique, le régime libyen ait quant à lui décidé de déclarer la guerre à son propre peuple. Le régime de Mouammar Qadhafi, a-t-il dit, doit cesser toutes les attaques contre les civils. Toutes les parties au conflit doivent respecter leurs obligations relevant du droit international humanitaire, a-t-il ajouté.
En dépit des progrès importants réalisés depuis le Sommet mondial de 2005, dont le Ministre a dressé la liste, des défis sérieux et des lacunes subsistent, a-t-il observé. Ainsi, selon M. Spindelegger, les États Membres devraient renforcer leurs efforts visant à promouvoir un ordre international fondé sur l’état de droit et le droit international, avec les Nations Unies en leur centre. Ceci passe notamment, a-t-il dit, par la ratification et l’application des accords internationaux pertinents et le règlement des différends par des moyens pacifiques.
Ensuite, les efforts en vue de promouvoir l’état de droit devraient se concentrer sur la prévention, tandis que dans toutes les activités liées à l’état de droit, les perspectives locales et l’appropriation nationale devraient être renforcées. Enfin, le Ministre autrichien des affaires étrangères a mis l’accent sur la nécessité d’améliorer la coordination et la cohérence des activités liées à l’état de droit, à la fois au sein des entités pertinentes du système des Nations Unies et parmi les États Membres.
Table ronde 1: « État de droit et situations de conflit »
Présidée par le Prince ZEID RA’AD ZEID AL-HUSSEIN, Représentant permanent de la Jordanie auprès des Nations Unies, cette table ronde a mis l’accent sur le rôle central joué par l’état de droit dans les sociétés sortant d’un conflit.
Mme NAVANETHEM PILLAY, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), a indiqué que comme les exemples de la Côte d’Ivoire et de la Libye le démontrent aujourd’hui, « lorsque la volonté des peuples n’est pas respectée, la colère et le désenchantement surgissent et les violations des droits de l’homme se multiplient ». Mme Pillay a suggéré plusieurs pistes pour éviter de telles situations et aider les États Membres à rétablir l’état de droit sur leur territoire. La Haut-Commissaire aux droits de l’homme a tout d’abord souligné l’importance de sensibiliser les gouvernements aux normes existantes en matière de droits de l’homme, jugeant que les Nations Unies offraient une plate-forme idéale pour le partage des connaissances, des expériences et des pratiques optimales entre États Membres. En outre, l’instauration de l’état de droit exige l’expertise de personnels disposant de la formation et du bagage juridique, culturel et linguistique appropriés, a noté Mme Pillay. C’est pourquoi le HCDH se propose d’assister les Gouvernements dans l’identification de leurs besoins, ceci au travers de programme de coopération technique, comme c’est actuellement le cas dans 54 pays, a indiqué Mme Pillay. Elle a également attiré l’attention sur la nécessité pour les Gouvernements de mettre en œuvre les réformes nécessaires à l’amélioration de l’état de droit au niveau national. Il est de notre devoir de rappeler aux États leurs obligations, a par ailleurs estimé Navi Pillay, pour qui le système intergouvernemental, notamment le Conseil des droits de l’homme et ses procédures spéciales, ainsi que les organes de traité, ont un rôle déterminant à jouer à cet égard.
M. JEAN-MARIE GUÉHENNO, ancien Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, a affirmé que toutes les situations postconflit démontraient que la règle de droit était une composante essentielle du maintien et de la consolidation de la paix. Une société en paix est une société prévisible, c’est à-dire une société où l’application des décisions de justice sera respectée, a-t-il souligné. Cette attente, très simple, définit la notion même de société stable, a estimé M. Guéhenno. Or, trop souvent, nous considérons que cette attente va de soi, a-t-il relevé. Prenant des exemples, il a fait remarquer qu’à un moment donné, il était plus simple pour le citoyen ordinaire d’Haïti de demander la protection des gangs plutôt que celle des forces nationales de sécurité, et pour celui de République démocratique du Congo (RDC) de s’adresser aux milices plutôt qu’aux forces gouvernementales congolaises. S’il ne dispose pas de la capacité à imposer ses lois, l’État ne peut pas percevoir ses impôts et n’a de ce fait pas moyen de faire respecter son autorité, a prévenu M. Guéhenno.
« L’autorité de la loi est le plus grand multiplicateur de force pour un pays », a-t-il insisté. Par exemple, la sélection rigoureuse des forces de police en Bosnie-Herzégovine a joué un rôle fondamental dans le rétablissement de l’état de droit dans ce pays, a-t-il fait observer. Si l’absence de pouvoir judiciaire porte atteinte à la crédibilité de l’État, a poursuivi M. Guéhenno, il faut faire un effort tout aussi important pour mettre en place un espace de justice pénale efficace, qui doit, par exemple, pouvoir demander à l’armée de rendre des comptes. L’absence d’un tel système s’est fait sentir en Haïti dans les années 90, a rappelé l’ancien Secrétaire général adjoint. Il s’est félicité du renforcement de la coopération entre agences du système des Nations Unies depuis son départ et a souligné que le recours possible à la justice internationale ne devait pas se faire au détriment de la justice nationale des États.
M. ERNEST PETRIC, Président de la Cour constitutionnelle de la Slovénie, a déclaré que le fonctionnement d’un État repose sur le droit quand les droits des personnes physiques et morales sont respectés. Dans une société où la population pense qu’elle est effectivement protégée par l’état de droit, les désaccords politiques les plus virulents peuvent être résolus de manière pacifique, en multipliant les médiations par exemple, a indiqué M. Petric. Or l’état de droit est une question parfois négligée dans les sociétés postconflit, où son absence peut pourtant précipiter à tout moment les sociétés dans la corruption et la criminalité, a noté Ernest Petric. Aussi a-t-il jugé que le rétablissement de l’état de droit constituait une priorité très importante pour les Nations Unies. Pour y parvenir, la communauté internationale doit comprendre qu’il n’existe pas de solutions à court terme. Il est crucial qu’une confiance totale en l’importance de l’état de droit se mette en place au sein des États, sans préjuger de résultats immédiats. L’ONU quant à elle devrait fournir une assistance aux pays en transition au travers de l’organisation de séminaires et de conférences, et en soutenant le secteur judiciaire aux niveaux national et régional, a recommandé M. Petric. Par ailleurs, a-t-il ajouté, les États devraient être priés d’accepter la juridiction de la Cour internationale de Justice et celle de la Cour pénale internationale, ainsi que de ratifier tous les traités internationaux existants, a ajouté le Président de la Cour constitutionnelle slovène.
M. MICHAEL VON DER SCHULENBURG, Représentant spécial du Secrétaire général pour la Sierra Leone, a commencé par rappeler que l’état de droit était un concept difficile à se représenter pour les populations et les Gouvernements de nombreux pays sortant d’un conflit. Il y a, cependant, partout, un désir de justice, qui prend souvent la forme d’une demande de respect des droits individuels et d’accès aux soins de santé, a noté le Représentant spécial. Selon lui, le sentiment d’aliénation et de violence provient du fossé qui existe dans les situations postconflit entre société traditionnelle et société moderne, qui, aux yeux des populations ayant souffert, semblent toutes deux avoir échoué. Dans de nombreux pays, en effet, les systèmes juridiques en vigueur ont été « importés » de l’extérieur et n’ont pas eu la possibilité de s’inscrire dans la société locale, a relevé M. von der Schulenburg. Une méfiance s’est installée vis-à-vis des avocats, qui sont perçus comme se vendant au plus offrant, a d’autre part noté le Représentant spécial. Aussi, n’est-il pas surprenant de constater qu’environ 80% des litiges ne sont pas portés à l’attention des tribunaux dans les sociétés postconflit. Si l’état de droit moderne y était imposé, cela serait un facteur de conflit plus que de paix, a-t-il souligné. La justice traditionnelle doit être reconnue, et il est nécessaire de réfléchir aux moyens qui permettraient d’en intégrer les formes qu’elle prend, selon les spécificités des différents pays. Ainsi, a fait observer le Représentant spécial, les systèmes de justice en Afrique s’articulent principalement autour de l’idée d’arbitrage et non de contentieux.
Débat interactif
Ouvrant la discussion interactive, le représentant de la Hongrie, qui s’exprimait au nom de l’Union européenne, a estimé que la promotion de l’état de droit figurait parmi les meilleurs moyens de lutte contre un conflit. Son homologue du Japon a déclaré pour sa part que l’instauration de l’état de droit exigeait la création d’un système juridique souple, qui fasse l’objet d’un réexamen régulier sur les meilleures manières de faire appliquer le droit. Certaines délégations ont souligné de leur côté le rôle clef joué par la Cour pénale internationale, tandis que d’autres, comme le Cambodge, ont attiré l’attention sur l’importance de l’appropriation nationale, en privilégiant par exemple la création de juridictions mixtes, comme les tribunaux qui ont été établis au Cambodge.
Reprenant à leur compte les propos du Représentant spécial du Secrétaire général pour la Sierra Leone, d’autres États Membres, à l’instar de l’Ouganda, ont jugé que les mécanismes de justice traditionnels et communautaires pouvaient jouer un rôle important, tout en prévenant que des tels mécanismes devaient rendre la justice dans les limites fixées par les normes internationales existantes des droits de l’homme. Son homologue de la Bosnie-Herzégovine a rappelé qu’en janvier dernier, il avait présidé un débat thématique du Conseil de sécurité sur la consolidation de la paix, au cours duquel avait été soulignée l’importance d’envisager le retour des réfugiés au travers d’un processus de consolidation des institutions.
Table ronde 2: « État de droit et développement »
Présidée par M. JUAN MANUEL GÓMEZ-ROBLEDO, Vice-Ministre des relations extérieures chargé des affaires multilatérales et des droits de l’homme du Mexique, cette table ronde a fait le point sur la contribution apportée par l’état de droit dans le développement des sociétés émergeant d’un conflit ou en transition.
Mme HELEN CLARK, Secrétaire générale adjointe et Administratrice du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a déclaré que le renforcement de l’état de droit était une obligation juridique des États, mais qu’il permettait aussi de favoriser le développement des nations. Ainsi, le fait de légaliser les secteurs d’activité qui relèvent de l’économie informelle permet d’assurer la protection des revenus, et élargit l’accès aux marchés et aux opportunités professionnelles, a indiqué Mme Clark. Les secteurs d’activités déclarés permettent aussi à l’État d’élargir son assiette fiscale, a-t-elle précisé. Dans son rapport 2010 sur le développement, la Banque mondiale révèle que la violence politique et criminelle a un impact sur un nombre de gens de plus en plus important à travers le monde, et en particulier dans les pays à revenus intermédiaires, a poursuivi l’Administratrice du PNUD. Pour sa part, le PNUD aide les pays qui lui en font la demande à appliquer l’état de droit de manière rigoureuse et à renforcer leurs institutions, comme il l’a fait par exemple en République démocratique populaire lao ou en Indonésie, où des stratégies de développement de la justice nationale ont été lancées avec un accent particulier sur l’accès des femmes et des minorités à la justice.
Mme MICHELLE BACHELET, Secrétaire générale adjointe à l’égalité des sexes et à l’autonomisation de la femme (ONU-Femmes), a déclaré pour sa part que, pour garantir l’accès équitable des femmes et des hommes à la justice, il fallait que les préoccupations des femmes s’inscrivent dans un cadre juridique reconnu et ne restent pas limitées à la sphère privée. Mme Bachelet a cité à cet égard la mise en œuvre de moyens innovants pour parvenir à « rendre » la justice aux femmes, comme par exemple en recourant à des « tribunaux mobiles », comme ce fut le cas en Haïti et en Indonésie au lendemain des catastrophes humanitaires qu’ont connu ces deux pays. Après avoir rappelé le débat qui avait opposé, pendant quelques années, les tenants de l’« état de droit » à ceux du « développement », Mme Bachelet a assuré que, du point de vue des femmes, il ne peut y avoir de paix et de développement à long terme sans justice. Selon la Secrétaire générale adjointe chargée d’ONU-Femmes, le mécanisme de justice transitionnelle le plus important à la disposition des femmes demeure leur droit à réparation: il s’agit en effet de la passerelle la plus concrète jetée entre état de droit et développement, a-t-elle souligné, puisque sa mise en application permet de fournir aux victimes des ressources nécessaires à leur relèvement social.
Mme ANNE-MARIE LEROY, Vice-Présidente et Conseillère juridique à la Banque mondiale, a déclaré que l’état de droit constitue le fondement du processus de développement. Elle a cependant souligné l’importance de ne pas chercher à appliquer des solutions toutes prêtes à tous les pays, chacun ayant ses propres spécificités. Elle a ensuite relevé l’importance de disposer d’un système judiciaire efficace dans les stratégies de développement et de réduction de la pauvreté. Depuis 1994, la Banque mondiale a investi plus de 850 millions de dollars dans 36 projets visant à renforcer le secteur judiciaire, a indiqué Mme Leroy. Quant aux prêts accordés par la Banque entre 2005 et 2010, ils sont évalués à 335 millions de dollars par an. Les projets anticorruption figurent parmi les priorités de la Banque mondiale, qui a évalué à entre 20 et 40 milliards de dollars par an les pertes enregistrées par les pays en développement en raison de malversations, a déclaré la Conseillère juridique de la Banque.
Mme ATHALIAH MOLOKOMME, Ministre de la justice du Botswana, a indiqué que la justice économique et sociale, la croissance économique et le développement durable étaient étroitement liés et interdépendants de l’état de droit et des droits de l’homme. « Au Botswana, nous estimons que les réalisations faites sur le plan économique ont été facilitées par les efforts déployés pour rétablir la démocratie », a affirmé la Ministre. En outre, a-t-elle ajouté, la participation locale et l’appropriation sont déterminantes dans le succès de l’état de droit. Au Botswana, les communautés locales sont consultées depuis de longues années dans le cadre des kgotlas, les places traditionnelles où ont lieu les consultations populaires, a-t-elle expliqué.
Débat interactif
Réagissant aux déclarations des panélistes, des représentants d’États Membres ont, entre autres, souligné le caractère problématique que revêtent l’imposition de mesures unilatérales, l’application sélective du droit international et la menace du recours à la force dans des pays où l’état de droit a disparu.
Ils ont ainsi plaidé, à l’instar du Nicaragua, en faveur d’un règlement des différends de manière pacifique, cela en tenant compte de la nécessité d’axer l’appui international à la stabilisation vers le développement et l’autonomisation des peuples. « Ceux qui imposent des blocus à Cuba et à Gaza, et empêchent les populations d’exercer leurs droits fondamentaux, doivent les lever sans condition, et l’ONU doit se prononcer sur ces questions brûlantes », a estimé la représentante du Nicaragua.
Répondant à cette intervention, le représentant de la Suisse a affirmé que, « souvent, ce ne sont pas les États qui violent les règles mais les acteurs non étatiques, comme on le voit dans les guerres civiles ou dans les situations où les gouvernements sont en situation d’échec ».
La primauté du droit ne doit pas être un concept théorique, mais pratique, afin que le citoyen lambda puisse jouir pleinement de ses droits et voir sa situation réelle s’améliorer, ont encore jugé de nombreuses délégations.
En outre, a ajouté la délégation de la Finlande, « il faut traiter de questions de justice pour trouver des solutions à des choses qui ont eu lieu dans le passé, car à notre avis, c’est une condition pour préparer au mieux l’avenir en se plaçant du point de vue des victimes d’hier ». « Celles-ci, les femmes en particulier, demandent que justice leur soit rendue et que des réparations leur soient accordées pour retrouver une dignité perdue », a-t-elle ajouté, appelant à une participation accrue des citoyennes dans les processus de paix et de reconstruction dans les sociétés postconflit. « Quels types de réparation peuvent être mis en place après un conflit? », a-t-elle demandé.
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