La présence de navires de guerre au large des côtes somaliennes ne suffira pas à mettre fin à la piraterie, déclare M. B. Lynn Pascoe devant le Conseil de sécurité
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6417e séance – matin
LA PRÉSENCE DE NAVIRES DE GUERRE AU LARGE DES CÔTES SOMALIENNES NE SUFFIRA PAS À METTRE
FIN À LA PIRATERIE, DÉCLARE M. B. LYNN PASCOE DEVANT LE CONSEIL DE SÉCURITÉ
Il préconise une combinaison de mesures pour la dissuasion,
l’édification d’un état de droit et le développement économique et social
Le problème de la piraterie au large des côtes somaliennes ne sera pas résolu par la présence de navires de guerre plus nombreux mais par une combinaison de mesures de dissuasion, d’édification d’un État de droit en Somalie et de développement économique et social, a déclaré ce matin devant le Conseil de sécurité le Secrétaire général adjoint aux affaires politiques, M. B. Lynn Pascoe.
Le Directeur exécutif de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), M. Youri Fedotov, a pour sa part reconnu que les poursuites contre les pirates représentaient un fardeau considérable pour les États de la région et précisé que cette institution s’attachait à renforcer les capacités de ces pays afin de moderniser les centres de détention et de veiller à l’accès des prévenus à des avocats de la défense dans ces pays.
M. Pascoe a présenté au Conseil de sécurité le dernier rapport en date du Secrétaire général sur les actes de piraterie et les vols à main armée commis en mer au large des côtes somaliennes*, en l’actualisant. Faisant état de 438 personnes et 20 navires détenus par les pirates à la date du 4 novembre, soit près de 100 personnes détenues en plus en moins d’un mois, il a jugé ces chiffres « effrayants ». M. Pascoe a également rappelé que les pirates prenaient des risques de plus en plus grands et faisaient preuve d’une audace croissante. Rappelant que les voies maritimes menacées sont essentielles pour l’assistance humanitaire à la population et que les attaques avaient des conséquences sur la situation économique des pays de la région et au-delà, le Secrétaire général adjoint a estimé que ce serait même pire sans la présence des différentes coalitions maritimes internationales au large de la Somalie. Il a également précisé que des mesures de protection avaient été prises par l’industrie maritime et l’Organisation maritime internationale (OMI).
Il faut cependant faire beaucoup plus, a déclaré M. Pascoe, qui a mis l’accent sur la nécessité de s’attaquer aux causes de la piraterie et de travailler simultanément sur trois fronts: la dissuasion, l’édification d’un État de droit en Somalie et le développement économique et social du pays. Le Secrétaire général adjoint a ainsi rendu hommage au travail du Représentant spécial du Secrétaire général pour la Somalie, M. Augustine Mahiga, pour intégrer dans une stratégie d’ensemble pour la Somalie les travaux du Groupe de contact sur la lutte contre la piraterie, de l’équipe spéciale sur la piraterie du Gouvernement fédéral de transition somalien, des différents forces navales, ainsi que le développement dans les secteurs de la sécurité, de l’économie et des questions humanitaires. Pour M. Pascoe, la relance du processus de Kampala constitue l’un des moyens clefs pour s’assurer que les Somaliens eux-mêmes, dans leurs différentes régions administratives, travaillent ensemble.
En matière de dissuasion, M. Pascoe a lancé un appel aux navires qui transitent par la région pour qu’ils appliquent les recommandations de l’OMI et de l’industrie navale. Il a également jugé essentielle la coopération régionale et s’est félicité de l’adhésion au Code de conduite de Djibouti de deux nouveaux pays, la Jordanie et Oman. Il a remercié les pays qui acceptent actuellement de poursuivre les personnes qui seraient responsables d’actes de piraterie, en particulier le Kenya et les Seychelles. Rappelant le coût élevé de telles mesures, M. Pascoe a invité les États Membres mais aussi l’industrie navale à contribuer au Fonds d’affectation spéciale mis en place à cet effet. M. Pascoe a aussi rappelé qu’il restait à déterminer les arrangements pour la détention de longue durée des pirates condamnés, et que le Secrétaire général avait identifié sept options possibles dans un précédent rapport**. Il a précisé que le Conseiller spécial du Secrétaire général pour les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes, M. Jack Lang, devrait présenter des recommandations avant la fin de l’année.
Toujours en matière de dissuasion, M. Fedotov a souligné, qu’au cours de ces deux dernières années, le Programme contre la piraterie de l’UNODC avait permis de traduire en justice de nombreux criminels. Quelque 700 suspects ou personnes reconnues coupables sont actuellement détenus dans 12 pays, dont la moitié en Somalie même, a-t-il précisé. Outre la Somalie, le Kenya et les Seychelles jugent et détiennent des pirates, a-t-il indiqué, avant d’annoncer que Maurice, la République-Unie de Tanzanie et les Maldives avaient récemment exprimé leur intérêt pour poursuivre en justice des auteurs d’actes de piraterie commis dans la région. Reconnaissant que les poursuites contre les pirates représentent un fardeau considérable pour les États concernés, il a assuré que l’UNODC s’attachait à renforcer les capacités de ces pays en vue de moderniser leurs centres de détention, souvent surpeuplés, et de faciliter l’accès des prévenus à des avocats de la défense. Pour le Directeur exécutif de l’UNODC, la proposition de M. Lang de transférer les pirates reconnus coupables dans les prisons somaliennes et de les juger conformément à l’état de droit en Somalie nécessitera des efforts supplémentaires de la part de l’UNODC.
Le second pilier de la riposte intégrée à la piraterie consiste à rétablir la sécurité et l’état de droit en Somalie même, a déclaré M. Pascoe, qui a rappelé que les Nations Unies, le Groupe de contact sur la lutte contre la piraterie et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) travaillaient à créer des capacités somaliennes capables de traiter de la piraterie sur le sol et dans la zone côtière. Il a lié cette capacité aux efforts en cours pour développer les secteurs de la sécurité et de la justice en Somalie et a rappelé qu’il faudrait fournir aux institutions somaliennes des ressources suffisantes et prévisibles pour leur permettre de s’acquitter de leurs tâches.
Le seul moyen de régler le problème de la piraterie au large des côtes somaliennes est effectivement de restaurer l’état de droit en Somalie, a déclaré, à son tour, M. Fedotov, qui a souligné qu’une telle tâche serait de longue haleine et exigerait des efforts internationaux « coordonnés et concertés ». Dans l’intervalle, a-t-il ajouté, le Programme de l’UNODC continuera de se concentrer sur la réalisation de ses trois objectifs actuels: garantir des procès équitables aux suspects détenus dans les pays de la région; assurer des conditions de détention dignes et sûres en Somalie; et permettre la tenue de procès justes et efficaces dans ce même pays.
M. Pascoe a enfin rappelé que la piraterie était aussi, largement, une question économique. Tant que la piraterie apparaîtra aussi lucrative, avec des rançons qui atteignent des dizaines sinon des centaines de millions de dollars, et que les autres perspectives économiques resteront aussi faibles, l’incitation à la piraterie sera évidente, a-t-il rappelé. C’est pourquoi la création de revenus alternatifs et notamment, la réhabilitation des pêches côtières, est si importante, a ajouté le Secrétaire général adjoint.
En fin de séance, le représentant de la Somalie, M. Elmi Ahmed Duale, a remercié les membres du Conseil de sécurité pour l’attention qu’ils continuent de porter à la situation dans son pays. Il a dit espérer que la stabilisation de la situation politique et le rétablissement de l’ordre en Somalie permettront de résoudre dans une grande mesure le problème de la piraterie. M. Duale a appuyé le rapport du Secrétaire général en estimant qu’il identifiait bien les problèmes, et a remercié le Directeur exécutif de l’UNODC pour le soutien que cette institution apporte à son pays et à plusieurs États voisins. Il a aussi tenu à exprimer les regrets de son gouvernement pour le nombre élevé de gens de mer en captivité dans les ports contrôlés par les pirates.
* En vertu du droit international, la notion de « piraterie » s’applique uniquement à des actes commis en haute mer et dans les zones économiques exclusives des États. Les actes équivalents, lorsqu’ils sont commis dans les eaux territoriales d’un État, sont désignés comme « vols à main armée en mer » ou « vols à main armée commis contre des navires ».
** S/2010/394
LA SITUATION EN SOMALIE
Rapport présenté par le Secrétaire général en application de la résolution 1897 (2009) (S/2010/556)
Dans ce rapport destiné à rendre compte de l’application de la résolution 1897 (2009) concernant les actes de piraterie et les vols à main armée commis en mer au large des côtes somaliennes, adoptée le 30 novembre 2009, le Secrétaire général réaffirme que les efforts visant à combattre la piraterie doivent s’inscrire dans la stratégie globale de mise en œuvre de l’Accord de paix de Djibouti et contribuer à un règlement à long terme de la situation dans le pays. Il réclame, outre les actions menées en haute mer, « des activités sur le littoral », dans la zone située entre la côte et les eaux internationales.
M. Ban Ki-moon, qui présente un examen des activités politiques, juridiques et opérationnelles menées par les parties concernées, rappelle que les actes de piraterie que connaît la région ont « des répercussions énormes sur l’économie des États d’Afrique de l’Est et du reste du monde ». Il salue donc les « efforts considérables » déployés par les États Membres tant au niveau militaire que politique pour lutter contre la piraterie ».
Le Secrétaire général présente une mise à jour de la situation sur la base de renseignements reçus avant le 11 octobre 2010 par une vingtaine d’États Membres ainsi que des organisations régionales ou spécialisées, dont l’Organisation maritime internationale (OMI). Il dénombre 164 attaques contre des navires dans les eaux situées au large de la côte somalienne et 37 captures de navires pendant les neuf premiers mois de 2010, contre respectivement 193 attaques et 33 captures durant la même période de 2009. Au 11 octobre 2010, 18 navires et 389 gens de mer étaient détenus en otage, ajoute-t-il.
S’il estime que l’efficacité des opérations maritimes s’est améliorée et constate que les navires qui se conforment pleinement aux indications de l’OMI et aux meilleures pratiques de gestion élaborées dans le secteur des transports maritimes sont beaucoup moins exposés aux attaques des pirates que les autres, le Secrétaire général ajoute en revanche que le niveau de la violence employée par les pirates « s’est accru de manière déconcertante », de même que la portée de leurs actions, qui s’est considérablement élargie vers l’est et le sud grâce à des capacités renforcées.
Du fait de l’activité des composantes de la coalition maritime multinationale -opération Atalante de l’Union européenne, opération « Bouclier océanique » de l’OTAN et coalition navale du Groupe 151, qui regroupe 25 pays sous la direction des États-Unis- « de plus en plus de pirates ont été arrêtés et traduits en justice », constate le Secrétaire général. En même temps, il observe que la poursuite des pirates constitue un « défi formidable et non seulement pour la Somalie et pour ses voisins, mais aussi pour la communauté internationale dans son ensemble ». Il cite plusieurs raisons: les « lacunes considérables » du droit interne de nombreux pays en ce qui concerne la piraterie; les difficultés pour enquêter et recourir aux témoins, pour la plupart des gens de mer qui changent régulièrement de navire et d’employeur; la répugnance des États à offrir des possibilités de détention à long terme, même lorsqu’ils se montrent disposés à poursuivre les suspects; enfin l’existence de réseaux internationaux de financement de la piraterie, qu’il faut démanteler.
Le Secrétaire général rappelle qu’à la demande du Conseil de sécurité, il avait publié fin juillet un rapport présentant sept options possibles pour mieux poursuivre et incarcérer les pirates, que le Conseil avait examiné le 25 août avant d’adopter une déclaration présidentielle. M. Ban dit accueillir favorablement les mesures déjà prises, remercie les pays qui s’acquittent de cette tâche, en particulier le Kenya et les Seychelles, et salue l’intention de Maurice de jouer le rôle de centre régional pour la poursuite en justice des pirates. Il note en particulier les discussions « à un stade avancé » entre Maurice et l’Union européenne en vue de la conclusion éventuelle d’un arrangement relatif au transfèrement des personnes soupçonnées de piraterie.
Il faut cependant faire bien davantage, notamment améliorer la collecte de preuves et d’autres éléments utiles à l’enquête dès l’arrestation en mer, écrit le Secrétaire général, qui insiste aussi sur la nécessité de respecter les droits de l’homme à tous les stades des opérations de lutte contre la piraterie. M. Ban rappelle, en outre, qu’il a nommé à la même date le Français Jack Lang son Conseiller spécial pour les questions juridiques liées à la piraterie au large des côtes somaliennes et dit « attendre avec le plus grand intérêt de discuter des conclusions » des missions que celui-ci a menées dans les capitales concernées, en Somalie et dans les États de la région affectés.
Le Secrétaire général dit craindre que le phénomène de la piraterie au large des côtes somaliennes ne « perdure et s’aggrave encore » si la Somalie et la communauté internationale ne s’attaquent pas à ses causes profondes. Il observe d’ailleurs que, du fait des rançons payées pour obtenir la libération des otages et des navires, la piraterie est devenue « une activité attrayante » qui se traduit par « une économie florissante dans certaines localités situées le long du littoral » de la Somalie, où cette activité « devenue partie intégrante de la trame économique et sociale de la vie quotidienne », ce qui a « parfois amené les administrations régionales à fermer les yeux » sur les activités des groupes de pirates.
M. Ban juge donc urgent d’associer aux initiatives maritimes et judiciaires de lutte contre la piraterie, des mesures visant à trouver une solution pour la Somalie dans son ensemble, dans le prolongement de l’Accord de paix de Djibouti. Pour mettre un terme à la piraterie, il est essentiel de faire respecter les lois, réaffirme le Secrétaire général, qui demande aux États Membres de fournir fonds et moyens directement au Gouvernement fédéral de transition somalien, « puisque ces fonds et moyens contribueront à soutenir les efforts de lutte contre la piraterie menés par le Gouvernement ».
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