DEV/2753-ECO/156

Table ronde 3: mise en garde contre tout sentiment d’optimisme devant les premiers frémissements des marchés financiers

25/06/2009
Assemblée généraleDEV/2753
ECO/156
Département de l’information • Service des informations et des accréditations • New York

Conférence sur la crise

financière et économique mondiale

Table ronde 3 – après-midi


TABLE RONDE 3: MISE EN GARDE CONTRE TOUT SENTIMENT D’OPTIMISME DEVANT LES PREMIERS FRÉMISSEMENTS DES MARCHÉS FINANCIERS


L’embellie que certains économistes prévoient déjà semble bouder l’horizon des pays en développement.  Au cours de la table ronde que l’Assemblée générale a tenue, cet après-midi, dans le cadre sa Conférence sur la crise financière et économique, le ton était à l’alarmisme.  Une véritable mise en garde a été lancée contre tout sentiment d’optimisme devant les premiers frémissements des marchés financiers.


« Nous sommes loin d’être sortis de l’auberge », a tranché le Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales, face à une crise non seulement financière et économique mais également alimentaire, énergétique et climatique.  « Nous assistons », s’est alarmée la Directrice adjointe de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à « la première contraction du commerce mondial depuis 65 ans ». 


Le monde, a renchéri un représentant de l’Organisation internationale du Travail (OIT), risque d’enregistrer 90 millions de chômeurs de plus d’ici à 2015.  L’Afrique, que certains croyaient à l’abri de la crise financière, est frappée de plein fouet et se voit plongée dans une véritable « crise du développement », a estimé le Secrétaire général de la Commission économique pour l’Afrique (CEA). 


Cette crise, a estimé la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, est une occasion unique de rectifier les imperfections de l’architecture économique internationale.  C’est l’occasion, a acquiescé le Président du Centre Tricontinental, de renoncer une fois pour toute à la déréglementation de l’économie et au Consensus de Washington pour mettre en place un cadre réglementé où l’homme est placé au centre des politiques.   


Cette table ronde, qui portait sur les « Incidences actuelles et futures de la crise, notamment sur l’emploi, le commerce, l’investissement et le développement, ainsi que sur la réalisation des objectifs de développement dont les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), était coprésidée par le Ministre de la coordination de la politique économique de l’Équateur, M. Diego Borja, et le Ministre de la coopération au développement des Pays-Bas, M. Bert Koenders.


La Conférence des Nations Unies sur la crise financière et économique, et son incidence sur le développement achèvera ses travaux demain, vendredi 26 juin.     


TABLES RONDES AYANT POUR THÈME GÉNÉRAL « EXAMEN DE LA CRISE FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE MONDIALE DE PLUS EN PLUS GRAVE, DE SON INCIDENCE SUR LE DÉVELOPPEMENT ET DES MOYENS DE LA SURMONTER »


Table ronde 3: « Incidences actuelles et futures de la crise, notamment sur l’emploi, le commerce, l’investissement et le développement, ainsi que sur la réalisation des objectifs de développement adoptés au niveau international et des Objectifs du Millénaire pour le développement »


Ouvrant la table ronde, le Ministre équatorien de la coordination de la politique économique a estimé que le commerce et l’investissement ont été les vecteurs de transmission de la crise économique et financière dans les pays en développement.  La contraction du commerce a eu une incidence directe sur la hausse du chômage, alors que la pénurie de financement a eu un impact négatif sur les dépenses en infrastructures, « tuant dans l’œuf » les efforts des pays en développement pour rendre leur dette viable.  Aujourd’hui, a-t-il averti, l’on s’attend à une chute du produit intérieur brut (PIB) de 4% à 0%, ce qui est une « catastrophe » pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).  Que nous réserve l’avenir?, a-t-il demandé avec « inquiétude ».  La réalisation des OMD est en effet extrêmement menacée, a insisté le Ministre néerlandais de la coopération au développement.  Comment faire, s’est-il interrogé, pour que la crise n’accentue pas les retards que l’on connaissait déjà?


Comparant la crise actuelle à celle de 1929 qui a présidé à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Mme Navi Pillay, Haut-Commissairedes Nations Unies aux droits de l’homme, a affirmé que le respect et la promotion de ces droits permettront aux gouvernements de trouver des moyens efficaces de sortir de la crise.  « Nous sommes, a-t-elle dit, devant une crise financière et économique certes, mais face à une crise des droits de l’homme ».  « Il ne fait aucun doute, s’est-elle expliquée, que l’impact de la crise est plus fortement ressenti par les populations marginalisées dont les droits au travail, à l’alimentation, à la santé, à l’éducation et à la protection sociale sont déjà limités et restreints ».  La Haut-Commissaire a mis un accent particulier sur les travailleurs migrants qui, aujourd’hui, sont confrontés à une recrudescence du racisme et de la discrimination. 


La crise, a-t-elle poursuivi, met également en péril les droits des femmes qui sont contraintes aujourd’hui d’accepter des emplois mal rémunérés et de devenir ainsi plus vulnérables à la traite des êtres humains.  Que dire des filles que les parents ont tendance à retirer de l’école pour diminuer les dépenses familiales.  « N’en restons pas là », a dit la Haut-Commissaire, « disons clairement que, dans un contexte de crise, les droits politiques, économiques et sociaux sont tout simplement en péril.  Une approche fondée sur les droits de l’homme doit donc figurer au centre de tous les efforts visant à atténuer la crise et à en sortir.  Les principes des droits de l’homme, a-t-elle tenu à souligner, font la part belle à la responsabilité mutuelle lorsqu’il s’agit de la coopération au développement.  Notre réflexion est une occasion unique de rectifier les imperfections de l’architecture économique internationale », a-t-elle plaidé.


Cet appel a été relayé par le Secrétaire général aux affaires économiques et sociales, M. Sha Zukang, qui a clairement imputé la crise aux faiblesses systémiques de cette architecture qui a donné lieu à une bulle spéculative et au ralentissement de l’économie mondiale.  Selon les prévisions, la croissance mondiale va baisser de 2,6% cette année, une chute nette de près de 2% en 2009.  Les revenus par habitant vont baisser dans au moins 60 pays en développement, a-t-il alerté, en ajoutant que les taux de chômage risquent de rester élevés même après un éventuel redressement économique.  Compte tenu de la baisse des revenus fiscaux, qui va alourdir la dette extérieure, ces pays ne pourront pas juguler la crise, avec les conséquences que l’on sait sur la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement.  


La planète doit être mise sur des bases économiques plus durables, a-t-il plaidé à son tour, en appelant à des mesures budgétaires et à leur coordination plus étroite.  Il faut savoir, a-t-il dit, que la relance des économies du Sud nécessitera d’injecter 500 milliards de dollars.  Dans ce contexte, le Secrétaire général adjoint a jugé important d’assurer le succès du Cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).  Des plans de sauvetage et des mesures de relance ont été mis en place.  Toutefois, a-t-il averti, « nous sommes loin d’être sortis de l’auberge ». 


L’adage est particulièrement vrai pour l’Afrique, a acquiescé le Secrétaire exécutif de la CEA, Abdoulie Janneh, en parlant d’un continent qui vit désormais une véritable « crise du développement ».  La crise économique et financière y a touché les secteurs des finances, du commerce, du social, de la paix et de la sécurité.  D’un taux de croissance moyen de 7%, ces 10 dernières années, l’Afrique passera à 2% cette année.  Elle est confrontée à la chute de ses recettes à l’exportation, à la baisse de l’aide publique au développement (APD), à la chute des envois de fonds des migrants et au renforcement des conditionnalités assorties au crédit.  L’impact de la crise est d’autant plus dangereux en Afrique qu’elle ne dispose pas de mécanismes efficaces pour amortir les chocs sur la population civile.


Comment faire?  Laisser aux gouvernements des États d’Afrique la marge de manœuvre nécessaire pour prendre des mesures anticycliques, a répondu le Secrétaire exécutif.  L’Afrique a fait sa part.  Elle a montré son engagement en faveur d’une gouvernance saine, en recapitalisant ses institutions financières, en réformant ses réglementations ou en adoptant des mesures d’incitation budgétaire.  Aujourd’hui, la communauté internationale doit le reconnaître et prendre des mesures ambitieuses en sa faveur, a insisté le Secrétaire exécutif, en rappelant les propositions liées à la création d’un fonds mondial de vulnérabilité et d’un moratoire sur la dette. 


La situation actuelle en Afrique, a poursuivi la Directrice adjointe de l’OMC, Mme Valentine Rugwabiza, montre que l’interconnexion et la mondialisation de l’économie sont beaucoup plus avancées que ce que l’on pensait puisque, contrairement aux premières estimations, l’Afrique est « brutalement » touchée par la crise.  Nul n’avait prédit l’impact dévastateur de l’absence de règlementations dans le secteur financier.  La relance des économies est une bonne nouvelle pour le commerce, a reconnu la Directrice adjointe mais, a-t-elle prévenu, il est tout aussi important de « réinjecter de la confiance » dans le système commercial international.  L’un des moyens les plus simples est de terminer les négociations du Cycle de Doha dont les réglementations reconnaissent les différences dans les niveaux de développement et dans les obligations des États.  Il ne faut pas, s’est-elle impatientée, des milliards et des milliards de dollars pour conclure le Cycle de Doha mais seulement un leadership et un sens des responsabilités. 


Elle a souligné que 80% du travail a été déjà été fait, en estimant que la différence aujourd’hui est que pour la première fois depuis plus 65 ans, le commerce s’est contracté.  Il est en chute, a-t-elle insisté, en appelant aux financements des voies des échanges que sont les importations et les exportations.  La décision du G-20 d’injecter 250 milliards de dollars dans les banques est une bonne chose.  Il s’agira maintenant de respecter et de mettre en œuvre les engagements d’aide au développement, comme l’aide au commerce, parce qu’ils sont les seules sources d’investissement dont disposent encore les pays en développement pour leurs infrastructures de croissance.


D’ici à 2015, il y aura 90 millions d’emplois de moins, c’est ce à quoi le monde s’attend, a prévenu, à son tour, le Directeur du Département de l’intégration des politiques de l’Organisation international du Travail (OIT).  M. Stephen Pursey a ajouté que si la croissance de la production et de l’emploi est faible, le monde s’acheminera vers six ans de « détresse » sur le marché de l’emploi.  Cette période peut être réduite à trois ans si les politiques de croissance ont en leur cœur la création d’emplois.  Il a donc attiré l’attention sur « le Pacte mondial pour l’emploi » qu’il a décrit comme un instrument à la disposition du système multilatéral et qui porte sur le travail décent.  Il se concentre sur l’accélération de la création d’emplois, les systèmes de protection sociale, le respect des normes internationalement agréées ou le dialogue social et les conventions collectives. 


Ce qui caractérise la situation actuelle par rapport à celle des années 30, a voulu expliqué M. François Houtart, Professeur émérite et Président du Centre tricontinental de Louvain-la-Neuve, est le fait que nous faisons face à une conjugaison de plusieurs crises, à savoir alimentaire, énergétique, financière et climatique.  La crise financière a été aggravée par un capital financier qui échappe à tout contrôle, alors que la crise alimentaire s’est vue intensifiée par des investissements spéculatifs et par le fait que l’agriculture est un nouveau vecteur d’accumulation des capitaux grâce à l’expansion de la monoculture. 


La crise énergétique est, quant à elle, liée aux spéculations sur le prix du pétrole et aux investissements dans la transition vers d’autres sources énergétiques.  Les changements climatiques ont été accélérés par une utilisation irrationnelle des ressources, fondée sur un modèle de croissance datant d’après la Seconde Guerre mondiale.  Durant ces dernières années, un nombre réduit de pays a confisqué 20% de la croissance alors qu’un milliard de personnes vivaient dans la pauvreté absolue.  Devant une telle logique d’augmentation des profits, en faisant fi de tout, on peut se poser des questions.


Dans les années 20, a poursuivi le Professeur Houtart, on a créé une réglementation des marchés financiers, sur la base que l’autoréglementation était illusoire.  Mais avec le redressement de l’économie, grâce au secteur des bâtiments, les pressions en faveur de la déréglementation se sont intensifiées jusqu’à donner lieu au Consensus de Washington.  Doit-on garder le même raisonnement?  Si tel est le cas, les crises ne tarderont pas à resurgir, a dit le Professeur Houtart, partisan d’une réglementation permanente et non provisoire. 


« Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain », s’est inquiété le représentant des États-Unis, face aux critiques adressées à l’économie de marché.  Ce marché n’est pas parfait mais attention au repli et au protectionnisme, a-t-il alerté.  « Surpris par ce type de discours », le Professeur Houtart a ironisé, en disant que le libre-échange serait magnifique si tous les partenaires étaient égaux.  Or, tout le monde sait que les traités de libre-échange sont des traités « entre les requins et les sardines ». 


Tel qu’il existe, a-t-il poursuivi, le commerce international met la priorité sur la valeur d’échange et non pas sur la valeur d’usage, c’est-à-dire les véritables besoins des gens.  L’accroissement des échanges, au cours de ces dernières années, a en outre accéléré l’exploitation des matières premières et de l’énergie, ce qui a contribué aux changements climatiques, à l’élévation du niveau de la mer et à la fonte des glaciers.  Enfin, a-t-il conclu, l’économie de marché de type capitaliste augmente régulièrement les inégalités. 


Peut-être, a renchéri la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, il faut rappeler au représentant des États-Unis que dans certains pays, on ne peut pas jeter le bébé avec l’eau du bain parce qu’il n’y a tout simplement pas d’eau.  Ce que nous voulons, a précisé le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), c’est un système où le marché est réglementé.  Avant la crise financière, l’Afrique s’en sortait bien, a-t-il rappelé, en citant un taux de croissance moyen de 6%, une stabilité macroéconomique et l’essor du commerce, en particulier des produits de base.  Or aujourd’hui, elle est confrontée à une grave question de ressources qu’il s’agisse de l’APD, des investissements, des envois de fonds ou de l’annulation de la dette. 


Dans ce cadre, le représentant du Gabon a imaginé la création d’une ligne de crédit spécifique qui exigerait la modification des calculs de viabilité de la dette, laquelle donnerait aux pays africains toute latitude pour mettre en place des mesures anticycliques.  Son homologue de l’Éthiopie a vu une autre solution à la crise en Afrique: l’intégration régionale.  « Profitons de la crise pour accélérer l’intégration de l’Afrique, en finançant les infrastructures et en améliorant les normes », a encouragé le Secrétaire exécutif de la CEA.


Réclamant la réforme rapide des institutions de Bretton Woods, le représentant de la Chine a vanté les relations de coopération que son pays entretient avec le continent africain.  Les autres pays donateurs pourraient s’inspirer du fonds de développement que la Chine a créé, a-t-il estimé.  De nombreux intervenants sont revenus sur la question des envois de fonds, en plaidant pour que les taux de transfert passent de 10 à 5%.


Le message est clair: « Wall Street a beau se redresser, le reste du monde continue à souffrir », a conclu le Ministre néerlandais au développement, en se félicitant qu’avec la crise, le Nord et le Sud ont enfin compris la nécessité de coopérer de bonne foi.  Pour la première fois depuis des années, nous voyons un « élan multilatéral ».  Il est important, a estimé le Cofacilitateur, que les Nations Unies coopèrent avec d’autres institutions pour trouver une issue à cette crise et à la pauvreté.  Cette crise, a-t-il prévenu, s’est transformée en une crise de l’emploi qui exige, de toute urgence, que les différents plans de relance débouchent sur la création d’emplois et le renforcement de la protection sociale. 


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À l’intention des organes d’information • Document non officiel
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