Assemblée générale: États membres et panélistes réfléchissent aux meilleurs moyens de mettre en œuvre la responsabilité de protéger
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Assemblée générale
Soixante-troisième session
Dialogue interactif informel sur
la responsabilité de protéger - matin
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE: ÉTATS MEMBRES ET PANÉLISTES RÉFLÉCHISSENT AUX MEILLEURS MOYENS DE METTRE EN ŒUVRE LA RESPONSABILITÉ DE PROTÉGER
L’Assemblée générale a tenu, ce matin, un dialogue thématique informel sur la responsabilité de protéger, après avoir entendu le Conseiller spécial du Secrétaire général, M. Edward C. Luck, et le Président de l’Assemblée, M. Miguel d’Escoto Brockmann. Cette réunion a été convoquée à la suite de la présentation par le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, du rapport sur la question, mardi 21 juillet.
Dans son rapport, le Secrétaire général propose de « donner une dimension opérationnelle » à la responsabilité de protéger, en s’appuyant sur trois piliers: les responsabilités de l’État en matière de protection; l’assistance internationale et le renforcement des capacités; et la réaction résolue en temps voulu.
Le Président de l’Assemblée générale a déclaré que le monde ne peut plus rester silencieux face aux crimes contre l’humanité, soulignant qu’il était urgent de réfléchir aux meilleurs moyens de réagir de manière prévisible, sans conditions préalables et sans recourir à la politique des « deux poids, deux mesures ».
M. Brockmann s’est dit convaincu que les auteurs de la notion de responsabilité de protéger étaient motivés par les meilleures intentions et souhaitaient une mise en œuvre réaliste, sage et prudente. Il s’est cependant interrogé sur la nécessité de cette « doctrine de la responsabilité » et sur la garantie que les Nations Unies interviendront pour éviter une nouvelle tragédie, comme au Rwanda.
Le cas de l’Iraq, a-t-il ajouté, pose la question de savoir si la responsabilité de protéger ne donnera pas lieu à un abus du droit à demander des comptes.
Pour sa part, le Conseiller spécial, M. Edward C. Luck, a rappelé qu’il était indispensable de mettre les trois piliers de la stratégie du Secrétaire général pour appliquer le Document final du Sommet mondial de 2005. Pour des raisons pratiques, bien entendu, la mise en œuvre des différentes dispositions se fera peut-être de manière échelonnée, mais seulement dans le cadre agréé lors du Sommet mondial, a-t-il insisté.
Une discussion interactive s’est ensuivie, au cours de laquelle panélistes et États Membres ont réfléchi aux meilleurs moyens de mettre en œuvre cette responsabilité.
DIALOGUE INTERACTIF INFORMEL SUR LA RESPONSABILITÉ DE PROTÉGER
Déclarations
M. MIGUEL D’ESCOTO BROCKMANN, Président de l’Assemblée générale, a rappelé que le monde est resté trop souvent silencieux face à des violations flagrantes des plus profonds sentiments de l’humanité. Illustrant ses propos, il a cité l’holocauste et les massacres qu’ont connus le Cambodge, le Rwanda ou encore l’ex-Yougoslavie. « Nous ne pouvons plus rester silencieux face aux crimes contre l’humanité », a-t-il dit, en fustigeant les violences qui, partout à travers le monde, continuent d’engendrer souffrances et morts. Il a souligné l’urgence de réfléchir aux meilleurs moyens de réagir à ces situations de manière prévisible, sans conditions préalables et sans recourir à la politique des « deux poids, deux mesures ». En gardant le silence face aux graves violations des principes de la Charte des Nations Unies et du droit international humanitaire, on contribue à miner le système international créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Par ailleurs, le Président de l’Assemblée générale s’est dit convaincu que les auteurs de la notion de responsabilité de protéger étaient motivés par les meilleures intentions et souhaitaient une mise en œuvre réaliste, sage et prudente. « Je partage leur engagement à renforcer les Nations Unies qui demeurent le dernier espoir pour protéger notre humanité et notre planète, a-t-il dit, en mettant l’accent sur la nécessité de tenir un débat qui nous permettra d’affronter les démons du passé et de réfléchir aux moyens de s’assurer que ces crimes ne se reproduisent plus. Il faut évaluer les progrès enregistrés et décider de ce que nous souhaitons devenir, a-t-il dit.
Il convient dès lors, a-t-il estimé, d’accorder toute l’attention nécessaire pour réfléchir au réel potentiel des Nations Unies. M. Brockmann a mentionné quatre questions clefs qui pourraient contribuer au renforcement de notre système de sécurité collective, qui doit être en mesure d’appliquer le principe de la sécurité collective. À cet égard, il s’est d’abord interrogé sur la manière dont la responsabilité de protéger pourrait s’appliquer à tous les pays, et ensuite, sur la manière dont son application pourrait renforcer ou limiter le respect du droit international. Il a également estimé qu’il faudrait se demander si cette doctrine de la responsabilité est vraiment nécessaire et si elle garantit que les Nations Unies interviendront pour éviter un nouveau Rwanda. Le cas de l’Iraq, a-t-il ajouté, pose la question de savoir si la responsabilité de protéger ne donnera pas lieu à un abus du droit à demander des comptes.
En raison de toutes ces questions qui restent en suspens, a-t-il dit, « sommes-nous prêts à nous acquitter de la responsabilité de protéger? » « Nous devrions tous, a-t-il insisté, faire preuve de notre volonté de soutenir une action collective dans ce sens, non seulement dans le souci de préserver la paix internationale, mais aussi d’assurer un niveau minimum de sécurité dans toutes ses dimensions, y compris, spécialement aujourd’hui, la sécurité économique. Nous devons remettre en marche notre système de sécurité collective et démontrer notre générosité et flexibilité, en réparant les systèmes économiques mondiaux qui ne fonctionnent plus. C’est ainsi, a-t-il ajouté, que la communauté internationale montrera qu’elle est prête à construire un monde meilleur. Si les Nations Unies disposent déjà des outils institutionnels nécessaires pour faire face à ces défis, a-t-il dit, des contraintes politiques les ont empêchées d’utiliser leur pleine capacité pour promouvoir une réelle sécurité humaine. Le Président de l’Assemblée générale a espéré que le dialogue interactif sur la « Responsabilité de protéger » avec des panélistes comme Jean Bricmont, Noam Chomsky, Gareth Evans et Ngugi wa Thiong’o nous permettra d’avancer vers une compréhension commune des mesures urgentes à prendre pour faire face à ces défis.
M. EDWARD C. LUCK, Conseiller spécial du Secrétaire général, a expliqué que le processus de mise en œuvre des recommandations du rapport du Secrétaire général avait commencé il y a deux jours, avec la présentation de ce rapport devant l’Assemblée générale. Ce dialogue thématique interactif vise à poursuivre cette réflexion autour de la responsabilité de protéger. M. Luck a rappelé que nous n’étions plus en 1999, lorsque l’Assemblée s’était penchée sur le concept d’intervention humanitaire et l’avait trouvé insuffisant. L’intervention armée unilatérale menée sous des prétextes humanitaires était –et est toujours– vue comme moralement, politiquement et constitutionnellement inacceptable. Ce n’est pas la manière de fonctionner des Nations Unies. Mais rester impassible devant des atrocités de masse n’est pas davantage acceptable pour l’ONU, a souligné le Conseiller spécial.
« Nous ne sommes pas non plus en 2005, date à laquelle les chefs d’État et de gouvernement avaient pris un engagement en faveur de la responsabilité de protéger, a-t-il poursuivi. À l’issue d’âpres négociations, les dispositions prévues aux paragraphes 138 et 139 du Document final du Sommet mondial sur la responsabilité de protéger avaient émergé comme un ensemble de mesures indissociables. Le Secrétaire général a été assez prudent pour préserver cet équilibre durement acquis dans ses recommandations. Son mandat est de les mettre toutes en œuvre, et pas seulement quelques-unes, a souligné le Conseiller spécial. Les trois piliers de sa stratégie seront nécessaires pour appliquer le Document final. Pour des raisons pratiques, bien entendu, la mise en œuvre des différentes dispositions se fera peut-être de manière échelonnée, mais seulement dans le cadre agréé lors du Sommet mondial en 2005, a insisté M. Luck.
Les intellectuels réunis aujourd’hui dans cette salle auront l’opportunité de dissiper certains mythes, en particulier la caricature selon laquelle la responsabilité de protéger est un autre mot pour « intervention militaire », alors qu’elle cherche précisément à décourager l’unilatéralisme et l’esprit « va-t-en guerre ». En outre, le Conseiller spécial a pointé du doigt la vieille rengaine qui consiste à dire que la responsabilité de protéger propose de nouvelles normes juridiques susceptibles de modifier la base de la Charte des Nations Unies sur laquelle le Conseil de sécurité s’appuie pour prendre ses décisions, alors qu’elle est un concept politique reposant sur les dispositions bien connues du droit international et de la Charte de l’ONU.
Par ailleurs, M. Luck a discrédité la « notion tordue » selon laquelle les principes de souveraineté et de responsabilité de protéger seraient incompatibles, alors qu’en réalité, ces principes se renforcent mutuellement. Enfin, la « distorsion récurrente » selon laquelle la responsabilité de protéger favoriserait les « grands » États au détriment des « petits » États n’a pas lieu d’être, a-t-il estimé. Comme l’a fait observer le Secrétaire général à Berlin, il y a un an, la responsabilité de protéger ne remet pas en question l’obligation juridique selon laquelle les États Membres doivent s’abstenir de l’usage de la force sauf lorsqu’il est en conformité avec la Charte des Nations Unies. Au contraire, a assuré le Conseiller spécial, il renforce cette obligation.
Table ronde
Lors du Sommet mondial de 2005, les chefs d’État et de gouvernement se sont unanimement engagés en faveur de la prévention du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité, ainsi que de l’incitation à ces crimes. Dans un rapport présenté mardi devant l’Assemblée générale, le Secrétaire général propose de « donner une dimension opérationnelle » à la responsabilité de protéger, en s’appuyant sur trois piliers: les responsabilités de l’État en matière de protection; l’assistance internationale et le renforcement des capacités; et la réaction résolue en temps voulu. Cette table ronde sur la responsabilité de protéger a été l’occasion, pour les panélistes et les États Membres, de discuter des moyens de mettre en œuvre cette responsabilité.
M. GARETH EVANS, Coprésident de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté nationale de l’International Crisis Group, a mis l’accent sur l’importance cruciale de trouver une solution consensuelle au problème des atrocités de masse, après les échecs répétés des Nations Unies et de la communauté internationale à réagir en temps voulu au génocide du Rwanda, aux massacres et aux nettoyages ethniques perpétrés en ex-Yougoslavie et au Kosovo. Dans le cas de cette province, l’impuissance du Conseil de sécurité à prendre une décision a poussé une « soi-disant » coalition de pays à lancer une intervention sans l’autorisation préalable du Conseil, remettant en cause l’intégrité du système de sécurité internationale, comme l’invasion de l’Iraq quelques années plus tard, a rappelé M. Evans.
Alors que d’un côté, les « pays du Nord » plaidaient de plus en plus vigoureusement pour un « droit d’ingérence », contre la volonté des gouvernements des pays concernés, les « pays du Sud » défendaient farouchement leur souveraineté, acquise après une indépendance souvent récente et encore fragile, a relevé le Président. Face à des positions aussi antagonistes, il était nécessaire d’adopter une approche consensuelle, et c’est ce fossé que, précisément, la notion de responsabilité de protéger était censée surmonter. L’idée fondamentale derrière cette notion a été développée en 2001 dans le rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États et a été consacrée dans le Document final du Sommet mondial de 2005, a rappelé M. Evans. Aux termes de ce Document, le concept de responsabilité de protéger engage les États souverains à protéger leurs propres citoyens contre les catastrophes qu’il est possible d’éviter, qu’il s’agisse de tueries à grande échelle, de viols systématiques ou de famine, mais lorsqu’ils ne sont pas disposés ou aptes à le faire, cette responsabilité doit être assumée par la communauté des États dans son ensemble, a-t-il expliqué.
Nous sommes maintenant dans une phase où il est devenu indispensable de consolider le consensus de 2005 pour assurer la mise en œuvre de la responsabilité de protéger, a dit le Président. Le rapport du Secrétaire général reconnaît qu’alors que de nombreux États semblent plus à l’aise avec les deux piliers, il est absolument nécessaire de ne pas négliger le troisième, à savoir la réaction résolue en temps voulu. À cet égard, le rapport du Secrétaire général stipule clairement que si l’intervention militaire est la seule option possible pour mettre fin à des atrocités de masse, elle doit être menée en conformité avec la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire par une résolution du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII. Si le Conseil échoue ou déçoit les attentes placées en lui, il ne s’agira pas de lui trouver des alternatives, mais de faire en sorte qu’il améliore ses méthodes de travail, a indiqué le Président.
Le débat de cet après-midi sera important pour trois raisons, a conclu M. Evans: il sera l’occasion de dissiper certains malentendus autour de la notion de « responsabilité de protéger »; d’explorer en détail la portée des options politiques à la disposition des États pour mettre en œuvre les trois piliers; et de poser les fondations à l’exercice de la volonté politique.
M. NOAM CHOMSKY, Professeur émérite de linguistique au Massachussetts Institute of Technology (MIT), a, pour sa part, estimé que les discussions autour de la responsabilité de protéger et l’« intervention humanitaire » sont régulièrement perturbées par la découverte de « secrets embarrassants », tant au cours de l’Histoire, qu’aujourd’hui. Dans le passé, il y a eu, en effet, très peu de principes de relations internationales plus appliquées que la maxime de Thucydide, selon laquelle « les puissants font ce qu’ils veulent, tandis que les faibles souffrent comme ils peuvent ». Un autre principe dérive des observations d’Adam Smith, qui notait que les individus les plus hauts placés dans un État –à son époque les marchands et les fabricants- font tout pour préserver leurs intérêts, quoi qu’il en coûte au peuple. Enfin, pour M. Chomsky, au cours des siècles, l’usage de la force dans un contexte international a presque toujours été invoqué au nom de principes humanitaires, qu’il s’agisse de l’attaque menée par le Japon en Mandchourie, de l’invasion de l’Éthiopie par Mussolini ou de l’occupation de certaines parties de la Tchécoslovaquie. Ces rappels historiques sont pertinents, au moment où la responsabilité de protéger nous est présentée comme une notion relativement récente, a jugé M. Chomsky, qui a multiplié les exemples pour démontrer, au contraire, que la réflexion sur cette responsabilité avait des racines très anciennes et qui s’étendent à toutes les régions du monde. Réagissant à ces propos, le représentant de l’Allemagne a souhaité que l’on se concentre sur les moyens de mettre en œuvre cette responsabilité et non de montrer comment, par le passé, les États Membres et la communauté internationale ont échoué à le faire. « Nous sommes ici pour aller de l’avant, et non pas pour nous tourner vers le passé », a-t-il lancé, rejoint en cela par ses homologues de la Suède et du Japon.
Reprenant à son compte les propos de M. Chomsky, M. JEAN BRICMONT, Professeur de physique théorique à l’Université catholique de Louvain, a d’emblée accusé les pays occidentaux d’être le principal obstacle à la mise en œuvre de la responsabilité de protéger. En outre, une logique de « deux poids, deux mesures » semble prévaloir lorsqu’il s’agit de justifier une intervention militaire. Ainsi, quand l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) exerce son droit autoproclamé à intervenir au Kosovo, alors que les efforts diplomatiques étaient loin d’être épuisés, les médias occidentaux applaudissent. En revanche, condamnation unanime des mêmes médias lorsque la Fédération de Russie exerce ce qu’elle considère comme sa propre « responsabilité de protéger » en Ossétie du Sud, a fait observer M. Bricmont. Il a enfin soutenu que les États-Unis faisaient pression sur les Nations Unies pour qu’elles assument leur interprétation de la responsabilité de protéger.
M. NGUGI WA THIONG’O, Professeur d’anglais et de littérature comparée à l’Université de Californie, a également estimé que le terme de « communauté internationale » est souvent évoqué pour qualifier l’Occident, assimilé à une sorte de « gardien » qui décide ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas. La structure et les méthodes de travail du Conseil de sécurité en témoignent, avec une surreprésentation de l’Europe, et une Afrique qui ne dispose pas du droit de veto. Évoquant le Document final qui exige une réponse « ferme et en temps voulu », M. Thiong’o a rappelé que des mesures préventives de long terme devraient faire partie intégrante de la mise en œuvre des recommandations du Secrétaire général, afin de rendre les interventions militaires inutiles. Selon lui, l’une des mesures d’alerte rapide se trouve dans l’état économique du monde aujourd’hui. M. Thiong’o a expliqué qu’il y avait deux lignes de fracture actuellement: l’une entre une minorité de pays très riches et la majorité des pays très pauvres; l’autre au sein même des nations, de toutes les nations, entre les classes sociales les plus avantagées et celles qui sont les plus démunies. Pour le professeur Thiong’o, il est grand temps de se concentrer sur la question du développement, en partant du principe que ce sont les personnes qui se trouvent au plus bas de l’échelon social qui donnent la mesure de la richesse, ou plutôt de la pauvreté d’un pays. C’est seulement en refermant ces deux lignes de fracture que nous pourrons commencer à lutter contre les crimes contre l’humanité, a-t-il ajouté.
Engageant le débat, le représentant du Maroc a souhaité savoir quelles étaient les critères permettant de déterminer le lancement d’une intervention militaire, et qui devait en être chargé. En outre, comment un concept pourrait-il être considéré comme une norme internationale quand seule une minorité d’États y adhère. Son homologue de la Bosnie-Herzégovine a également souhaité savoir sur la base de quels critères on peut justifier une intervention militaire dans le cadre de la responsabilité de protéger et si le Conseil de sécurité était habilité à le faire. Réagissant à ces propos, M. Gareth a indiqué que l’usage de la force devrait intervenir à partir de critères objectifs et indiscutables, comme lorsqu’il apparaît évident que l’inertie entraînera la mort de centaines de milliers d’individus, comme au Rwanda.
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