CRISE ALIMENTAIRE: LE PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE LANCE UN APPEL EN FAVEUR D’UNE « DÉMOCRATISATION DE L’ALIMENTATION »
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Assemblée générale
Soixante-troisième session
Débat thématique interactif
sur la crise alimentaire mondiale
et le droit à l’alimentation – matin et après-midi
CRISE ALIMENTAIRE: LE PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE LANCE UN APPEL EN FAVEUR D’UNE « DÉMOCRATISATION DE L’ALIMENTATION »
À l’occasion d’un débat thématique de l’Assemblée générale sur la crise alimentaire et le droit à l’alimentation, son Président, M. Miguel d’Escoto Brockmann, a lancé aujourd’hui un appel en faveur d’une « démocratisation de l’alimentation ». Tout au long de la journée, pendant les deux tables rondes, a été également mise en exergue la nécessité de créer une réserve agricole mondiale.
« Pour mettre un terme au problème injustifiable qu’est la faim, il faut changer de façon notable nos modes de production et de consommation », a déclaré M. Brockmann, qui a préconisé la création d’un « système contrôlé par la population, respectueux des communautés et du droit à la souveraineté alimentaire ». « Le droit à l’alimentation est un droit humain », a-t-il insisté.
Ce débat thématique avait été organisé par une présidence de l’Assemblée générale soucieuse de ne pas laisser la crise financière mondiale et la baisse du prix des denrées alimentaire éclipser « la nécessité urgente » de résoudre la crise alimentaire mondiale.
Pour M. Brockmann, comme pour le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, M. Olivier De Schutter, les solutions proposées dans le cadre de la crise économique actuelle persistent à suivre une « logique du profit à court thème » et n’ont contribué qu’à « aggraver le problème de l’insécurité alimentaire ». « Le monde paie le prix de 30 années de négligence dans le secteur agricole », a notamment déclaré ce dernier.
En guise de solutions concrètes au problème de la crise alimentaire, de nombreux panélistes, à l’instar de M. Daniel de la Torre Ugarte, professeur d’économie agricole, ont proposé à de nombreuses reprises de créer une réserve agricole mondiale, tout en louant les mérites de la polyculture et de l’agriculture durable.
« À l’heure actuelle, les approches agroécologiques des petits agriculteurs constituent le seul modèle viable », a ainsi expliqué M. Miguel Altieri, professeur d’agroécologie.
Pour le Haut Représentant du Secrétaire général pour les pays les moins avancés (PMA), les pays en développement sans littoral et les petits États insulaires en développement, M. Cheik Sidi Diarra, qui a déploré les 10 000 morts quotidiennes d’enfants, imputables à la faim, « il existe aujourd’hui une occasion historique de revitaliser le secteur agricole ».
Par ailleurs, de nombreux représentants d’États Membres, dont celui de l’Uruguay, ont demandé la conclusion du cycle de négociations commerciales de Doha, dénonçant, entre autres, le maintien des politiques de subventions agricoles des pays développés, ou encore l’utilisation des biocarburants.
Plusieurs experts ont insisté sur l’importance à accorder au fait que le droit à l’alimentation est désormais considéré comme un droit de l’homme. La représentante de Cuba a notamment demandé la tenue d’une session spéciale du Conseil des droits de l’Homme qui porterait sur les conséquences de la crise alimentaire sur la jouissance de ces droits.
DIALOGUE THÉMATIQUE INTERACTIF SUR LA CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE ET LE DROIT À L’ALIMENTATION
Déclarations
M. MIGUEL D’ESCOTO BROCKMANN, Président de la soixante-troisième session de l’Assemblée générale, a estimé que les crises alimentaire, financière et énergétique ainsi que les effets des changements climatiques convergeaient et s’aggravaient mutuellement. M. Brockmann a mis l’accent sur la nécessité pour les principaux organes de l’ONU qui traitent de ces questions de s’accorder sur l’indispensable édification d’une nouvelle architecture mondiale en matière d’agriculture et d’alimentation. Le droit à l’alimentation est un droit fondamental de l’homme, défini par le droit international et qui requiert donc des mesures inclusives et capables de faire participer tous les secteurs de la société, a-t-il déclaré.
Selon M. Brockmann, la crise alimentaire actuelle est le résultat de l’échec des modèles de gouvernance et de production. Des alternatives doivent être trouvées, tant sur le plan international que local, a-t-il ajouté, insistant une nouvelle fois sur les liens entre les différentes crises. À moins de mettre en œuvre des changements novateurs et de grande envergure, la faim s’étendra de nouveau à travers le monde comme une peste médiévale, a-t-il averti. Le fait est, a-t-il ajouté, qu’en dépit des connaissances et des capacités financière et technologique disponibles, la moitié de l’humanité est frappée par des niveaux de malnutrition et de pauvreté qui sont entièrement incompatibles avec leurs droits et leur dignité. Il est temps, a-t-il ajouté, de mettre en œuvre une nouvelle politique en matière d’alimentation qui se préoccupe des pauvres et de leur droit à l’alimentation, ainsi que du bien-être de la planète.
Lançant un appel en faveur d’une démocratisation de l’alimentation, le Président de l’Assemblée générale a préconisé la création d’un système contrôlé par la population et respectueux des communautés et du droit à la souveraineté alimentaire. Les populations du monde demandent la fin de cette culture de l’indifférence envers le bien-être d’autrui, car la perpétuer reviendrait à trahir nos valeurs les plus sacrées et entraînerait des conséquences terribles pour la planète et sa population, a-t-il déclaré.
M. Brockmann a ensuite jugé que les solutions proposées dans le cadre de l’actuelle crise économique n’avaient fait qu’aggraver le problème, car elles persistent à suivre la logique du profit à court terme et du cumul des richesses. Il faut dépasser la médiocrité morale qui empêche de faire les sacrifices héroïques qu’exige la magnitude du problème, a-t-il dit.
M. CHEICK SIDI DIARRA, Conseiller pour l’Afrique et Haut Représentant du Secrétaire général pour les pays les moins avancés (PMA), les pays en développement sans littoral et les petits États insulaires en développement (PEID), a indiqué qu’avant le début de l’actuelle crise alimentaire, 862 millions de personnes dans le monde souffraient de malnutrition et que 100 millions de personnes supplémentaires risquaient de connaître le même sort. De plus, 10 000 enfants meurent de faim chaque jour. Cette situation est totalement inacceptable, d’autant plus que la communauté internationale dispose des moyens de résoudre ce problème, a-t-il déclaré.
Évoquant ensuite les mesures de renflouement destinées à remédier à la crise financière, M. Diarra a estimé que la crise alimentaire méritait autant d’attention, car les défis actuels sont étroitement liés. Il a également insisté sur la nécessité de prendre en compte le travail déjà effectué pour répondre au problème de l’insécurité alimentaire, notamment les résultats du Cadre d’action global, de la Réunion de haut niveau à Madrid, en début d’année, et de la Conférence de haut niveau organisée à Rome en juin 2008. Il a également évoqué le Groupe des pays les moins développés qui a proposé, entre autres, la création d’une banque alimentaire mondiale. Il existe aujourd’hui une occasion historique de revitaliser le secteur agricole et il convient d’appuyer d’urgence les initiatives déjà lancées, a ajouté M. Diarra, pour qui, il importe de reconnaître le fait que le droit à l’alimentation est un droit de l’homme reconnu par le droit international. Les efforts doivent être guidés par la nécessité d’appuyer les plus vulnérables, les plus pauvres et les plus marginalisés qui sont souvent mis à l’écart, a-t-il dit.
M. OLIVIER DE SCHUTTER, Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, a déclaré que le droit à l’alimentation devait figurer au centre des efforts tendant à réformer le système alimentaire mondial. Pour lutter efficacement contre la faim et la malnutrition, il importe de s’assurer que ceux qui souffrent de la faim soient dûment ciblés par des plans sociaux et agricoles, a-t-il souligné. Les États doivent, selon lui, mettre en place des stratégies nationales les ciblant, et renforcer le fonctionnement des tribunaux. Toute personne qui a faim est une personne dont les droits ont été violés, a-t-il déclaré, se félicitant du fait que le Guatemala avait été le premier pays à avoir intégré ce droit dans son système juridique interne. Le droit à l’alimentation n’est pas un droit de gouvernance, mais un droit de participation à la mise en œuvre des politiques qui les concernent, a-t-il encore expliqué. Il a ensuite indiqué que les petits exploitants agricoles représentaient 60% des personnes qui souffraient de la faim, les agriculteurs sédentaires 20% et les pauvres de la ville 20%.
Le Rapporteur spécial s’est dit encouragé par les efforts visant à éviter les erreurs du passé en matière de révolution verte. Les gouvernements doivent opter pour des mesures plus propices à la réalisation du droit à l’alimentation, et il importe de prêter attention aux politiques publiques en vue d’augmenter le rendement des agriculteurs. Selon lui, le droit à l’alimentation doit permettre de réfléchir à la création d’un nouveau cadre international capable de garantir l’alimentation pour tous. Aujourd’hui, a-t-il dit, le monde paie le prix de 30 années de négligence dans le secteur agricole. Il a ainsi cité l’exemple des agriculteurs du Bénin qui ont été orientés vers la production de coton afin de satisfaire à des besoins à court terme. Il s’est félicité de l’intention du Gouvernement béninois de diversifier l’agriculture du pays. Selon lui, le Bénin n’a d’autre choix que de se concentrer sur la production agricole et d’acheter des biens manufacturés, système qui ne garantit pas le plein-emploi. Il a en outre préconisé la création d’un système commercial mondial capable de contribuer au développement et de garantir un revenu correct aux agriculteurs. Les violations massives du droit à l’alimentation sont dues à un système monétaire injuste dont ne bénéficient pas les petits agriculteurs, a-t-il poursuivi. Il faut avant tout, a-t-il conclu, résister aux tentations du profit.
Table ronde I: « Choix des politiques et le droit à l’alimentation dans le contexte de la crise alimentaire mondiale »
Animée par le Conseiller principal du Président de l’Assemblée générale en matière de politiques alimentaires et de développement durable, M. David Andrews, la première table ronde du débat thématique interactif de l’Assemblée générale fut l’occasion pour les experts et les États Membres d’analyser les principales raisons de la violation à une grande échelle du droit à l’alimentation, tout en examinant les solutions possibles de sortie de la crise alimentaire.
L’occasion pour plusieurs États Membres de mettre l’accent sur la nécessité de stabiliser le marché alimentaire mondial et d’éliminer les subventions agricoles.
Pour M. SANJAY REDDY, Professeur adjoint d’économie à Barnard College, le problème de la crise alimentaire n’est pas lié à une question d’offre, mais à une mauvaise répartition du système d’achat. En se concentrant uniquement sur la rentabilité du secteur agricole, on porte atteinte au système alimentaire mondial, a-t-il estimé. Le système commercial actuel est fondé sur une mondialisation alimentaire sans qu’une attention suffisante soit accordée à la souveraineté alimentaire, a-t-il déploré.
M. DANIEL DE LA TORRE UGARTE, Professeur d’économie agricole à l’Université du Tennessee, s’est penché sur la question de la répartition des terres arables qui se trouvent majoritairement dans des pays exportateurs de denrées alimentaires qui ont pu investir dans des systèmes d’infrastructure et la recherche. Il a estimé que la crise actuelle était essentiellement due à des choix politiques fondés sur la croyance selon laquelle la valeur du commerce et de la consommation est supérieure à celle de l’alimentation, entraînant ainsi un manque d’investissement dans la production agricole. L’expert a ensuite plaidé en faveur de la création d’un système de réserve internationale de céréales. Il importe également, selon lui, de contrôler les prix des denrées alimentaires, car une hausse peut entraîner une surexploitation des terres. Il a également insisté sur l’importance d’une bonne gouvernance et sur l’instauration d’un système capable d’orienter les investissements directs fondés sur les principes de l’agriculture durable.
M. JIM MCGOVERN, Président du Comité contre la faim de la Chambre des représentants des États-Unis, a estimé que la faim était une question politique et qu’y mettre un terme nécessitait une volonté politique suffisante. Le nombre de personnes souffrant de la faim a chuté depuis les années 70, mais un nombre plus important de personnes souffrent dorénavant de l’insécurité alimentaire, a-t-il expliqué. Après avoir déploré que cette question n’ait pas été débattue lors de la récente campagne présidentielle, M. McGovern a affirmé qu’un américain sur huit souffrait de la faim. Il faut absolument traduire les bonnes intentions en réalité, a-t-il dit, évoquant la promesse faite par le Président américain, M. Barack Obama, d’éliminer la faim aux États-Unis d’ici à 2015. Celle-ci doit s’accompagner d’un plan d’action au niveau local, a-t-il souligné. Il a également jugé qu’aucun pays ne pouvait éliminer la faim à lui tout seul.
M. PEDRO MEDRANO ROJAS, Directeur du Bureau de l’Amérique latine et des Caraïbes du Programme alimentaire mondial (PAM), a constaté qu’une personne sur six avait sombré dans la pauvreté depuis l’émergence des crises alimentaire et financière actuelles. Les solutions proposées, a-t-il dit, doivent s’accompagner d’une bonne gouvernance et du renforcement des institutions, en établissant un lien étroit avec le développement. Passant en revue les travaux de différents organes et conférences des Nations Unies, M. Medrano a insisté sur l’importance de la non-discrimination, de la responsabilisation, de la transparence et du respect de l’état de droit, sur l’autonomisation des plus pauvres, ainsi que sur la promotion de la participation des personnes qui souffrent de la faim à l’élaboration de politiques les concernant. Outre une augmentation de la production de denrées alimentaires, la sécurité alimentaire doit s’accompagner d’une augmentation de l’accès à l’alimentation, a-t-il dit.
Lors du débat interactif qui a suivi, la représentante du Soudan, qui intervenait au nom du Groupe des 77 et de la Chine, a mis l’accent sur la nécessité de déployer des mesures de soutien aux personnes démunies vivant en zone urbaine, et d’apporter un appui ciblé au secteur agricole, aux petits exploitants notamment. Elle a plaidé, entre autres, en faveur d’une stabilisation des prix et du renforcement des stocks alimentaires, tout en estimant qu’une assistance alimentaire d’urgence devait être mise à la disposition des pays les plus frappés par la crise. Comme plusieurs de ses collègues, elle a également demandé une conclusion rapide du Cycle de négociations commerciales de Doha et l’éradication des systèmes de subventions.
Au nom de l’Union européenne, le représentant de la République tchèque, a réaffirmé l’engagement de l’Union européenne à aider les pays les plus frappés par la crise. L’efficacité de la réponse internationale dépend de l’autonomisation des pays, a-t-il ajouté, insistant également sur l’importance de la bonne gouvernance. Il convient, selon lui, de prêter davantage attention aux groupes vulnérables, notamment les femmes enceintes et les enfants en bas âge.
Pour le Mexique, qui intervenait au nom du Groupe de Rio, la crise alimentaire actuelle met en cause les progrès réalisés dans les secteurs les plus défavorisés de la société et présente un défi majeur pour la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Sa représentante a expliqué que les pays membres du Groupe de Rio avaient lancé divers programmes visant à garantir la sécurité alimentaire. Elle a estimé que le problème de la crise alimentaire devait figurer au centre des efforts de développement et a demandé, elle aussi, la fin des subventions agricoles et plus d’investissements pour garantir la productivité agricole sur le plan mondial.
De son côté, le représentant du Bangladesh a mis l’accent sur la dimension droit de l’homme de la sécurité alimentaire, engageant la communauté internationale à appuyer les efforts entrepris. Il a souligné que les pays les moins développés n’étaient pas en mesure de mobiliser les ressources nécessaires pour résoudre le problème, et a insisté sur l’importance de la coopération technique.
Son homologue de l’Afrique du Sud a demandé un accroissement de l’aide agricole et du transfert de technologies, estimant que la crise alimentaire actuelle avait entravé la réalisation des droits sociaux et culturels de nombreuses personnes dans le monde. Il a également fait remarquer que les femmes et les fillettes étaient plus susceptibles de souffrir de malnutrition que les hommes et les garçons. Le représentant de la Fédération de Russie a, lui, suggéré la création d’un partenariat international, de même qu’une réforme de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La sécurité alimentaire dépend de l’approche commerciale adoptée au niveau international, a-t-il dit, mettant l’accent sur la nécessité de stabiliser le marché alimentaire mondial.
Table ronde II: « Répondre aux pauvres: le droit à l’alimentation et modèles durables d’agriculture »
Les participants à une deuxième table ronde sur le droit à l’alimentation et les modèles durables d’agriculture ont cherché à présenter des alternatives concrètes aux modes d’exploitation actuels en vue de garantir la sécurité alimentaire et de préserver l’environnement.
M. HENRI SARAGIH, du Syndicat des paysans d’Indonésie et membre du Comité directeur international Via Campesina, s’est félicité du fait que la question du droit à l’alimentation était allée au-delà d’une problématique centrée sur le développement vers un concept axé sur les droits de l’homme. Pour cet expert, la crise alimentaire actuelle témoigne de la violation systématique des droits des paysans. Il a dénoncé les pratiques de la révolution verte, les monocultures notamment, leur préférant une agriculture durable à petite échelle. Il a également insisté sur l’importance d’instaurer une meilleure législation foncière capable de garantir, entre autres, le droit d’hériter des terres et leur accès aux personnes les plus vulnérables, les femmes notamment. Pour cet expert, la souveraineté alimentaire débouchera forcément sur l’institutionnalisation du droit à l’alimentation.
Mme JUDI WAKHUNGI, Directrice exécutive du Centre africain pour les études technologiques, a estimé qu’à moins de garantir une croissance durable, dans le secteur agricole, il sera difficile de nourrir les populations du monde, d’améliorer les conditions de vie en milieu rural ou de stimuler la croissance économique. Évoquant la situation de l’Afrique subsaharienne, Mme Wakhungi a expliqué que les femmes y cultivaient 80% des denrées de base, mais que les hommes étaient les décideurs principaux. De plus, cette région est la plus vulnérable aux effets des changements climatiques et est particulièrement frappée par la paupérisation halieutique, tandis que la législation et les mécanismes commerciaux capables de garantir une sécurité alimentaire font défaut. Elle a souhaité la création de filets de sécurité et d’emplois non agricoles dans les régions rurales.
Après avoir signalé que 12% d’Américains étaient frappés par l’insécurité alimentaire, Mme MOLLY ANDERSON, du Wallace Center at Winrock International, a insisté sur l’importance d’augmenter les investissements en zones rurales et d’améliorer l’utilisation des connaissances. Elle a également souligné la nécessité de démocratiser les prises de décisions et de garantir un accès équitable aux ressources et aux marchés. Il importe également, selon elle, de ne pas négliger l’augmentation de la demande en produits issus de l’agriculture durable. L’augmentation de la croissance ne peut plus être le moteur principal de l’économie mondiale, a-t-elle notamment déclaré.
Le modèle agricole actuel a également été dénoncé par M. MIGUEL ALTIERI, Professeur d’agroécologie à Berkeley University, lequel, a-t-il dit, n’a pas été à même de faire face à la crise alimentaire actuelle. Il a souligné qu’en Amérique latine, la révolution verte n’avait pas touché les petits agriculteurs, car seuls les grands exploitants pouvaient se permettre l’utilisation de pesticides et autres intrants. Il a prôné l’instauration d’un système agricole basé sur le savoir-faire des populations autochtones, et a insisté sur le rôle salutaire des polycultures et de la biodiversité. Cet expert a notamment signalé, a titre d’exemple, qu’en Bolivie, l’application d’une méthode agroécologique avait permis d’augmenter de 24% le rendement agricole du pays. Pour M. Altieri, les approches agroécologiques des petits agriculteurs représentent le seul modèle viable.
Lors du débat interactif qui a suivi, le représentant de l’Italie a indiqué que son pays organiserait ce mois-ci une réunion du G-8 visant à examiner la façon d’investir dans la gestion de stocks alimentaires. Pour son homologue du Brésil, le débat actuel traite avant tout de la relation entre le droit à l’alimentation et le développement de l’agriculture. Comment les gouvernements peuvent-ils garantir le droit à l’alimentation s’ils ne disposent pas de fonds nécessaires, s’est-il interrogé. Il a donné un bref aperçu des mesures prises au Brésil pour stimuler « l’agrobusiness » et a signalé que 70% des aliments consommés au Brésil y avaient été cultivés. Un environnement économique stable est nécessaire pour garantir la sécurité alimentaire, a déclaré à son tour le représentant de la Bosnie-Herzégovine.
De son côté, le représentant de l’Inde a dénoncé les subventions des pays développés qui, selon lui, ont sapé la production agricole des pays en voie de développement et déformé le marché agricole. Il a ensuite indiqué que l’Inde partageait sa production agricole avec d’autres pays de la région, et qu’une réforme du secteur agricole était actuellement en cours, qui comprendra, notamment, un système de crédits destinés aux paysans. Pour le délégué de l’Uruguay, il convient de s’attaquer aux racines profondes de la crise, notamment la fluctuation des ressources agricoles et de leur disponibilité. La correction des distorsions sera déterminante pour garantir une provision abondante d’aliments, a-t-il affirmé, pour demander ensuite la conclusion du cycle de négociations commerciales de Doha.
La représentante du Canada a estimé que la crise financière risquait de décourager les investissements dans les infrastructures agricoles du monde. Un contrôle des prix ne pourra cependant pas apporter de solutions satisfaisantes, a-t-elle ajouté. La représentante de l’Indonésie a jugé qu’un meilleur mécanisme de sauvegarde pour les pays en voie de développement était essentiel pour la réforme du commerce agricole, avant d’insister sur l’importance des partenariats mondiaux. Il faut passer du dialogue à l’action, a déclaré quant à elle la représentante de l’Australie, qui a notamment estimé qu’une aide immédiate devait être apportée aux personnes qui souffrent de la faim. Il importe également, selon elle, de mettre un terme aux distorsions de la production et du commerce alimentaire.
Pour sa collègue de Cuba les causes profondes de la crise alimentaire se trouvent dans la « distribution injuste » des richesses du monde. Elle a demandé la tenue d’une session spéciale du Conseil des droits de l’homme et de la Troisième Commission de l’Assemblée générale qui porterait sur les conséquences de la crise alimentaire sur la jouissance des droits. Le représentant du Nigéria s’est dit préoccupé par le fait que les stratégies proposées n’aboutiront pas, à moins d’être mises en œuvre sur le terrain. Comment pouvons-nous garantir le droit à l’alimentation en Afrique alors que le niveau de l’agriculture en est encore au stade de subsistance, a-t-il demandé.
La représentante des États-Unis a indiqué que le Président Barack Obama avait alloué 448 milliards de dollars en guise d’assistance immédiate aux personnes qui souffrent de faim dans le monde. Elle a engagé les États Membres à se joindre à cette initiative et a indiqué que son gouvernement appuyait les efforts déployés par l’ONU pour résoudre la crise alimentaire. Prônant une initiative globale, la représentante a également convenu que les plus pauvres devaient pouvoir bénéficier de revenus plus stables.
Le représentant du Bénin est revenu sur les observations du Rapporteur spécial et a expliqué que pendant les années 80, son pays avait dû privilégier les cultures de rentes pour faire face à sa dette, ce qui avait entraîné une augmentation de ses importations de vivres. Il a également signalé que le Gouvernement béninois actuel s’efforçait de raviver le secteur agricole du pays par l’intermédiaire de distribution d’intrants et en privilégiant la diversification des cultures. Il a également demandé le démantèlement du système de subventions agricoles.
Le représentant de la Suisse a insisté sur le lien qui existe entre les effets des changements climatiques et la crise alimentaire. Comment certains pays en développement pourront-ils relancer leurs capacités, a-t-il notamment demandé. Son homologue de la Norvège a estimé que les réponses à long terme apportées à la crise alimentaire devaient reposer sur des initiatives nationales, l’ONU et autres organisations internationales devant simplement y apporter un appui.
Le représentant de la République tchèque, au nom de l’Union européenne (UE), a mis l’accent sur la nécessité de mettre en œuvre un système de ressources idoines capables de répondre aux défis de la crise. Il a également privilégié l’instauration d’un partenariat entre les secteurs privés et publics ainsi qu’avec différentes organisations non gouvernementales (ONG), et auquel participeraient les pays en développement. Pour le représentant, le développement des zones rurales doit être l’objectif principal des mesures politiques, de même que la lutte contre les changements climatiques. La déléguée du Venezuela a condamné la pratique de spéculation en bourse des aliments. Le modèle capitaliste a freiné le développement de nos peuples, a-t-elle notamment déclaré.
De son côté, la représentante du Kazakhstan a prôné l’adoption d’une approche holistique et cohérente et a rappelé l’importance du développement des zones rurales, tandis que son collègue de la Fédération de Russie a constaté l’échec des mesures visant à garantir la sécurité alimentaire et a demandé une meilleure répartition des mesures d’aide et d’assistance. Le représentant de l’Égypte a lui aussi estimé que la crise alimentaire devait être examinée de façon globale, tout en prenant en compte l’impact de l’utilisation de biocombustibles. Cette crise exige un engagement des bailleurs de fonds, a-t-il déclaré, pour se féliciter ensuite de la tenue prochaine du sommet de la FAO sur la question.
En conclusion de cette table ronde, son animatrice, Mme BARBARA EKWALL, de la Division de l’économie agricole et du développement de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a estimé qu’instaurer le principe de participation dans les mesures visant à répondre au problème de l’insécurité alimentaire serait un pas en avant important. Le droit à l’alimentation n’est pas une utopie, a-t-elle dit.
M. MIGUEL D’ESCOTO BROCKMANN, Président de l’Assemblée générale, a estimé, dans sa déclaration de clôture, que pour mettre un terme au problème injustifiable qu’est la faim, il faudra changer de façon notable les modes de production et de consommation. Il a ensuite condamné « l’absence frappante » du problème de la crise alimentaire lors du Sommet du G-20. Ceux qui ont faim ne peuvent attendre, et la garantie du droit à l’alimentation transforme ces personnes en détenteurs de droits, a-t-il dit. Après avoir engagé la communauté internationale à défendre les droits des personnes qui ont faim, M. Brockmann a mis l’accent sur la nécessité d’examiner cette crise sous plusieurs angles, notamment juridique, éthique et moral.
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