En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/9223-AFR/870-HQ/631

LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE AUX HOMMES ET FEMMES DU MONDE DE TOUT ARRETER A MIDI LA JOURNEE DU 7 AVRIL POUR SE SOUVENIR DES VICTIMES DU GENOCIDE RWANDAIS

26/03/2004
Communiqué de presse
SG/SM/9223
AFR/870
HQ/631


LE SECRETAIRE GENERAL DEMANDE AUX HOMMES ET FEMMES DU MONDE DE TOUT ARRETER A MIDI LA JOURNEE DU 7 AVRIL POUR SE SOUVENIR DES VICTIMES DU GENOCIDE RWANDAIS


L’allocution suivante a été prononcée aujourd’hui au Siège des Nations Unies à New York par le Secrétaire général des Nations Unies à l’occasion de la Conférence de commémoration du génocide rwandais organisée par les Gouvernements canadien et rwandais:


Le génocide rwandais n’aurait jamais dû se produire. Mais il s’est produit. La communauté internationale a abandonné le Rwanda à son sort et cela nous laissera pour toujours les plus amers regrets et la plus profonde tristesse.


Si la communauté internationale avait réagi rapidement et avec détermination, elle aurait pu prévenir la plupart des massacres. Mais la volonté politique était absente, et les troupes aussi.


Si l’Organisation des Nations Unies, les gouvernements, les médias internationaux et les autres observateurs avaient tenu compte des signes annonciateurs de la catastrophe et pris à temps les mesures voulues, le désastre aurait pu être évité. Des avertissements ont été donnés et sont restés sans suite. Je me souviens d’un rapport, établi en 1993 par un rapporteur spécial des Nations Unies, qui signalait clairement qu’une catastrophe était proche.


La communauté internationale a péché par omission. J’étais moi-même à la tête du Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU et j’ai insisté auprès de dizaines de pays pour qu’ils fournissent des contingents militaires. Je pensais, à l’époque, faire de mon mieux, mais j’ai compris après le génocide que j’aurais pu, et dû, en faire plus pour donner l’alarme et rallier les bonnes volontés. Ce souvenir douloureux, comme celui de la Bosnie-Herzégovine, a beaucoup influé sur ma vision des choses et sur les décisions que j’ai prises en tant que Secrétaire général.


Nul ne doit jamais oublier, ou avoir la possibilité d’oublier, qu’un génocide a bel et bien eu lieu au Rwanda, qu’il était soigneusement orchestré et qu’il a été perpétré au grand jour. Quiconque suivait les affaires mondiales ou regardait les nouvelles à la télévision, journée d’horreur après journée d’horreur, ne pouvait ignorer qu’un génocide d’une ampleur effarante était en cours.


Quelques êtres courageux ont essayé de mettre fin au massacre. Le général canadien Roméo Dallaire, commandant de la petite force de maintien de la paix des Nations Unies qui se trouvait sur place à l’époque, est un de ceux-là qui ont fait tout ce qu’ils pouvaient, et qui auraient dû être soutenus plus qu’ils ne l’ont été.


Quelque 800 000 hommes, femmes et enfants ont été abandonnés à une mort certaine, la plus violente et la plus inhumaine qui soit, infligée par leurs propres voisins. Des églises et des hôpitaux, qui auraient dû être des sanctuaires, ont été transformés en abattoirs. Un pays entier a volé en éclats. Une succession d’événements terribles a fini par engouffrer toute la région dans le conflit.


Dix ans plus tard, nous tentons toujours de recoller les morceaux.


Au Rwanda, l’Organisation des Nations Unies fait tout ce qu’elle peut pour aider la population à se remettre et à se réconcilier. Partout dans le pays, nous déminons, rapatrions des réfugiés, remettons en état des dispensaires et des écoles, et aidons à remettre sur pied l’appareil judiciaire.


En Tanzanie, un tribunal pénal institué par les Nations Unies continue à poursuivre les principaux auteurs du génocide. Certains des verdicts qu’il a rendu sont sans précédents. Pour la première fois, un tribunal international a prononcé une condamnation pour génocide; pour la première fois, un chef de gouvernement a été tenu responsable d’actes de génocide, le viol a été reconnu comme moyen de génocide et des journalistes ont été jugés coupables de génocide pour avoir contribué à créer un climat dans lequel des milliers de personnes allaient faire taire leurs instincts moraux les plus fondamentaux et participer au massacre systématique d’autres êtres humains.


L’ONU fait ce qu’elle peut pour aider le Rwanda à trouver une voie qui lui permettra de vivre durablement en sécurité et en paix avec lui-même et avec ses voisins. Nous ne pouvons changer le passé. Mais nous pouvons aider les Rwandais, en particulier ceux de la nouvelle génération, qui représente l’avenir du pays, à édifier ensemble une société nouvelle.


Le génocide rwandais a soulevé des questions qui touchent l’humanité tout entière, des questions fondamentales concernant l’autorité du Conseil de sécurité, l’efficacité des opérations de maintien de la paix des Nations Unies, la portée de la justice internationale, les racines de la violence et la responsabilité de la communauté internationale de protéger ceux qui sont menacés de génocide ou d’autres violations graves des droits de l’homme. Ces 10 dernières années, certaines de ces questions ont fait l’objet de débats passionnés, et des progrès réels ont été accomplis sur le plan pratique et philosophique. Mais la vraie question subsiste: croyons-nous que, face à un nouveau Rwanda, nous réagirions à temps et efficacement? Nous ne pouvons absolument pas en être certains.


J’ai proposé un certain nombre de mesures grâce auxquelles l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres seraient mieux équipés pour faire face résolument à un génocide, notamment la création d’un poste de rapporteur ou de conseiller spécial pour les questions de génocide.  Nous pouvons et devons en faire plus, et je réfléchis actuellement à d’autres mesures qui pourraient être prises. Le silence qui a jusqu’ici accueilli les génocides doit faire place à l’immense clameur d’un monde prêt à appeler les choses par leur nom.


L’Assemblée générale a décidé de faire du 7 avril la Journée internationale de réflexion sur le génocide rwandais. Quant au Gouvernement rwandais, il a demandé qu’à cette occasion, une minute de silence soit observée partout dans le monde à midi, heure locale.


Cette minute de silence est de nature à nous unir tous, ne fut-ce que très brièvement, autour de l’idée d’une véritable solidarité mondiale. J’ai écrit à tous les chefs d’État et de gouvernement pour leur demander qu’elle soit respectée, en particulier dans la fonction publique. J’ai également demandé la participation de tous les bureaux des Nations Unies, partout dans le monde. Aujourd’hui, je demande instamment à tous les hommes et à toutes les femmes du monde, qui qu’ils soient et où qu’ils se trouvent, dans une ville grouillante ou au plus profond de la campagne, de tout arrêter, ce jour-là à midi, et de prendre le temps de se souvenir des victimes. Soyons unis à présent, si nous n’avons pu l’être il y a 10 ans. En une minute, nous ferons passer un message qui résonnera pendant de longues années. Un message témoignant de nos remords et de notre ferme volonté d’éviter qu’une tragédie comme celle-là se reproduise jamais.


Que les victimes du génocide rwandais reposent en paix. Que notre existence soit pour longtemps marquée par leur sacrifice. Et que cette tragédie nous porte à essayer, ensemble, de nous traiter les uns les autres comme les membres d’une seule et même famille humaine. Si nous parvenons à accepter que tous les habitants de notre planète, indépendamment de la couleur de leur peau, de leurs convictions, de la langue qu’ils parlent et de l’ethnie à laquelle ils appartiennent, sont des êtres humains à part entière et sont à ce titre dignes de notre intérêt, de notre compassion et de notre acceptation, il nous sera beaucoup plus difficile de les déshumaniser, et beaucoup plus aisé de nous considérer comme leurs frères.


*   ***   *

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.