SG/SM/8955

LES RELATIONS DES ETATS-UNIS ET DE L’ONU DOIVENT ETRE VUES SOUS L’ANGLE D’UNE INTERDEPENDANCE FRUCTUEUSE POUR LES DEUX PARTIES, DECLARE LE SECRETAIRE GENERAL

04/11/2003
Communiqué de presse
SG/SM/8955


Les relations des Etats-Unis et de l’ONU doivent etre vues sous l’angle d’une interdependance fructueuse pour les deux parties, declare le Secretaire general


On trouvera ci-après le texte de l’allocution prononcée par le Secrétaire général, Kofi Annan, à l’occasion d’une conférence organisée par la Fondation Heinz à l’Université de Pittsburgh le 21 octobre 2003:


Je vous remercie, M. Johnson [Bill Johnson, Président de Heinz], des paroles très aimables que vous venez de prononcer.


C’est un grand honneur pour moi de m’adresser à une assistance aussi éminente réunie ici, dans une université de premier ordre et dans l’une des villes les plus importantes des États-Unis.


Je souhaite profiter de cette occasion pour tenter d’expliquer clairement ce que, j’en suis persuadé, la plupart d’entre vous savent déjà mais qui, à mon sens, tend à être relégué au second plan lors des débats animés que suscitent les questions d’actualité.


Très souvent, l’on entend les experts ou les journalistes parler des différends, voire des conflits, qui opposent les Etats-Unis à l’Organisation des Nations Unies, comme si les Etats-Unis et l’ONU étaient des rivaux, voire des adversaires.


Ce type de propos ne peut qu’induire le public en erreur parce qu’ils sont fondés sur une méconnaissance fondamentale de ce que l’Organisation des Nations Unies représente et de l’action qu’elle mène.


L’ONU est une association d’États souverains et compte parmi ses membres les États-Unis.  Pour un certain nombre de raisons, les Etats-Unis occupent une place à part dans cette association.


Tout d’abord, les Etats-Unis sont de loin le pays le plus puissant au monde sur les plans militaire et économique.  La culture américaine est admirée, respectée et imitée par de nombreux pays, même si parfois l’envie et la rancoeur se mêlent inévitablement à l’admiration et au respect.


Il s’ensuit que cette superpuissance ne peut que jouer un rôle moteur dans toute organisation à laquelle elle appartient.  L’idée selon laquelle il serait possible de bâtir un monde pacifique et prospère sans l’engagement et la coopération actives des Etats-Unis n’est pas crédible.


Par ailleurs, les Etats-Unis ont toujours été un pays de précurseurs aux idées pragmatiques, un pays d’idéaux, tourné vers l’avenir.  Il n’y a rien d’étonnant à ce que nous devions l’existence même de l’ONU à un Président américain d’exception: Franklin Delano Roosevelt.


Roosevelt a pris la tête des nations restées libres dans la lutte héroïque et terrible contre le barbarisme et l’agression nazis.  Il était déterminé à ce que ni les Etats-Unis ni le monde ne connaissent encore une fois un conflit du même ordre.


S’appuyant sur l’alliance qui a permis de gagner la Deuxième Guerre mondiale, il a voulu créer un système permanent de sécurité mondiale, capable d’endiguer toutes velléités d’agression avant qu’elles ne deviennent impossibles à maîtriser.


Il a souhaité que la nouvelle organisation soit plus dynamique et plus efficace que la Société des nations, parce que les grandes puissances de l’époque, y compris les Etats-Unis, en seraient les fondateurs et y occuperaient une place à part assortie de responsabilités particulières.


Roosevelt a compris que pour mieux servir les intérêts des États-Unis, il fallait réunir les autres grandes puissances dans un système de sécurité collective, qui, ainsi qu’il est dit dans la Charte des Nations Unies, permettrait de «préserver les générations futures du fléau de la guerre».


Voilà pourquoi le Conseil de sécurité compte cinq membres permanents. Voilà aussi pourquoi les Etats-Unis occupent une place à part dans l’Organisation des Nations Unies.  Ils font partie des cinq membres permanents à avoir un droit de veto sur les décisions relatives à la paix et à la sécurité.


Bien évidemment, Roosevelt n’a pas créé l’Organisation des Nations Unies à lui tout seul.  Il n’a d’ailleurs jamais vu le fruit de ses efforts, mais il a su avant de mourir convaincre d’autres dirigeants de partager son idéal.


Autre point tout aussi important, il a rallié ses compatriotes – républicains et démocrates confondus – autour du même idéal.  Lorsque le Sénat américain a décidé de ratifier la Charte des Nations Unies – par 89 voix contre 2 –, c’était incontestablement une décision commune aux deux partis, une décision qui a bénéficié du soutien enthousiaste de républicains tels que Arthur Vandenberg et de John Foster Dulles.


Depuis, des présidents américains des deux bords ont coopéré avec d’autres pays dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies sur des questions jugées importantes tant par les États-Unis que par le reste du monde.


L’Organisation des Nations Unies représente une instance précieuse dans le cadre de laquelle sont établis des normes et des instruments internationaux, à commencer par la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948.


En ce qui concerne la paix et la sécurité, la coopération n’a pas toujours été aussi aisée que les pères fondateurs l’auraient souhaité – notamment pendant la guerre froide.


Pourtant, même alors, des compromis ont été possibles lorsque les deux superpuissances partageaient des intérêts communs.  Avec patience et persévérance, les Etats ont recouru à la diplomatie.  Ils ont ainsi réussi à s’entendre sur des résolutions aussi importantes que les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, qui sont toujours acceptées par les deux parties au conflit au Moyen-Orient comme le fondement de la paix, et ont déployé des forces de maintien de la paix dans des zones de tension en différents points du globe.


Bien sûr, l’Organisation a subi des revers infamants, en Bosnie et au Rwanda notamment où la paix a été tenue en échec.  Toutefois, je suis persuadé que nos succès sont bien plus nombreux que nos échecs et que nous avons su tirer les enseignements de nos erreurs les plus graves.


Les Etats-Unis sont désormais la seule superpuissance, mais n’oublions pas que toute puissance va de pair avec de lourdes responsabilités.  J’ai le sentiment que le rôle prépondérant de l’Amérique est largement accepté au plan international.  Or, pour être efficace, l’autorité doit être exercée en recourant à la persuasion.  Cela signifie nouer des alliances avec patience par la diplomatie, car c’est la diplomatie, et non le recours à une force militaire sans rivale, qui est le véritable ressort du progrès.


Faire preuve de persuasion en tentant d’imprimer une direction signifie admettre que la plupart des Etats Membres, grands ou petits, préfèrent de loin coopérer sur les questions importantes relatives à la paix et à la sécurité dans le cadre d’institutions multilatérales comme l’Organisation des Nations Unies, lesquelles prêtent un poids particulier à la coopération. La puissance et la domination américaines ne signifient pas que d’autres parties qui ont des opinions différentes sur une question particulière ne puissent avoir raison.  En dernière analyse, l’exercice de l’autorité doit être fondé sur des valeurs communes.  Nombreux sont ceux à être préoccupés et déconcertés lorsque les Etats-Unis semblent se détourner des instruments internationaux qui portent pourtant leur marque et sont associés étroitement aux idéaux et objectifs inspirés par ce pays.


Je suis intimement convaincu que les États-Unis et l’ONU ont besoin l’un de l’autre.  Les Etats-Unis ont besoin de l’ONU pour faire régner la paix au Cambodge, au Mozambique, en El Salvador, en Sierra Leone, au Kosovo, au Timor-Leste et dans de nombreux autres pays dévastés par la guerre. Je doute que les États-Unis ou d’autres pays auraient souhaité ou auraient été capables d’assumer seuls ces responsabilités.  Parallèlement, l’Organisation des Nations Unies n’aurait jamais pu jouer le rôle qui a été le sien dans tous ces pays sans l’appui des États-Unis.  Les relations des Etats-Unis et de l’ONU doivent être vues sous l’angle d’une interdépendance fructueuse pour les deux parties.


Cette interdépendance va au-delà du maintien de la paix et du règlement des conflits.  A l’occasion de plusieurs conférences organisées sous l’égide de l’ONU, y compris le Sommet du Millénaire en 2000, les Etats-Unis ont su fixer avec d’autres pays des objectifs de développement précis assortis d’échéanciers.  Nous savons ainsi ce que nous devons faire pour réduire de 50% l’extrême pauvreté et la faim dans le monde d’ici à 2015, procurer de l’eau potable et salubre à tous, permettre à l’ensemble de la population de bénéficier d’une éducation primaire et endiguer la progression meurtrière du VIH/sida.


Il existe un rapport entre ces questions et la paix et la sécurité internationales.


La pauvreté et le dénuement n’expliquent pas le terrorisme et ne peuvent servir à l’excuser. Les terroristes y trouvent cependant un terrain de choix pour enrôler de nouvelles recrues.  Je pense que nous comprenons tous, sans qu’il y ait besoin de donner plus de détails, qu’un monde où des millions de personnes subissent la tyrannie, sont brimées et vivent dans une misère extrême ne sera jamais totalement sûr, même pour les plus privilégiés d’entre nous.


L’action que nous menons pour mettre un terme aux guerres civiles dans le monde, endiguer le trafic des armes légères, atténuer la pauvreté, protéger la nature et défendre les droits fondamentaux, la démocratie et la bonne gouvernance n’est pas fondamentalement différente des initiatives que nous prenons pour écarter des menaces jugées plus graves, comme le terrorisme et les armes de destruction massive.


D’ailleurs, l’Organisation des Nations Unies participe directement à ces initiatives.  L’Agence internationale de l’énergie atomique, une institution spécialisée du système des Nations Unies, joue un rôle majeur en tentant d’éviter la prolifération nucléaire, tout comme l’Organisation mondiale de la santé est au premier rang de ceux qui tentent d’endiguer la progression des maladies infectieuses telles que le SRAS.


En ce qui concerne le terrorisme, le Conseil de sécurité a pris des mesures très strictes au lendemain du 11 septembre 2001 afin d’inciter tous les pays à coopérer dans la recherche des organisations terroristes et à restreindre les sources de financement qu’elles utilisent.  Ce travail crucial se poursuit sous la direction d’un comité spécial du Conseil de sécurité.


Depuis la chute des Taliban, l’Organisation n’a rien épargné pour aider les Afghans à reconstruire leur pays et leur société.  Nous sommes prêts, si les circonstances le permettent, à faire de même pour le peuple iraquien.


De fait, nous avions déjà commencé à oeuvrer en ce sens dans le courant de l’été lorsque j’ai désigné Sergio Vieira de Mello comme mon Représentant spécial à Bagdad.  Sergio Vieira de Mello avait acquis une expérience inestimable dans le domaine de l’instauration de nouvelles institutions dans des sociétés déchirées par la guerre et s’était entouré de quelques-uns des fonctionnaires les plus talentueux de l’Organisation.


Tragiquement, Sergio Vieira de Mello et des membres clefs de son équipe figurent parmi les 22 personnes qui ont trouvé la mort dans le terrible attentat à la bombe qui a frappé notre quartier général à Bagdad le 19 août.


Nous restons malgré tout déterminés à faire tout ce que nous pouvons pour aider le peuple iraquien, mais après cet attentat et un second le mois dernier, je dois agir avec prudence avant de risquer la vie du personnel de l’Organisation en Iraq.

Il est tout à fait normal que des divergences d’opinion se manifestent quant à la meilleure façon de faire face à une situation aussi dangereuse et complexe que celle qui règne en Iraq.  Ne confondons pas cependant tactique et action de fond.  Nous avons un objectif commun, à savoir faire en sorte que le peuple iraquien assume par lui-même et le plus tôt possible la gestion pleine et entière de ses propres affaires dans le cadre d’un gouvernement représentatif et reconnu sur le plan international.


Quelle que soit l’opinion que chacun d’entre nous peut avoir sur les événements des derniers mois ou sur ce qui doit être fait maintenant, l’important est de rétablir un Etat iraquien souverain, indépendant et démocratique, en paix avec lui-même et avec ses voisins, et déterminé à concourir à la stabilité de la région.


Comme vous le savez, le Conseil de sécurité a adopté la semaine dernière une résolution dans laquelle l’Organisation est invitée à renforcer son rôle crucial en Iraq, si les circonstances le permettent, notamment en apportant des secours humanitaires, en favorisant des conditions propices à la reconstruction économique et au développement de l’Iraq à long terme, et en concourant aux efforts visant à créer et à rétablir les institutions nécessaires à un gouvernement représentatif.


Je ferai de mon mieux pour exécuter la mission qui a été confiée à l’Organisation, tout en prenant les précautions voulues pour assurer la protection de mon personnel, ainsi qu’il est du devoir de tout dirigeant consciencieux.


La résolution relative à l’Iraq illustre également une idée que j’ai essayé d’exprimer précédemment.  Les États-Unis ont tenté d’obtenir – et ont finalement obtenu – un accord au Conseil de sécurité en ce qui concerne l’adoption d’une approche commune en Iraq.  Je crois qu’ils ont agi de la sorte parce qu’ils ont compris qu’il leur fallait dialoguer avec les autres pays et les laisser exprimer leurs préoccupations dans une instance dont la légitimité est reconnue et où la responsabilité est collective.


Nul ne doute que la paix, la stabilité et la démocratie en Iraq sont dans l’intérêt de tous.  Or, il est plus facile pour les États d’atteindre ces objectifs en faisant front commun plutôt qu’en agissant en ordre dispersé.


L’Iraq s’impose à nous comme l’une de ces situations où les Etats-Unis disposent de pouvoirs très étendus mais où la différence entre succès et désastre repose néanmoins sur le degré de coopération internationale.


Il existe bien d’autres problèmes qui appellent de façon tout aussi pressante une réponse internationale alliant la légitimité de l’Organisation des Nations Unies et la puissance et l’autorité des Etats-Unis.  Nombreux sont ceux un peu partout dans le monde qui ont tout à gagner de cette alliance entre principes et pragmatisme.


Peut-on imaginer qu’un pays puisse à lui tout seul régler le problème du réchauffement de la planète ou celui de la protection de l’environnement?  Peut-on envisager qu’il puisse défendre les droits de l’homme et traduire en justice les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité sans le concours d’autres pays?  Peut-on penser qu’il puisse gagner la guerre contre le terrorisme, empêcher la dissémination des armes de destruction massive ou endiguer le trafic de stupéfiants sans aide extérieure?


De fait, nombreux sont ceux dans la communauté internationale à redouter que certains des grands principes sur lesquels repose l’ordre international depuis 1945 ne soient ébranlés.  La guerre en Iraq a déconcerté un très grand nombre de personnes parce qu’elles ont vu deux membres permanents du Conseil de sécurité entreprendre une opération militaire sans l’assentiment du Conseil dans son entier ni celui des États Membres de l’Organisation dans son ensemble.


Elles craignent que cela ne crée un précédent et que des mécanismes qui ont rendu service à la communauté internationale depuis des dizaines d’années ne soient démantelés.  Elles voient se profiler un retour à la situation qui régnait avant 1945, c’est-à-dire un monde dans lequel toute nation qui avait les moyens de recourir à la force en usait lorsque bon lui semblait, chaque fois que cela lui permettait de faire avancer ses intérêts.


Je partage ces craintes, semblable en cela à de nombreuses personnes de par le monde.  Toutefois, j’estime aussi – et je l’ai dit expressément dans mon allocution devant l’Assemblée générale le mois dernier – qu’il «ne suffit pas de dénoncer l’unilatéralisme, à moins de faire face également directement aux préoccupations qui font que certains États se sentent exceptionnellement vulnérables et les amènent ainsi à prendre des mesures unilatérales».  Il appartient à tous ceux qui croient en un système collectif de sécurité de montrer qu’ils peuvent répondre de façon plus efficace à des problèmes tels que le risque de voir les terroristes faire usage d’armes de destruction massive lorsqu’ils agissent collectivement.


Je pense que nous pouvons trouver des réponses collectives, même si cela signifie revoir les règles internationales, y compris les principes fondateurs – voilà la tâche à laquelle j’ai demandé aux Etats Membres de s’atteler.  Je désignerai prochainement un groupe de haut niveau composé d’hommes et de femmes d’expérience, venant de toutes les régions du monde, qui sera chargé d’examiner les menaces auxquelles nous devons faire face et de formuler des propositions quant aux aménagements à apporter à nos règles et institutions afin de parer à ces menaces.


Trouver des réponses à ces questions revêt une importance cruciale, tant pour les Etats-Unis que pour les autres pays.  Je sais que le peuple américain souhaitera être étroitement associé à cette entreprise internationale de vaste portée.


Aucune autre entreprise ne me semble plus nécessaire que celle-ci en ce moment.  A mon sens, il est impensable de se résigner à l’absence de consensus international.


Je suis convaincu que nous devons nous entendre sur des principes communs afin que l’humanité poursuive sa marche en avant vers ce que la Charte des Nations Unies appelle «de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande» – un monde plus sûr dans lequel tous les pays seront libres d’échanger des biens, des informations et des idées, pourront apprendre les uns des autres et feront preuve de solidarité, un monde dans lequel à terme l’existence sera moins incertaine, plus riche et fructueuse.


Certains crieront à l’utopie, mais vivre aux Etats-Unis signifie être optimiste et savoir que rien n’est impossible.  Je sais que pour les Américains cette vision de l’avenir sonne juste; je sais aussi que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour y donner corps.


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