L’ECOSOC DEBAT DES MOYENS D’ATTEINDRE LES GROUPES VULNÉRABLES ET D’ASSURER LA TRANSITION VERS LE DÉVELOPPEMENT DANS LE CADRE DES OPERATIONS HUMANITAIRES
Communiqué de presse ECOSOC/6018 |
Conseil économique et social
Session de fond de 2002
25et 26èmes séances plénières – matin et après-midi
L’ECOSOC DEBAT DES MOYENS D’ATTEINDRE LES GROUPES VULNÉRABLES ET D’ASSURER LA TRANSITION VERS LE DÉVELOPPEMENT DANS LE CADRE DES OPERATIONS HUMANITAIRES
Le Conseil économique et social (ECOSOC) a tenu aujourd’hui dans le cadre de son débat consacré aux affaires humanitaires deux tables rondes sur l’assistance économique spéciale, l’aide humanitaire et les secours apportés en cas de catastrophe par la communauté internationale. Consacrées respectivement aux moyens d’atteindre les groupes vulnérables et à la transition des opérations de secours vers l’action de développement dans le contexte de situations d’urgence complexes et de catastrophes naturelles, les deux tables rondes ont porté sur les opérations menées par les Nations Unies et la communauté internationale dans les régions de conflits, notamment le Burundi ou l’Afghanistan.
Abordant la question des moyens institutionnels dont disposent les Nations Unies pour assurer la transition de l’aide d’urgence à la reconstruction, M. Malloch Brown, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a souligné le rôle complémentaire du PNUD, de l’UNICEF ou du Programme alimentaire mondial (PAM) sur le terrain. L’interaction entre les institutions et les fonds et programmes des Nations Unies doit répondre à une série de conditions dont la première est l’instauration de la paix. L’action humanitaire, le retour des réfugiés et la réinstallation des personnes déplacées, qui sont des préalables à toute action de développement doivent être complétés par un véritable leadership dans l’action de la communauté internationale. Ce sont ces éléments conjugués qui ont été à l’origine du succès de la transition au Timor oriental ou dans les Balkans, et qui doivent guider l’action des Nations Unies en Afghanistan.
Les progrès enregistrés par la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) ont été au cœur de la discussion au cours de laquelle tant le leadership du Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afghanistan, M. Lakdhar Brahimi, que la solide coordination entre les organisations des Nations Unies et les institutions transitoires afghanes ont été salués. M. Brahimi a expliqué que les Nations Unies se sont concentrées en Afghanistan sur les opérations de secours et sur le renforcement des capacités des structures locales, dans les régions et les provinces. Il a insisté sur l’importance de reposer sur une approche afghane pour ce qui est du rétablissement de la sécurité et de la reconstruction et expliqué que pour leur part, les Nations Unies avaient apporté une expertise complémentaire dans certaines domaines en appuyant par exemple la dimension sexospécifique dans tous les programmes afin de renforcer la place des femmes et des filles. Il a mentionné les progrès réalisés en quelques mois dans des domaines tels que le retour des réfugiés ou la réouverture des écoles.
Cependant le manque de ressources allouées par les donateurs aux programmes d’assistance économique spéciale, d’aide humanitaire et de secours d’urgence a été soulevé par les intervenants au cours des deux tables rondes. Ainsi, Mme Carol Bellamy, Directrice générale de l’UNICEF a souligné le coût élevé des efforts déployés par les institutions humanitaires pour atteindre les groupes les plus vulnérables dans le contexte de situations d’urgence, que ce soit en Afghanistan ou en République démocratique du Congo. M. Jean-Jacques Graisse, Directeur exécutif adjoint du Programme alimentaire mondial, a par exemple expliqué que, sur les 800 millions de personnes qui souffrent quotidiennement de la faim dans le monde, son organisation ne parvient à venir en aide qu’à 10% d’entre eux en raison du manque de ressources essentiellement. Un autre aspect crucial pour la bonne conduite des opérations d’aide d’urgence réside dans la sécurité et la sûreté du personnel humanitaire et, à ce titre, le Vice-Président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Jacques Forster, a rappelé la neutralité et l’indépendance du CICR dont le seul objectif est de soulager les souffrances des populations civiles.
L’ECOSOC poursuivra son débat sur les questions humanitaires demain, mercredi 17 juillet, à 10 heures.
DÉBAT CONSACRÉ AUX AFFAIRES HUMANITAIRES
Table ronde : Atteindre les groupes vulnérables dans le contexte de situations d’urgence complexes et de catastrophes naturelles
La table ronde a réuni autour du Vice-Président de l’ECOSOC, M. Jassim Mohammed Buallay (Bahreïn), la Directrice générale du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Mme Carol Bellamy, le Directeur exécutif adjoint du Programme alimentaire mondial (PAM), M. Jean-Jacques Graisse. Ont également participé à cette table ronde M. Jacques Forster, Vice-Président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), M. Ross Mountain, Coordonnateur assistant des secours d'urgence au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), et M. Georg Charpentier, Coordonnateur humanitaire et Coordonnateur résident des Nations Unies au Burundi. Après les présentations, un échange de vues a été engagé avec les délégations.
Mme CAROL BELLAMY, Directrice générale de l’UNICEF, a jugé que les guerres, et dans une certaine mesure les catastrophes naturelles, ont un impact immédiat sur le développement des enfants car ils sont privés de l’accès à la santé, à l’éducation, à l’alimentation. Elle a ajouté que les enfants et les femmes, qui représentent 80% des réfugiés et des personnes déplacées, sont les plus vulnérables aux guerres et aux conflits, car ils se retrouvent enrôlés de force dans les armées ou esclaves sexuels de groupes armés, pour ne citer que ces deux menaces qui pèsent sur eux. Elle a rappelé que les enfants et les femmes sont les premières victimes de la propagation de la pandémie du VIH/sida dont la progression est favorisée par les conflits et les conditions d’extrême pauvreté, notamment pour ce qui est des 13 pays les plus touchés par le sida en Afrique. Par ailleurs, Mme Bellamy a souligné que les catastrophes naturelles ont une influence directe sur les enfants et les groupes les plus vulnérables, comme on a pu le constater à Goma suite à l’éruption du volcan Nyiragongo, car ils étaient déjà frappés par la pauvreté extrême.
Elle a réaffirmé l’importance pour les Gouvernements et les organisations internationales de respecter le droit à la participation des enfants et des groupes les plus vulnérables. Elle a demandé en outre que l’accès sans entrave aux populations civiles les plus vulnérables soient respectés, faisant remarquer que les victimes des conflits armés meurent le plus souvent parce qu’ils n’ont plus accès aux soins ou à l’alimentation. Elle a souligné les efforts déployés par l’UNICEF pour rescolariser les enfants en Afghanistan mais a souligné qu’il fallait pour cela avoir accès à tous ces enfants. Il en est de même pour ce qui est de la vaccination contre la poliomyélite en Sierra Leone, en Somalie, au Burundi ou en Afghanistan ou l’accès aux groupes vulnérables doit être facilité. Cependant, Mme Bellamy a déploré le coût élevé de l’assistance aux populations les plus vulnérables qui sont souvent dans des zones difficile d’accès. Elle a lancé un appel à la communauté internationale afin qu’elle prenne conscience la nécessité de contribuer davantage aux efforts déployés par les institutions humanitaires pour atteindre les enfants et les groupes les plus vulnérables.
M. JEAN-JACQUES GRAISSE, Directeur exécutif adjoint, Programme alimentaire mondial (PAM), a évoqué la situation de crise en Afrique australe. Il a indiqué que pour aider les populations vulnérables, il faut savoir qui sont les personnes, définir ce dont elles ont besoin et comment les atteindre. Des analyses de vulnérabilité sont donc menées afin d’évaluer les besoins en aliments, les capacités de survie et les moyens de subsistance existants. Dans la mesure du possible, le PAM tente de canaliser les vivres par l’intermédiaire des femmes. Pour acheminer les vivres, il faut mettre en place des lignes d’approvisionnement robustes et commencer l’opération par les districts les plus vulnérables. Une attention particulière est donnée aux régions touchées par le VIH/sida. Pour mieux acheminer l’assistance, de nouveaux partenariats peuvent être établis. On peut également élargir les collaborations existantes et tisser des liens avec les ONG partenaires.
Un défi redoutable à relever est celui de la coordination logistique car il faut suivre de près les chaînes d’approvisionnement. Il est en outre indispensable d’établir une coopération pleine et entière avec tous les gouvernements pour minimiser les goulets d'étranglement par exemple. Cependant, les stratégies d’assistance dépendent de la communauté des donateurs, des ressources allouées et de la volonté politique des gouvernements.
M. JACQUES FORSTER, Vice-Président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a déclaré que la proximité par rapport aux victimes est une priorité pour le CICR qui doit donc avoir une présence importante sur le terrain, d’un total de 10 000 agents. Ces derniers travaillent en collaboration étroite avec les sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et interviennent dans des domaines aussi variés que la visite des lieux de détention (plus de deux mille visites en 2001) ou la prise en charge des malades et des blessés dans les zones de conflits. La condition première de l’intervention du CICR est la reconnaissance de sa neutralité et de son indépendance par toutes les parties et le libre accès aux victimes. Il a insisté que l’importance pour le CICR de faire en sorte que ses opérations restent distinctes des initiatives prises par les États et les gouvernements.
La complexité et la dimension des besoins sur le terrain rendent indispensable la coordination avec les autres organismes présents sur les zones d’intervention afin d’avoir une approche complémentaire, a ajouté le Vice-Président. Il a donné l’exemple de la complémentarité et de la coordination de l’action menée en Afghanistan dans des zones montagneuses où les autres agences n’interviennent pas et où le CICR s’occupe notamment de 6 000 détenus. Il a mentionné ensuite les efforts déployés par le CICR au Moyen-Orient pour faire face à l’escalade de la violence et a précisé que le Comité avait augmenté son personnel en Cisjordanie pour atteindre les groupes les plus vulnérables. La sécurité est à la fois une contrainte et un facteur déterminant pour l’intervention du CICR, a rappelé M. Forster.
M. ROSS MOUNTAIN, Coordonnateur adjoint des secours d’urgence des Nations Unies, a rappelé qu’atteindre les groupes vulnérables suppose d’obtenir un accès aux victimes des catastrophes, d’assurer la sécurité des travailleurs humanitaires, d’établir les structures nécessaires pour identifier les besoins et de mobiliser les ressources nécessaires. Les catastrophes naturelles qui se produisent dans des situations de crises complexes, telle que celle qui s’est produite à Goma suite à l’éruption du volcan Nyiragongo, sont uniques en leur genre. Il est donc important de pouvoir disposer de capacités de réserve disponibles directement sur le terrain. Les éléments fondamentaux de l’assistance humanitaire en cas de catastrophe naturelle sont principalement liés à des questions de déploiement rapide. La coordination de l’assistance devient dans ce contexte d’autant plus cruciale. La répartition des tâches doit être claire et nette et il faut pouvoir mobiliser rapidement les ressources nécessaires. A Goma par exemple, la présence d’agents déjà déployés dans cette région et l’existence de fournitures prépositionnées ont permis d’agir rapidement. De telles catastrophes exigent en outre des connaissances spécialisées d’experts qui ne sont malheureusement pas toujours présents. L’attention des médias est également très importante pour sensibiliser tous les intéressés.
M. GEORG CHARPENTIER, Coordonnateur humanitaire et Coordonnateur résident des Nations Unies au Burundi, a souligné la complexité de la situation au Burundi où la crise dure maintenant depuis 10 ans et où, malgré la mise en place des institutions de transition en novembre 2001 qui est une étape positive, le processus de paix d’Arusha demeure très fragile. La situation humanitaire reste très précaire dans la mesure où il reste plus de 500 000 réfugiés en Tanzanie et 400 000 déplacés internes répartis dans 200 camps, sans compter les 200 000 Burundais qui se déplacent régulièrement au gré des attaques. Les principaux défis pour l’action humanitaire sont de fournir une assistance aux déplacés dans des zones à risque et de garantir leur protection. M. Charpentier a insisté sur la condition des femmes qui sont les plus vulnérables dans les camps alors que, dans le même temps, elles sont les moteurs de la reconstruction et du développement lorsque le conflit s’atténue. Il y a un autre défi concernant les zones à risque, c’est celui de l’accès à l’information, car sans information, il est impossible de planifier des opérations, a affirmé M. Charpentier.
Il a souligné ensuite le défi de la sécurité du personnel humanitaire qui, dans le cas du Burundi, peut avoir une influence négative sur le volet opérationnel, dans la mesure où un plan de sécurité a été mis en place, plan qui est bon, mais retarde les interventions dans certaines zones à cause du risque encouru par le personnel humanitaire. Il a donné ensuite un exemple de mesures prises conjointement avec le Ministère des droits de l’homme et les autres départements en charge de la sécurité au Burundi, afin de responsabiliser les différents partenaires, à commencer par l’armée, en ce qui concerne la protection des civils. Il a également mentionné le dialogue engagé avec les rebelles pour atténuer la tension dans les zones à risque et permettre la distribution de l’assistance humanitaire par la mise en place de couloirs humanitaires dans certaines provinces pour venir en aide à des groupes de déplacés, comme par exemple à Ruyigi où certaines personnes n’avaient pas eu d’aide depuis 4 à 5 semaines.
Ouvrant l’échange de vues avec les délégations, M. MARC NTETURUYE (Burundi) a indiqué que l’assistance déployée dans son pays concerne deux groupes: les déplacés à l’intérieur des frontières et les rapatriés. A cet égard, il a regretté l’incompréhension qui existe entre le Gouvernement et le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR). En effet, suite à des problèmes de sécurité, le HCR a suspendu l’assistance aux rapatriés qui rentrent dans le pays à partir des provinces du Sud et de l’Est du pays. Cependant, malgré la suspension de l’assistance et le risque encouru, ces réfugiés continuent de rentrer car ils considèrent qu’il y a des progrès politiques. Les gouvernements du Burundi et de Tanzanie ont vivement condamné cette décision de suspension. Le représentant a donc appelé le HCR à revoir sa position.
Le représentant de la Finlande a quant à lui souhaité obtenir des chiffres et des estimations au sujet des personnes privées de toute assistance. Quand considère-t-on qu’un bénéficiaire d’aide ne peut plus recevoir d’assistance? Le représentant du Danemark, au nom de l’Union européenne, a par la suite évoqué le thème de la participation des personnes vulnérables et a lancé un appel pour que les bénéficiaires de l’aide contribuent à leur propre développement. Quelles sont les mesures prises pour favoriser la coopération entre les gouvernements des pays voisins de ceux qui reçoivent une assistance suite à des catastrophes naturelles? a pour sa part demandé le représentant du Japon.
Reprenant la parole, Mme BELLAMY a rappelé l’importance du concept de participation qui a été retenu, il y a deux ans, dans le processus d’appel global, puisqu’il avait mentionné l’assistance aux femmes qui constituent un groupe très vulnérable. Les femmes sont les premières à organiser les camps de déplacés ou de réfugiés, a-t-elle souligné, et doivent disposer d’un appui dans le cadre des interventions humanitaires. S’agissant des mécanismes utilisés pour identifier le moment où un groupe n’est plus vulnérable, Mme Bellamy a jugé très difficile de déterminer le moment où l’aide peut cesser.
M. GRAISSE a fait observer que 800 millions de personnes ont faim chaque jour dans le monde et la définition de la vulnérabilité est malheureusement fonction du manque de ressources. Pour identifier les populations vulnérables, le PAM dispose d’outils cartographiques, mais vu les ressources très maigres du PAM le plus dur est de prendre une décision. «Il vaut mieux être un enfant du Bhoutan réfugié au Népal qu’un enfant népalais car le premier mange davantage à sa faim que l’enfant qui l’accueille grâce à l’aide internationale», a ironisé M. Graisse. M. FORSTER a considéré que la fin de la vulnérabilité était le moment où les gens recouvrent leur autonomie économique, grâce notamment à la mise en oeuvre de programmes de développement.
S’agissant du dialogue avec les gouvernements qui servent notamment à identifier les zones d’intervention dans chaque pays, les intervenants ont pris l’exemple de l’éruption du volcan Nyiragongo et de la coopération des États voisins. M. GRAISSE a souligné que le Gouvernement rwandais avait coopéré avec le PAM en l’autorisant à prélever des vivres sur les stocks d’aide au développement destinés au Rwanda afin d’aider rapidement la population de Goma. M. MOUNTAIN a mentionné la coopération entre les Nations Unies et le Rwanda, où avaient brièvement pris refuge les habitants de Goma, notamment pour prévenir et anticiper une nouvelle catastrophe dans le cas d’une autre éruption.
Répondant au représentant du Burundi, M. CHARPENTIER a admis que la question du retour des réfugiés est complexe car il faut assurer leur retour et leur réinsertion sociale dans la sécurité. Il a assuré que les institutions des Nations Unies sont engagées dans un processus dynamique, y compris le HCR, et suivent la situation sécuritaire au quotidien. Il a lancé un appel à la communauté internationale pour qu’elle appuie les efforts d’autodéveloppement du Burundi, où une grande partie du territoire n’est pas affectée par le conflit et où il faut améliorer les conditions de vie des populations. La jonction entre l’humanitaire et le développement est une question clef pour le Burundi. M. Charpentier a estimé que les efforts des bailleurs de fonds sont encore trop timides pour soutenir le Burundi.
La représentante du Canada a souligné qu’il était impératif que l’aide humanitaire parvienne à ceux qui en ont besoin et elle a suggéré de garder à l’esprit la possibilité d’utiliser les pays voisins et les ambassades dans la zone concernée pour faciliter l’accès aux populations. Le représentant des Etats-Unis a demandé s’il existe une adaptation des programmes pour tenir compte de la situation nouvelle créée par la propagation du VIH/sida en Afrique australe. La représentante du Cameroun a demandé quelle solution est envisagée pour les zones où le personnel humanitaire n’a pas accès.
En réponse aux remarques formulées par la représentante du Canada, M. FORSTER a estimé qu’il est important d’établir un dialogue ouvert et transparent avec toutes les parties au conflit. Dans certaines circonstances, a-t-il précisé, il est très difficile d’établir ce dialogue, notamment dans les situations où il y a une multitude d’acteurs. M. GRAISSE a indiqué que les opérations d’urgence tentent de s’adapter à la nouvelle réalité posée par la propagation du virus du sida. Les enfants deviennent par exemple les bénéficiaires de l’aide alimentaire lorsqu’ils sont responsables des ménages. En ce qui concerne la question de l’acheminement de l’assistance dans les zones où le personnel humanitaire n’a pas accès, M. CHARPENTIER a indiqué qu’il n’existe pas d’empêchement total et définitif en terme d’accès à certaines zones du Burundi. Il existe en effet une gestion quotidienne de l’acheminement de l’aide en fonction de l’évolution de la situation au jour le jour.
Table ronde : Transition des opérations de secours à l’action d développement dans le contexte de situations d’urgence complexes et de catastrophes naturelles
La table ronde était animée par M. Lakhdar Brahimi, Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afghanistan, M. Ruud Lubbers, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, M. Mark Malloch Brown, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement, M. Didier Cherpitel, Secrétaire général de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, et Mme Carolyn McAskie, Coordonnatrice adjointe des secours d’urgence au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA). L’échange de vues qui a suivi a porté en grande partie sur l’expérience de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).
M. LAKDHAR BRAHIMI, Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afghanistan, a évoqué la situation en Afghanistan où la communauté internationale est confrontée à une situation humanitaire complexe, mais en même temps, à une situation où l’on tente de remettre le pays sur les rails du développement. Il a rappelé que l’Accord de Bonn avait mis un terme à 22 années de guerre dans un pays qui dépendait largement de l’aide humanitaire et où, en mars 2002, 60% de la population dépendait de l’aide humanitaire. Il a fait observer que, au cours des cinq dernières années, l’Afghanistan avait disposé de l’aide humanitaire de la communauté internationale sans pour autant que des objectifs aient été définis par l’ancien régime pour ce qui était de la reconstruction et du développement. Il a expliqué que la démarche des Nations Unies avait consisté à tirer les enseignements d’autres situations pour assumer le leadership en Afghanistan et répondre aux besoins les plus urgents de près de 6 millions de personnes.
Il a souligné que les Nations Unies se sont concentrées sur les opérations de secours et le développement des capacités locales. Le Représentant spécial du Secrétaire général a ajouté que la reprise et la reconstruction avaient été étroitement liées au processus politique pour permettre à toutes les composantes de se compléter dans l’action. Il a défendu la nécessité de privilégier une approche afghane et souligné les mesures prises par les Nations Unies pour appuyer la dimension sexospécifique dans tous les programmes pour renforcer la place des femmes et des filles. Il a fait valoir les progrès réalisés dans certains domaines tels que le retour des réfugiés, mais aussi dans la scolarisation, M. Brahimi soulignant que 3 millions d’enfants avaient regagné l’école en quelques mois. Cependant, les enfants suivent des cours sous les arbres le plus souvent car ils manquent de classes, a déploré M. Brahimi.
Il a jugé que l’élimination de la poliomyélite est un objectif atteignable dans les 3 prochaines années en Afghanistan et souligné les effets positifs du programme de reconstruction. Il a mentionné également la réinsertion des combattants qui se poursuit et souligné les difficultés logistiques auxquelles fait face l’Autorité de transition. Les salaires sont versés dans tout le pays malgré le manque de liquidités à laquelle fait face l’Autorité de transition après l’épuisement du Fonds d’affectation spéciale. M.Brahimi a admis que la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Afghanistan (MANUA) n’était pas encore pleinement intégrée malgré de réels progrès. Il a souligné l’importance de la cohérence entre les programmes mis en oeuvre par les institutions, fonds et programmes des Nations Unies et les objectifs de l’Autorité transitoire et a jugé qu’une meilleure circulation de l’information permet de mieux définir les programmes.
Il a tiré des conclusions après 4 mois d’existence de la MANUA en soulignant notamment le rôle clef que doit jouer l’ONU dans le contexte postconflits. Il a prôné un renforcement des capacités de gestion de la MANUA et souhaité que, dans le cadre des réformes de l’ONU, des changements supplémentaires soient envisagés pour assurer la souplesse des missions intégrées. Il a souligné le rôle crucial des donateurs ainsi que celui, vital, des ONG dans des situations comme celles de l’Afghanistan et a jugé important que les gouvernements et les ONG mettent au point de nouvelles normes de collaboration.
M. RUUD LUBBERS, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, a indiqué que trouver des solutions durables pour les réfugiés exige une bonne transition de l’aide au développement. Il faut donc développer une approche sui generis qui permet de faire fusionner l’humanitaire et le développement. Au lieu de voir les réfugiés comme un fardeau, il faut qu’ils soient considérés comme des vecteurs de développement, comme c’est le cas en Zambie où il existe un mariage entre l’humanitaire et le développement. L’implication des gouvernements concernés est indispensable mais les pays donateurs doivent aussi s’engager pleinement. M. Lubbers s’est également félicité des nouvelles perspectives qui s’ouvrent, notamment par le biais de l’Union européenne qui développe une initiative qui utilise les capacités productives des réfugiés dans le développement de l’Afrique.
M. MARK MALLOCH BROWN, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a salué l’approche commune et intégrée du système des Nations Unies en Afghanistan sous la conduite avisée de M. Lakdhar Brahimi. Quelles sont les moyens institutionnels dont nous disposons pour passer de l’aide d’urgence à la reconstruction a demandé M. Malloch Brown? Il a souligné le rôle complémentaire du PNUD, de l’UNICEF ou du PAM et estimé que l’interaction devait suivre une série de phases, la première étant l’instauration de la paix, la seconde l’action humanitaire, le retour des réfugiés et la réinstallation des déplacés, et la troisième le besoin de leadership. Ces éléments ont été essentiels dans les processus suivis en Afghanistan, au Timor oriental, dans les Balkans ou en Sierra Leone.
M. Malloch Brown a insisté sur la nécessité d’identifier les besoins qui le plus souvent touchent à la mise à disposition des services de base (santé, éducation, sécurité, emploi). Il a ensuite souligné la difficulté de passer à une économie civile qui prend le relais de l’économie militaire, soulignant là un défi complexe pour un Gouvernement faible au sortir d’années de conflit comme c’était le cas en Afghanistan. Il a souligné en outre la notion de durabilité de la reconstruction et du développement qui doivent être une des priorités des Nations Unies. Il a mis en garde contre le risque de ne pas toujours être à la hauteur des attentes, rappelant que le HCR avait sous-estimé les retours des réfugiés afghans, même si cette erreur est compréhensible. M. Malloch Brown a regretté que la capacité d’intervenir rapidement manque aux Nations Unies qui ne disposent pas de fonds d’amorce pour financer par exemple un programme de démobilisation. «Si on perd du temps dans la recherche de fonds, le risque de reprise de la guerre est réel», a-t-il dit, regrettant que les Nations Unies ne disposent pas de la même latitude que la Banque mondiale qui dispose d’argent frais et demandant davantage d’argent et de souplesse aux donateurs.
M. DIDIER CHERPITEL, Secrétaire général de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, a rappelé qu’au début de 2001, El Salvador a connu des tremblements de terre qui ont causé d’immenses pertes en vies humaines et des dommages matériels d’une grande ampleur. Des équipes de sauvetage et de secours de 200 personnes ont opéré, appuyées par plus de 1 000 volontaires. Dans les deux semaines qui ont suivi, un plan d’action a été mis en place dont la priorité était de satisfaire les besoins immédiats mais également d’agir sur le long terme. Les priorités et les objectifs ont été définis sur la base d’évaluations faites grâce à une concertation avec les populations locales. Un an et demi plus tard, la Croix-Rouge salvadorienne est prête à faire face à d’autres catastrophes humanitaires. Les catastrophes sont désormais considérées du point de vue du développement et de la capacité organisationnelle. Le représentant a regretté que dans de nombreux cas l’aide, même si elle arrive rapidement, s’arrête aussi assez rapidement. Il a en outre fait remarquer que les solutions n’exigent pas de financements immenses mais plutôt la volonté de placer les êtres humains au centre des projets de développement. La clef de la reprise et du développement est la participation directe des communautés et des populations locales. Cette participation exige la mise en place de structures et d’organisations permettant que les priorités des plus vulnérables soient prises en compte. Le renforcement des capacités de la société civile est dans ce contexte essentiel. Nous devons en outre tenir compte de la réduction des risques dans la planification du développement. Il faut investir davantage de ressources dans la phase de préparation, évaluer les risques, stocker des fournitures de secours, promouvoir et appuyer les capacités locales. Enfin, il convient de créer des mécanismes financiers appropriés.
Ouvrant l’échange de vues avec les délégations, le représentant du Danemark a fait remarquer que les efforts visant à assurer la transition des secours vers le développement doivent comprendre la réintégration des personnes qui rentrent chez elles. Le représentant de la Fédération de Russie a quant à lui suggéré que le passage des opérations de secours à des actions de développement soit accompagné d’un bilan des opérations de secours.
Reprenant la parole, M. BRAHIMI a souligné qu’en Afghanistan la paix restera précaire pour longtemps. Par conséquent, le travail d’urgence est en premier lieu d’éviter que ce pays ne glisse à nouveau dans un conflit. Tous les efforts doivent viser à renforcer la paix. En ce qui concerne la question de savoir quand l’Afghanistan empruntera la voie du développement, il faut noter que le pays est frappé régulièrement par des sécheresses et a connu 23 années de destructions systématiques qui ont affaibli à tel point les populations que la crise est structurelle. Il est donc impossible de savoir quand l’assistance humanitaire pourra cesser. L’ONU s’efforce en premier lieu d’aider les gouvernements à assumer les problèmes et à prendre le relais. Dans le cas de l’Afghanistan, nous souhaitons que le Gouvernement assume les activités de déminage par exemple ou encore la sauvegarde des droits de l’homme.
Intervenant à son tour, le représentant de la Finlande a regretté que l’attention de la communauté internationale se concentre essentiellement sur un pays qui absorbe l’essentiel des ressources. Le représentant du Mozambique a souligné l’importance de la coordination entre institutions des Nations Unies et fait valoir à ce sujet l’exemple de son pays. Le représentant du Pakistan a demandé à M. Lubbers si des plans d’urgence avaient été prévus par le HCR pour la gestion des flux de réfugiés afghans rentrant d’Iran.
M. LUBBERS a insisté sur la nécessité d’intégrer l’humanitaire et le développement pour couvrir les besoins des populations, et ce en associant les rapatriés et les déplacés pour mieux les réinsérer dans la société. Il a souhaité la collaboration accrue des gouvernements à cette fin et a notamment évoqué le succès de l’opération de rapatriement des réfugiés il y a quelques années au Mozambique. Répondant au représentant du Pakistan, il a estimé que les réfugiés afghans étaient mieux intégrés dans l’économie iranienne qu’au Pakistan, d’où le faible retour enregistré depuis l’Iran, tout en assurant que les fonds étaient disponibles à court terme pour gérer les flux de réfugiés escomptés, soit 1,2 million d’Afghans.
Intervenant à la suite, le représentant du Japon a, à propos des catastrophes naturelles, demandé quels efforts concertés sont déployés par les institutions de l’ONU pour renforcer les capacités de prévision des catastrophes. A propos des situations d’urgence complexe, il a souhaité connaître ce qui permet de déclencher la phase de transition. Le représentant de la Suède a souhaité la tenue de réunions de coordination entre les donateurs. Le représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) a fait remarquer que le PAM est bien financé dans la catégorie des secours d’urgence prolongés.
Reprenant la parole, M. CHERPITEL a fait remarquer que la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge accorde une place très importante à la question de la prévisibilité et souhaite, à cet effet, développer une plus grande collaboration avec les Organisations non gouvernementales et les gouvernements. M. MALLOCH BROWN a fait observer que ce n’est pas le volume du financement qui est important mais la disponibilité immédiate des fonds. M. LUBBERS a pour sa part fait savoir que c’est au moment où l’on déclenche le rapatriement, lui-même conditionné par l’existence de conditions de sécurité suffisantes, que la phase de transition peut être mise en oeuvre. Enfin, Mme McCASKIE, en ce qui concerne la question de la préparation aux catastrophes, a fait remarquer que la priorité doit être donnée à la prévision de leurs conséquences humaines. Ce sont en outre les conditions de paix qui permettent de déclencher la transition.
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