CIJ/657

QUESTIONS D'INTERPRETATION ET D'APPLICATION DE LA CONVENTION DE MONTREAL DE 1971 RESULTANT DE L'INCIDENT 'RIEN DE LOCKERBIE

27 février 1998


Communiqué de Presse
CIJ/657


QUESTIONS D'INTERPRETATION ET D'APPLICATION DE LA CONVENTION DE MONTREAL DE 1971 RESULTANT DE L'INCIDENT AERIEN DE LOCKERBIE

19980227 La Cour se déclare compétente pour examiner l'affaire introduite par la Libye contre les Etats-Unis

LA HAYE, le 27 février 1998. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, s'est déclarée ce jour compétente pour examiner sur le fond l'affaire introduite par la Libye contre les Etats-Unis d'Amérique au sujet de l'incident aérien de Lockerbie. Elle a également jugé les demandes libyennes recevables.

La Libye, qui a saisi la Cour le 3 mars 1992, prétend que les Etats-Unis n'ont pas le droit de la contraindre à livrer deux de ses ressortissants soupçonnés d'être à l'origine de la destruction, le 21 décembre 1988, du vol 103 de la Pan Am au-dessus du village de Lockerbie (Ecosse), qui avait causé la mort de 270 personnes (la totalité des 259 passagers et membres d'équipage, ainsi que onze personnes au sol). Elle fait valoir que la convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile signée à Montréal en 1971 l'autorise à juger elle-même les suspects.

En juin 1995, les Etats-Unis ont soulevé trois exceptions préliminaires: l'une visant la compétence de la Cour, la seconde portant sur la recevabilité de la requête libyenne et la troisième alléguant qu'il n'y a plus lieu à statuer sur les demandes de la Libye car elles auraient été privées de tout objet par des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies. En outre, les Etats-Unis ont indiqué à titre subsidiaire que, si la Cour se déclarait néanmoins compétente, elle pourrait et devrait «résoudre l'affaire au fond dès maintenant» en décidant qu'il ne peut être donné suite aux mesures sollicitées par la Libye.

Compétence de la Cour

Les Etats-Unis ont contesté la compétence de la Cour en prétendant qu'il n'existait aucun différend juridique avec la Libye concernant la convention. Selon eux, la question à résoudre n'avait pas trait à des «divergences bilatérales» mais à «une menace à la paix et à la sécurité internationale résultant d'un terrorisme parrainé par un Etat».

Dans son arrêt, la Cour constate néanmoins que les Parties s'opposent sur la question de savoir si la destruction de l'appareil de la Pan Am est régie par la convention de Montréal. Elle indique qu'il existe donc un différend juridique de nature générale entre les Parties concernant la convention. La Cour ajoute qu'il existe également des différends spécifiques concernant l'interprétation et l'application de l'article 7 de la convention (relatif au lieu d'exercice de l'action pénale) et de l'article 11 du même texte (concernant l'entraide judiciaire dans la procédure pénale).

Les Etats-Unis ont en outre affirmé que, quand bien même la convention de Montréal conférerait à la Libye les droits qu'elle revendique, ceux-ci ne pourraient être exercés parce qu'ils auraient été supplantés par les résolutions 748 (1992) et 883 (1993) du Conseil de Sécurité. En vertu des articles 25 et 103 de la Charte des Nations Unies, ces résolutions prévalent sur tous droits et obligations créés par la convention de Montréal.

La Cour n'a pas retenu cette argumentation, les résolutions susmentionnées ayant été adoptées après le dépôt de la requête de la Libye, le 3 mars 1992. Or, conformément à une jurisprudence constante, si la Cour était compétence à cette date, elle l'est demeurée.

En conclusion, la Cour dit par treize voix contre deux qu'elle a compétence pour connaître des différends opposant la Libye aux Etats-Unis en ce qui concerne l'interprétation ou l'application des dispositions de la convention de Montréal.

Recevabilité de la requête libyenne

Les Etats-Unis ont soutenu qu'en saisissant la Cour, la Libye s'était efforcée de «défaire les décisions du Conseil» de Sécurité des Nations Unies et que, même si la Libye pouvait présenter des demandes valables, celles-ci seraient «supplantées» par les décisions du Conseil de Sécurité.

La Cour estime toutefois qu'il n'y a pas lieu de retenir cette conclusion. La date du 3 mars 1992 à laquelle la Libye a déposé sa requête est la seule pertinente aux fins d'apprécier la recevabilité de celle-ci. Les résolutions 748 et 883 ne sauraient donc être prises en considération. Quant à la résolution 731 (1992), adoptée avant le dépôt de la requête, la Cour indique qu'elle ne constitue pas un obstacle juridique à la recevabilité de celle-ci car il s'agit d'une simple recommandation sans effet contraignant, comme l'ont d'ailleurs reconnu les Etats-Unis.

La Cour conclut par douze voix contre trois que la requête libyenne est recevable.

- 3- CIJ/657 27 fvrier 1998

Question du non-lieu

Concernant l'allégation des Etats-Unis selon laquelle il n'y a plus lieu à statuer sur les demandes de la Libye car elles auraient été privées de tout objet par les résolutions 748 et 883 du Conseil de Sécurité, la Cour estime qu'une décision à ce stade de la procédure reviendrait immanquablement à statuer sur le fond et toucherait les droits de la Libye. Elle rejette par dix voix contre cinq l'exception soulevée par les Etats-Unis, mais pourra néanmoins l'examiner dans le cadre de la procédure sur le fond.

Observations à titre subsidiaire

La Cour n'a pas donné suite à la demande des Etats-Unis en vertu de laquelle, si la Cour devait malgré tout se déclarer compétente et juger la requête recevable, elle devrait résoudre l'affaire au fond dès maintenant. Elle a rappelé à cet égard qu'en soulevant des exceptions préliminaires, les Etats-Unis avaient fait un choix procédural dont l'effet est de suspendre la procédure sur le fond.

Suite de la procédure

La Cour ayant établi sa compétence et ayant déclaré recevable la requête libyenne, elle va à présent fixer, après consultation des Parties, les délais pour la suite de la procédure.

Celle-ci comporte deux phases : l'une écrite, l'autre orale.

Durant la phase écrite, des pièces de procédure sont échangées. Le demandeur (la Libye dans ce cas) a déjà présenté un mémoire sur le fond et, en conséquence, la Cour fixera le délai pour le dépôt, par le défendeur (les Etats-Unis), d'un contre-mémoire. La Cour peut autoriser la présentation d'une réplique du demandeur et d'une duplique du défendeur.

La procédure écrite une fois close, des audiences publiques sont organisées au cours desquelles les Parties présentent les points qui les divisent encore. La Cour ne rend un arrêt sur le fond qu'après la procédure orale.

La Cour était composée comme suit : M. Weeramantry, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire; M. Schwebel, président; MM. Oda, Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; M. El-Kosheri, juge ad hoc; M. Valencia-Ospina, greffier.

- 4- CIJ/657 27 fvrier 1998

MM. Bedjaoui, Ranjeva et Koroma, juges, ont joint une déclaration commune à l'arrêt; MM. Guillaume et Fleischhauer, juges, ont joint une déclaration commune; M. Herczegh, juge, a joint une déclaration. MM. Kooijmans et Rezek, juges, ont joint à l'arrêt les exposés de leur opinion individuelle. M. Schwebel, président, et M. Oda, juge, ont joint les exposés de leur opinion dissidente.

Un résumé de l'arrêt est fourni dans le communiqué de presse n° 98/6bis. On y trouvera aussi en annexe le texte des déclarations et un bref résumé des opinions.

Le texte intégral de l'arrêt, les déclarations et opinions des juges, ainsi que les communiqués de presse, figurent dès à présent sur le site Internet de la Cour (http://www.icj-cij.org).

Le texte imprimé de l'arrêt, ainsi que des déclarations et des opinions qui y sont jointes, sera disponible en temps utile (pour les renseignements et commandes, prière de s'adresser à la Section de la distribution et des ventes, Office des Nations Unies, 1211 Genève 10; à la Section de la distribution et des ventes, Nations Unies, New York, N.Y. 10017; ou à toute librairie spécialisée).

Pour de plus amples renseignements, prière de contacter M. Arthur Witteveen, secrétaire de la Cour (tél: 31-70 302 2336) ou••²E7E1²••••²E7E1²•• Mme Laurence Blairon, attachée d'information (tél: 31-70 302 2337).

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