Face au retour en force du « poison du patriarcat », le Secrétaire général appelle à tenir la promesse faite à Beijing en 1995
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée à l’occasion de l’ouverture de la soixante-neuvième session de la Commission de la condition de la femme, à New York, aujourd’hui:
Chères et chers amis de la société civile, qui faites progresser l’égalité, face à d’immenses obstacles, vous vous employez à rendre nos sociétés plus justes, plus équitables, plus représentatives et, par conséquent, plus résilientes et plus prospères pour toutes et tous. Je salue vos efforts.
Nous sommes réunis ici car le monde célèbre le trentième anniversaire du jour où les pays rassemblés à Beijing ont réaffirmé que les droits des femmes étaient des droits humains, et ont promis, je cite, de « faire progresser les objectifs d’égalité, de développement et de paix pour toutes les femmes dans le monde entier ».
Bien sûr, il a toujours été clair que cela ne se ferait pas en un jour, ni même en quelques années. Mais trois décennies plus tard, cette promesse semble plus difficile à tenir que nous ne l’aurions jamais imaginé.
Les droits des femmes sont en état de siège. Le poison du patriarcat est de retour, et il revient en force. Il freine brutalement l’action, détruit les progrès accomplis et prend des formes nouvelles et dangereuses.
Mais il existe un antidote. Cet antidote est l’action. Le moment est venu pour celles et ceux d’entre nous qui se soucient de l’égalité pour les femmes et les filles de faire front et de faire entendre leur voix. Le moment est venu pour le monde d’accélérer les progrès et de tenir la promesse faite à Beijing.
Au cours des trente dernières années, le monde est allé de l’avant. Il a progressé dans l’éducation des filles, la lutte contre la mortalité maternelle, le renforcement des protections juridiques, et plus encore.
Mais d’immenses disparités persistent. Des abominations séculaires comme la violence, la discrimination et les inégalités économiques sont monnaie courante.
L’écart de rémunération entre les femmes et les hommes est toujours de 20%. Près d’une femme sur trois dans le monde a été victime de violences. D’Haïti au Soudan, d’horribles violences sexuelles sont perpétrées dans le cadre de conflits.
Dans de nombreux pays, les femmes et les filles se voient encore refuser les droits les plus élémentaires: le droit de ne pas être violées par leur mari... Le droit d’accéder à la propriété ou de transmettre la citoyenneté sur un pied d’égalité avec les hommes, ou d’accéder au crédit sans l’autorisation de leur mari.
Et partout dans le monde, des acquis durement gagnés sont réduits à néant:
Les droits en matière de procréation sont remis en cause et les initiatives en faveur de l’égalité sont abandonnées.
En Afghanistan, les femmes et les filles ont été privées de leurs droits les plus fondamentaux – on leur interdit même de faire entendre leur voix en public.
Pendant ce temps, les nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle, ouvrent de nouvelles avenues à la violence et aux abus, normalisant la misogynie et la vengeance en ligne. Près de 95% des « deepfakes » qui circulent sur Internet sont des images pornographiques non consenties. Quatre-vingt-dix pour cent d’entre elles représentent des femmes. De plus, l’inégalité d’accès aux technologies aggrave les inégalités existantes.
Pourquoi n’avons-nous pas fait mieux? Il ne fait aucun doute que les crises mondiales ont entravé les progrès:
La COVID-19 s’est accompagnée d’une hausse de la violence contre les femmes et les filles, et d’une baisse de la participation au marché du travail. La crise de la dette draine les ressources et réduit la marge de manœuvre budgétaire. Les catastrophes climatiques empirent et continuent de frapper plus durement les femmes et les filles. Et le droit à l’égalité des femmes et des filles est compromis par l’embrasement des conflits dans le monde.
Cependant, les crises mondiales ne sont pas les seuls obstacles.
L’adoption de nouvelles lois n’a pas été suivie d’investissements permettant de les concrétiser. Et ces lois ne sont pas non plus systématiquement fondées sur les normes et principes internationaux relatifs aux droits humains.
Les normes discriminatoires perdurent, la volonté politique vient souvent à manquer, tout comme le respect du principe de responsabilité.
Le financement des organisations de défense des droits fondamentaux des femmes est en chute libre. L’espace civique se rétrécit. Les défenseurs et défenseuses des droits des femmes sont de plus en plus souvent victimes de harcèlement et de menaces. Partout dans le monde, les adeptes de la misogynie gagnent en force, en confiance et en influence.
Voyez la bile déversée en ligne sur les femmes. Voyez les tentatives de destruction des droits humains et des libertés fondamentales des femmes. Voyez les dirigeants fort heureux faire de l’égalité un agneau sacrificiel.
L’égalité est un droit fondamental pour les femmes et les filles. C’est tout simplement une question de justice. Elle est à la base du développement durable comme d’une paix durable. Et elle est essentielle pour l’humanité.
En garantissant l’accès des filles à une éducation de qualité et en offrant aux femmes des perspectives de travail décent, nous stimulons la croissance économique et nous bâtissons des économies plus robustes. Et en donnant aux femmes et aux filles la voix au chapitre à laquelle elles ont droit, nous augmentons nos chances de trouver des solutions à d’immenses problèmes, qu’il s’agisse des changements climatiques ou des conflits dans le monde.
Alors, comment pouvons-nous accélérer les progrès?
Premièrement, en intensifiant le financement durable en faveur du développement durable et, partant, en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Le Pacte pour l’avenir, adopté l’année dernière, constitue une formidable avancée dans ce sens. Les droits des femmes et des filles sont partout dans ce texte.
J’exhorte tous les pays à tenir pleinement les engagements qu’ils y ont pris... Et à donner la priorité aux investissements pour l’égalité des genres: à l’investissement dans l’éducation et la formation, à l’investissement dans l’autonomisation économique – notamment par une rémunération et des retraites suffisantes pour les aidants, dans la majorité des cas des aidantes, et aux sortes d’investissement qui visent à éliminer toutes les formes de violence et de harcèlement. L’Initiative Spotlight lancée à l’ONU montre à quel point cet investissement a de l’importance.
Deuxièmement, nous devons renforcer le soutien aux organisations de femmes.
Ces organisations jouent un rôle capital dans l’application du principe de responsabilité, en s’employant à favoriser le progrès, en défendant les droits et en veillant à ce que les femmes et les filles soient entendues, et leur intérêts pris en compte.
Les gouvernements doivent faire une plus large place à la société civile. Ils doivent protéger les défenseurs et défenseuses des droits humains des femmes et œuvrer à ce que ceux qui les menacent soient traduits en justice. Nous devons par ailleurs renforcer les mécanismes de responsabilité institutionnelle au sein des gouvernements, pour que les choses avancent.
Troisièmement, nous devons agir dans le domaine de la technologie.
Dans le Pacte numérique mondial, des engagements ont été pris dans le sens d’une action en faveur des femmes et des filles: les engagements de promouvoir leur leadership, de corriger les données comportant des biais de genre, de combattre et d’éliminer toutes les formes de violence commises à l’aide des technologies numériques, de faire en sorte que les initiatives de renforcement des capacités soient ciblées et adaptées aux femmes et aux filles, et de favoriser leur participation dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques.
Quatrièmement, nous devons garantir la participation pleine, égale et effective des femmes à la consolidation de la paix.
C’est là une voie éprouvée vers des solutions plus permanentes, comme le Conseil de sécurité l’a souligné dans sa résolution 1325, adoptée il y a 25 ans.
Un autre engagement a été pris, dans le Pacte pour l’avenir: celui d’intégrer les femmes dans tous les aspects de la prévention des conflits et de la consolidation et de la pérennisation de la paix. Il y a lieu de l’honorer.
Enfin, nous devons agir pour garantir la participation pleine, égale et effective des femmes à la prise de décisions, à tous les niveaux et dans tous les domaines de la vie.
Nous avons besoin que des femmes soient aux commandes dans les gouvernements et dans l’élaboration des politiques. Ce serait un moyen sûr d’améliorer la santé, l’éducation et les soins aux enfants, et de faire reculer la violence à l’égard des femmes et des filles. Et nous avons besoin de femmes aux commandes dans le monde de l’entreprise.
Nous savons ce qui fonctionne: les mesures temporaires spéciales, telles que les quotas, les nominations ciblées et les objectifs de parité. Les pays et les entreprises devraient y recourir.
Je parle d’expérience. L’ONU montre l’exemple à cet égard. Pour la première fois dans notre histoire, au Siège et ailleurs dans le monde, nous sommes parvenus à la parité hommes-femmes aux postes de haute direction, et nous la maintenons. Nous y sommes parvenus d’une manière fort simple: en élargissant la recherche de candidats qualifiés.
À aucun moment nous n’avons transigé sur la compétence. Nous avons simplement offert des chances égales à toutes et tous. Et nous avons découvert une vérité fondamentale: l’élargissement du vivier de talents profite à tout le monde.
Aujourd’hui, l’ONU est plus forte parce que nous sommes plus représentatifs du monde que nous servons. Et nous sommes déterminés à faire encore davantage pour les femmes et les filles du monde entier.
Le Pacte pour l’avenir comprend l’engagement de revitaliser la Commission de la condition de la femme afin de favoriser l’application du Programme d’action de Beijing.
Et notre Plan pour l’accélération de l’égalité des genres dans le système des Nations Unies vise à faire progresser cette égalité –ainsi que les droits fondamentaux de toutes les femmes et les filles– dans chaque facette de notre travail.
Cela comprend notamment un appel à lutter contre les obstacles à l’égalité des genres et à protéger les défenseuses des droits humains, ainsi que l’engagement d’aider à mobiliser 300 millions de dollars pour les organisations de femmes touchées par les conflits et les situations de crise.
Nous le savons: tout cela représente un investissement non seulement pour les femmes, non seulement pour les filles, mais bien pour l’ensemble de l’humanité.
En ces temps périlleux pour les droits des femmes, nous devons nous rassembler autour de la Déclaration de Beijing. Réaffirmer notre engagement en faveur du Programme d’action. Et agir fermement – pour faire de la promesse du respect des droits, de l’égalité et de l’autonomisation une réalité pour chaque femme et chaque fille, dans le monde entier.