En cours au Siège de l'ONU

Cinquante-huitième session,
8e séance plénière – matin
POP/1117

Commission de la population et du développement: l’utilisation des données de la Division de la population au centre d’un échange entre experts nationaux

À la veille de la clôture de sa cinquante-huitième session, la Commission de la population et du développement a tenu, ce matin, une table ronde entre experts nationaux sur le programme de travail du Secrétariat de l’ONU dans le domaine de la population, suivie d’un débat interactif. Les échanges ont essentiellement porté sur l’utilisation par les gouvernements des données démographiques et sanitaires de la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales (DESA) aux fins d’élaborer des programmes et des politiques, un mécanisme aujourd’hui menacé par la suppression des financements du Gouvernement des États-Unis. 

Modérateur de la discussion, le Directeur de la Division de la population a rappelé que, depuis 1984, les enquêtes démographiques et sanitaires produites par cette entité du DESA fournissent des données essentielles qui améliorent la compréhension des progrès mondiaux vers le développement durable en offrant un aperçu des multiples dimensions de la vie des populations.  Ces enquêtes, a souligné M. John Wilmoth, ont été une source d’informations particulièrement importante pour les pays les moins avancés et les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. 

En collaboration avec ses partenaires du système des Nations Unies, la Division de la population utilise les données tirées de ces enquêtes pour estimer les niveaux de mortalité maternelle et juvénile, de fécondité et de recours à la contraception, ainsi que de mariage d’enfants et de grossesses précoces.  Elle en extrait également des informations sur la pauvreté, la nutrition, l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, le niveau d’éducation et d’alphabétisation ou encore l’accès des ménages à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène.  Les enquêtes de la Division génèrent en outre des données ventilées par âge, sexe, lieu de résidence urbain ou rural, revenu et niveau d’éducation, contribuant ainsi à mettre en évidence les inégalités entre et au sein des populations. 

Des données cruciales menacées par l’arrêt des financements américains

Dans ce contexte, M. Wilmoth a informé la Commission que la récente décision du Gouvernement des États-Unis de fermer l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a entraîné la résiliation d’un contrat avec cette agence qui fournissait environ la moitié du budget total du Programme d’enquêtes démographiques et sanitaires de la Division. Concrètement, a-t-il précisé, la suppression du financement américain a mis un terme à la plupart des activités de ce programme et suscité des interrogations sur l’avenir des enquêtes par sondage comme source de données démographiques et de santé. 

« Il n’est pas exagéré d’affirmer que notre capacité à produire des informations fiables sur les schémas et tendances démographiques pour un grand nombre de pays et pour le monde entier sera gravement compromise par la disparition du Programme d’enquêtes démographiques et sanitaires, à moins que des mesures correctives ne soient rapidement prises par les gouvernements nationaux et la communauté internationale », a déclaré le Directeur de la Division.  En réponse à la fin attendue du programme, il a fait état de la création d’un groupe de travail, placé sous l’égide de la Commission de statistique des Nations Unies, pour élaborer un nouveau mécanisme visant à promouvoir et à soutenir la production de données démographiques et sanitaires fiables et comparables au niveau international, par le biais d’enquêtes. 

M. Wilmoth a souligné à cet égard l’importance de l’appropriation nationale dans la création de toute future infrastructure de production de données démographiques et sanitaires issues d’enquêtes, un point de vue partagé par l’ensemble des panélistes, qui ont toutefois insisté sur le caractère incontournable des documents produits par la Division.  La Directrice de la population et de la santé à l’Institut de planification de la Jamaïque a ainsi indiqué que son pays et tous ceux de la sous-région des Caraïbes s’appuient sur ces données pour préparer des projections démographiques, compléter les connaissances nationales et mieux cerner les caractéristiques de groupes comme les migrants internationaux. 

Utilisation multiple des données de la Division par la Jamaïque 

Pour Mme Mareeca Brown Bailey, ces données sont d’autant plus cruciales que la Jamaïque connaît d’importants problèmes démographiques, à commencer par un vieillissement de sa population, avec une proportion croissante de personnes âgées de 80 ans et plus, ce qui soulève des inquiétudes quant à la disponibilité des services de soins de longue durée.  Le faible ratio de dépendance selon l’âge de la Jamaïque, de l’ordre d’environ d’une personne à charge pour 2,3 personnes en âge de travailler en 2023, permet cependant de réduire la charge pesant sur les services sociaux et les systèmes de santé et de jeter les bases d’une plus grande productivité économique grâce à une population en âge de travailler plus importante, a-t-elle expliqué. 

La Jamaïque fait aussi face à une baisse de sa population infantile en raison d’une chute de son taux de fécondité total, passé de 4,5 naissances par femme entre 1973 et 1975 à seulement 1,9 en 2021.  Le pays est ainsi tombé en dessous du taux de fécondité de remplacement de 2,1, a noté l’experte, avant d’évoquer le taux important d’émigration des jeunes Jamaïcains, notamment les plus qualifiés, vers des pays comme les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni.  Cette « fuite des cerveaux » risque selon elle d’impacter gravement le développement économique et social du pays. 

Face à ces défis, Mme Brown Bailey a dit attendre de la Division de la population qu’elle fournisse davantage d’assistance technique aux États Membres pour renforcer leurs capacités de collecte, d’analyse et de diffusion de données démographiques et les aider à bâtir des politiques et des programmes cohérents.  Elle a par ailleurs souhaité que la Division facilite le partage des connaissances et le réseautage entre les États, en promouvant les meilleures pratiques et les enseignements tirés. 

L’Albanie intéressée par les données sur le vieillissement et l’émigration

Des attentes semblables ont été formulées par Mme Anisa Muça Omuri, Directrice des statistiques sociales à l’Institut national des statistiques de l’Albanie, dont le pays est lui aussi confronté à une baisse de la fécondité, à un vieillissement de sa population et à une forte émigration des jeunes, en l’occurrence vers l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord.  À ces phénomènes s’ajoutent un exode rural en progression constante et un faible taux d’immigration, le pays peinant à attirer des travailleurs étrangers pour compenser le déclin démographique. 

Pour mieux comprendre ces évolutions, améliorer la recherche démographique et planifier des politiques, l’Institut national des statistiques de l’Albanie recourt aux données, rapports et outils d’analyse de la Division de la population et d’Eurostat, l’organisme de l’Union européenne chargé de l’information statistique à l’échelle communautaire, a précisé l’intervenante. « Ces informations éclairent les stratégies démographiques nationales et les politiques du marché du travail de l’Albanie ». 

Selon Mme Muça Omuri, l’Albanie s’appuie également sur les données de la Division pour mieux appréhender les migrations, évaluer les impacts socioéconomiques de la perte de jeunes et de main-d’œuvre qualifiée, et connaître les tendances d’urbanisation, utiles pour la planification des infrastructures, en particulier dans les villes à croissance rapide comme Tirana. Ces données servent d’autre part à suivre les objectifs de développement durable (ODD), notamment ceux liés à la dynamique de la population, à l’égalité des sexes et à la protection sociale, et à comparer les dynamiques démographiques de l’Albanie avec celles d’autres pays d’Europe de l’Est. 

L’aspect comparatif des données démographiques mis en avant par le Kenya 

À son tour, le Directeur général du Conseil national pour la population et le développement du Kenya a indiqué que son pays utilise systématiquement les rapports de la Division pour prendre des décisions fondées sur des données probantes et élaborer des objectifs en les comparant à ceux d’autres pays.  « Les données démographiques sont notamment utilisées lorsqu’elles offrent une perspective mondiale sur diverses questions démographiques », a expliqué M. Mohamed A. Sheikh, précisant que la population de son pays comptera 70 millions d’individus en 2045, contre 53 millions aujourd’hui. 

Le Kenya, comme le reste du continent africain, connaît néanmoins une baisse du nombre moyen d’enfants par femme, passé de 5,4 en 1993 à 3,4 en 2022.  Cela n’empêche pas le pays d’être majoritairement jeune, les moins de 35 ans constituant plus de 75% de la population nationale, ce qui pose des difficultés en termes d’emploi, d’éducation et de services de santé.  Si l’espérance de vie progresse régulièrement, la mortalité maternelle et juvénile reste élevée, a reconnu M. Sheikh, faisant aussi état d’une forte urbanisation de la population kényane, principalement en raison de l’exode rural qui conduit à la prolifération des établissements informels. 

Saluant l’apport des données de la Division de la population à la planification des politiques gouvernementales, l’expert a plaidé pour une amélioration de leur diffusion afin d’en faciliter l’accès et l’utilisation.  « Cela peut se faire en renforçant les capacités et en travaillant avec les agences de population », a-t-il avancé, à l’instar de plusieurs délégations ayant pris part au dialogue interactif. 

Pas de solution unique en matière de politique démographique

Intégrer les stratégies préconisées par la Division dans les plans de développement nationaux est une gageure, a constaté le Soudan en demandant une meilleure coordination des entités du système des Nations Unies pour aider les pays en développement à renforcer leurs capacités.  La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a, elle, regretté la faiblesse des fonds alloués aux systèmes statistiques nationaux, évoquant des capacités nationales « qui laissent à désirer et qui sont menacées par la baisse de l’appui international ».  La même inquiétude a été formulée par Cuba, qui, tout en formant l’espoir que les programmes de la Division de la population pourront se poursuivre, a appelé à une meilleure actualisation des données par pays, en tenant compte des situations spécifiques. 

« Il n’existe pas de solution unique, tous les pays ont leurs propres défis à relever », a confirmé l’Indonésie, avant de plaider pour un partage plus large des pratiques exemplaires en matière de politique démographique.  Le Japon a, lui, insisté sur la comparabilité des données, invitant la Division à élaborer des indicateurs nationaux, en complément des cadres communs, tandis que la Malaisie réclamait des analyses plus fouillées sur les personnes de plus de 60 ans et le soutien intergénérationnel.  Le Paraguay a, pour sa part, sollicité des recommandations pour la formation des fonctionnaires travaillant sur les statistiques. 

De son côté, la Fédération de Russie a estimé que l’ONU pourrait jouer un rôle de coordination accru en matière de politique démographique, avant de mettre en avant les mesures qu’elle prend dans ce domaine, qui représentent un tiers de ses dépenses budgétaires.  Elle a cité pêle-mêle ses actions en faveur des jeunes souhaitant fonder une famille, ses dispositifs de prise en charge des personnes âgées, l’intégration du vieillissement dans son système de protection sociale et ses programmes de préservation de l’institution du mariage. 

Relevant quant à lui que l’Afrique, avec un taux moyen de fécondité de 4,7 enfants par femme, maintient le monde au-dessus du taux de remplacement, le Burkina Faso s’est intéressé aux moyens permettant d’alléger les travaux domestiques des femmes tout en préservant l’intégrité de la cellule familiale.  La Suède a expliqué sa « vision plus occidentale » en affirmant ne pas lier la baisse de la fécondité à l’accès aux contraceptifs.  Elle a d’autre part jugé que la question d’avoir ou pas un enfant devrait revenir à la femme, faisant valoir l’influence des déterminants socioéconomiques sur la décision individuelle. 

Enfin, si la Gambie et la Türkiye se sont alarmées du déclin du taux de fécondité, qui expose les sociétés à des effets délétères sur le plan socioéconomique, l’Iran a conseillé aux États Membres d’adapter leur stratégie en tenant compte de la tendance croissante au vieillissement des populations, afin de mettre en œuvre le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD). 

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